dimanche 17 septembre 2017

Le caprice de gosse (Valérian et la Cité des mille planètes)

Rappel des faits
1997. Luc Besson est au sommet. Après le succès international de « Léon », il réalise d’après une histoire originale « Le cinquième élément », le film le plus cher jamais produit en Europe.
C’est un chef-d’œuvre, d’une originalité visuelle folle, d’une drôlerie inouïe, avec des scènes d’action spectaculaires et des moments de grâce poignants. Une réussite telle que le film est inusable : visionnage après visionnage, il demeure toujours aussi génial.
2017. Luc Besson est au sommet. Après le succès international de « Lucy », il réalise d’après les BD de Christin et Mézières « Valérian et la cité des mille planètes », le film le plus cher jamais produit en Europe.

Un fol espoir
A la fin de la projection de « Valérian », j’étais en deuil. Il n’y aura pas de deuxième « Cinquième élément ».
A chaque fois que j’ai regardé « Le cinquième élément » je me suis dit : « Le cinéaste qui a fait ce film est encore en activité. Il est donc possible qu’il refasse un jour un film aussi énorme. » Cet espoir s’était bien tari depuis que Luc Besson avait franchi la fameuse barrière des dix films qu’il s’était fixé comme limite à sa filmographie dans les années 90. De « Arthur et les Minimoys 2 » à « Lucy », Luc Besson a enchaîné les films moyens, médiocres ou nuls. Mais il était aussi devenu son propre producteur : après « Le cinquième élément », Luc Besson a bâti un véritable empire cinématographique nommé Europacorp, sans aucun équivalent dans l’histoire du cinéma français. Ecole de cinéma, plateau de tournage, salles de cinéma, séries télévisées et attractions foraines : Europacorp s’est étendu à toute la chaine de production cinématographique. On pardonnait à Besson de réaliser des films moins bons s’ils lui servaient à étendre son empire, car on se rassurait en se disant que l’expansion d’Europacorp avait un objectif : la réalisation d’un nouveau « Cinquième élément ». Cet espoir s’est concrétisé lorsque le cinéaste a annoncé son intention de porter à l’écran les aventures de « Valérian et Laureline ». Ce projet sonnait comme un retour puisque la série de BD avait déjà fortement inspiré « Le cinquième élément ».
Mais le Luc Besson inventif et drôle des années 90 n’est pas revenu. C’est encore une fois le Luc Besson producteur qui a réalisé « Valérian et le cité des mille planètes ». Le film est une déception : il est incroyablement mal écrit, visuellement bancal, et pour achever le tout, mal interprété.


Scénario alambiqué paumatoire
Le scénario – et par extension, le film dans son ensemble – parait avoir été bâclé. Comme si Luc Besson n’avait pas retouché à l’histoire qu’il annonce avoir écrit il y a vingt ans… Il s’est effectivement inspiré de l’album « L’ambassadeur des ombres » (un des meilleurs de la série), mais a inutilement compliqué l’intrigue, en rajoutant une vague enquête policière à l’histoire simplement linéaire de l’album. Comme si Besson avait eu peur de faire simple ! D’où sûrement les sophistications de l’intrigue, hélas rendues quasiment incompréhensibles par la rapidité du film. « Valérian » ne cesse en effet d’avancer sans explications. On ne se rappelle même plus au milieu du film après quoi courent les personnages. L’action est toujours expliquée en même temps qu’elle a lieu : on ne découvre les objectifs des missions de Valérian et Laureline qu’au moment où ils les atteignent. Une méthode d’écriture qui visait sûrement à épargner au spectateur des scènes d’exposition… mais qui a en fait réduit à néant la dramaturgie du film, puisqu’on ne comprend pas ce qui se passe.
Le film enchaine ainsi des séquences qui paraissent sans liens, et qui semblent donc complètement gratuites, et surtout trop nombreuses… Alors que l’objectif, on le voit, était de créer une profusion de péripéties, d’organiser un déferlement visuel, pour atteindre à une forme de fantaisie quasi foraine. En l’état, le film parait beaucoup trop long (2h20). Besson défend son film comme étant « un rêve de gosse », mais « Valérian » est en fait plus proche d’un caprice de gosse ! Ironie de l’histoire quand on connait l’infortune du film au box-office : « Valérian » aurait énormément gagné à être plus simple, plus court, moins riche… et donc s’il avait coûté moins cher !
L’illustration la plus parlante de cette dernière assertion est la scène de danse de Rihanna. Il est coutumier de voir des numéros musicaux dans les films de Luc Besson, mais ici la présence de la chanteuse au casting semble justifiée par la seule exposition médiatique qu’a apporté la star à la promotion du film. Le film se débarrasse en effet de son personnage sitôt sa fonction remplie, par une mort ridicule… Sans atteindre les sommets d’indécence de la séquence finale d’ « Astérix aux Jeux Olympiques » (précédent budget cinéma record français), la présence de Rihanna a vraisemblablement couté cher pour une séquence qui alourdit et affaiblit le film.
D’où la question : Luc Besson avait-il trop d’argent pour faire son film ? Il semble bien que le problème numéro 1 de « Valérian » soit le fait que Luc Besson ait été son propre producteur et seul auteur du scénario… et qu’il se soit laissé dépasser par les enjeux commerciaux représenté par le film pour sa société de production.

Sensation numérique gênante
Après son écriture très médiocre, « Valérian » se distingue par son étrange qualité visuelle. Il y a une « sensation numérique » des images, omniprésente tout au long du film. Les effets spéciaux, pourtant réalisés par les pointures du secteur, font plus ressembler « Valérian » à du cinéma d’animation (typiquement « Arthur et les Minimoys ») qu’à un film à prises de vues réelles.
Ce refus du photoréalisme résulte à n’en pas douter d’un choix artistique du réalisateur, qui souhaite rapprocher son film du merveilleux et de la fantaisie de traits de la bande dessinée. Une démarche louable dans son intention mais qui va très mal vieillir : les effets spéciaux de « Valérian » vont à coup sûr prendre un sacré coup de vieux dans les années qui viennent… Il aurait mieux valu adopter un parti pris esthétique basé sur des effets spéciaux à l’ancienne – parti déjà à l’œuvre dans « Le cinquième élément » - qui aurait tout autant, si ce n’est plus, apporté un côté « BD » au film et l’aurait surtout préservé de la détérioration rapide de l’appréciation des images numériques…
La direction artistique peut être qualifiée d’« audacieuse », dans le sens où elle ose parfois flirter avec le mauvais goût, voire la laideur (tel le monstre réplicateur ou les trois Dogan Daguis), ce qui laisse toujours pantois : est-ce une prouesse de montrer quelque chose de moche ? La direction artistique est en tout cas très inégale : certains décors font vraiment toc (comme le centre de commandement de la Terre sur Alpha), là où d’autres sont très réussis (le vaisseau sous-marin par exemple). Une autre marque donnant l’impression d’un laisser-aller de la part du réalisateur…

Charisme inexistant des acteurs
La qualité première des films de Luc Besson est leur humour, qui s’appuie notamment sur l’interprétation des acteurs. Mais il y a aussi du laisser-aller dans la direction d’acteurs (ou leur implication ?). Tout le monde reste plus ou moins de marbre, comme si personne ne semblait vraiment y croire. A part quelques créatures extraterrestres 100% numériques, aucun personnage n’est vraiment drôle.
Les problèmes se concentrent autour de Valérian et Laureline. Difficile de jeter la pierre aux seuls interprètes des personnages, Dane DeHaan et Cara Delevingne, qui ont suivi le script et les indications du scénariste et réalisateur Luc Besson. Celui-ci a fait de Valérian un mauvais garçon séducteur. L’essentiel des dialogues que s’échangent Valérian et Laureline servent d’intermèdes comiques (fort peu comiques) durant lesquels Valérian essaye de séduire Laureline. Les personnages seront à peine plus caractérisés et n’évolueront pas ou presque pendant tout le film. Sans passé, sans histoire, sans contexte, ils sont donc complétement inconsistants, ce qui est encore aggravé par l’absence de charisme des deux acteurs.

Quelques points forts
Que reste-t-il à sauver ? La séquence d’introduction sur fond de Bowie est très bien pensée et pleine de clins d’œil. Le film enchaine ensuite sur une séquence extra-terrestre assez audacieuse car quasi muette. L’idée de la séquence au « Big Market » mêlant différents niveaux de réalité s’avère aussi intéressante du point de vue de la mise en scène. Riche en métaphores, elle aurait pu constituer l’un des sommets du film si elle avait été correctement maîtrisée : le passage d’un niveau de réalité à l’autre et leur imbrication est assez confus. Le vrai sommet du film est la séquence chez les extra-terrestres anthropophages ayant capturé Laureline, la seule digne de l’inventivité et de l’humour du Luc Besson d’antan. On peut encore citer les trois Dogan Daguis (les Shingouz de la BD) qui sont peut-être laids mais très drôles.
« Valérian » comporte donc quand même quelques points forts qui laissent penser qu’un meilleur film aurait pu être possible. S’il faut bien admettre malheureusement l’échec artistique global du film, ainsi que son échec industriel, Luc Besson n’a pas complètement perdu son pari. Il a réussi à transmettre son rêve à de nombreux spectateurs français et peut-être européens : l’Europe peut aussi produire des blockbusters de science-fiction à gros budget. L’Europe peut aussi avoir son « Star Wars ». Ce rêve qui dépasse le film existe toujours après « Valérian », et il n’a jamais été aussi fort.

On retiendra…
Quelques (rares) séquences renouent avec l’humour et l’inventivité de « Le cinquième élément ».

On oubliera…
Trop long, mal écrit, difficile à comprendre, pas assez drôle et très faible dans ses scènes d’action : « Valérian » déçoit les promesses de son budget pharaonique.


« Valérian et la Cité des mille planètes » de Luc Besson, avec Dane DeHaan, Cara Delevingne,…