C’est tel
un inconnu que Jonathan Glazer arrive en 2014 sur les écrans de cinéma avec
« Under the skin », après un passage en compétition à la 70ème
Mostra de Venise. Jeune cinéaste, il ne signe que son troisième long-métrage… dix
ans après le précédent, « Birth ».
Dix années, cela ne semble pas de trop pour préparer cette suite de visions
hallucinées qui fait de « Under the skin » un film marquant
irrémédiablement la mémoire.
L’objectivité de l’écrit et des images
Du roman éponyme
signé Michel Faber dont « Under the skin » est adapté, Jonathan
Glazer ne garde que l’intrigue générale et la localisation : une inconnue
aux traits féminins parcourt en van les routes écossaises, cherchant des
auto-stoppeurs isolés auxquels elle réserve un funeste sort… Pour le reste, le
réalisateur transcende ce pâle matériau romanesque – presque un conte philosophique
– traitant de l’« étranger ». En fait, Jonathan Glazer s’empare si
bien de cette histoire au cinéma qu’on en vient à penser que l’écrivain Michel
Faber s’est trompé de médium lorsque, le premier, il en a fait œuvre. Comment,
en effet, rendre absolument étrangers les actions et les pensées d’une entité
(au départ) non-humaine, tout en employant un langage nécessairement proche et accessible
du lecteur ? Le roman se retrouvait enfermé dans une impasse. Au
contraire, Jonathan Glazer montre qu’il est possible, par l’objectivité des
images, d’exposer une altérité irréductible et incompréhensible, sans détruire
l’intérêt de son œuvre pour ses spectateurs.
Double étrangeté
Tout est étranger dans « Under the skin »,
et pourtant ses situations relèvent du commun : on y suit, la majeure
partie du temps, une conductrice perdue demander son chemin à des hommes
isolés, en leur proposant un voyage en stop. Mais quelque chose cloche dans
l’attitude de la conductrice, qui tient à sa posture, son regard, ses
émotions : elle semble en décalage avec la population d’hommes seuls
qu’elle accueille dans son mini-van. Cette impression est encore plus vive
lorsqu’elle se retrouve au milieu d’une société (la conductrice traverse
parfois des villes, voire s’y arrête). Ce décalage entre la conductrice et
l’humain, en forçant le déplacement du regard, rend tout étranger : non
seulement la conductrice, donc, mais aussi cette humanité qui, bien qu’elle ne
fasse rien d’extraordinaire (rentrer à pied du travail, se promener en bord de
mer, faire ses courses, se retrouver dans une boîte de nuit) n’a jamais parue
aussi mystérieuse et bizarre !
Jonathan Glazer a eu l’idée géniale, pour faire
naître cette double étrangeté, de faire jouer la non-humaine par une star
planétaire, Scarlett Johansson, et, de la filmer en caméra cachée demander son
chemin à de parfaits inconnus (qui jouent donc leur propre rôle). Ajoutant
ainsi un niveau de lecture à son film, et conférant encore un peu plus de
puissance à ces images qui n’en manquaient déjà pas.
Cinéma singulier et total
En
effet : pour viser à cette objectivité seule à même de rendre compte d’une
altérité impénétrable (dans la première partie), la mise en scène est d’une
froideur – et en même temps, d’une beauté – inouïe. Plastiquement renversant, et
accompagné d’une superbe bande originale, « Under the skin » enchaîne
des séquences qui saisissent le spectateur et le figent dans une position
stupéfaite devant la singularité de ce film à nul autre pareil. Parmi ces
séquences citons la séquence d’ouverture, faisant penser à l’alignement des
planètes de « 2001 : l’odyssée de l’espace », qui relève du
poème visuel, de l’abstraction géométrique, et qui annonce en tout cas une
altérité pure. Citons encore cet espace noir où la conductrice piège ses proies,
là aussi totalement abstrait, où solide, liquide, mort et désir se mêlent dans
un mélange terrifiant.
Dans sa
composition d’une entité non-humaine, Scarlett Johansson trouve son plus grand
rôle à ce jour. Un rôle à nul autre pareil, qui ne s’appuie pas sur la parole (seulement
quelques répliques au sens anodin seront prononcées) et auquel l’actrice offre
tout son corps.
Le film baisse légèrement en force dans sa deuxième
partie, lorsque Jonathan Glazer nous permet de comprendre le personnage de la conductrice.
« Under the skin » perd alors un peu de son étrangeté radicale, mais
pas de son excentricité, comme le prouvera la fin, d’une ambigüité là encore
des plus marquantes.
« Under the skin », par son étrangeté très
dérangeante qui résiste à la compréhension, mais aussi par sa beauté, est un
film au souvenir indélébile, une œuvre de pur cinéma.
On retiendra…
La singularité de cette œuvre
de cinéma total et radical, qui éclate dès son ouverture.
On oubliera…
Une deuxième partie légèrement
moins forte que la première.
« Under the skin »
de Jonathan Glazer, avec Scarlett Johansson,…
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