Etablir un
classement des meilleurs films de la décennie qui vient de s’achever : l’exercice
est inédit sur ce blog. Etant déjà difficile à mener sur une année, ce travail,
lorsqu’il est étendu à dix ans, est évidement encore plus délicat. Garde-t-on
le même souvenir d’un film vu il y a huit ans qu’un autre vu il y a deux ans ?
Les films, une fois rentrés dans la mémoire, continuent d’évoluer. Le souvenir
que l’on en garde change. Et le film nous change aussi : chaque film
vu affine peu à peu (mais pas tous dans la même proportion…) le regard que l’on
porte sur le cinéma en général, et sur le film suivant en particulier. Un
classement est donc tributaire de l’ordre des projections… mais la règle s’applique
aussi aux cinéastes qui ont fabriqué ces films : on peut supposer qu’un
cinéaste sortant un film en 2019 aura vu les films marquants du début de la
décennie lorsqu’il préparait le sien. D’où l’importance de voir les films au
présent, à leur sortie en salles. Dix ans, c’est aussi une longue période,
pendant laquelle on a grandi, ce qui modifie autant sinon plus l’appréciation
des œuvres.
2.
Interstellar
3.
Boyhood
4.
Holy Motors
5.
Oncle Boonmee qui se souvient de ses vies
antérieures
8.
Burning
10.
Le fils de Saul
11. Faust
12. Tabou
13.
P’tit Quinquin
17.
Spring breakers
18.
Elle
19.
Le guerrier silencieux
20.
Black swan
Malgré
toutes ces difficultés, des évidences s’imposent. Elles sont ici au nombre de
trois : « La vie d’Adèle », « Interstellar » et « Boyhood »[1].
Pour la suite de la liste, le classement est beaucoup plus flou, à tel point
que je n’ai pas réussi à en retenir moins que 20… ce qui est déjà trop peu et laisse
en-dehors de cette liste d’excellents films (mais qui figurent dans les classements
de chaque année publiés sur ce blog) ! Notons que ce classement est dominé par les cinémas américain et français, puisque huit des films retenus viennent des Etats-Unis, et cinq de la France. Le festival de Cannes a mis en lumière la moitié de ces films lors de ces différentes éditions. Un seul film de la liste est un premier long-métrage (« Le fils de Saul »), mais trois sont issus de cinéastes ayant émergé durant cette décennie (Xavier Dolan, Nicolas Winding Refn, László Nemes). Enfin, trois de ces films sont des blockbusters.
Le cinéma
en dix ans a bien changé. D’abord par ses conditions de projection : il est
devenu quasi-exclusivement numérique, la pellicule étant maintenant réservée
aux cinémathèques, festivals et à de très rares sorties événements (« Once
upon a time in Hollywood » est le dernier exemple en date). L’euphorie de
la 3D, qui battait son plein en 2010 dans le sillage de la sortie d’« Avatar »,
est lentement retombée mais s’est installée dans les usages – malheureusement, pour
les blockbusters hollywoodiens seulement ou presque (parmi les rares exceptions,
qui datent plutôt de la première moitié de la décennie, l’exemple le plus
marquant est sans conteste « Adieu au langage » de Jean-Luc Godard).
Les salles
de cinéma elles-mêmes ont changé, elles tendent désormais à être plus petites, pour répondre à l’augmentation incessante du nombre de sorties, et plus luxueuses
(jusqu’à l’excès : l’aberration du format de projection 4DX).
Quand les
films sortent encore en salles : les modalités de sorties des films aussi
ont changé. L’une des évolutions majeures de la décennie, liée à la
numérisation du cinéma, est la dématérialisation du film, qui a permis la
montée en puissance des séries (qui ne sont donc plus forcément télévisées). En
prenant en compte les plateformes numériques, le nombre de films et de séries
proposés au public a explosé – mais pas leur qualité ! La dématérialisation brouille
les frontières auparavant claires entre ce qui relève ou non du « cinéma »
– à l’image, dans mon classement, de « P’tit Quinquin » de Bruno
Dumont (d’ailleurs la seule comédie de la liste).
En dix ans,
le cinéma hollywoodien a aussi évolué, et plutôt en mal. Les super-héros dont
les histoires répétitives se déploient dans des constellations de films plus ou
moins interconnectés se sont imposés sur les écrans du monde entier grâce aux
formidables retombées économiques qu’ils génèrent. Le film n’est désormais plus
que le produit de lancement d’une marque qui se déclinera en série télévisée, jeux,
jouets et autres produits dérivés, à l’image de ce qui est arrivé à la saga « Star
Wars » reprise par Disney. Dans ce contexte, la concentration des studios hollywoodiens
(l’absorption par Disney de la 20th Century Fox) fait craindre toujours plus
pour la créativité des blockbusters.
La manière
dont on regarde les films est aussi en train de changer. La chute d’Harvey Weinstein
à la fin de l’année 2017 est en train de bouleverser la manière dont on
fabrique et juge un film[2].
Ses répercussions (qui s’étendent bien au-delà du cinéma) sont encore loin d’être
absorbées...
Réussira-t-on
à atteindre la parité à l’écran et dans la chaîne de fabrication des films
? Quelles conséquences cela aura-t-il sur les films produits ? Comment les
salles de cinéma vont-elles résister aux plateformes de SVOD ? Des
questions passionnantes dont on a hâte de voir les prochains développements
dans cette nouvelle décennie 2020 !
[1]
Et au-dessus de tous, « 2001 : l’odyssée de l’espace », grâce à
sa ressortie en 70 mm à l’été 2018 – mais il reste hors catégorie puisqu’il ne date
pas vraiment des années 2010…
[2] Alors que
la tolérance de la société à l’égard des comportements déviants est en train de
se réduire, la décennie 2010 aura paradoxalement été aussi celle durant laquelle
ont été projetés les films réalisés dans les conditions les plus monstrueuses
qui soient, comme « Il est difficile d’être un dieu » et « DAU »…
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