Depuis
« P’tit Quinquin » en 2014, Bruno Dumont a opéré une métamorphose
spectaculaire et sidérante de son cinéma – du sérieux extrême à la loufoquerie
pure. Il tourne chaque année un film ou une série télé, qui a selon les circonstances
de production les honneurs d’une sortie en salles. C’est le cas de
« Jeanne », la suite de « Jeannette », formant un diptyque
sur Jeanne d’Arc, adapté du poète Charles Péguy.
Pourquoi aller le voir ?
Comme
« Jeannette », « Jeanne » est une sorte de comédie
musicale. Mais le cinéaste n’aime pas se répéter et a donc encore décalé
l’aspect musical de son film par rapport à « Jeannette » : la
musique a été confiée au chanteur Christophe (qui signe notamment quatre
chansons). Les comédiens n’interprètent plus les chansons ni ne dansent comme
dans « Jeannette », la forme musicale du film est beaucoup plus
classique, voire austère : Christophe chante seul toutes les chansons, et
celles-ci ne sont accompagnées de quasiment aucune action à l’écran. Ainsi, la
première chanson, « Chef de bataille », est seulement accompagnée
d’un très long regard caméra de Jeanne. Mais ces chansons, qui reprennent comme
les dialogues le texte de Charles Péguy, sont vraiment superbes et donnent
admirablement le côté mystique au destin de Jeanne qui intéresse tant Bruno
Dumont.
Un aspect
amusant du cinéma de Dumont est qu’il est farouchement ancré dans le nord de la
France : les plages du Nord qui servaient déjà de décor à « Ma
loute » et « Jeannette » figurent ici les abords de Paris ou
d’Orléans (il suffit juste qu’un personnage dise que ces villes se trouvent
« de l’autre côté de la colline » pour que ce soit crédible), la
cathédrale d’Amiens remplace avantageusement la chapelle royale du château de
Rouen, et un blockhaus fait même office de prison !
Pourquoi ne pas aller le voir ?
On pensait
ne jamais se remettre du virage de Dumont dans la comédie. Mais force est de
constater que depuis « P’tit Quinquin », film après film, la
nouveauté s’émousse. Dans « Jeanne », la plupart des ficelles de la
mise en scène de Dumont paraissent usées. Il opère des décalages en confiant le
texte ardu de Péguy à des comédiens non-professionnels, à la diction et aux
manières étranges (beaucoup d’écarquillements de yeux, tels ceux du
commissaires de « P’tit Quinquin »). C’est à la fois comique et
émouvant (une vérité de jeu se dégage)… puis répétitif et ennuyeux. Or le film est
essentiellement une longue succession de dialogues (ou monologues), plutôt
difficiles à comprendre. De fait, si l’on y ajoute le jeu avec les décors,
« Jeanne » se rapproche plus du théâtre que du cinéma.
Bruno
Dumont a-t-il bouclé sa période « comique » ? Il est en tout cas
revenu à une forme de cinéma très « théorique » : dans « Jeanne »,
on comprend les intentions de mise en scène, on les trouve même admirables,
mais le résultat est ennuyeux à regarder et ne suscite pas d’émotion. Hormis
(ou presque) lors des chansons, « Jeanne » ne touche que l’intellect
et pas le cœur. Dumont semble avoir fait le tour du nouveau terrain
cinématographique qu’il avait ouvert il y a cinq ans avec « P’tit Quinquin ».
Espérons qu’il aille en défricher un nouveau pour son prochain film.
On retiendra…
Les chansons de Christophe,
qui apportent l’émotion absentes par ailleurs du film. L’interprétation de Lise
Leplat Prudhomme, très convaincante.
On oubliera…
Trop immobile, trop théorique,
trop répétitif : « Jeanne » ennuit beaucoup.
« Jeanne » de Bruno
Dumont, avec Lise Leplat Prudhomme,…
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