Au regard
des titres des films alignés cet été par les grands studios, la période
s’annonce pourrie. On a déjà l’impression d’avoir vu tous ces films : « Fast
and furious 7 », « Mad Max 4 », « Jurassic Park 4 »,
« Terminator 5 », « Les 4 fantastiques 3 », « Mission
Impossible 5 ». On oublie volontairement « Ant-man », pas une
suite à proprement parler, mais pas un film non plus puisque c’est un produit « Marvel ».
Dans cette liste, trois films se ressemblent. « Mad Max : Fury Road », «
Jurassic World » et « Terminator Genisys » sont trois nouveaux opus de
trois sagas nées dans les années 80-90,
respectivement initiées par George Miller, Steven Spielberg et James Cameron.
Chacun d’entre eux a lui-même transformé son film en saga en réalisant une
suite à l’œuvre originale, avant de passer à autre chose et de laisser aux
producteurs les clés de la franchise. Les trois films originaux ont tous
marqués leur époque et sont indubitablement « cultes ». En sera-t-il
de même pour ces trois nouveaux opus ?
La suite rêvée
On ne
pouvait pas rêver meilleure suite. C’est tout simplement, à ce jour, la
meilleure suite jamais réalisée dans l’histoire du cinéma : « Mad Max : Fury Road ». George Miller a repris son univers post-apocalyptique
et son personnage de conducteur fou et solitaire, mais il a vu plus grand,
beaucoup plus grand que dans les années 80. Armé des moyens d’aujourd’hui,
Miller n’a pas eu peur de dynamiter son ancienne saga. Il la transforme en un opéra
métallique et cinétique d’une ampleur démesurée qui redéfinit la mythologie de
« Mad Max ». C’est une véritable recréation, qui fait passer les opus
précédents pour des brouillons de celui-ci : « Mad Max : Fury Road » est un changement de paradigme.
C’est à
cela que doivent servir idéalement les suites : retravailler un film pour
l’amener plus loin, l’approfondir, tout simplement l’améliorer. Le cinéma est
un art très jeune, qui évolue vite. Il est donc parfaitement compréhensible qu’une
histoire soit retravaillée en fonction des moyens accrus désormais à
disposition.
La recette
d’un tel succès est simple : cette suite à « Mad Max » n’a pas
été commandée par des producteurs. C’est George Miller lui-même qui est revenu
à son œuvre-phare. Et ça change tout, comme l’ont rappelé peu après « Jurassic
World » et « Terminator Genisys ».
On retiendra…
Un opéra mécanique et baroque,
bâti sur l’ivresse de la vitesse et la jouissance de la violence, d’une
démesure totale, inimaginable jusqu’à ce qu’on l’ait vu.
On oubliera…
Tom Hardy compose un Mad Max
qui paraît parfois trop doux, trop sympathique pour que sa solitude farouche et
son indifférence cruelle paraisse plausible.
« Mad Max : fury road » de George Miller, avec
Tom Hardy, Charlize Theron,…
La suite cauchemar
A la fois une suite et un « reboot » de
« Jurassic Park », « Jurassic World » souhaite clairement
relancer une franchise en s’appuyant lourdement sur le souvenir du film
original. Voulue par les producteurs, « Jurassic World » n’a pas
d’autre ambition artistique que de faire revivre les dinosaures avec les effets
spéciaux numériques bluffants d’aujourd’hui. « Jurassic World » se
limite donc à recréer les scènes emblématiques qui ont fait le succès de
« Jurassic Park », mais en images de synthèse et en 3D.
Sauf que le
film a été confié à un réalisateur novice et inconnu, Colin Trevorrow, qui
n’est cinématographiquement pas du tout une copie de Spielberg. Personnages
sans épaisseur auxquels il est impossible de s’identifier, humour absent ou
tombant à plat, mise en scène qui se saborde elle-même lorsqu’elle tente de
susciter l’effroi (montrer les dinosaures dès les premiers secondes du film, il
fallait le faire), rapport à l’espace maladroit, intrigue qui s’éparpille
géographiquement et narrativement à cause d’un montage sans rythme… Peut-être
conscient de la médiocrité de son travail, Trevorrow s’est rassuré en se
réfugiant incessamment derrière des références à « Jurassic Park »,
des décors et accessoires repris à l’identique à la musique de John Williams.
Erreur quasi fatale étant donné que loin de susciter la connivence escomptée avec
les spectateurs encore émus vingt ans après de « Jurassic Park », ces
références donnent à mesurer l’abîme qui sépare les deux films, et accablent au
final le nouvel épisode de la franchise.
Le seul intérêt à cette suite est la schizophrénie de
la mise en scène, qui d’un côté entend dénoncer la surenchère de la société de
spectacle (« Plus de dents »), et de l’autre se plie sans sourciller
à cette surenchère. Cette ambigüité
n’est en fait qu’un héritage a priori bienvenu de « Jurassic
Park » : Spielberg glissait avec malice les produits dérivés de son
blockbuster dans les mains-mêmes de son personnage, avant de les faire piétiner
par les dinosaures. Mais dans « Jurassic World » cette malice a été
remplacée par de la bêtise. Au détour d’un dialogue, les personnages se moquent
du sponsoring du parc par les marques (« Pourquoi pas le
Pepsisaurus ? »)… dans un film truffé de placements de
produits : là, on se moque du spectateur.
Que pense donc Colin Trevorrow du succès colossal de
son film au box-office ? Ce succès doit quelque part le mettre mal à
l’aise s’il est conscient qu’il n’est pas dû à la qualité de son œuvre à lui mais
à la popularité immense de ce film devenu mythique qu’est « Jurassic
Park » (popularité portée par un bouche-à-oreilles intergénérationnel,
travaillée et retravaillée par les diffusions télé, les suites et même une
ressortie 3D). Les dinosaures, eux, ont bien été ressuscités par les nouvelles
technologies…
On retiendra…
La musique de John Williams,
reprise partiellement dans le film, donne encore des frissons.
On oubliera…
Blockbuster formaté, sans âme,
à la réalisation hésitante, qui ne cesse de singer « Jurassic Park »
en moins bien, ce qui ennuie d’abord, agace ensuite, énerve à la fin.
« Jurassic World » de Colin
Trevorrow, avec Chris Pratt, Bryce Dallas Howard,…
La suite inaboutie
Il s’agit, là encore, d’une suite et d’un reboot. Les
deux sont intimement liés grâce à une astuce scénaristique qui fait d’abord
craindre le pire par son opportunisme avant de séduire.
Le voyage
dans le temps est une des composantes principales de l’univers de
« Terminator ». C’est une mine narrative pour faire réactiver les
situations ayant fait le succès des films précédents. Ici, les scénaristes ont imaginé
un film commençant là où les précédents s’arrêtaient, à savoir la victoire de
la rébellion humaine menée par John Connor contre les machines pilotées par
Skynet, dans un futur apocalyptique. Mais Skynet réussit à envoyer juste avant
sa destruction un Terminator dans le passé tuer la mère du chef de la rébellion
humaine… John Connor envoie donc Kyle Reese à sa poursuite, donc dans le passé,
soit dans le « Terminator » original de James Cameron. La saga se
reconnecte ainsi à ses origines par une pirouette temporelle qui réinitialise
la course-poursuite entre les Terminator et la famille Connor, et permet un
hommage en forme de mise en abyme à l’œuvre de James Cameron, revisitée à
plusieurs reprises quasiment plan par plan avant qu’une divergence
n’intervienne.
L’idée semble d’abord gonflée : le prétexte du
voyage temporel est bien pratique pour reproduire le même scénario que le film
original ! On craint alors que « Genisys » ne soit qu’un remake
qui ne dirait pas son nom, très lourd dans la manière dont il ressort les mêmes
méchants et les mêmes scènes des deux premiers Terminator, apparemment sans
aucune imagination, en tout cas sans aucune surprise. Le spectacle (car il
s’agit surtout de scènes d’action) est poussif et ennuyeux.
La mise en
scène est en effet très convenue. Alan Taylor, venu de la série télé, n’a
semble-t-il aucune identité, aucune signature, aucun génie, ce qui a pu
contenter les producteurs du pathétique « Thor 2 » (son précédent, et
premier, long-métrage), mais fait regretter ici le sens du spectacle de James
Cameron ou les efforts de Johnatan Mustow et McG (réalisateurs des opus 3 et 4).
Taylor a beau, en 2015, avoir des moyens techniques supérieurs à James Cameron
dans les années 80, il n’a presque aucune idée de mise en scène. Les scènes
d’action, pourtant très nombreuses, semblent terriblement banales, déjà vues,
ce qui est une honte pour une saga dont les deux premiers films avaient
révolutionné le cinéma d’action en leur temps. La direction artistique souffre
d’un pareil manque d’imagination, et s’avère même plutôt moche par un côté
lisse et factice bien inférieur à l’esthétique cabossée des films originaux.
Et puis… L’action se déplace soudain en 2017.
L’intrigue devient incroyablement tarabiscotée pour expliquer ce nouveau voyage
temporel, mélangeant passés alternatifs et souvenirs du futur, sans pour autant
perdre en cohérence. Cette fragile complexité, inhabituelle dans de tels
blockbusters, est donc hautement appréciable. Le scénario de « Terminator Genisys »
devient même intelligent dans cette seconde partie. Les scénaristes sèment le
doute sur la cause défendue par chacun des personnages emblématiques de la saga,
reprenant le jeu initié par James Cameron lorsqu’il avait
« retourné » le Terminator joué par Schwarzenegger de méchant en
gentil. De manière inattendue après la première partie nostalgique des années
80, le film alerte sur les dérives du développement numérique actuel,
ré-ancrant avec force l’anticipation dystopique de « Terminator »
dans le contemporain de notre société hyper connectée.
Cette deuxième moitié de « Terminator
Genisys » comporte enfin un vrai coup d’éclat : le vieillissement de
Schwarzenegger. On se rend compte en le voyant dans cette partie censée se
dérouler en 2017 qu’il avait été numériquement rajeuni dans la première, située
en 1984. L’acteur, qui a lentement basculé dans la ringardise lors de ses huit
années passées loin des plateaux à la tête de la Californie, reprend son rôle
de Terminator comme si rien n’avait changé, dans une négation du temps écoulé
qui est contredite par son avachissement physique. Comme son personnage de
Terminator, surnommé « Papi », qui ne cesse de répéter qu’il n’est
pas obsolète, Schwarzenegger l’acteur semble lutter avec « Terminator
Genisys » contre ces années enfuies qui ont emporté sa gloire, et ce
combat est assez émouvant.
Au final, par l’intelligence et la rouerie de son scénario,
« Terminator Genisys » aurait pu être un excellent film, s’il n’était
desservi par une réalisation sans âme. Cependant, l’intérêt pour la saga est
bel et bien relancé.
On retiendra…
Un « métaremake » au
scénario plein de bonnes voire très bonnes idées, jouant astucieusement des
voyages dans le temps et du physique vieillissant de Schwarzenegger.
On oubliera…
La réalisation basique, platement
efficace, quasiment digne d’un épisode de série télé, se contente de mettre le
scénario en images.
« Terminator Genisys » d’Alan Taylor,
avec Arnold Schwarzenegger, Emilia Clarke, Joel Courtney,…