Depuis sa
rencontre avec Leonardo DiCaprio (« Gangs of New-York », 2002), le
cinéma de Martin Scorsese connait un incroyable retour de flammes, alors même
que le cinéaste avait déjà inscrit son nom dans l’éternité grâce à de multiples
chefs-d’œuvre, de « Taxi driver » (1976) à « Casino » (1995). Jusqu’à
prouver qu’il n’avait pas encore atteint le sommet de son art : « Les
infiltrés » (2006) est à ce jour son chef-d’œuvre absolu… à moins que ce
ne soit « Le loup de Wall Street ».
Implacable portrait
Ce nouveau
monstre cinématographique (2h59 de film après un montage ardu) surprend pour la
vitalité qu’il démontre chez Scorsese : le réalisateur new-yorkais, qui n’a
pourtant plus rien à prouver, repousse une fois de plus son cinéma dans des
territoires inédits. Il enchante pour le brio de sa mise en scène,
époustouflante, qui fait passer les trois heures de spectacle en un souffle. Il
désole enfin pour l’implacabilité de sa charge.
L’histoire de « Le loup de Wall Street »
est celle, autobiographique, de Jordan Belfort, courtier en bourse. Le film le
suit donc de son ascension à sa chute, selon le canon cinématographique de la
structure pyramidale – canon que l’on doit largement à Scorsese lui-même. Avec
cette histoire, le réalisateur de « Raging bull » et de « Les
affranchis » semblait donc en terrain connu. Et pourtant, il n’était jamais
allé aussi loin dans le portrait d’un escroc. Sans aucune concession, cette
fresque représente les gloires et déboires d’un infâme anti-héros, obscène et
sans scrupules, dans un monde qui lui est encore plus vicié, décadent et
corrompu : celui de la finance. Contrairement à Travis Bickle (« Taxi
driver »), Henry Hill (« Casino »), Jake LaMotta (« Raging
bull ») ou Sam « Ace » Rothstein (« Les affranchis »), nulle rédemption
pour Jordan Belfort au cours de ces trois heures. Toute identification avec ce
malfaiteur est donc impossible.
Carnaval animalier
Mais il n’est pas le seul être complètement déréglé
de ce long-métrage : ce qui est littéralement montré comme la faune de
Wall Street l’est tout autant que lui. Les premières images du film se font
succéder les emblèmes animaliers de cet univers : du taureau de Wall
Street au lion, emblème de sa firme Stratton Oakmont, en passant par le loup du
titre, un ours et les singes parcourant l’open space lors de la fête sur laquelle s’ouvre
le film… Addicts aux drogues, au sexe et à l’argent, selon un principe expliqué
lors d’une séquence hilarante par Matthew McConaughey, Belfort et ses associés
se comportent comme des bêtes, et naviguent d’orgie en orgie, dans une
perpétuelle hystérie, au point-même de ne pouvoir prendre un vol long-courrier
sans déclencher d’esclandre. Le film est une débauche permanente, un
festoiement jouissif (car extrêmement comique) presque sans temps mort, un
tourbillon, une danse au bord du gouffre où les acteurs s’en donnent à cœur joie.
Servis par les meilleurs dialogues de cette année avec ceux de « Django
unchained », tous les acteurs du film sont sidérants de drôlerie – si ce n’est,
peut-être, Jean Dujardin (!) dans un second rôle qui est un gag à lui tout seul
– ce qui n’empêche pas un acteur de se distinguer : Leonardo DiCaprio. L’acteur
n’avait jamais joué un personnage aussi ouvertement comique, et il se révèle
plus prodigieux que jamais, charismatique et burlesque. Le film culmine lors d’une
scène impensable et inénarrable où Belfort essaye de rejoindre sa voiture alors
que, sous l’emprise de la drogue, son corps ne lui répond plus. Qu’un des
meilleurs acteurs américains contemporains (qui n’a pas commis un seul faux pas
depuis 2001 !) ose se ridiculiser avec un tel éclat est aussi inattendu qu’hilarant.
D’autant plus puissant qu’amoral
Le film est
à l’image de son personnage : il n’a aucune morale. Il en est d'autant plus puissant. Condamné à la prison
après avoir trahi son milieu, Belfort continue de s’enrichir en conférencier.
Le film n’en est que plus implacable. Ce portrait est tout droit destiné à
suivre le même destin que celui de Tony Montana dans le « Scarface »
de Brian De Palma (1983). A aucun moment le film ne montre les ravages provoqués
par Belfort et sa firme. « Le loup de Wall Street » reste obstinément
rivé dans le sillage hallucinant du courtier… jusqu’au plan final, où Scorsese
montre l’adoration que génère le personnage et à travers lui le monde de la
finance – il va sans dire que ce public conquis sur lequel s’achève le film est
aussi celui du film. Vertigineux.
On retiendra…
Le film le plus cynique de
Scorsese, un monstre de débauche, portés par des acteurs hors norme et un
DiCaprio stupéfiant. Le plus grand film jamais réalisé sur le capitalisme.
On oubliera…
Dujardin fait une apparition
en soi savoureuse, mais il souffre de la comparaison avec les autres seconds
rôles…
« Le loup de Wall Street »
de Martin Scorsese, avec Leonardo DiCaprio, Jonah Hill, Margot Robbie,…