jeudi 5 février 2015

La marche (It follows)

Les titres français des films anglophones laissent souvent perplexes. Est-ce la popularisation du verbe « follow » par Twitter qui a encouragé le distributeur d’ « It follows » à garder ce titre sonnant plutôt mal ? Ou par manque d’imagination ? Il était difficile en effet de trouver un autre titre que cette simple formule, qu’on pourrait traduire par « ça me suit » : le film est l’histoire d’une adolescente américaine et de ses amis poursuivi par une « chose ». Un être aux physiques multiples : la chose se cache derrière l’allure de parfaits inconnus, mais aime aussi prendre l’apparence de proches disparus de sa proie. Lente et rectiligne, on reconnait la chose à sa démarche, car ce monstre est d’autant plus effrayant qu’il poursuit sa victime, où qu’elle se trouve, en marchant, et en prenant son temps.


Jeu de piste
         Cette idée de départ, née d’un cauchemar d’enfance du réalisateur, a donné naissance à un film qui – c’est rare – n’usurpe pas son qualificatif « d’horreur ». L’idée très visuelle de cette malédiction incarnée, impossible à refouler, permet à David Robert Mitchell de déployer une mise en scène très efficace, esthétique et intelligente. L’angoisse vécue par les personnages, extrêmement forte à la découverte de la chose, puis sourde et lancinante lorsqu’elle se transforme en torpeur fataliste, est communiquée au spectateur par le jeu de piste permanent auquel le soumet le réalisateur. La chose peut en effet se cacher dans n’importe quel plan. Le spectateur, tout comme les personnages, reste donc perpétuellement à l’affut d’un signe du monstre. On croit parfois le deviner au loin, sans en être certain… Chercher la chose, et en même temps redouter son irruption, rester en tout cas sur ses gardes, et ne jamais relâcher son attention : procurer ces états à ses spectateurs c’est faire montre d’une grande habileté. Retors, David Cameron Mitchell nous fait même parfois reconnaitre la chose avant les adolescents – et l’angoisse se mue alors en terreur…
La paranoïa créée par la mise en scène est déjà instillée dans l’esprit des spectateurs par la superbe photographie de Mike Gioulakis, très crépusculaire : la lumière-même semble receler une menace. La composition des plans est elle-aussi à saluer pour sa beauté, avec ces mouvements de caméra lents et géométriques - traduisant la peur et la fatalité.

Propice aux interprétations
         « It follows » peut prétendre au titre de petit chef-d’œuvre d’horreur car son scénario l’amène plus loin qu’une très belle réussite formelle. En choisissant pour héros des adolescents américains, le cinéaste fait de son film une métaphore très noire de la découverte de la sexualité et de l’entrée dans le monde adulte. Avec son histoire cachée de deuil placée dans les creux de la fiction, « It follows » superpose les niveaux de lecture, donnant encore plus de mystère à ce long-métrage très envoûtant.

On retiendra…
Une mise en scène qui manipule ses spectateurs avec brio et intelligence. Un jeu de piste qui se retrouve jusque dans les niveaux de lecture du film.

On oubliera…
Quelques scènes un peu grotesques, où le réalisateur abuse un peu de ses effets.


« It follows » de David Robert Mitchell, avec Maika Monroe, Keir Gilchrist,…

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