mardi 17 septembre 2013

Django enchainé (12 years a slave)

Un an après les extraordinaires « Django unchainded » de Quentin Tarantino, « Lincoln » de Steven Spielberg et « Zero dark thirty » de Kathryn Bigelow, le cinéma américain continue de revisiter l’histoire de son continent avec « 12 years a slave ». Le film est en effet adapté des mémoires de Solomon Northup, citoyen noir américain né libre au XIXème siècle mais capturé et vendu comme esclave pendant 12 ans en Louisiane. C’est le nouveau long-métrage de l’artiste-vidéaste Steve McQueen, désormais plus connu pour ses films : « Hunger » (Caméra d’or à Cannes en 2008) et « Shame » (2011).


-          Chaque année on s’y intéresse, on espère, voire on se met à rêver… et chaque année on est déçu. La cérémonie des Oscars est de plus en plus prévisible, académique et conservatrice…
-          De plus en plus ? Je dirai plutôt qu’elle l’est toujours autant. Pour 2014 les votants ne devraient pas bouleverser leurs habitudes, et on ne peut que redouter le sacre – déjà annoncé depuis qu’il a remporté le prix du public au festival de Toronto – de « 12 years a slave ».
-        Après « Shame », je ne m’attendais pas du tout à ce que Steve McQueen se lance dans l’académisme ! Grand sujet historique, mise en scène classique tendue vers l’efficacité, interprétations habitées et contenu à haute teneur lacrymal : l’ambition de McQueen pour les Oscars est évidente.
-          Et alors ? Ça n’empêche pas « 12 years a slave » d’être un très grand film. Steve McQueen s’est entièrement mis au service de Solomon Northup, l’homme libre redevenu esclave dont il veut raconter l’histoire, et qu’il inscrit d’emblée dans l’Histoire. Sur un sujet identique, la ségrégation, Steve McQueen adopte en effet une approche totalement opposée à celle de Quentin Tarantino. Là où ce dernier, pour dénoncer  l’horreur de l’esclavage, prenait sa revanche sur l’Histoire en la réécrivant, Steve McQueen s’y soumet complètement, et surtout, y soumet le spectateur.
-          Tu peux le dire ! Le cinéaste ne laisse en effet jamais ses spectateurs passifs devant ses films. Sa mise en scène s’identifie si fortement avec le personnage principal de ses longs-métrages qu’il fait, à chaque fois, partager aux spectateurs ses tourments. Jusqu’à, aussi, dépasser la limite du supportable.
-          Mais alors que cela virait au ridicule dans « Shame », ici l’ambition historique et la grandeur classique de la mise en scène empêche « 12 years a slave » de tomber dans cet écueil…
-          Pour mieux tomber dans un autre : celui de la performance à Oscars ! « 12 years a slave » est extrêmement dur. La violence des traitements infligés aux esclaves y est montrée frontalement. Pas de risque de déréalisation de la violence par son exagération comme chez Tarantino : l’injustice et l’horreur de l’esclavage y apparaissent comme rarement vu au cinéma.
-          Sauf que Tarantino est mille fois plus original et inventif que McQueen. Surtout, cette représentation sans filtre de la violence pose un problème de mise en scène propre à l’œuvre de McQueen : son cinéma n’apparait plus que comme un cinéma de l’humiliation. « Hunger », « Shame » et « 12 years a slave » aujourd’hui : on est en droit de se demander si la torture et l’humiliation ne sont pas les moteurs de ses longs-métrages – ce qui est moralement assez perturbant.
-          Il n’empêche : le film est d’une extraordinaire émotion, porté par un acteur exceptionnel, Chiwetel Ejiofor, et accompagné d’une superbe musique.
-          Mais Hans Zimmer l’a composée en recyclant sans s’en cacher l’un des thèmes de « Inception » de Christopher Nolan (2010) ! Ce qui produit un sentiment bien étrange lors de la projection… est-ce un rêve ou un cauchemar ?

On retiendra…
Emouvant et éprouvant grâce à la puissance des cadrages et l’interprétation de Chiwetel Ejiofor, « 12 years a slave » ressemble déjà un classique.

On oubliera…
Steve McQueen a trop souvent recours à l’humiliation, Hans Zimmer se recycle sans vergogne.

« 12 years a slave » de Steve McQueen, avec Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender, Benedict Cumberbatch,…

Bien qu’il ait remporté le prix du public au festival international du film de Toronto, je n’avais pas voté pour lui lors du festival (je lui avais préféré « La vied’Adèle – chapitres 1 et 2 », « Attila Marcel » et « Night moves »), pour les raisons expliquées plus haut. Le réalisateur et une large partie du casting s’était de nouveau déplacé à la deuxième projection du film au TIFF – s’il manquait par rapport à la première Brad Pitt, Benedict Cumberbatch et Paul Dano, Chiwetel Ejiofor et Michael Fassbender étaient là.


Steve McQueen
Chiwetel Ejiofor

Michael Fassbender

Alfre Woodard et Lupita Nyong'o

                Les questions du public ont porté essentiellement sur le travail des acteurs : par exemple, comment peut-on incarner un être aussi abject que le personnage joué par Michael Fassbender ? En essayant de le comprendre, sans le juger mais sans l’excuser non plus a répondu celui-ci. Fait rare, Steve McQueen a demandé à prolonger l’échange avec le public alors que le directeur artistique du TIFF, Cameron Bailey, avait annoncé sa fin.

Un aperçu de la (très grande) salle du Ryerson Theatre

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire