samedi 14 mai 2016

Woody Allen : what else ? (Café society)

Qu’a donc de particulier le Woody Allen millésime 2016, « Café society » ? Qu’il ouvre le 69ème festival de Cannes ? Pas vraiment : c’est la troisième fois que l’une des œuvres du réalisateur donne le coup d’envoi des projections à Cannes (pour l’ouverture d’un festival de cinéma, Woody Allen est peut-être la seule et unique valeur refuge). On citera donc plutôt le changement de chef opérateur : Darius Khondji a laissé place à Vittorio Storaro. Un remplacement qui peut paraître anecdotique – et en effet, Storaro reproduit des ambiances et des lumières très similaires à celles de Khondji – mais a en fait son importance. S’il y a en effet une chose qui surprend un peu dans ce nouveau film de Woody Allen, ce sont les mouvements de caméra, plus nombreux qu’à l’ordinaire (l’ordinaire consistant surtout en plans fixes). Faut-il voir, derrière ce champ inhabituellement mobile, les prémisses d’une future évolution de la réalisation de Woody Allen ? On le saura l’année prochaine.


Problématique constance
Pour le reste, « Café society » déroule, sur une histoire de triangle amoureux, un programme assez convenu, parfois même un peu ennuyeux – ce film-ci est un peu moins drôle que la moyenne. Il y a certes une nouvelle venue, Kristen Stewart, mais elle s’est si bien intégrée à l’univers du cinéaste qu’elle ne fait rien déborder de ce qui, pour le spectateur, ressemble à une routine. Une routine évidemment plutôt virtuose… mais toutes les qualités du film (interprétations impeccables, lumière magnifique, coups de théâtre habilement ménagés) ne sauront pas faire départir le sentiment de déjà-vu qui imprègne l’œuvre, et diminue grandement l’émotion qu’il entendait susciter. La dernière partie du film, sur les années enfuies, le passé perdu et les regrets de jeunesse, vise à la mélancolie, mais la force de ce sentiment est diminuée par l’absence manifeste de toute trace de passage du temps sur les visages des acteurs Jesse Eisenberg et Kristen Stewart, qui restent éternellement jeunes. C’est peut-être le seul défaut de réalisation du film (récurrent dans le cinéma de Woody Allen) mais il n’y a rien, de l’autre côté de la balance, rien qui puisse motiver un quelconque enthousiasme.
« Café society » n’est donc pas un événement dans la filmographie décidément trop constante du cinéaste new-yorkais. Mais il annonce quand même une possible évolution de la manière de filmer du cinéaste – évolution que l’on sera donc curieux d’observer.

On retiendra…
La virtuosité habituelle du cinéaste, qui filme ici avec une caméra plus mobile qu’à l’ordinaire.

On oubliera…
La virtuosité habituelle du cinéaste, qui, délivrée chaque année, et ce depuis quarante ans, peut aujourd’hui ennuyer.


« Café society » de Woody Allen, avec Jesse Eisenberg, Kristen Stewart, Steve Carrell,…

samedi 23 avril 2016

The migrant (Desierto)

Contrairement à ce que le marketing veut nous faire croire (« Par les créateurs de Gravity » promet l’affiche du film), il ne s’agit pas d’un film d’Alfonso Cuarón – mais de son fils, Jonas. « Desierto » est son deuxième film et ressemble effectivement, par son scénario, à « Gravity » : comme ce dernier, c’est un « survival » dans un désert (la frontière américano-mexicaine) où un personnage principal, interprété par (l’incontournable) Gael Garcia Bernal, fera tout pour rentrer chez lui. Au cours de la traversée illégale de la frontière, lui et son groupe de migrants mexicains sont pris littéralement en chasse par un américain xénophobe et son chien…


La difficulté du dosage
Après quelques beaux plans d’ouverture, où l’aridité des décors filmés comme des aplats de couleur rend quasiment abstrait les premières images du film, « Desierto » déçoit assez rapidement. Le film en dit à la fois trop et pas assez sur ces personnages. D’un côté les migrants sont caractérisés à gros traits, au moyen de quelques astuces de mise en scène sursignifiantes (le nounours de Gael Garcia Bernal) qui peinent à les faire exister autrement que comme des fonctions du scénario. De l’autre le méchant du film, l’américain chasseur, est bien peu mystérieux. Montré au spectateur dès le début du film, il est trop visible pour être terrorisant. Ses actes le sont, bien évidemment, mais parce qu’elle ne cache pas ce personnage, le mise en scène « omnisciente » du film ne fait pas vraiment peur. (La réalisation, si elle était restée collée au point de vue de Gael Garcia Bernal, aurait sûrement été plus forte dans ses effets.) De plus, Jonas Cuaron ne résiste pas à faire un peu de psychologie et d’expliquer au spectateur ce personnage du chasseur. C’est encore une erreur de dosage : ces explications empêchent le personnage de devenir une figure terrifiante d’abstraction, et en même temps ne suffisent pas à faire comprendre au spectateur les actes du chasseur…
« Desierto » pâtit en fait d’une trop grande ambition. Comme Alfonso Cuarón ou Iñárritu,  le réalisateur a voulu hisser un film de genre (le film de survie) à une dimension supérieure plus noble, à la fois mythique (on découvre ébahi dans le générique de fin que le personnage principal s’appelle… Moïse) et politique (le sujet des migrants). Sauf qu’il échoue à la fois à faire un bon « survival » et une métaphore signifiante de l’horreur de la migration. « Desierto » se retrouve coincé pile entre ses deux volontés.
Reste une poursuite finale autour d’un rocher assez drôle par son minimalisme. Mais le film s’abimera une dernière fois dans une fin agaçante par sa fausse moralité (identique à celle de « The revenant », à ceci près que Gael Garcia Bernal est à des millénaires de la folie montrée par DiCaprio dans le dernier plan du film d’Iñárritu). Jonas Cuarón, s’il ne manque pas d’ambition, a donc encore du chemin à faire avant de se rapprocher de son modèle paternel.

On retiendra…
Le désert et son silence est un formidable décor qui a su être exploité dans quelques beaux plans. Une course-poursuite finale minimaliste.

On oubliera…
A cause de mauvais choix de mise en scène et d’écriture, le film passe complètement à côté de ses ambitions métaphorico-politiques.


« Desierto » de Jonas Cuaron, avec Gael Garcia Bernal, Jeffrey Dean Morgan,…

dimanche 3 avril 2016

Le déclin d’un genre ? (Batman v Superman)

En reliant ses films de super-héros en une seule histoire (supposément) cohérente, appelée le « Marvel Cinematic Universe », Marvel-Disney a suscité la convoitise de tous les autres grands studios hollywoodiens. Les milliards de dollars amassés par ces films qui se répondent les uns les autres ont poussé dans un bel élan d’inspiration créatrice WarnerBros, 20th Century Fox, Universal, Paramount et Legendary Pictures à préparer leur propre « univers cinématographique de super-héros », qui pourra être décliné en une multitude de films.


Mission impossible
C’est dans ce cadre que sort « Batman v Superman ». Comme l’indique très simplement son titre, l’idée première du film est de faire s’affronter les deux super-héros les plus célèbres (idée reprise immédiatement par Marvel dans un autre bel élan d’inspiration créatrice, cf « Captain America : civil war »). Mais c’est bien plus compliqué que cela : le film doit aussi être la suite de « Man of steel », tout en étant un reboot de la saga « Batman », ainsi que la préquelle de « Justice League » (l’équivalent DC Comics des « Avengers » de Marvel). Un cahier des charges si lourd qu’il vire à la mission impossible, confié à Zack Snyder, le génial réalisateur de « 300 » et « Sucker punch », déjà auteur de « Man of steel ». On ne s’étonnera donc pas que le film ne ressemble à rien, si ce n’est peut-être à la suite de « Man of steel ». « Batman v Superman » échoue à peu près sur tous les tableaux.

Nolanisé
Le film commence par nous raconter une nouvelle fois la genèse de Batman, joué cette fois-ci par Ben Affleck. Au passage, l’acteur est toujours aussi mauvais, mais a le mérite d’être complètement raccord avec l’interprétation tout aussi inexpressive d’Henry Cavill (Superman). C’est complètement inintéressant : comment nous faire adhérer à ce nouveau Batman, alors que tout le monde a encore en tête les trois films de Christopher Nolan, sortis entre 2005 et 2012 ? D’autant plus que cette nouvelle version du justicier masquée est très proche de celle imaginée par Nolan, dont elle essaie à peine de se démarquer…
La deuxième partie du film ressemble à une suite de « Man of steel ». J’ai déjà discuté ici de tous les problèmes attachés à cette représentation « nolanisée » de Superman : ce personnage est par essence trop ridicule et trop surhumain pour qu’on puisse le traiter avec la même gravité que Batman dans la trilogie « The dark knight ». Les défauts de « Man of steel » se retrouvent donc logiquement dans « Batman v Superman », notamment ce décalage entre le sérieux de la représentation de Superman et le comique qu’elle engendre involontairement… Pourtant, cette partie du film est peut-être la plus intéressante sur le plan du scénario car elle ébauche un début de réflexion sur la toute-puissance (la superpuissance de Superman, qui se rapproche de celle de Dieu, constitue à la fois une protection et une menace pour l’humanité)… mais elle agace car le scénario reprend la même construction narrative que les trois épisodes de « The dark knight ». Il s’agit une fois de plus d’un piège moral mis en place par un grand méchant, ici joué par Jesse Eisenberg, pour contraindre le super-héros à faire le mal… Le souvenir du Joker joué par Heath Ledger et des autres méchants de Nolan est encore trop frais pour que les manigances de Lex Luthor fassent penser à autre chose qu’à du déjà-vu. De plus, le jeu excessif de Jesse Eisenberg, qu’on était pourtant curieux et content de voir ici, se révèle très mal contenu : ses premières apparitions font sourire, puis les excentricités de l’interprétation deviennent à la longue profondément énervantes.

Marvelisé
La dernière partie du film n’est plus qu’un déluge d’action où l’on voit enfin combattre les deux super-héros. Le combat de Batman et de Superman est plutôt impressionnant, et contient même un lointain second degré (les pièges de Batman qui échouent les uns après les autres, la jubilation de détruire le décor à coups de coups de poings) qui rend illico la scène plus intéressante que tout ce qui avait précédé.
Mais le film se remettra bien vite dans des rails nettement plus conventionnels : comme absolument tous les films de super-héros, il s’agira une fois de plus d’une alliance de super-héros contre un boss final très méchant. Là encore, le sentiment de déjà-vu est trop fort pour susciter un quelconque intérêt. La seule bizarrerie vient de l’arrivée dans le combat de Wonder Woman, qui ressemble à une guerrière de l’âge de bronze. Elle explose les jauges de ridicule du film et rend définitivement boiteuse cette séquence censée nous faire verser des larmes d’émotion par sa résolution.
Le film, qui n’avait pas eu de vrai début, se termine évidemment sur une non-fin ouvrant sur les épisodes futurs, dans la même logique des films Marvel qui ressemblent de moins en moins à des films et de plus en plus à des morceaux de films laissant perpétuellement sur sa faim le spectateur. Autre (gros) point d’énervement : « Batman v Superman » crée artificiellement des connexions avec des films « spin-off » déjà en chantier chez WarnerBros. On a parfois l’impression que la narration fait des écarts juste pour nous faire la promotion des prochaines productions du studio !

Lassé
Au final, cet énième film de super-héros pâtit de la lassitude générée par le trop grand nombre de films de super-héros, tous semblables, produits par Hollywood en dix ans. « Batman v Superman » se contente de reproduire deux recettes gagnantes : celle du concurrent Marvel et celle de la trilogie « The dark knight » de Christopher Nolan. C’est très décevant, puisque en confiant ce film à Zack Snyder, WarnerBros semblait faire le pari d’un « DC cinematic universe » mis en scène non pas par des faiseurs comme chez Marvel, mais par des auteurs. Sauf que « Batman v Superman » ne ressemble pas à un film de Zack Snyder (encore moins que « Man of steel »), excepté une seule et unique séquence (d’ailleurs complètement gratuite dans la narration !), et qui est de loin la meilleure du film : il s’agit d’un cauchemar situé dans un décor post-apocalyptique, où Batman combat des sbires de Superman le temps d’un plan-séquence  comme Snyder sait si bien les faire… C’est à ça qu’aurait dû ressembler « Batman v Superman » pour être original, c’est peut-être à ça qu’aurait ressemblé « Batman v Superman » si Zack Snyder avait eu les coudées franches pour réaliser ce blockbuster de masse ployant sous ses enjeux commerciaux faramineux.

On retiendra…
Une séquence terrifiante (un cauchemardes de Batman), à la direction artistique surprenante, proposant une scène d’action trépidante, mais qui ne dure que quelques minutes.

On oubliera…
Un film sans début ni fin et faisant la promotion de ses suites et dérivés, aux airs de déjà-vus (et déjà-entendus pour la musique de Hans Zimmer), puisqu’il copie sans imagination la formule Marvel et la trilogie Batman de Nolan.

« Batman v Superman » de Zack Snyder, avec Henry Cavill, Ben Affleck,…

mercredi 16 mars 2016

Les abysses de l’esprit (Evolution)

Voilà un film bien étrange. C’est en effet un film français… de science-fiction. Plus exceptionnel encore, « Evolution » est même un bon film de science-fiction (récompensé au festival du film de Saint-Sébastien).


Métaphores visuelles
Ce deuxième long-métrage de Lucile Hadzihalilovic raconte la vie d’une communauté isolée où tous les adultes sont des mères et tous les enfants des garçons. A l’image du film, l’intrigue est minimaliste : il s’agira de lever petit à petit le mystère de cette communauté. L’intrigue est si étique que le film ressemble d’ailleurs à un court-métrage étiré un peu abusivement en un long. Mais la lenteur qu’on pourrait qualifier de  contemplative a en fait une raison : la soumission totale de cette œuvre audiovisuelle au pouvoir de ses images. Ce qui prime en effet, et ce qui a peut-être motivé sa réalisation du film, ce sont ces images fortes que le film déroule dans son rythme engourdi (un rythme qui n’est pas sans raison narrative – mais en dire plus révélerait des pans de l’intrigue). Les dialogues sont rares, et lorsque les personnages parlent, c’est souvent pour ne rien dire d’important.
« Evolution » est donc visuellement très beau, et très évocateur – on sent que cette histoire tient à cœur à la réalisatrice. Elle a réussi à insuffler un mystère persistant à chacune des images, en utilisant notamment l’étrangeté de ces décors naturels – des plages de Lanzarote aux fonds marins, tous les paysages semblent extra-terrestres –, au risque de verser parfois de l’illustration. La rétention d’informations est l’autre source du mystère du film, et c’est aussi là qu’il trouve sa limite. Car une fois que le spectateur a percé à jour le fonctionnement de la communauté, la lenteur du film, qui épaississait auparavant le mystère, devient subitement insistante et lourde. Une accélération aurait été souhaitable dans sa dernière partie.
« Evolution » n’en reste pas moins un film marquant, singulier, décalé, qui en interloquera plus d’un.

On retiendra…
Un mystère déployé narrativement comme visuellement, par de très belles images.

On oubliera…
La lenteur du film ne crée plus sur la fin du film du mystère mais de l’ennui.


« Evolution » de Lucile Hadzihalilovic, avec Max Brebant, Julie-Marie Parmentier, Roxane Duran,…

jeudi 3 mars 2016

Le nouveau « nouveau monde » (The revenant)

Le mexicain Alejandro Gonzalez Iñarritu a connu une ascension fulgurante (six longs-métrages depuis 2000, tous récompensés à Cannes puis aux Oscars) jusqu’au sommet de la cinéphilie mondiale, où il se trouverait désormais bien installé, si l’on en croit les trophées qu’on lui décerne (prix de la mise en scène au festival de Cannes avec « Babel » en 2006, Oscar du meilleur réalisateur deux années de suite en 2015 et 2016).
Or sa récente montée en puissance a un nom : Emmanuel Lubezki. Mexicain lui-aussi, Lubezki est depuis « Le nouveau monde » (2006) le chef opérateur de Terrence Malick  – une information qui se suffit à elle-même pour justifier sa position de meilleur chef opérateur au monde[1]. La virtuosité folle des cadrages de Lubezki a joué pour beaucoup dans l’appréciation l’an dernier de « Birdman » : la forme du plan-séquence unique a impressionné. Une forme si parfaite qu’elle constituait à la fois la première qualité du film… et son plus grand défaut. L’œuvre, rendue prétentieuse par la grandiloquence de sa mise en scène, sombrait en effet dans un trop-plein boursouflé et sans issue (la fin décevante qui arrive bien trop tard).


Malick narratif
Un an plus tard, Iñarritu revient avec « The revenant ». Il n’est pas surprenant de constater que le film a les mêmes qualités et défauts que « Birdman ». Ce qui frappe en premier lieu devant « The revenant » ce sont les renvois constants au cinéma de Terrence Malick (et plus particulièrement à « Le nouveau monde » et « The tree of life »). Les cadrages, la lumière, la nature omniprésente, la notion de sacré : tout est là, sauf les mystérieuses voix off et l’hermétisme mystique de la narration malickienne. On ne pourrait mieux résumer la mise en scène de « The revenant » qu’en la qualifiant de « Malick narratif », ou « Malick intelligible ». Il est même surprenant, au début du film, d’entendre les personnages parler – tant le cinéma de Malick nous avait habitué au silence de ces personnages.
Cette mise en scène, si elle n’est pas nouvelle, n’en reste pas moins fort rare… et surtout, magnifique. La caméra de Lubezki nous plonge au cœur de l’action, au plus près des personnages. On est littéralement à leurs côtés, et même à certains moments dans leur esprit, dans leur perception du monde. Les cadrages de Lubezki apportent donc, outre une beauté inouïe à tous les plans du film (tous : c’est ça qui est dingue), une sensation de réalisme extrêmement forte et prégnante, qu’Iñarritu utilise une fois de plus très bien. Dans « Birdman », il s’en servait pour jouer avec les niveaux de réalité, ici dans « The revenant » le réalisme accentue la violence des sévices subis par le personnage interprété par DiCaprio et la dépeint avec une vérité froide. Impossible de ne pas être traumatisé par la scène de l’attaque du grizzli, ou par le duel final (dixit mon voisin de siège écœuré à l’issue de la séance : « Je ne recommanderais pas ce film, même à mon pire ennemi »). Or montrer la violence – celle des hommes, indiens comme colons, celle de la nature – sans s’y complaire ni en faire un spectacle est l’un des grands projets du film, c’est donc complètement réussi. La meilleure preuve de cette réussite est le malaise provoqué par les scènes les plus violentes, ou la peur qu’inspirent les scènes de bataille (plutôt que l’excitation épique). Pour retrouver des précédents cinématographiques aussi bruts et sauvages, et aussi premier degré, il faut remonter à « Le guerrier silencieux » de Nicolas Winding Refn (2010), ou à la scène de combat dans un sauna de « Les promesses de l’ombre » de David Cronenberg (2007).
Il y a donc d’excellentes raisons de considérer ce film comme un chef-d’œuvre. Sa beauté et sa sauvagerie sont si impressionnantes qu’au moment de noter le film je n’ai pas pu me résoudre à mettre moins de 5/5. Pourtant, le film a des défauts. Il a, plus exactement, les défauts de ses qualités.

Prétention
Le sérieux absolu avec lequel est racontée cette histoire, s’il confère une force brute sans pareille au film, le leste aussi d’une lourdeur virant à la grandiloquence dans ses passages que l’on pourrait qualifier de « spirituels ». « The revenant » est émaillé de souvenirs/flash-back qui sont autant de plongées dans la psyché de son personnage principal. En lui donnant un passé, ces souvenirs permettent de creuser la figure du trappeur joué par DiCaprio, mais ils sont mis en scène avec un symbolisme très pesant (ce qui en fait d’authentiques séquences malickiennes, puisque certaines sont mêmes accompagnées d’une voix-off !) et sursignifiant, dont le film n’avait peut-être pas besoin.
La perfection de la photographie, la sophistication de la forme et la grandiloquence latente de la mise en scène (comme dans « Birdman », Iñarritu refait tomber une météorite, et on ne sait toujours pas pourquoi) rendent le film prétentieux. Beaucoup moins que « Birdman », mais c’est encore gênant. On sent une volonté très forte d’Iñarritu à vouloir écraser ses spectateurs par la force de son génie, en enchaînant les moments cinématographiques parfaits. C’est effectivement dingue ; être impressionné comme cela, c’est quelque part ce qu’on attend des grands films, mais ici c’est à un point tel que l’on y distingue l’ego surdimensionné du cinéaste. Or, il est tout à fait possible d’impressionner sans surplomber ses spectateurs…

Performance
L’autre pierre d’achoppement de « The revenant » est l’interprétation de DiCaprio. Effectivement, l’acteur-star au parcours sans faute depuis quinze ans est énorme dans ce film. Mais son interprétation est indissociable de la performance. C’est problématique dans les moments les plus fous du film. On ne pense alors non plus à l’histoire racontée par le film, mais à son tournage-même. On ne voit plus le personnage (le trappeur luttant pour sa survie) mais l’acteur (DiCaprio luttant pour avoir l’Oscar). L’attaque du grizzli apparait ainsi comme la première épreuve d’une série rapprochant DiCaprio de l’Oscar du meilleur acteur.
C’est une des cruelles leçons du succès du film à la cérémonie des Oscars : il faut se faire déchiqueter par un ours, ramper dans la neige, brûler ses plaies, se noyer dans des rapides, manger de la viande crue, tomber d’un précipice, dormir dans la carcasse d’un cheval, et j’en passe, pour avoir le droit à sa statuette (alors qu’il y avait eu avant tant d’occasions « honorables » de le récompenser). Sur ce plan-là, malgré la relative retenue de DiCaprio – l’acteur n’en fait pas des tonnes, il ne cabotine jamais –, le film ne possède pas un second degré (que ce soit de l’humour comme Jean Dujardin dans « The artist » ou une mise en abyme comme Natalie Portman dans « Blackswan ») pouvant alléger cette lecture de l’interprétation comme une performance à Oscar.
Qui restera donc, à l’image du film, impressionnante… mais problématique.

On retiendra…
La photographie et les cadrages magnifiques d’Emmanuel Lubezki, qui donnent un réalisme hallucinant et hallucinatoire au film. L’interprétation de DiCaprio.

On oubliera…
La perfection de la forme et les obsessions du cinéaste donnent un côté pompeux et prétentieux au long-métrage. L’interprétation de DiCaprio.

« The revenant » d’Alejandro Gonzalez Iñarritu, avec Leonardo DiCaprio, Tom Hardy,…




[1] Il vient aussi de remporter pour la troisième année consécutive l’Oscar de la meilleure photographie, pour « Gravity », « Birdman » et « The revenant ». Triple sacre nettement moins commenté que le doublé, bien moins justifié pourtant, d’Iñarritu…

jeudi 25 février 2016

Pépite finale (Le trésor)

Il y a des films qui vous marquent à jamais. Des bons, comme des mauvais. « Policier, adjectif » appartenait sans conteste à cette deuxième catégorie. J’ai déjà raconté ici l’incroyable projet artistique de ce film, qui peut se résumer à filmer l’ennui de manière ennuyeuse, et qui avait valu à son réalisateur Cornelio Porumboiu le prix du jury à « Un certain regard » en 2009. En 2015, il revenait à Cannes avec un nouveau film, « Le trésor », qui a lui-aussi été récompensé d’un prix à « Un certain regard ». C’était forcément intrigant. Il fallait retenter l’expérience du cinéma de Porumboiu.


Austère jusque dans son humour
L’argument de « Le trésor » est, comme l’indique son titre, une chasse au trésor. Ne pas s’imaginer pour autant un film d’aventure : le projet cinématographique de Porumboiu n’a pas changé depuis « Policier, adjectif », soit filmer le quotidien dans ce qu’il a de plus déceptif et ordinaire, jusqu’à l’absurdité. Le héros, Costi, se voit proposer par son voisin endetté jusqu’au cou de rechercher dans le jardin d’une maison familiale un trésor supposé enterré avec un détecteur de métal. Dans ce film, on verra donc beaucoup les personnages du film scanner un jardin et y creuser un trou, mais on verra surtout Costi batailler avec l’administration (celle de son employeur, du loueur de détecteur de métal, la police, la banque), dont l’inertie et la corruption seront épinglées avec l’efficacité lente et minimale qui caractérise la réalisation (le film dresse ainsi en filigrane un portrait de la Roumanie d’aujourd’hui).
La forme de « Le trésor » est tout aussi austère que celle de « Policier, adjectif », et donc tout aussi inintéressante – n’était que, contrairement à ce dernier, il y a ici de l’humour. L’histoire toute entière du film est doucement absurde. Voir les efforts que doit déployer le héros pour réaliser cette action toute simple qu’est la location d’un détecteur de métal – il devra finalement mentir – fait sourire. C’est un humour particulier, original, car à combustion si lente… qu’il peut passer inaperçu. On se rend souvent compte, après coup, que ce qu’on avait vu était drôle. Cette forme d’humour est théoriquement intéressante, mais peu divertissante. C’est là tout le problème du travail de Porumboiu : sa mise en scène vaut bien plus sur le plan théorique (c’est original) que sur le plan pratique (on s’ennuie beaucoup).

Ahurissant final
A de rares moments, cependant, le minimalisme comique produit un comique gigantesque, comme lorsqu’un détecteur de métal se met à sonner en permanence au cours d’un scan. Et il y a, surtout, cette fin, qui laisse le spectateur dans un état de sidération presque infini devant le mystère absurde de cette pirouette formelle finale. La caméra s’envole dans le ciel, puis se fixe sur le soleil, pendant que commence une reprise métal de « Live is life » complètement incongrue. Ce final sauve in extremis le film de l’ennui, pour l’abîme de perplexité comique qu’il ouvre et  duquel je ne suis toujours pas ressorti.

On retiendra…
Le final, un monument d’absurdité, qui vous poursuit bien après la projection.

On oubliera…
La mise en scène minimale est terriblement austère, et l’humour si lent, parfois imperceptible, ne suffit pas toujours à réveiller le spectateur.


« Le trésor » de Corneliu Porumboiu, avec Toma Cuzin, Adrian Purcărescu,…

lundi 15 février 2016

Tomber dans le nanar (Point break)

Peut-on juger un remake, sans connaitre l’original ? Je n’ai pas vu le « Point break » de Kathryn Bigelow datant de 1991, et ne pourrais donc pas le comparer avec son remake de 2015, réalisé par l’inconnu Ericson Core et écrit par Kurt Wimmer. Mais, au moment d’en faire la critique, cela a-t-il une quelconque importance, lorsque ce qu’il y a à juger est aussi faible ? Ce « Point break » est un très mauvais film… Pourtant, il échappe à la catégorie des films sitôt vus, sitôt oubliés. Ce qui le sauve du désintérêt, c’est qu’il est tellement nul… qu’il en devient génial.



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L’intention de départ ayant guidé la réalisation de ce remake semble avoir été le rassemblement dans un seul film des images les plus spectaculaires circulant dans les vidéos de sports dits « extrêmes » : surf, escalade, vols en chute libre, snowboard, motocross, apnée… Jusqu’au combat de rue, le film catalogue l’un après l’autre ces sports extrêmes, dans un systématisme qui ôte bien vite tout réalisme et donc tout frisson aux exploits présentés, mais qui atteint effectivement à un spectaculaire original. L’autre risque de cette entreprise de listage d’images sportives hors du commun était de conférer à ce film de cinéma des allures de clip YouTube… Ecueil que « Point break » cite dès ses premières répliques, mais pas tant pour s’en moquer que pour mieux s’y vautrer tout au long des deux heures de film qui suivent.
Les personnages n’ont aucune crédibilité, aucune profondeur, et sont en définitive moins des personnages de cinéma que de clips publicitaires. La mise en scène est à l’avenant : elle se distingue par son manque de lisibilité, son incapacité à représenter un espace voire des gestes de manière claire. C’est que les séquences, qu’elles soient ou non d’action, sont toutes montées comme des clips, faisant fi de toute cohérence pour lui préférer le spectaculaire de quelques plans impressionnants.

Confusion morale
Derrière tout ça, surnagent non pas un mais des discours, qui ne cessent de s’opposer et de se contredire. « Point break » valorise la prise de risques dans la pratique des sports extrêmes, puis la dénonce quelques séquences plus loin, promeut ensuite un comportement antisystème, avant de s’en horrifier… Le film est d’une grande confusion, moralement flou. On s’en aperçoit lorsqu’on se rend compte qu’on peut lui faire dire n’importe quoi. Ce flou des intentions était déjà présent dans le scénario qui aurait mérité de nombreuses réécritures, mais a encore été accentué par les facilités de la réalisation qui achèvent de brouiller les pistes. Dans ses représentations des différents sports extrêmes, le film accumule une telle brochette de clichés et de raccourcis qu’on pense d’abord avoir à faire à une mise en scène parodique, avant de se rendre compte que ce qu’on percevait comme du second degré était du premier.
C’est de ce décalage[1], ce sérieux confinant à son insu à la parodie, et de cette naïveté mélangée à une gravité de pacotille, que nait le comique du film. Vu avec le recul approprié, la nullité se transforme en génie. C’est la définition-même du plaisir que procure un nanar.

On retiendra…
Des scènes d’action originales, car basées sur des exploits sportifs rarement exploités par le cinéma d’action.

On oubliera…
Acteurs bidons pour personnages publicitaires, scénario brouillon, réalisation plus digne d’un clip, intentions floues, le tout enrobé d’un grand sérieux : en résumé, un nanar.

« Point break » d’Ericson Core, avec Luke Bracey, Edgar Ramirez,…



[1] Que l’on retrouvait déjà dans (au moins) un autre des films écrits par Kurt Wimmer : « Equlibrium » (2002, et dont il était aussi réalisateur). Une marque de fabrique ?