jeudi 30 janvier 2020

Les misérables (Cats)



Pourquoi être allé le voir ?
Tom Hooper est un réalisateur à la patte bien reconnaissable, auteur de l’excellent « The danish girl » (et du moins bon mais beaucoup plus connu « Discours d’un roi »). Il s’est fait un nom à Hollywood grâce à l’adaptation ultra spectaculaire de la comédie musicale « Les Misérables » en  2012. Ce succès lui a permis d’entreprendre sept années plus tard l’adaptation d’une autre comédie musicale, très célèbre dans le monde anglo-saxon, « Cats ».

Pourquoi le voir ?
Ce film ne ressemble à rien de connu. Il s’agit d’un véritable ovni artistique, qui regorge d’improbables surprises. Les quelques gags du film sont tellement pas drôles qu’ils en deviennent irrésistiblement drôles.
Les premières minutes sont particulièrement réussies : la mise en scène, à l’unisson de la musique, parvient à communiquer avec beaucoup de force le tournis qui étreint le personnage principal à son arrivée dans le monde de « Cats ».

Pourquoi ne pas le voir ?
Des premières minutes effectivement spectaculaires : elles donnent une envie difficile à réprimer de quitter la salle ! Le naufrage de ce film se ressent en effet dès sa première minute... et tout va ensuite (ou presque) de mal en pis. « Cats » est un accident industriel comme on en voit rarement sur nos écrans.
C’est d’abord d’une laideur inénarrable et difficile à supporter : la direction artistique est non seulement une horreur, mais elle est encore aggravée par le fait qu’elle soit servie par des effets spéciaux numériques très faibles... Signes manifestes et évidents des problèmes de production qu’a dû connaître ce film, ces effets spéciaux ne doivent pas être à la hauteur de ce qu’avait imaginé le réalisateur.
C’est ensuite narrativement complètement inconsistant. L’histoire de « Cats » ressemble plus ou moins une transposition de la « Star academy » au royaume des chats : une succession de chansons chantée par des chats (tous plus moches les uns que les autres) faisant leur autoportrait, dans un concours pour être élu et accéder à une sorte de paradis. Ce qui fonctionne peut-être sur scène (je n’ai pas vu la comédie musicale) ne passe pas au cinéma : une succession de clips ne fait pas un film. Sans mentionner les paroles des chansons, incroyablement ridicules...
C’est enfin mis en scène en motion capture. Ce qui s’avère être une erreur fatale pour tous les pas de danse et les acrobaties accompagnant les chansons, étant donné la qualité des effets spéciaux. Rien n’est crédible, tout est noyé dans une bouillie numérique, et fait terriblement faux : la magie d’un corps qui danse ne peut pas être captée si ce corps n’est plus visible.
« Cats » est donc un inénarrable nanar musical. Dommage pour Tom Hooper, dont on espère que sa carrière ne sera pas trop affectée par ce film douloureux.

On retiendra…
Il n’est pas facile de trouver une qualité au film, si ce n’est qu’il ne ressemble à aucun autre.

On oubliera…
Une suite de chansons ne suffit pas à raconter une histoire. La direction artistique est une catastrophe inouïe, et elle est de plus desservie par les pires effets spéciaux vus dans un blockbuster hollywoodien depuis bien longtemps…

« Cats » de Tom Hooper, avec Jessica Hayward, Jennifer Hudson,…

mercredi 8 janvier 2020

Perte de repères (The lighthouse)




Pourquoi être allé le voir ?
Robert Eggers avait réalisé en 2016 un impressionnant premier film horrifique, « The witch ». Mais si sa mise en scène était très maîtrisée, le film s’effondrait sous sa prétention. Son deuxième film, réunissant Robert Pattinson et Willem Dafoe, allait-il faire mieux ?

Pourquoi le voir ?
L’image et la mise en scène sont magnifiques. Le premier plan est sublime, tout comme les suivants en fait : chaque plan est superbement travaillé. C’est une plongée dans l’horreur – car on se doute bien, dès le début, que face à de si rudes conditions tout va aller de mal en pis – dont le plaisir est de découvrir à quel point celle-ci est profonde. Isolement, furie des éléments, esclavage, pénurie, alcoolisme, fantôme et sirène… Le film s’amuse à aligner tous les éléments du conte d’horreur matin, dans une histoire  pleine d’ellipses qui fait volontairement perdre la notion du temps. Le spectateur s’amuse aussi car « The lighthouse » est en fait très drôle – grâce notamment aux acteurs, qui s’en donnent vraiment à cœur joie. Cet humour qu’on n’attendait pas forcément est ce qui dégonfle la prétention de l’ensemble, contrairement à ce dont avait été victime le précédent film du cinéaste, « The witch ».

Pourquoi ne pas le voir ?
Si « The lighthouse » fait montre du même brio de mise en scène que « The witch » sans en renouveler la prétention, le film achoppe encore sur un défaut, qui est souvent un corollaire des films à grande ambition visuelle : il vire à l’exercice de style. Le scénario, à force de multiplier les pistes expliquant les dérèglements à l’œuvre à l’écran,  noie le sens du film. Et au final, seul s’impose un sentiment de vanité face à ce spectacle pourtant si beau.

On retiendra…
Visuellement superbe, faisant montre du grand talent de mise en scène de son réalisateur. L’humour.

On oubliera…
 La vanité de l’ensemble, qui vire à l’exercice de style.

« The lighthouse » de Robert Eggers, avec Robert Pattinson, Willem Dafoe,…

vendredi 4 octobre 2019

Dare D’arc (Jeanne)

Pourquoi être allé le voir ?
Depuis « P’tit Quinquin » en 2014, Bruno Dumont a opéré une métamorphose spectaculaire et sidérante de son cinéma – du sérieux extrême à la loufoquerie pure. Il tourne chaque année un film ou une série télé, qui a selon les circonstances de production les honneurs d’une sortie en salles. C’est le cas de « Jeanne », la suite de « Jeannette », formant un diptyque sur Jeanne d’Arc, adapté du poète Charles Péguy.


Pourquoi aller le voir ?
Comme « Jeannette », « Jeanne » est une sorte de comédie musicale. Mais le cinéaste n’aime pas se répéter et a donc encore décalé l’aspect musical de son film par rapport à « Jeannette » : la musique a été confiée au chanteur Christophe (qui signe notamment quatre chansons). Les comédiens n’interprètent plus les chansons ni ne dansent comme dans « Jeannette », la forme musicale du film est beaucoup plus classique, voire austère : Christophe chante seul toutes les chansons, et celles-ci ne sont accompagnées de quasiment aucune action à l’écran. Ainsi, la première chanson, « Chef de bataille », est seulement accompagnée d’un très long regard caméra de Jeanne. Mais ces chansons, qui reprennent comme les dialogues le texte de Charles Péguy, sont vraiment superbes et donnent admirablement le côté mystique au destin de Jeanne qui intéresse tant Bruno Dumont.
Un aspect amusant du cinéma de Dumont est qu’il est farouchement ancré dans le nord de la France : les plages du Nord qui servaient déjà de décor à « Ma loute » et « Jeannette » figurent ici les abords de Paris ou d’Orléans (il suffit juste qu’un personnage dise que ces villes se trouvent « de l’autre côté de la colline » pour que ce soit crédible), la cathédrale d’Amiens remplace avantageusement la chapelle royale du château de Rouen, et un blockhaus fait même office de prison !

Pourquoi ne pas aller le voir ?
On pensait ne jamais se remettre du virage de Dumont dans la comédie. Mais force est de constater que depuis « P’tit Quinquin », film après film, la nouveauté s’émousse. Dans « Jeanne », la plupart des ficelles de la mise en scène de Dumont paraissent usées. Il opère des décalages en confiant le texte ardu de Péguy à des comédiens non-professionnels, à la diction et aux manières étranges (beaucoup d’écarquillements de yeux, tels ceux du commissaires de « P’tit Quinquin »). C’est à la fois comique et émouvant (une vérité de jeu se dégage)… puis répétitif et ennuyeux. Or le film est essentiellement une longue succession de dialogues (ou monologues), plutôt difficiles à comprendre. De fait, si l’on y ajoute le jeu avec les décors, « Jeanne » se rapproche plus du théâtre que du cinéma.
Bruno Dumont a-t-il bouclé sa période « comique » ? Il est en tout cas revenu à une forme de cinéma très « théorique » : dans « Jeanne », on comprend les intentions de mise en scène, on les trouve même admirables, mais le résultat est ennuyeux à regarder et ne suscite pas d’émotion. Hormis (ou presque) lors des chansons, « Jeanne » ne touche que l’intellect et pas le cœur. Dumont semble avoir fait le tour du nouveau terrain cinématographique qu’il avait ouvert il y a cinq ans avec « P’tit Quinquin ». Espérons qu’il aille en défricher un nouveau pour son prochain film.

On retiendra…
Les chansons de Christophe, qui apportent l’émotion absentes par ailleurs du film. L’interprétation de Lise Leplat Prudhomme, très convaincante.

On oubliera…
Trop immobile, trop théorique, trop répétitif : « Jeanne » ennuit beaucoup.

« Jeanne » de Bruno Dumont, avec Lise Leplat Prudhomme,…

jeudi 8 août 2019

Camping (Midsommar)



Pourquoi être allé le voir ?
Dans un été hollywoodien complètement creux, ce film indépendant était la plus belle promesse de frissons. Il s’agit du deuxième long-métrage d’Ari Aster dont le premier, déjà étiqueté « film d’horreur », avait pas mal fait parler de lui (« Hérédité »).

Pourquoi le voir ?
Un film d’horreur aussi bien mis en scène, aussi original et prenant, aussi inquiétant, ça n’était pas arrivé depuis bien longtemps ! Le réalisateur commence par brouiller les pistes sur le sujet réel de son histoire : on craint d’abord d’avoir affaire avec une intrigue psychologique à base de traumas refoulés, puis d’un film de défonce façon « Climax », jusqu’à ce que les personnages et l’intrigue s’installent à Hårga, une communauté enclavée dans la nature suédoise. Le mystère de ce que sera le sujet du film est alors entier – jusqu’à un premier choc narratif, inouï, qui laissera encore sonné le spectateur pendant encore un bon moment avant qu’il ne comprenne que les clés du film sont à sa portée… Le film mériterait d’être vu rien que pour cette scène, tant elle est impressionnante !
« Midsommar » est fort, très fort, et est remarquablement bien filmé – la mise en scène rappelle d’ailleurs par bien des aspects celle de Stanley Kubrick, le modèle indépassable. Les acteurs sont tous excellents et Florence Pugh, qui interprète le personnage principal, fascinante. Jouer du contraste entre l’innocence apparente de cette communauté (avec l'idée géniale du décor de l'été suédois, durant lequel le soleil ne se couche presque jamais) et l’horreur qu’elle couve pour inspirer l'effroi – ce principe du film peut sembler simple mais il s’avère fonctionner à plein et être bien plus puissant et profond qu’imaginé de prime abord.

Pourquoi ne pas le voir ?
Pendant les trois premiers quarts du film, le réalisateur a au moins un coup d’avance sur ses spectateurs. Mais vers la fin du film (à un moment qui doit varier selon les spectateurs), la conclusion du film se fait deviner et le film se fait alors assez lourd voire lassant. La mise en scène toujours très travaillé, que l'on trouvait avant géniale, se met à frôler la sophistication inutile et la prétention.

On retiendra…
L’horreur en plein jour et en plein soleil. Les surprises du scénario. La mise en scène, impressionnante de puissance.

On oubliera…
Le film ne résiste pas complètement au dévoilement de son mystère. La fin ambigüe.

« Midsommar » d’Ari Aster, avec Florence Pugh, Jack Reynor,…

samedi 3 août 2019

La nuit la plus longue (Halte)


Pourquoi être allé le voir ?
Un film de science-fiction philippin en noir et blanc durant 4h39 ? Rares sont les films à autant interpeller ! Il s’agit du premier film que je vois du cinéaste philippin Lav Diaz. Tous les cinéphiles connaissent de nom ce réalisateur grâce aux prix qu’il remporte (un Léopard d’or et un Lion d’or, en 2014 et 2016), mais bien peu connaissent réellement son œuvre du fait de la durée extravagante de ses longs-métrages : de 3h30 pour le plus court à… 11h pour le plus long.

Pourquoi le voir ?
Le cinéaste raconte l’oppression et la résistance sous un régime dictatorial (faisant bien évidemment écho à toutes les dictatures, passées, présentes et  à venir) avec des moyens qui se rapprochent de ceux du documentaire. Il ne cherche pas à dramatiser sa narration. De fait, malgré sa durée hors norme, « Halte » n’a rien de colossal ou de prétentieux. Il s’agit d’un film modeste, tant dans ses moyens que dans sa narration. Il est admirable qu’avec si peu, Lav Diaz puisse en raconter autant : pour décrire ce futur, il lui suffit de tourner de nuit et de faire voler quelques drones. Ce plaisir de fabrication du film est ressenti par le spectateur.
Ça ne peut pas se deviner au premier abord, mais le film est aussi empreint d’humour, à travers notamment le personnage du dictateur, qui pourrait être une référence au film de Chaplin, ou les us et coutumes très étranges de ses adorateurs.
Et puis on peut aller voir « Halte » pour apprécier pleinement l’ironie de son titre (on imaginerait bien Quentin Dupieux réaliser un film de 5 heures intitulé « Bref »).

Pourquoi ne pas le voir ?
« Halte » permet de se rendre compte que les souvenirs laissés par un film ne sont pas forcément proportionnels à leur durée – la faute aux inévitables moments de somnolence... Le film est en fait assez difficile à suivre, à cause de ses multiples personnages et de sa narration très brute qui ne fait rien pour aider son spectateur dans sa compréhension de l'histoire. Evidemment, le film ne fait rien non plus pour le réveiller, car il n’y a pas de suspense, pas de moments de tensions, de climax : « Halte » n'a rien d'haletant. De fait, on se demande quand même à l’arrivée du générique de fin pourquoi est-ce que ce film devait durer aussi longtemps…

On retiendra…
La modestie de cette chronique de la vie sous une dictature futuriste. C’est original, impressionnant par l’économie de ses effets, et même drôle.

On oubliera…
Le film n’est pas toujours bien compréhensible, et sa durée conséquente ne semble pas justifiée.

« Halte » de Lav Diaz, avec Joel Lamangan, Piolo Pascual,…

mercredi 31 juillet 2019

Luc (Anna)

L’ascension de Luc Besson aura été aussi fascinante que sa chute. Il était au sommet il y a deux ans lors de la sortie de « Valérian et la cité des mille planètes » (plus gros budget de l’histoire pour un film européen, et de loin), à la tête de « sa major de cinéma » Europacorp (regroupant la production et la distribution de films et de séries télé, des studios de tournage, une école de cinéma, des cinémas, des attractions pour parc à thèmes) absolument unique en Europe. Mais l’échec cuisant au box-office américain de son film a fait s’écrouler comme un château de cartes Europacorp sous le poids de ses dettes. Contraint à le vendre en pièces détachées, Luc Besson est de plus rattrapé par différentes affaires d’agressions sexuelles dans le sillage de l’affaire Weinstein.


C’est dans ce contexte très difficile que le réalisateur sort « Anna » (distribué par Pathé), son dix-huitième film (et le onzième à porter un titre basé sur un prénom). Maintenant qu’il doit de nouveau lutter pour sa survie financière, le cinéma de Luc Besson va-t-il retrouver l’éclat qu’il a perdu depuis « Arthur et les minimoys » (son dernier vrai bon film, en 2006) ?

Ludique et déjà-vu
La réponse est en partie oui : « Anna » est le meilleur film de Luc Besson depuis 2006 – ce qui n’en fait pas non plus un très grand film. On y retrouve les qualités que l’on croyait perdues de son cinéma : une capacité à surprendre le spectateur, ici par les multiples retours en arrière et des fausses fins qui s’accumulent et s’emboîtent comme des poupées russes, un brio dans la réalisation de scènes d’action (dont un combat dans un restaurant russe époustouflant – ces cinq minutes sont plus impressionnantes que les 2h17 de « Valérian », chercher l’erreur !), un art des transitions et un rythme soutenu qui relance sans cesse l’intérêt du spectateur, des personnages drôles car à la limite de la caricature (Helen Mirren) – en bref un film extrêmement divertissant ! Divertissement dont le point d’orgue est la fuite à travers les sous-sols du KGB d’Anna (l’autre grande scène d’action du film).
Mais on retrouve aussi dans « Anna » les défauts du cinéma de Luc Besson. Le plus évident est sa volonté un peu trop lourde d’être grand public qui se traduit ici par un montage parfois lourdement explicatif (on revoit plusieurs fois les mêmes scènes). Pour garder une grande vitesse à la conduite de son récit, Luc Besson recourt trop souvent aux raccourcis et aux clichés très bêtes (la description ridicule du milieu de la mode parisien sonne aussi faux que celle du KGB…). Beaucoup de personnages restent sans épaisseur. Dans le rôle-titre, la mannequin Sasha Luss n’est pas une révélation.
En bref, comme beaucoup de films réalisés ou produits par Luc Besson, c’est efficace mais pas vraiment subtil. Si la structure du film multipliant les chausse-trappes pour le spectateur intéresse, le récit en lui-même frise le déjà-vu, tant celui-ci rappelle « Nikita », « Léon » (du même Besson) et « Red sparrow » de Francis Lawrence – ces deux derniers étant de bien meilleurs films qu’ « Anna ».

Matière involontaire à réflexion
Le plus intéressant finalement n’est pas le film en lui-même, mais la manière dont on le voit différemment depuis les affaires de scandale sexuel qui entourent Luc Besson – affaires qui sont d’ailleurs sûrement responsables de l’échec au box-office du film. Le cinéma de Besson a toujours été caractérisé par une grande naïveté des sentiments et une mise en avant de femmes puissantes. L’un et l’autre sont présents dans « Anna » et font maintenant beaucoup réfléchir en cours de projection sur ce que ça traduit de la personnalité de Luc Besson… Ce qui apporte, aux dépens-même du film, une dimension cérébrale dont il était dépourvu !

On retiendra…
Le scénario à tiroirs qui joue avec le spectateur. Les scènes de combat.

On oubliera…
Les multiples stéréotypes, les trop nombreux échos à d’autres films.

« Anna » de Luc Besson, avec Sasha Luss, Helen Mirren, Luke Evans,…

mercredi 3 juillet 2019

Zombies cannois (The dead don’t die, Atlantique, Zombi child)

Sans être pour autant des films d’horreur, trois films avec des zombies ont été projetés à Cannes cette année. Cette coïncidence n’annonce pas un intérêt soudain pour le mort-vivant dans le cinéma d’auteur (il n’y aura peut-être aucun film de zombie l’année prochaine à Cannes), mais il est intéressant de regarder ensemble ces films, et de voir à quels points le traitement de la figure du zombie y est différente dans chacune des oeuvres.
Après les vampires d’« Only lovers left alive » en 2013 (son chef-d’œuvre), Jim Jarmsuch poursuit son exploration des clichés du cinéma d’horreur avec les zombies. « The dead don’t die » a fait l’ouverture de Cannes, en compétition (ce qui n’était pas arrivé depuis « Moonrise kingdom » de Wes Anderson en 2012).
Autre « film de zombie » en compétition, « Atlantique » est le premier long-métrage de Mati Diop, tourné à Dakar. Il a remporté le grand prix du jury.
Bertrand Bonello fait partie des « grands auteurs » du cinéma français contemporain, sélectionné trois fois en compétition à Cannes (la dernière fois pour son meilleur film à ce jour, « Saint Laurent » en 2014). Son nouveau film a pourtant atterri à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes cette année – est-ce parce que la case « morts-vivants » était justement déjà doublement occupée en sélection officielle ?

Zombie classique
Pourquoi le cinéma d’auteur s’est-il emparé de la figure du zombie cette année ? La réponse semble être « pour le gag » chez Jarmusch, tant son film s’avère creux. Chez Diop, c’est évidemment pour la métaphore – ces zombies relèvent d’ailleurs presque de la poésie. Chez Bonello, dont le film est le moins évident des trois, c’est d’abord pour le mystère.

 
Jamais hilarant, « The dead don’t die » ressemble à une comédie qui ne décolle jamais – et qui semble même faire exprès de ne pas le faire (c’est la patte Jarmusch). C’est donc assez ennuyeux. Les zombies ressemblent à l’idée que tout le monde s’en fait. Jarmusch s’amuse plus à glisser des caméos de stars qu’à développer un propos. Un signe qui ne trompe pas : pour finir son film, Jarmusch est obligé de recourir au coup du métacinéma – les personnages avouent tout à coup qu’ils ont lu (ou pas) le script du film. Le manque d’inspiration est alors flagrant. Au final, « The dead don’t die » ne vaut que pour quelques séquences-gags – même si elles reposent sur des recettes déjà bien éprouvées par le réalisateur : apathie, répétition, caméo rigolo de Iggy Pop – et Tilda Swinton, toujours excellente.

Zombie poétique
Bien plus intéressant est le film « Atlantique » de Mati Diop – même s’il n’est pas pour autant complètement réussi. Son ancrage à Dakar est déjà dépaysant. L’absence de perspective, l’appel du large et de la fuite (les plans sur l’océan, répétitifs mais vraiment envoûtants) sont superbement rendus. Le rythme lent du film accroît la sensation d’enfermement.


          Il y a beaucoup de belles idées de mise en scène, mais elles ne sont hélas pas forcément exploitées jusqu’au bout et frôlent parfois le caractère gratuitement « poétique » : comme les zombies justement, trop lourdement métaphoriques.

Zombie historique
« Zombi child » est partagé entre deux lignes temporelles qui n’ont a priori rien à voir entre elles : l’une à Haïti dans les années 1960 qui raconte un cas de « zombification » (à l’origine du mythe), l’autre de nos jours à Paris suit des lycéennes de la Maison d'éducation de la Légion d'honneur. Les deux sont fascinantes, et gagnent chacune en originalité en étant confrontée sans transition ni explication à l’autre. De fait, le lien mystérieux qui existe entre ces deux lignes narratives si contrastées excite la curiosité. Leur point commun est le traitement réaliste. Les dialogues des jeunes filles, fortement teintés de bizarrerie adolescente, sonnent particulièrement justes (et sont drôles).


          Les films de Bertrand Bonello sont d’une ambition visuelle rare, « Zombi child » n’y fait pas exception. Bonello aime les séquences muettes qui captivent par la seule force des images (le segment haïtien du film), à l’image des films de Kurbick (s’inscrire dans sa lignée de Kubrick est d’ailleurs assez rare en France !).
          Des trois cinéastes cités ici, il s'avère le plus original. Son zombie n'a pas l'évidence de ceux de Jarmusch, et contrairement à ceux de Diop, il voit son caractère métaphorique gommé par l'aspect « historique » de son zombie et son réalisme. Il résiste à la compréhension – et c'est ce qu'on pouvait espérer de mieux de la part d'un tel cliché ambulant du cinéma d'horreur.

On retiendra…
En remontant aux sources du « zombie » et en le confrontant à l’actualité, Bonello s’avère le plus original sur l’utilisation du zombie au cinéma.

On oubliera…
L’absence d’idées de Jarmusch, qui provoque l’ennui.

« The dead don’t die » de Jim Jarmusch, avec Adam Driver, Bill Murray,…
« Atlantique » de Mati Diop, avec Mama Sané, Amadou Mbow,…
« Zombi child » de Bertrand Bonello, avec Louise Labeque, Wislanda Louimat,…