dimanche 11 décembre 2016

Circonstances spéciales (Premier contact)

Depuis le très beau « Incendies » en 2010, les portes de Hollywood se sont ouvertes à Denis Villeneuve. Depuis, le réalisateur québécois y a enchaîné trois chefs-d’œuvre dans autant de genre différents (le thriller « Prisoners », le fantastique et très dérangeant « Enemy », le film policier « Sicario ») et aborde en 2016 la science-fiction avec « Premier contact », sa première incursion dans le genre (avant « Blade runner 2049 »).


Un neuf premier contact
De « Rencontre du troisième type » à « Contact » (pour ne citer que deux films au titre particulièrement explicite), combien de fois l’histoire du premier contact de l’humanité avec une intelligence extra-terrestre a-t-elle déjà été racontée au cinéma ? Pourtant, « Premier contact » apparait bien comme le premier, tant le film semble totalement neuf. C’est que son scénario est adapté d’une novella très réputée de Ted Chiang, « L’histoire de ta vie », à l’intelligence extraordinaire. Complexe, subtil, riche, ce scénario est une merveille, que Denis Villeneuve met en scène avec l’efficacité kubrickienne qu’on lui connait. Le scénario comprenant un jeu sur la temporalité, c’est même à Christopher Nolan que l’on pense en regardant « Premier contact » – ces deux auteurs se retrouvent sur leur admiration évidente pour « 2001 : l’odyssée de l’espace »… Ici, Villleneuve réutilise le silence, le jeu sur les perspectives, et le minimalisme conceptuel du Monolithe de Kubrick pour accroitre l’intensité dramatique de cette rencontre de l’homme avec l’extra-terrestre.
Il nous fait s’identifier avec une si grande force au personnage principal de la linguiste jouée par Amy Adams que l’on ressent comme rarement auparavant cette peur immense face à l’incompréhensible, l’inconcevable que sont les extra-terrestres. La peur est si grande que sa mission – établir un contact avec eux – nous parait même complètement impossible tout d’abord. Jusqu’à ce que le personnage d’Amy Adams ait l’idée de leur apprendre la langue (l’anglais). Ce sera ensuite tout le sujet du film que d’expliquer la complexité et les limites de la compréhension d’une langue, avec un souci et une rigueur unique pour un film de SF, qui balaie d’habitude systématiquement cette question de la barrière de la langue…

Twist
Mais ce n’est pas là la seule richesse de « Premier contact », qui comporte aussi tout une construction scénaristique et de montage qui se clôt par un twist d’une force à vous mettre les larmes aux yeux, révélé vers la fin du film. C’est très beau et émouvant. La seule chose que l’on peut d’ailleurs regretter de ce film, c’est la manière dont ce twist est un peu surexpliqué à la toute fin. Le réalisateur étale sa révélation du twist en une succession de micro-suspenses inutiles, le schéma global ayant déjà été saisi par le spectateur. Les seuls spectateurs sur qui ces micro-suspenses pourraient fonctionner sont malheureusement ceux déjà perdus à ce moment par le scénario du film,  et avec lesquels le réalisateur semble donc du coup bien cruel…
« Premier contact » est le plus beau film de science-fiction de l’année. C’est avec plus de sérénité et d’espoir que l’on attendra donc la sortie l’année prochaine de « Blade runner 2049 » !

On retiendra…
Le scénario formidable d’intelligence et la mise en scène toujours aussi puissante de Villeneuve, plus un twist final très émouvant.

On oubliera…
Denis Villeneuve surplombe ses spectateurs au moment de révéler son twist.


« Premier contact » de Denis Villeneuve, avec Amy Adams, Jeremy Renner, Forest Whitaker,… 

samedi 3 décembre 2016

Excessivement réel (Ma’Rosa)

Brillante Mendoza est un cinéaste à méthode. Avec « Ma’Rosa », son quatorzième film en 11 ans (!), le cinéaste philippin reproduit une fois de plus sa mise en scène percutante de réalisme, pour raconter les déboires d’une famille vivant dans un bidonville de Manille. Et c’est toujours aussi impressionnant.
Sélectionné et même récompensé à Cannes (Prix d’interprétation féminine pour Jaclyn Jose, une des bizarreries du palmarès de l’édition 2016), « Ma’Rosa » confirme que Mendoza a renoué avec l’inspiration, lui qui a traversé un relatif passage à vide depuis « Captive » en 2012 (s’essayant notamment, avec un résultat calamiteux, au film d’horreur avec « Sapi » – jamais distribué en salles en France, et avec raison).


La méthode Mendoza
La méthode de Brillante Mendoza est irrésistiblement efficace. Son cinéma semble filmé « en direct », pris sur le vif, non dirigé. Il est fait de plans-séquences tournés au plus près des personnages que l’on suit dans le moindre de leurs déplacements, d'où l'impression d'une narration « en temps réel » où rien ne semble avoir été écrit à l'avance : c'est formidable d’immersion. Brillante Mendoza réussit ainsi à allie à la puissance du cinéma de fiction la vérité du cinéma documentaire.
Le film est donc déjà très frappant pour sa mise en scène. Même si celle-ci ne s'est pas beaucoup renouvelée depuis les débuts de Mendoza, elle n’en est pas moins l’une des plus saisissantes qui soient. Mais il est aussi frappant par le portrait terrible qu’il dresse de son pays : une société très pauvre où la corruption est généralisée (la découverte de l’étendue de la corruption est d’ailleurs l’un des plus gros chocs ménagés par le scénario du film, implacable), où tous les rapports sont gangrenés par l’argent (le grand sujet de Mendoza). La vie de Ma’Rosa, l’héroïne du film, semble un parcours du combattant permanent – le suivre sur une journée est déjà épuisant pour le spectateur… Même le climat est hostile, puisque tout le film se déroule sous une tempête de pluie.
Toute la misère du monde semble donc concentrée dans ce film, presque comme s’il en faisait le catalogue. Ça pourrait paraître « trop », ça pourrait paraître racoleur comme si Mendoza faisait un spectacle de la misère de son pays… Mais non : sa mise en scène est tellement vive et immersive, que pendant le film on ne se pose aucune question tant on est happé par ce qu’il se passe, tant on y croit. C’est par ces accumulations folles que Mendoza produit cette impression si forte de réel. Et plus cette impression est forte, plus sa dénonciation est efficace.
« Ma’Rosa » est donc un film à qui l’excès réussit. Bonne nouvelle : Brillante Mendoza est bel et bien de retour, et n’a rien perdu de sa vigueur.

On retiendra…
La mise en scène ultra-réaliste qui produit une sensation d’immersion comme on n’en voit que très rarement...

On oubliera…
Ce cauchemar quasi permanent est une épreuve pour le spectateur.


« Ma’ Rosa » de Brillante Mendoza, avec Jaclyn Jose, Julio Diaz,…

mardi 8 novembre 2016

De battre mon cœur s’est arrêté (Réparer les vivants)

Le roman est extraordinaire, un texte d’une force et d’une beauté inouïes. Les si magnifiques phrases de Maylis de Kerangal ont d’ailleurs été déclamées sur scène dans deux mises en scène différentes [1]. A leur suite, Katell Quillévéré, auteur de l’excellent « Suzanne », s’est donc à son tour lancée dans l’aventure de ce texte, paru en 2013. Mais au cinéma le travail d’adaptation doit être beaucoup plus prononcé qu’au théâtre, puisqu’il n’est pas possible de simplement lire les phrases écrites par Maylis de Kerangal, narrant si puissamment cette épopée, celle de la transplantation d’un cœur, du corps d’un jeune homme donneur à celui d’une femme plus âgée receveuse.


Documentaire
Privée de cette narration littéraire, Katell Quillevéré s’est appuyée sur deux forces du médium cinéma : sa puissance documentaire et sa puissance onirique. Au passage, que le film soit privé de la narration du roman, cela a aussi pour conséquence que cette œuvre se retrouve presque entièrement dépourvue d’humour – et c’est d’ailleurs sûrement ce qui tranche le plus lorsqu’on compare l’impression laissée par le film à celles laissées par le roman ou les pièces de théâtre.
La puissance documentaire, donc : l’impression de réel, portée par le réalisme de la mise en scène et l’excellent jeu des acteurs, est extrêmement forte. Face à la gravité de ce qui est décrit, l’émotion surgit très vite. Elle est dense, aigue, mais la réalisatrice réussit à la faire s’écouler calmement grâce à la musique (extraordinaire bande originale d’Alexandre Desplat) et aux trouées de sa narration, faites d’ellipses, de saut d’un personnage à un autre (la dimension chorale du roman est ici encore plus renforcée) et d’allers-retours temporels. Tout ça est beau et bien construit. On est très loin du film tire-larmes qu’on aurait pu redouter – même si des larmes, on en versera effectivement (et c’est très bien !).
Là où l’intérêt d’une adaptation au cinéma se fait le plus évident par sa « puissance documentaire », c’est lors des opérations chirurgicales de prélèvement et de greffage du cœur, ainsi que son transport. Nous est donné à contempler, frontalement et presque sans filtre, le miracle de cette opération de transplantation. C’est quelque chose de si dingue, de si héroïque, que ça excède les mots – et il fallait bien la neutralité des images pour capturer et donner à voir une partie de cet exploit inénarrable que constitue cette opération.

Métaphorique
La puissance onirique, ensuite : Katell Quillevéré ne peut enrichir ses images de toutes les métaphores, digressions, parallèles et autres que l’on trouve dans la narration d’un roman. Mais elle n’en a pas pour autant asséché son film à une seule et simple « vérité documentaire ». Elle développe ainsi quelques métaphores visuelles d’une grande force d’évocation, telle cette route qui se transforme en vague, qu’il est impossible d’oublier. C’est là encore très beau et témoigne de l’inventivité de mise en scène de la réalisatrice.
Qui ne s’exprime d’ailleurs pas que sur le plan de la réalisation, puisque le scénario-même du film se permet d’approfondir, d’enrichir certains nœuds de l’intrigue du roman (et en coupe d’autres), dans un excellent travail d’adaptation. Tout ce qui concerne la receveuse se retrouve dans le film beaucoup plus développé que dans le roman. « Réparer les vivants » au cinéma porte ainsi plus sur ce passage de la vie d’un corps à un autre opéré lors de la transplantation d’un cœur, passage rendu ici hautement symbolique car se faisant d’un fils à une mère.
Le film « Réparer les vivants », s’il n’éblouit pas autant que le roman dans le champ littéraire, par manque de singularité formelle, est cependant un excellent film, très émouvant, dont le travail d’adaptation exemplaire peut être vivement salué.

On retiendra…
La force documentaire et onirique de cette adaptation du si beau texte de Maylis de Kerangal au cinéma. La musique, magnifique, d’Alexandre Desplat, à la hauteur de l’émotion suscitée par le long-métrage.

On oubliera…
Des métaphores visuelles parfois un peu trop faciles ou éculées (telle la plongée des corps dans l’océan).

« Réparer les vivants » de Katell Quillévéré, avec Tahar Rahim, Anne Dorval,…




[1] D’abord par Emmanuel Noblet, puis par Sylvain Maurice – je préfère ce dernier spectacle, plus dépouillé. 

lundi 7 novembre 2016

Pauvres pécheurs (Le grand marin)

Fuyant un passé douloureux et mystérieux, Lili débarque en Alaska avec l’intention de s’embarquer sur un navire pour pêcher et s’oublier dans la rudesse du métier de marin. Pêcher le flétan, le crabe, la morue noire : cette vie si dure qu’elle ressemble plus à une survie, déjà extraordinairement difficile, l’est encore plus pour cette femme qui doit se battre pour s’imposer dans ce milieu presque exclusivement masculin.



Cet incroyable premier roman qu’est « Le grand marin » vaut d’abord pour la description de la vie de ces pêcheurs, qui pour supporter leur désespoir s’abîment dans ce métier harassant et dangereux, sans pouvoir pour autant renoncer à exercer cette activité une fois revenu à terre. Le portrait, simple, de cette humanité au bord du monde et au bord du gouffre est très émouvant car plein d’empathie.
Pour raconter cette histoire qui sent le vécu, Catherine Poulain use de la première personne et n’emploie que des phrases courtes, ce qui donne un style à la fois très réaliste (toutes les sensations de la pêche sont décrites) et très rythmé. Mais ce style apporte aussi une monotonie à l’écriture qui peut lasser à certains moments. L’aventure proposée par cette œuvre n’en est pas moins formidable de courage et de résilience, et a la richesse d’un témoignage.


« Le grand marin » de Catherine Poulain, aux éditions de l’Olivier

Fan film (Virtual revolution)

C’est une curiosité qu’on peut aller voir dans quelques salles en France : « Virtual revolution », premier film d’un français, Guy-Roger Duvert, réalisé avec des financements américains et issus d’une campagne de financement participatif sur Ulule. Un film « sauvage », libre et indépendant de tout circuit, groupe, institution. Un film de science-fiction, qui raconte une enquête dans un Paris du futur où la société s’est divisée en deux catégories : les « connectés » qui préfèrent les jeux en réalité virtuelle à leur propre vie, et les « hybrides », qui jouent de temps en temps mais n’en oublient pas pour autant la vie réelle.


Psychanalyse du réalisateur à ciel ouvert
Pour parler de l’emprise croissante des technologies du virtuel sur notre vie quotidienne, ce scénario, signé aussi Guy-Roger Duvert, est déjà lourdement métaphorique. Il est aussi lourdement didactique : avec sa narration en voix off et ses dialogues lents et explicatifs (apparemment, on prendra le temps d’articuler ses pensées avant de s’exprimer dans le futur), le film semble vouloir prouver à son spectateur qu’il est intelligent en s’expliquant lui-même. Ce qui au contraire le fait paraître très  bête. Comme si le réalisateur (à cause de la difficulté qu’il a eu pour financer son film ?) était tout le temps sur la défensive vis-à-vis de ses spectateurs, redoutant leur jugement… A ce titre, la fin du film, où une horde de « connectés » déconnectés agressent un petit groupe d’ « hybrides », ressemble à une exorcisation du pire cauchemar du réalisateur : sa mise à mort critique par ses spectateurs.

De l’hommage au plagiat
Pour le reste, le film est simplement mauvais. Les acteurs, pour impliqués qu’ils soient, restent marmoréens. Le rythme est très mal géré et alterne scènes d’action gratuites avec scènes de dialogues poussives chargées de faire avancer tant bien que mal l’intrigue. La réalisation s’égare dans quelques effets de mise en scène m’as-tu vu (tels les ralentis ou le plan-séquence à rallonge) qui font décrocher le spectateur du fil de l’histoire. Curieusement, tous ces défauts apportent aussi un charme à ce long-métrage. Parce qu’ils donnent une vraie allure « amateur » à « Virtual revolution », et que derrière « amateur » on sent la passion qui a présidé à l’élaboration de ce film, et que tout ça est très rafraîchissant. (Sauf en ce qui concerne le sous-titrage, lui-aussi amateur au vu du nombre de fautes commises.)
Mais on ne pourra pas passer sous silence le gros, l’énorme problème de ce film : son usage des références. A ce niveau-là, plutôt que d’inspiration ou d’hommage, on devrait plutôt parler de plagiat. Pour se figurer à quoi ressemble tout le film en-dehors de ses séquences en réalité virtuelle (qui empruntent à d’autres films ou jeux-vidéos), il suffit de s’imaginer « Blade runner » avec une Tour Eiffel plantée au milieu du décor de la ville (l’intrigue est censée se dérouler à « Néo-Paris » – ce qui n’a d’ailleurs aucun intérêt pour l’intrigue). C’est assez triste car ça donne l’impression que visuellement, l’équipe de « Virtual revolution » n’était capable que de copier. C’est encore plus triste, car ça range « Virtual revolution », malgré la qualité de ses effets spéciaux, dans la catégorie des « fan films », comme on en voit maintenant régulièrement sur le web.
Par ses défauts-mêmes, « Virtual revolution » est donc un film rare et rafraîchissant, mais quand très mauvais. Une curiosité, vraiment.

On retiendra…
Voir un long-métrage qui ressemble à un film amateur au cinéma, ça redonne cette sensation presque foraine de proximité avec l’équipe ayant réalisé le film.

On oubliera…
Le plagiat de « Blade runner », le scénario poussif, les acteurs inexpressifs, la réalisation qui en fait trop,…


« Virtual revolution » de Guy-Roger Duvert, avec Mike Dopud, Jane Badler,…

mardi 25 octobre 2016

Particulièrement réussi (Miss Peregrine et les enfants particuliers)

On n’osait plus y croire. Le grotesque « Alice au pays des merveilles », le calamiteux « Dark shadows », l’anodin « Frankenweenie », et le passable « Big eyes » semblaient autant de preuves du déclin du cinéma de Tim Burton, amorcé depuis son remake de « La planète des singes » en 2001. Le plaisir éprouvé devant « Miss Peregrine et les enfants particuliers » (on croirait le titre d’un film de Jean-Pierre Jeunet) est donc double : celui de voir un bon film, et celui de retrouver un cinéaste aimé que l’on croyait perdu.


L’inspiration retrouvée
« Miss Peregrine et les enfants particuliers » est l’adaptation d’un roman jeunesse éponyme de Ransom Riggs. Cette histoire semble pourtant tout droit sortie de l’imagination de Tim Burton, tant elle rassemble, quasi exhaustivement, les thèmes chers au cinéaste (l’enfance, l’inadaptation, le rêve…). A une nouveauté près : le jeu sur le temps, encore inédit dans son cinéma. Les enfants du titre sont forcés, pour survivre, de revivre éternellement la même journée de 1943, ce qu’ils appellent une « boucle ». Le film déploie à la suite ce concept de boucle tout un univers de « particularités », d’ « ombrunes » et de « sépulcreux » d’une richesse insoupçonnée et complètement burtonienne (au cœur de l’intrigue, une affaire d’yeux…).
Le réalisateur multiplie les fantaisies visuelles : visions frappantes et poétiques se succèdent sans s’essouffler – et dans une 3D très bien utilisée. On pourrait les énumérer, mais elles sont si nombreuses qu’on se contentera de les résumer en disant que c’est beau, drôle, et de plus en plus chargé de sens. Impossible cependant de ne pas citer le visage hallucinant de Samuel L. Jackson, qui tient ici un de ses meilleurs rôles de méchant (lui qui en joue tant). Il réussit à la fois à être des plus effrayants et hilarants.
Dans cette fête de l’inspiration retrouvée, Burton s’amuse à glisser des références un peu partout (et à se glisser lui-même dans le film via un caméo furtif, une première !), de « Jason et les argonautes » jusqu’à « Dumbo », son prochain film (on craint le pire). A ce jeu des citations, on notera la bizarre convergence des formes entre « Miss Peregrine… » et « Ma loute », le film de Burton reprenant sans le faire exprès quelques-unes des images fortes du film de Dumont (un personnage lévitant sur une plage du nord). Une simple coïncidence, mais amusante… surtout pour Dumont !

Systématique numérique
Pour autant, on retrouve aussi dans « Miss Peregrine et les enfants particuliers » quelques-uns des défauts de Burton : il ne s’attarde pas assez sur certains thèmes de son histoire – le traitement des boucles temporelles pouvait par exemple mériter beaucoup mieux. Malgré une séquence marrante et de mauvais goût réalisée en stop motion, le recours trop récurrent au numérique fait regretter la folle poésie des effets spéciaux employés par le cinéaste avant 2000…
S’il ne constitue pas le chef-d’œuvre du cinéaste, « Miss Peregrine et les enfants particuliers » est sans conteste l’un de ses meilleurs films, et redonne espoir pour la suite de sa filmographie.

On retiendra…
Burton est de retour et convoque ses thèmes fétiches dans une intrigue d’une grande richesse, pleines de visions poétiques.

On oubliera…
Le film n’exploite pas jusqu’au bout la richesse de son scénario. Le numérique est trop privilégié par rapport aux effets traditionnels tellement plus poétiques.


« Miss Peregrine et les enfants particuliers » de Tim Burton, avec Asa Butterfield, Eva Green,…

jeudi 6 octobre 2016

Juste magnifique (Juste la fin du monde)

Où s’arrêtera donc l’ascension de Xavier Dolan ? A chaque nouveau film, il fait mieux que le précédent. « Juste la fin du monde » est donc encore plus fort que le déjà extraordinaire « Mommy ». Le film n’est vraiment pas passé loin de la Palme d’or puisqu’il a décroché le Grand Prix du jury au 69ème festival de Cannes…
« Juste la fin du monde » est à l’origine une pièce de Jean-Luc Lagarce, dramaturge que Dolan avait déjà adapté pour « Tom à la ferme » (2012). Preuve évidente de son nouveau statut de « super auteur », Xavier Dolan a fait l’exploit de réunir ce qui n’est pas loin d’être le casting le plus prestigieux que l’on puisse rassembler aujourd’hui pour tourner un film français avec cinq rôles : Marion Cotillard, Léa Seydoux, Gaspard Ulliel, Vincent Cassel et Nathalie Baye.
On aurait pu craindre qu’en s’entourant d’acteurs si emblématiques du cinéma français, Dolan se coule dans un certain moule du « film d’auteur français ». Or, pas du tout : le québécois n’a rien cédé sur ses obsessions et sa manière si personnelle de concevoir un film.


La finesse des gros plans
Après une très belle et sombre introduction, le film plonge directement dans un huis-clos, où se révèlent immédiatement les choix très forts de mise en scène de Xavier Dolan.  Pour raconter cette famille dysfonctionnelle, Dolan utilise presque exclusivement des gros plans sur les visages de ces personnages. Cette mise en scène très originale (voire inédite ?) désarçonne au début : ne voir que des visages en gros plans de personnages au caractère si marqué et contrasté qu’ils semblent fous (et certains le sont) est très vite asphyxiant pour le spectateur. L’« hystérie » propre à Dolan (mais en nettement plus sombre qu’avant) provoque ici l’étouffement. Or c’est très exactement ce que ressent le personnage principal, Louis, lorsqu’il retrouve sa famille après douze ans d’absence. On retrouve ici le goût du cinéaste pour faire se rejoindre le signifiant et le signifié comme lorsqu’il ouvrait littéralement le cadre dans les fameuses séquences de libération dans « Mommy ».
Face à sa famille, Louis est presque mutique. Il laisse les flots de paroles s’échapper de la bouche et du cœur de chacun des membres de sa famille, qui ne l’ont pas vu depuis si longtemps. Il arrive à s’isoler avec chacun d’entre eux, l’un après l’autre. Le film est donc quasiment une succession de longs monologues. La mise en scène en gros plans rappelle que cette matière est très théâtrale et en même temps la transforme en du cinéma pur, grâce à ce que les plans dévoilent de chacun des gestes et expressions des acteurs, et en particulier en insistant sur leurs yeux, leur regard. Le visage de l’acteur prend toute la place dans le cadre et ne cohabite que rarement dans un plan plus large avec le corps d’un autre acteur : cette mise en scène qui enferme les personnages chacun dans leur cadre traduit aussi l’absence de communication dans cette famille qui se déchire et, pendant toute la durée du film, se dispute la présence de Louis. Qui reste donc là à les écouter et à les regarder.
Le regard : c’est ce sur quoi travaille cette mise en scène, puisque en réduisant le champ au seul visage de l’interlocuteur de Louis, la caméra nous fait entrer dans sa tête. Ces gros plans, c’est en fait ce que voit Louis quand il écoute quelqu’un, c’est son regard qui nous est montré, ce qu’il voit. La réalisation de Dolan nous fait donc plonger dans l’esprit du personnage de Louis, elle réussit en fait à nous faire vivre cette journée si particulière de son point de vue, littéralement. « Juste la fin du monde » ne raconte pas cette journée d’une manière réaliste, mais raconte le ressenti émotionnel de cette journée par Louis, sa représentation mentale de cette journée, qui est enrichie de souvenirs et de sensations. Xavier Dolan nous montre cette journée non pas d’un point de vue extérieur, omniscient, sans passé, mais d’un point de vue intériorisé, riche d’une mémoire, d’une histoire personnelle : celui de Louis, mais derrière lequel on devine aussi celui du réalisateur. Ce point de vue est donc extrêmement touchant.

Nouvelles facettes
Outre cet extraordinaire procédé de mise en scène, si puissant et si poignant, « Juste la fin du monde » a aussi le mérite de montrer de formidables performances de jeu. Dolan a réussi à révéler de nouvelles facettes de chacun des acteurs de son casting, inédites. Cotillard, Cassel, Baye, Seydoux, et en particulier Ulliel : ils apparaissent dans ce film comme nouveaux, malgré leur aura. On en vient rapidement à oublier que l’on voit Cotillard ou Cassel jouer, pour ne plus voir que Catherine et Antoine.
Le film se termine sur une métaphore d’une limpidité frappante, belle et émouvante, qui achève de nous convaincre que « Juste la fin du monde » est un film d’une grande force – peut-être bien juste le meilleur film de l’année.

On retiendra…
Une mise en scène tout en gros plans surprenante, puissante et émouvante. Des interprétations d’une grande force.

On oubliera…
On aurait aimé que le film dure un peu plus longtemps, il parait un peu court (preuve de sa grande qualité ?).

« Juste la fin du monde » de Xavier Dolan, avec Gaspard Ulliel, Marion Cotillard, Léa Seydoux, Vincent Cassel et Nathalie Baye

vendredi 23 septembre 2016

Un nouvel ami (Frantz)

François Ozon, toujours aussi malicieux, aime tendre des pièges à ses spectateurs. On croit dès le début avoir éventé le secret de son dernier film, « Frantz ». Pendant la première partie du film, le réalisateur d’« Une nouvelle amie » sème de faux indices qui vont dans le sens de ce qu’on peut attendre de lui connaissant les thèmes favoris de l’auteur… mais ce n’est que pour mieux nous tromper au moment de la révélation du secret. S’il ne s’agit pas pour autant d’une énorme surprise, il faut reconnaitre l’habileté pourtant connue du réalisateur à déjouer les attentes et manipuler ses spectateurs.


Un mélodrame qui veut en faire trop
« Frantz » raconte comment l’arrivé d’un ex-poilu français, Adrien, vient bouleverser le deuil d’une famille (ses parents et sa fiancée, Anna) d’un soldat allemand en 1919 en Allemagne.
Le film a deux intérêts. Le premier est qu’il s’agit d’une histoire où les personnages principaux sont dès le départ très tristes, mais semblent à chaque péripétie sur le point d’accéder au bonheur… que le scénario leur refusera à chaque fois, repoussant toujours ce bonheur par un nouveau « coup de théâtre » malheureux. Cet espoir de bonheur, toujours proche mais toujours hors de portée, qui se dérobe à chaque fois qu’Anna essaye de s’en saisir, est à la fois émouvant et un peu problématique, tant le film accumule les péripéties, qui peuvent du coup paraître fabriquées. C’est moins un problème de vraisemblance (le scénario est très bien écrit) qu’un problème de rythme, les péripéties s’enchaînant trop vite. Se produit au final une bizarre impression de décalage : le film se veut beaucoup plus émouvant qu’il ne l’est effectivement.
Le second intérêt du film est qu’avec ces deux parties en miroir, la première en Allemagne et la deuxième en France, il dépeint très bien les relations franco-allemandes de l’entre-deux-guerres et permet de mesurer par comparaison avec celles d’aujourd’hui l’ampleur du changement... tout en rappelant que ce qui a déjà existé risque toujours de se reproduire si on n’y prend pas garde  – l’Histoire nous ramène toujours au présent.

N&B
Il faut aussi commenter l’une des plus grandes particularités de ce nouveau film de François Ozon : le réalisateur a pour la première fois choisi le noir et blanc. Un choix raccord avec les images que l’on garde de l’époque où se déroule l’histoire du film, et qui participe donc pleinement à l’effort de reconstitution de cette époque. Mais le réalisateur a voulu aller plus loin et utiliser ce noir et blanc comme un outil supplémentaire à sa mise en scène, puisqu’il se permet de passer du noir et blanc à la couleur lors de certaines séquences pour leur donner plus de poids et de sens. Par exemple, lorsque le film montre des souvenirs heureux d’avant-guerre d’Anna, ces souvenirs sont montrés en couleur. A priori, c’est une très bonne idée car Ozon évite tout systématisme en n’utilisant pas ce passage à la couleur pour une seule et même raison (les justifications du passage à la couleur sont heureusement plus complexes qu’un simple changement d’humeur). Et pourtant, on ne peut s’empêcher de trouver un peu facile et grossier ce procédé, sûrement parce qu’il est trop souvent utilisé dans le film (et trop tôt).
Au final, avec ce nouveau film, François Ozon propose des idées formelles et d’écriture intéressantes, mais qui ne sont qu’imparfaitement mises en œuvre.

On retiendra…
Un mélodrame surprenant par le nombre de ses péripéties. Une excellente reconstitution de l’époque de l’entre-deux-guerres. De très bons acteurs.

On oubliera…
Le film ne parvient pas à émouvoir autant qu’il le voudrait. L’utilisation du noir et blanc qui se colore semble un procédé un peu trop répétitif.


« Frantz » de François Ozon, avec Paula Beer, Pierre Niney,…

Arrête vraiment ton char (Ben-Hur)

« Ben-Hur » : l’histoire cruelle de cette fratrie qui se déchire au temps de Jésus-Christ (à l’origine, un roman publié en 1880) avait impressionné à l’ère du cinéma muet dans la première version de 1925 signée Fred Niblo. Elle a été de nouveau portée à l’écran avec toute la démesure de l’ère éclatante du Technicolor par William Wyler en 1959. Quand on évoque « Ben-Hur », c’est de ce film-ci que l’on parle, tant elle a marqué les esprits et reste impressionnante (notamment sa célèbre course de chars). A l’ère du numérique et de la 3D, il était donc presque logique qu’une nouvelle version de cette histoire désormais mythique soit produite… Mais comment passer après le film de Wyler de 1959, même cinquante-sept ans plus tard ?


Une parodie involontaire de péplum
Cette nouvelle adaptation est une erreur totale. C’est tout simplement un mauvais film, très mal filmé, encore plus mal monté. Petite prouesse, ce blockbuster réussit au niveau des effets spéciaux à perdre sur les deux tableaux : il concilie la laideur du numérique avec le toc des décors en cartons et des accessoires en plastique. La direction artistique est une vraie calamité (cette Antiquité est invraisemblable), à moins de regarder le film comme une parodie de péplum – dans ce cas l’un des éléments les plus drôles du film est sans nul doute la coiffure de Morgan Freeman (pourquoi s’est-il embarqué dans cette galère ?).
Pour tout ce qui n’est pas de l’action, le réalisateur Timur Bekmanbetov se révèle très maladroit. Avec ces dialogues risibles, ces acteurs sans expression et ces décors et costumes en carton-pâte, « Ben-Hur » a tout d’un téléfilm. On se demande vraiment pourquoi Bekmanbetov a accepté ce projet (proposé à beaucoup de réalisateurs). Lui qui est si adroit dans la fantaisie (l’extraordinaire « Abraham Lincoln, chasseur de vampires », 2012) n’est clairement pas capable de raconter cette histoire aussi lourde sans verser en permanence dans le comique involontaire…
On a l’impression que le réalisateur a tout misé sur la fameuse séquence de la course de chars (est-ce pour ce passage qu’il a accepté de tourner ce remake ?). C’est assurément le meilleur moment du film, mais il ne s’agit pas pour autant d’un grand moment de bravoure cinématographique. Certes, ça fait plein de bruit, ça envoie du sable en 3D sur la tête des spectateurs, mais c’est empêtré dans une laideur numérique qui affadit tout et ne rend plus rien impressionnant, et surtout, c’est filmé au stroboscope, ce qui fait qu’on n’y comprend rien.
En définitive, ce « Ben-Hur » ne restera pas comme ses prédécesseurs dans l’histoire du cinéma, d’autant plus qu’il ne propos strictement rien de nouveau par rapport à eux, et se contente de les copier jusque dans les principes de mise en scène. Si ce « Ben-Hur » parvient à rester dans les mémoires d’ici la fin de l’année 2016, ce sera déjà un exploit…

On retiendra…
Une 3D parfois marrante.

On oubliera…
Laid, involontairement comique, filmé et monté n’importe comment, cette nouvelle version de « Ben-Hur » fait honte à celles de 1925 et 1959. Absolument sans intérêt. Sauf si vous voulez démontrer (très cruellement) que « Hollywood, c’était mieux avant ».


« Ben-Hur » de Timur Bekmanbetov, avec Jack Huston, Toby Kebbell,…

samedi 3 septembre 2016

Obscurama (Nocturama)

Le nouveau film de Bertrand Bonello, après l’éblouissant « Saint Laurent » en 2014, était attendu comme ses deux précédents films en compétition à Cannes cette année. D’autant plus que son sujet semblait résonner, pour ne pas dire coller, avec l’actualité puisque le film raconte l’exécution d’attentats simultanés à Paris d’un groupe de jeunes terroristes. Bonello ne pouvait même pas être accusé d’opportunisme puisque son film était écrit depuis 2011, et annoncé avant les tragiques événements de 2015.
Le film n’a finalement pas été sélectionné à Cannes, dans aucune section que ce soit, alors qu’il était prêt pour le festival. Le signe d’une œuvre moins réussie qu’espérée – ou d’un contenu politique dérangeant ? La réponse est maintenant disponible dans les salles. (« Nocturama » connaîtra bien une compétition, celle du festival de San Sebastián dans deux semaines.)


Mystère et tension
C’était particulièrement manifeste dans « Saint Laurent » : Bonello est peut-être le réalisateur français le plus inspiré par Kubrick. On retrouve dans « Nocturama » cette toute-puissance accordée à l’image, qui fait penser à « 2001 :l’odyssée de l’espace ». Le film de Bonello s’ouvre ainsi longuement sur les préparatifs quasi chorégraphiés d’un groupe de jeunes très disparates dans le métro parisien, sans qu’aucun d’entre eux ne prononce une parole. On saisit peu à peu que ces jeunes sont tous liés et préparent des actes violents. Le film, qui était jusque-là très froid dans sa description plate et sans commentaire (mais très bien filmée) des déplacements des personnages, fait naître peu à peu une tension, qui montera comme un lent crescendo jusqu’à la terrible conclusion du long-métrage.
        Les agissements des uns et des autres et leurs liens sont expliqués par quelques séquences en flash-back très bien montées, puisqu’elles ne font jamais retomber l’intensité du film, et dévoilent sans jamais le tuer le mystère qui entoure les actes qui sont en train de se préparer. Un art du montage qui s’était déjà exprimé dans « Saint Laurent » et « L’apollonide » et qui impressionne encore.   

Déboussolement
Dans la deuxième partie du film, ces jeunes devenus terroristes, se cachent dans un Grand Magasin, pour y attendre la fin de la nuit et échapper à la traque des forces de l’ordre, espérant reprendre au matin leur vie normale. Le film s’immobilise mais la tension continue de croitre car, confrontés bien malgré eux aux mirages de la société de consommation, les comportements de chacun des jeunes vont petit à petit se dérégler, dans une succession de scènes à la symbolique de plus en plus frappante, où le réalisateur déploie tout son art de la composition visuelle.
Le propos du film se fait alors évident. Bertrand Bonello met en scène une jeunesse déboussolée, sans repères, qui se retourne contre la société dans laquelle elle ne se reconnait plus, mais qui la fait rêver pourtant, dans un mélange d’attraction et de répulsion que l’attente dans les différents espaces du magasin met très bien en valeur. Le réalisateur veut parler de la jeunesse et non pas d’une jeunesse, puisque son groupe de personnages rassemble (d’une manière qu’il est difficile de ne pas trouver complètement artificielle) toutes les catégories sociales, toutes les origines, toutes les couleurs de peau, leur seul point commun étant qu’ils sont perdus.
 Bonello se fait ici piéger par ses intentions : à vouloir trop universaliser, s’élever au-dessus des contextes particuliers, il est tombé dans l’écueil de la métaphore décollée du réel, vidée de tout sens. Mais il commet aussi une autre erreur, beaucoup plus grave : il s’est trompé de véhicule pour sa métaphore.

Erreur de lecture
Par la force de son cinéma, on s’identifie à ces personnages, et on se met à craindre avec eux pour leur vie et à espérer qu’ils parviendront sains et saufs jusqu’à la fin de cette nuit. Et c’est là que le film se heurte de plein fouet à l’actualité et qu’il devient hautement perturbant. Car il nous fait adhérer à la cause de  terroristes. La fin du film, qui est par ailleurs un extraordinaire moment de cinéma, formidablement bien montée, parcourue par une tension folle, sera à ce titre particulièrement révélatrice : il devient indéniable que Bonello se range aux côtés de ses jeunes terroristes, dont il explique les agissements par leur détresse, qui n’est pas du tout entendue par la société.
Mais après les attentats du 13 novembre, comment Bonello ose-il encore nous raconter ça ? Comment peut-il nous montrer la jeunesse poser des bombes dans Paris et exécuter froidement des parisiens alors que c’est justement la jeunesse qui a été massacrée par le terrorisme ? « Nocturama » apparaît alors complètement raté, l’idée-même du film ressemble à une erreur, à une mauvaise lecture de l’état du actuel des choses. Bonello voulait raconter le désarroi de la jeunesse comme Gus van Sant l’avait fait dans « Elephant ». Mais en choisissant d’en faire des terroristes, il vide de toute substance son film et son message.
C’est donc avec un sentiment très partagé que l’on ressort de cette séance. Impressionné par la tension, l’émotion, la beauté qui se dégagent du film. Sur le plan strictement formel, c’est un œuvre de maître. Mais abasourdi par la vacuité du sens de cette œuvre, extrêmement dérangeante. « Nocturama » est un film passionnant à voir, qui fait beaucoup réfléchir, une œuvre dont on se souvient, mais c’est indubitablement un film raté.

On retiendra…
La réalisation très belle et très puissante qui crée une incroyable tension du début à la fin du film et multiplie les trouvailles visuelles. La musique, excellente.

On oubliera…
« Nocturama » visait à la métaphore très symbolique, mais ne tient au final aucun discours cohérent, se vide de son sens, et va même jusqu’à se tromper sur ce qu’il raconte.


« Nocturama » de Bertrand Bonello, avec Finnegan Oldflied, Hamza Meziani, Manal Issa,…

jeudi 25 août 2016

Presque sans reproche (Star Trek sans limites)

Après avoir réalisé la spectaculaire remise à jour de la saga « Star Trek » avec « Star Trek » (2009) et « Star Trek into darkness » (2013), JJ Abrams, a essayé de faire de même avec « Star Wars VII, le réveil de la Force ». Il n’était donc plus disponible pour réaliser ce troisième volet des nouvelles aventures du capitaine Kirk et de M. Spock. « Star Trek sans limites » a donc été confié à Justin Lin, réalisateur de trois opus de la saga « Fast and furious ». Le film sort 50 ans après le début de la première série ayant donné naissance à l’univers « Star Trek » créé par Gene Roddenberry.


Continuité
L’annonce du recrutement de Justin Lin comme réalisateur à la place de JJ Abrams faisait plutôt peur. Mais l’on est rassuré dès les premières images : s’il n’est pas réalisateur, Abrams officie toujours comme producteur, et a semble-t-il imposé à Lin de reprendre les principes de la mise en scène qu’il a développé dans les deux précédents films de la saga.
Excepté les lens flares (dommage), on retrouve, avec soulagement tout d’abord, ce qui faisait l’excellence des opus d’Abrams. « Star Trek sans limites » s’inscrit ainsi dans leur exacte continuité : c'est coloré, intelligent, formidablement drôle, et mené à un rythme ébouriffant du début à la fin. La manière dont l'action est lancée puis relancée en permanence témoigne une fois de plus d'une virtuosité d'écriture hallucinante, portée par une mise en scène tout en mouvement qui sait ménager lisibilité, surprises (jeux d'échelle, de perspective et ruptures de tons abondent), « sense of wonder » (le graal de tout film de science-fiction, notamment avec cette ville-station qui donne le vertige) et réflexion. La photographie est magnifique, les couleurs sont éclatantes, l'utilisation du numérique (calquée comme tout le reste sur le travail d’Abrams) est extrêmement habile. On retrouve avec beaucoup de plaisir les acteurs très attachants incarnant l’équipage devenu emblématique de l’Enterprise – on voit qu'ils s'amusent autant que eux nous amusent –, on jubile d’écouter le thème « Star Trek » de Michael Giacchino (l’une des musiques les plus épiques jamais composées !).

La recette Bad Robot
Si le travail est donc très bien fait, qu’on est heureux que la santé de cette saga soit toujours aussi éclatante, l’absence de réelle nouveauté est quelque part regrettable. Justin Lin copie bien Abrams, mais n’a exactement son talent : le rythme en particulier est, comme je l’ai écrit, ébouriffant, mais pas autant que dans les deux opus d’Abrams. Et le fait que Lin copie une mise en scène amène à se demander ce qu’il apporte de personnel à ce film. Où est sa « patte » ? Il manque du coup un tout petit supplément d’âme à cet opus.
Un autre reproche, ou plutôt avertissement, peut aussi être adressé aux producteurs du film. Est-ce à cause de la présence de Simon Pegg au casting des deux sagas dans des rôles très similaires ? Se dessine en tout cas une certaine parenté dans le ton et l’écriture entre les sagas « Mission impossible » et « Star Trek » depuis leur reprise en main par Abrams et sa société de production Bad Robot. Se dirige-t-on vers une certaine standardisation « Bad Robot » des deux sagas ?

Hommage inédit
Ce film est cependant une très grande réussite, qui écrase par sa vivacité et son intelligence tous les blockbusters sortis cet été, qui aura donc été particulièrement mauvais en 2016. Surtout, il ménage un hommage historique, dans une scène d’une très grande force peut-être encore jamais vue ailleurs au cinéma. La reprise en main de la saga par Abrams s’est accompagnée d’une gestion hors du commun de la mythologie « Star Trek » : dans chaque nouveau film, les célébrations et renvois à la saga originale sont légions mais jamais pesants, puisque rigolos, subtils, et porteurs d’un double sens qui enrichissent considérablement la lecture et le ressenti de chaque film d’une densité historique et nostalgique. Pendant la pré-production de « Star Trek sans limites », l’interprète original de Spock, Leonard Nimoy, est décédé. Les scénaristes lui ont imaginé un hommage inédit avec cette scène où le « nouveau » Spock joué par Zachary Quinto verse une larme en l'honneur de l'acteur ayant joué Spock dans la saga originale... Voir un personnage (censément ne pas ressentir d’émotions) pleurer la mort de son interprète est sûrement la plus belle idée de cinéma de « Star Trek sans limites ».
Et c’est aussi avec une certaine émotion que l’on voit à l’écran la dernière apparition d’Anton Yelchin (bien qu’évidemment aucun hommage ne lui soit rendu en particulier dans ce film).

On retiendra…
Changement de réalisateur, mas toujours la même vitalité « abramsienne » : rythme, couleur, humour et intelligence, sense of wonder et sentiment épique.

On oubliera…
En reprenant – très bien – la manière d’Abrams, Justin Lin renonce aussi à donner une personnalité qui lui soit propre à son film.


« Star Trek sans limites » de Justin Lin, avec Chris Pine, Zachary Quinto, Simon Pegg,…

vendredi 29 juillet 2016

L'erreur de l'été (Independence day, résurgence)

« Independence day » avait marqué mon enfance. La vision de ces gigantesques vaisseaux extra-terrestres recouvrant les capitales de la Terre pour y déchaîner l’apocalypse était si terrifiante que je me souviens encore de la peur que j’avais éprouvée tout au long de sa projection. Si déjà à l’époque j’avais trouvé le film beaucoup trop long, puis en grandissant et rétrospectivement (sans l’avoir jamais revu), beaucoup trop à la gloire de l’Amérique pour que je puisse encore le considérer comme un grand film, il est resté dans ma mémoire… Que je le veuille ou non, « Independence day » est donc devenu une référence personnelle dans le champ du blockbuster ou du film de science-fiction.
Vingt ans après la sortie du film, Roland Emmerih, son réalisateur jadis au sommet de Hollywood et depuis « White house down » retombé dans ses limbes (son dernier film n’est même pas sorti au cinéma en France), réalise une suite à son film le plus  célèbre : « Independence day : résurgence ».


Cadeau empoisonné
Pour faire plaisir aux fans du premier film, à cette génération marquée par son visionnage, « Independence day 2 » fête lui-même l’anniversaire du premier film. Vingt ans séparent la sortie des deux films, vingt ans se sont donc écoulés entre les histoires racontées dans les deux films. Ainsi, dans « Independence day 2 », est célébrée la victoire obtenue à la fin d’« Independence day ». Or, si l’on s’attache à ces dates, regarder ce film ne vous donnera pas confiance dans l’avenir. En vingt ans, beaucoup de choses ont changé. En mal.
On se rend compte très rapidement que Roland Emmerich, devenu has been, n’a même pas essayé de se remettre sur la sellette avec cette suite qui semblait pourtant gagnée d’avance. La mise en scène est inexistante, d’une platitude absolue, sans aucune imagination. On attend désespérément qu’une émotion se dégage du film, qui ne soit pas l’ennui. Les scènes d’action ? Elles sont tellement mal filmées qu’elles sont illisibles et incompréhensibles. Les moments terrifiants du premier film (l’arrivée des vaisseaux sur Terre, la communication avec un extra-terrestre, l’entrée dans un de leur vaisseau) ? Ils sont reproduits à l’identique ici (quelle originalité…), mais en accéléré. Le film va en effet très vite, beaucoup trop vite, et jamais aucune pesanteur ne sera donnée à ce récit d’invasion extra-terrestre qui devrait faire ressentir à ses spectateurs la peur de la fin du monde. Non, « Independence day 2 » se perd dans des péripéties pitoyables d’incohérence.
Le film cherche à faire oublier son indigence scénaristique et sa pauvreté formelle derrière un humour tout sauf drôle très encombrant, trahissant complètement l’histoire qu’il voulait raconter et les émotions qu’il voulait véhiculer. Est-ce le signe d’une défaite avouée du réalisateur, qui face à la nullité de son film, a préféré se protéger derrière le paravent de l’humour et du « fun » ? Ou ce comique faisait-il partie dès le début du projet ? Auquel cas on comprend le refus de Will Smith de participer à cette suite. (Par contre, le mystère de la présence de Charlotte Gainsbourg au casting – dans un rôle ridicule – reste entier.)
Cette suite n’aurait jamais dû exister. Elle gâche le bon souvenir qu’on pouvait avoir du premier film. Pire, ce film est tellement raté et en même temps tellement patriote que je me suis senti insulté au cours de la projection. Qu’on puisse proposer à des gens un spectacle aussi pauvre sans rien leur donner d’autre que de la bêtise et de la propagande pro-Amérique a de quoi révolter.

On retiendra…
Un seul plan de cinq secondes, où un vaisseau envahit peu à peu l’écran, provoque une émotion.

On oubliera…
Une catastrophe générale qui cherche vainement à se protéger derrière un humour pas drôle. Un tel degré de nullité artistique fait de ce film une insulte au cinéma à grand spectacle et au film de science-fiction.

« Independence day : résurgence » de Roland Emmerich, avec Jeff Goldblum, Liam Hemsworth, Bill Pullman,…

jeudi 30 juin 2016

Une leçon d’humilité (The witch)

Si l’on a été sensible aux sirènes du marketing, c’est pour sa mise en scène que l’on s’est rendu à une projection de « The witch ». Ce premier film américain d’horreur et d’époque passé par Toronto, Sundance et Gérardmer a en effet été récompensé dans ces deux derniers festivals pour sa réalisation. Et c’est bien elle qui interpelle dès l’ouverture du film : les dialogues sont absents ou rares, les plans sont très soignés, bien découpés, la photographie grisâtre impose à elle seule une sensation de chape de plomb, on sent une volonté de refuser la facilité et de rechercher l’originalité. Mais quelque chose vient rapidement à clocher : le réalisateur n’attendra même pas cinq minutes avant de dégainer l’artillerie lourde. Celle qui, semble-t-il, a justement subjugué (ou plutôt berné) les jurys des festivals. De quelle artillerie parle-t-on ? Il s’agit d’effets de pure mise en scène « kubrickiens » (on revient là-dessus juste après), qui visent uniquement à faire peur, en ne recourant qu’à la force des paysages, au silence, et à la musique. Une telle entrée en matière est assez osée… et complètement ratée, puisque cet étalage de puissance qui parait injustifié et artificiel fait décrocher le spectateur du film au moment-même où celui-ci cherche à y entrer (on rappelle que dix minutes ne se sont pas encore écoulées). L’histoire n’a donc pas encore commencée que le spectateur a déjà deux intuitions : il n’aura jamais peur car la mise en scène, par ses airs de démonstration gratuite de maestria, lui rappelle constamment l’artificialité de ce qu’il regarde ; il devra subir la prétention d’un réalisateur qui semble ne pas se prendre pour n’importe qui, David Eggers.
Le reste du film ne sera qu’une confirmation de ces deux intuitions.


Dans la salle, personne ne vous entendra crier (et pour cause)
Le désinvestissement que j’ai éprouvé pour le film et son histoire était si grand que je me suis même demandé, dans cette histoire de sorcière conquérant peu à peu une famille de colons isolée en forêt de Nouvelle-Angleterre, quel était le but du Mal dans cette affaire. Pourquoi vouloir posséder des êtres aussi inintéressants (ces êtres étant les personnages principaux du film) ? La peur est donc absente, malgré cette succession de séquences qui semblent avoir été filmées avec le manuel du « Kubrick appliqué » : mise en scène froide et détachée, faite de plans à la belle composition géométrique, qui savent suggérer la menace par un usage du zoom lent, et qui sont même parfois accompagnés d’un chœur de voix déstructurées évoquant la folie et l’irrationnel (une copie conforme de la fameuse musique accompagnant les apparitions du monolithe dans « 2001 : l’odyssée de l’espace »).

La lévitation qui rabaisse tout
« The witch » est donc aussi passionnant et palpitant qu’une récitation de manuel. Ce qui pourrait à la limite produire un film peu inspiré mais efficace. Sauf que, emporté par son ego, David Eggers s’est cru l’auteur de ce qu’il récitait… D’où ce final hallucinant de prétention, sur lequel on ne peut pas ne pas revenir : alors qu’un noir prolongé à l’écran nous faisait faussement espérer que le film était terminé, la dernière séquence survient enfin. Elle montre l’héroïne du long-métrage échanger quelques mots avec le Diable (qui lui demande notamment et inexplicablement : aimes-tu le beurre ?, réplique instantanément culte mais qui ne se voulait pas drôle), puis s’enfoncer dans les bois et rejoindre un sabbat (ce qui ne sera pas un spoiler pour tous les spectateurs qui auront vu l’affiche du film). Le dernier plan la voit en proie à rire démoniaque et ridicule pendant qu’elle se met à léviter, dans un copié-collé de la mise en scène de « 2001 : l’odyssée de l’espace » (la séquence où l’astronaute contemple l’infini), avant de couper brutalement sur le carton « Ecrit et réalisé par David Eggers »… placé avant un autre carton expliquant que le film aurait des sources historiques (ce qui est complètement hypocrite) et suivi du générique final.
Une interprétation tirée par les cheveux mais séduisante serait de voir dans cette élévation finale de l’héroïne un portrait caché de David Eggers, éclatant d’un rire mégalomane, satisfait du travail accompli (il a trompé tout le monde) et en route vers le cercle céleste des démiurges. C’est dire à quel point la prétention du réalisateur transpire dans tous les plans du film et notamment cette fin risible…

« Du génie à l’arnaque : de l’héritage de Kubrick dans le cinéma contemporain »
Le seul intérêt de « The witch » est de fournir un contrepoint parfait à « The neon demon » de Nicolas Winding Refn, puisque le hasard des sorties les font arriver dans les salles presque la même semaine. L’occasion de comparer à travers deux films la postérité de l’œuvre de Kubrick dans le cinéma (d’horreur) contemporain, puisque Eggers comme Refn y puisent l’essentiel de leur inspiration – mais avec un talent infiniment différent.

On retiendra…
Une volonté de départ louable : un film d’horreur qui ferait peur par ses ambiances et ses silences,  loin des surenchères d’effets à tendance gore du tout-venant.

On oubliera…
Une mise en scène d’une prétention sans nom qui transforme le film en mécanique tournant à vide passées les cinq premières minutes. Une arnaque.


« The witch » de David Eggers, avec Anya Taylor Joy, Ralph Ineson, Kate Dickie,…

jeudi 9 juin 2016

Artificiel (The neon demon)

Un déluge de paillettes et de diamants. C’est sur ces magnifiques images savamment composées tirant vers l’expérimental et le cinéma de Kubrick (la cascade de sang de « Shining », la fin hallucinée de « 2001 ») que débutent le nouveau long-métrage du danois Nicolas Winding Refn. Son titre très inspiré, « The neon demon », résume à lui-seul le sujet du film : le culte et le vice de la beauté. Naturelle ou artificielle, spontanée ou mise en scène, innocente ou calculée, mais irréductiblement éphémère, la beauté est donc à l’étude dans cette histoire racontant l’ascension d’une jeune modèle (Elle Fanning) dans le mannequinat à Los Angeles.


Plein la vue
C’est avec un plaisir manifeste que NWR (comme on l’appelle, et comme il signe désormais ses films) a mis en scène cette histoire d’apparence avec une réalisation tout en artifices. Refn fait étalage de son art dans la composition des plans et leur montage, pour produire des images fascinantes impactant la rétine et impressionnant l’esprit, en reprenant les techniques visuelles de Kubrick (« 2001 : l’odyssée de l’espace », la référence suprême de NWR qui transpire dans tous les plans). Et ça marche. Le film est une fête visuelle et une démonstration permanente de puissance. Pendant toute la projection, on ne fait que contempler les images et se dire « il est trop fort » ou « c’est génial ».
Ce qui peut en agacer certains, irrités d’être pris ainsi de haut par cet hypercontrôle de NWR. A vrai dire, le film a du mal à maintenir sur sa durée le même régime de fascination qu’au début, et la mise en scène finit par ne plus avoir d’autre justification qu’un pur esthétisme (c’est beau, mais ça ne raconte rien). Comme si tout à son contrôle, NWR s’était rigidifié dans un exercice de style immuable.
Or ce basculement n’est qu’une marque supplémentaire de la maîtrise de Refn puisque cette impression de gratuité de l’esthétisme, ce rejet qui opère dans l’esprit du spectateur pour les effets visuels, les artifices de la mise en scène est concomitant, dans l’intrigue du film, au moment où la vanité puis l’horreur qui se cachent derrière la beauté sont révélées. NWR a en fait poussé la logique jusqu’au bout : faire un film aussi beau, vain et sordide que son sujet. Il ménagera même à ce propos une surprise finale dont on ne s’est pas encore remis…

Auto-analyse
« Only God forgives » pouvait se lire comme une réponse aux critiques faites à « Drive » : NWR y amochait Ryan Gosling, le beau gosse mutique de « Drive ». Dans « The neon demon », NWR s’adresse directement à ses détracteurs. Son cinéma produit des images si puissantes qu’il lui a souvent été reproché de ne reposer que sur cette puissance visuelle. Or, « The neon  demon » semble avoir été précisément pensé et réalisé pour donner totalement raison à cette critique. Mais moins qu’une réponse ironique à ses contempteurs, il faut plutôt voir en « The neon demon » une analyse du cinéma de NWR par lui-même, où Refn étudie la vanité de sa réalisation. Un mouvement d’auto-réflexion que les grands réalisateurs contemporains de la puissance visuelle n’ont pas encore esquissé (Nolan, Villeneuve, Malick).
Réflexion sur la fascination exercée par le cinéma et l’art en général et sur la propre mise en scène du réalisateur, avec une logique jusqu’au-boutiste dans son esthétique admirable et audacieuse, « The neon demon » est un nouveau chef-d’œuvre dans la filmographie en constante progression de Nicolas Winding Refn.

On retiendra…
La puissance visuelle hors norme du film, qui impressionne de bout en bout. Les résonances multiples de l’œuvre avec son sujet et ses critiques, qui en font un film véritablement moderne. Le retour d’Elle Fanning.

On oubliera…
L’intensité du film décroit quelque peu au mitan de la projection, les effets de style ne se renouvelant pas.


« The neon demon » de Nicolas Winding Refn, avec Elle Fanning, Jena Malone,…

mardi 7 juin 2016

Un sous-Seigneur des anneaux (Warcraft, le commencement)

Entre les jeux-vidéo et le cinéma, les liaisons sont nombreuses mais jamais fructueuses. Les jeux-vidéo adaptés de films comme les films adaptés de jeux-vidéo sont très souvent des déceptions, voire des ratés sans nom. Ce « genre » cinématographique de l’adaptation du jeu-vidéo attend toujours son chef-d’œuvre (ou, pour être moins ambitieux, son premier très bon film). A l’annonce de l’adaptation de l’univers jeu-vidéoludique « Warcraft » sur grand écran, la méfiance était donc de mise. A l’annonce que le projet était confié à Duncan Jones, le réalisateur novice mais prometteur de l’inspiré « Moon », l’espoir a succédé à la méfiance.


Dialogues ridicules
Espoir qui a été déçu dès les premières minutes du film. La première scène (un dialogue entre un père et une mère orc) annonce la couleur : les dialogues sont consternants. C’est qu’ils ont une lourde mission : l’exposition des personnages comme l’explication de l’univers de « Warcraft » sont censés passer par ces dialogues. Ce qui donne des dialogues ou abscons (plein de termes propres à l’univers de « Warcraft » que le néophyte ne comprend pas) ou totalement antinaturels (lorsqu’on sent qu’un personnage s’adresse moins à ses interlocuteurs qu’au spectateur). Dans les deux cas, on sourit devant tant de maladresse…
Exposer un univers n’est jamais un problème simple. Louable intention : Duncan Jones a voulu plonger ses spectateurs dans l’action dès le départ – l’invasion commence ainsi dès le début du film – en leur livrant les clés de compréhension de l’histoire au fur et à mesure de son déroulement. Le tout sans céder à la facilité qu’est la voix-off s’adressant aux spectateurs. Dommage pour lui, l’histoire qu’il doit raconter n’est pas une quête initiatique, et il n’a pas assez confiance en sa mise en scène pour que celle-ci délivre des clés à la place des dialogues. Ou, plus vraisemblablement, les producteurs n’ont pas permis à Duncan Jones de faire jouer l’intelligence de ces spectateurs, lui qui a réalisé deux films, « Moon » et « Source code », reposant sur un mystère à résoudre par les spectateurs.

Visuellement ridicule
S’il n’y a rien à écouter (la musique n’étant pas plus inspirée que les dialogues, sans être pour autant déshonorable), qu’y a-t-il à regarder ? Là encore, il faut se retenir pour ne pas noircir le tableau. Louable intention (bis) : la direction artistique s’inspire de celle du jeu-vidéo, qui visuellement tirait vers le cartoon. Sauf que ce choix n’est pas du tout au diapason de la mise en scène du film, qui ne décroche qu’à de rares moments du premier degré, et n’a donc pas la fantaisie qui s’exprime dans les costumes et les décors. Ce décalage a des effets ridicules, comme ces armes et armures qui sont, comme dans le jeu, surdimensionnées, mais portées sans effort supplémentaire eut égard à leur poids par les acteurs du film.
 Le film ne lutte pas non plus avec suffisamment de conviction contre sa parenté avec « Le seigneur des anneaux ». Pour faire court, l’impression générale en regardant « Warcraft » est celle d’un sous-« Seigneur des anneaux » : tout ce que le film montre a déjà été vu, en beaucoup mieux, dans la trilogie de Peter Jackson. La comparaison est fatale.
Avec de tels défauts, il ne reste plus qu’une chose qui puisse redresser le niveau du film : ses acteurs. Las ! Il n’y aura aucun secours à chercher de ce côté-là, aucun des acteurs du casting ne réussissant à exprimer une émotion complexe. Le ridicule règne, du capitaine de l’armée qui, par un mystère qu’on n’explique pas, ressemble physiquement à DiCaprio dans « The revenant » – mais sans que l’interprétation hallucinée ne suivre) au couple royal aussi charismatique qu’une motte de beurre fondue. Le comble du ridicule est atteint lors de l’intrigue sentimentale (heureusement peu mise en avant) entre le capitaine de l’armée humaine et la femme demi-orc.

Un potentiel mal exploité
             Il y a bien quelques atouts (en-dehors de ce que j’ai dit sur le visuel, la photographie est très belle, le scénario ménage une péripétie à la fin dramatiquement très forte, les effets spéciaux savent impressionner, le scénario aborde des thématiques intelligentes), mais quand on fait les comptes, il n’y a quand même pas grand-chose à sauver de ce « Warcraft : le commencement ». Pour nous achever, comme son titre l’indique, le film n’est que « le commencement » de l’histoire, et n’a donc pas de fin : la mode des blockbusters se voulant épisodes de saga au long cours est de plus en plus répandue et frustrante.
Pour terminer sur une note plus positive, on sent quand même derrière « Warcraft : le commencement » le potentiel pour faire un bien meilleur film. Si des choix artistiques plus audacieux et cohérents étaient pris dans l’éventuelle suite, la malédiction des adaptations de jeux-vidéo au cinéma pourrait enfin prendre fin. Ce qui fait que l’on est malgré tout curieux de voir une suite.

On retiendra…
Spectaculaire. La photographie, lumineuse.

On oubliera…
Un ridicule (plus ou moins léger) qui s’exprime aussi bien dans les dialogues que dans la direction artistique. L’impression permanente de voir un sous-« Seigneur des anneaux ».


« Warcraft : le commencement » de Duncan Jones, avec Travis Fimmel, Paula Patton, Toby Kebbell,…

samedi 14 mai 2016

Woody Allen : what else ? (Café society)

Qu’a donc de particulier le Woody Allen millésime 2016, « Café society » ? Qu’il ouvre le 69ème festival de Cannes ? Pas vraiment : c’est la troisième fois que l’une des œuvres du réalisateur donne le coup d’envoi des projections à Cannes (pour l’ouverture d’un festival de cinéma, Woody Allen est peut-être la seule et unique valeur refuge). On citera donc plutôt le changement de chef opérateur : Darius Khondji a laissé place à Vittorio Storaro. Un remplacement qui peut paraître anecdotique – et en effet, Storaro reproduit des ambiances et des lumières très similaires à celles de Khondji – mais a en fait son importance. S’il y a en effet une chose qui surprend un peu dans ce nouveau film de Woody Allen, ce sont les mouvements de caméra, plus nombreux qu’à l’ordinaire (l’ordinaire consistant surtout en plans fixes). Faut-il voir, derrière ce champ inhabituellement mobile, les prémisses d’une future évolution de la réalisation de Woody Allen ? On le saura l’année prochaine.


Problématique constance
Pour le reste, « Café society » déroule, sur une histoire de triangle amoureux, un programme assez convenu, parfois même un peu ennuyeux – ce film-ci est un peu moins drôle que la moyenne. Il y a certes une nouvelle venue, Kristen Stewart, mais elle s’est si bien intégrée à l’univers du cinéaste qu’elle ne fait rien déborder de ce qui, pour le spectateur, ressemble à une routine. Une routine évidemment plutôt virtuose… mais toutes les qualités du film (interprétations impeccables, lumière magnifique, coups de théâtre habilement ménagés) ne sauront pas faire départir le sentiment de déjà-vu qui imprègne l’œuvre, et diminue grandement l’émotion qu’il entendait susciter. La dernière partie du film, sur les années enfuies, le passé perdu et les regrets de jeunesse, vise à la mélancolie, mais la force de ce sentiment est diminuée par l’absence manifeste de toute trace de passage du temps sur les visages des acteurs Jesse Eisenberg et Kristen Stewart, qui restent éternellement jeunes. C’est peut-être le seul défaut de réalisation du film (récurrent dans le cinéma de Woody Allen) mais il n’y a rien, de l’autre côté de la balance, rien qui puisse motiver un quelconque enthousiasme.
« Café society » n’est donc pas un événement dans la filmographie décidément trop constante du cinéaste new-yorkais. Mais il annonce quand même une possible évolution de la manière de filmer du cinéaste – évolution que l’on sera donc curieux d’observer.

On retiendra…
La virtuosité habituelle du cinéaste, qui filme ici avec une caméra plus mobile qu’à l’ordinaire.

On oubliera…
La virtuosité habituelle du cinéaste, qui, délivrée chaque année, et ce depuis quarante ans, peut aujourd’hui ennuyer.


« Café society » de Woody Allen, avec Jesse Eisenberg, Kristen Stewart, Steve Carrell,…