samedi 30 mars 2013

Les Pyrénées (Alps)



-          Alors, tu en as pensé quoi ?
-          Euh… Ce n’est pas facile d’exprimer un avis positif ou négatif en sortant de la projection d’un tel film… Décrire ce que l’on ressent en regardant ce film va être une tâche ardue. C’est en apparence extrêmement funèbre - mais on se demande par moments si le film ne serait pas en fait une comédie, tant les situations décrites sont absurdes…
-          Le moins que tu puisses dire, c’est qu’ « Alps » est… inhabituel. Ce film grec est le second du réalisateur Yorgos Lanthimos (après « Canine » en 2009). Avec Athina Rachel Tsangari (« Attenbreg »), ils ont relancé, en pleine crise, la cinématographie grecque. « Alps » a ainsi été récompensé du prix du scénario à la mostra de Venise de… 2011.
-          Il semble que le distributeur français ait hésité avant de le distribuer - ou beaucoup réfléchi à la manière de le faire…
-          Ces deux cinéastes ont fondé ce qu’on appelle la « weird wave ». Bizarre est en effet l’adjectif qui décrit le mieux « Alps ».
-          Et pas seulement parce que le film ne dévoile pas dès le début les informations permettant de comprendre (ou non) ce qu’il se passe : c’est surtout le ton qui dérange. « Alps » est un film où toutes les émotions paraissent anesthésiées. Les situations dépeintes, le sujet du film (le deuil, l’absence) devraient être tristes. Mais le réalisateur est doté d’un incroyable sens de l’absurde qui lui permet de créer à la place un étonnant vide émotionnel.
-          Les meilleurs scènes font penser au non-sens de Quentin Dupieux (« Rubber », « Wrong ») ! Et sont très frappantes.
-          En effet – mais c’est aussi nettement plus sinistre.
-          Certaines scènes sont quand même drôles – ou plutôt, bizarrement drôles. Comme lors du dialogue où le mystérieux titre du film trouve son explication…
-          Sauf qu’à part ces quelques moments où l’étrangeté du film devient (presque) comique, c’est comme tu l’as le néant émotionnel. Mais cette prouesse de la mise en scène est paradoxalement son plus grand défaut !
-          « Alps » est vraiment austère. Pour atteindre ce néant, le réalisateur a recouru à une photographie très froide, presque monochrome, l’image semblant envahie par le gris pâle. Sans rien vous dévoiler de l’histoire, le vide se retrouve jusque dans le jeu des acteurs, qui jouent à minima. Yorgos Lanthimos explore donc jusqu’au bout son concept, ce qui donne un film qui serait très beau s’il n’était aussi… inconfortable. En fait, je ne sais toujours pas si j’ai vraiment aimé ce film.

On retiendra…
Un ton indéfinissable, infiniment triste mais aussi complètement absurde. On ne saurait mieux dire que « bizarre ».

On oubliera…
Très théorique et conceptuel, le film a du mal à progresser une fois qu’il a exposé ses interrogations au spectateur.

« Alps » de Yorgos Lanthimos, avec Aggeliki Papoulia, Ariane Labed,…

samedi 23 mars 2013

Aussi nébuleux qu’ambitieux (Cloud atlas)



2012
« Cloud atlas », film co-réalisé par les Wachowski et Tom Tykwer, est descendu par la presse américaine à sa sortie en octobre aux Etats-Unis et déçoit énormément au box-office. Malgré son ampleur, le film ne décroche aucune nomination aux Oscars. Absurde : l’Oscar du meilleur montage devait au minimum lui être dû. « Matrix » l’avait bien remporté en son temps.

1999
« Matrix » sort au cinéma. Pour leur deuxième film seulement, les frères Wachowski révolutionnent le cinéma d’action et signent un des films de science-fiction les plus célèbres. Hollywood entre dans une nouvelle ère numérique. Les Wachowski épatent par leur stylisation, la multiplicité de leur référence et leur ambition, très rare dans le paysage des blockbusters hollywoodiens. Avec ce qui deviendra la trilogie « Matrix », les Wachowski font la pluie et le beau temps sur le box-office.

2004
David Mitchell publie « Cartographie des nuages » (titre français de « Cloud atlas »). Ce roman racontant six histoires se déroulant à des époques différentes, du XIXème siècle au XXIVème siècle, est monté selon une structure pyramidale (l’auteur part du XIXème siècle pour arriver au XXIVème puis remonte le temps jusqu’au XIXème). Chacune de ses histoires est écrite avec un style différent, du polar à l’anticipation en passant par la comédie. Ces changements de registre sont aussi impressionnants que brillants, et l’œuvre se révèle vertigineuse lorsque la structure pyramidale du roman apparaît au lecteur. Seul nuage à l’horizon : le lien entre ces six histoires est plutôt faible – le roman est avant tout un très bel exercice de style.

2008
« Speed racer », nouvelle réalisation des Wachowski après la trilogie « Matrix », est un échec retentissant au box-office. Pourtant, l’invention formelle des Wachowski est toujours aussi présente. Il leur faudra presque quatre ans pour réaliser le montage financier de « Cloud atlas ».

2013
« Cloud atlas » sort en France. Les Wachowski adaptent le roman de David Mitchell en l’atomisant en une multitude de fragments montés en parallèle pendant presque trois heures. On passe d’une époque à une autre incessamment, ce qui donne au film un rythme hallucinant. Le vertige que produisait le roman se retrouve amplifié et allongé sur toute la durée du film. Plus qu’à « Cartographie des nuages », cette structure fait même plutôt penser  au « Livre de toutes les heures » de Hal Duncan – les Wachowski ont toujours mélangé dans leurs œuvres des influences très diverses. Au-delà-même des influences, les Wachowski hybrident aussi les genres : bien que cela soit moins frappant que dans le roman, chaque histoire appartient à un genre cinématographique différent. Les acteurs du film ont tous au moins un rôle dans chacune des six histoires, et peuvent aussi bien jouer un homme qu’une femme… Le cinéma des Wachowski n’a jamais été aussi transgenre ni aussi sincère : sur le tournage de « Cloud atlas », Larry Wachowski est devenu Lana Wachowski.

2014
« Jupiter ascending » sort au cinéma. Les Wachowski signent un ambitieux film de science-fiction et révolutionnent l’utilisation de la 3D au cinéma.

On retiendra…
La structure follement ambitieuse, qui entremêle six récits différents : du jamais vu au cinéma. Les rôles multiples des acteurs. La musique de Tom Tykwer.

On oubliera…
Le lien entre ces six histoires – un regret bien faible toutefois comparé à l’ampleur monstrueuse de ce film.

« Cloud atlas » de Tom Tykwer, Andy et Lana Wachowski, avec Tom Hanks, Halle Berry, Hugo Weaving,…

samedi 16 mars 2013

L’arrivée du printemps (Spring breakers)




-          Bon, cette semaine il va falloir soigner notre article.
-          Mais c’est le cas chaque semaine !
-          Non, je veux dire : on va devoir lutter contre des préjugés. « Spring breakers » n’a malheureusement pas la promotion qu’il mérite…
-          Malheureusement ? Bienheureusement, oui : rares sont les films d’auteur à bénéficier d’une telle promotion ! Et tant pis si les spectateurs se seront déplacés pour les mauvaises raisons, j’espère qu’ils en ressortiront aussi émus que nous l’avons été ! Oui, notre tâche cette semaine sera de convaincre ceux qui en doutent que « Spring breakers » de Harmony Korine est (d’ores et déjà) l’un des meilleurs films de l’année 2013 !
-          Il faudra peut-être que l’on soit plus explicite dans l’article sur les « mauvaises raisons » que tu sous-entendais… C’est vrai, les spectateurs de « Spring breakers » assisteront bien à des scènes d’orgies étudiantes débridées sur les plages ou dans les hôtels de Floride. Mais ces bacchanales ne sont absolument pas drôles, et ceux qui pensaient voir une comédie risquent fort de se sentir très vite mal à l’aise.
-          Pourtant, « Spring breakers » est parfois très drôle ! En particulier le personnage de James Franco, prénommé Alien : dans ce qui est à ce jour son meilleur rôle, l’acteur grimé en gangsta se déchaîne.
-          Mais ce dont nous devons surtout parler, c’est de cette étrange poésie qui se dégage du film.  Sur un sujet bien moins lyrique que Malick la semaine dernière, Korine livre un film presque tout autant poétique ! Mais une poétique du pire, complètement inattendue : c’est lorsqu’il semble le plus la fuir que Korine réussit à la susciter !
-          Le film se distingue par son montage sonore, nappes de sons quasi continues qui créent d’étranges boucles temporelles – bribes de dialogues répétées plusieurs fois –, associé à l’image à des allers et retours dans le temps. La photographie est fluo, et les cadrages sans cesse mobiles très adroits, notamment ce superbe plan-séquence lors d’une scène de braquage.
-          C’est paradoxalement quand le film dépeint la déchéance et la confusion les plus totales, qu’il atteint une beauté inespérée, d’autant plus poignante qu’elle est inattendue.
-          « Spring breakers » déborde d’énergie, et surprend enfin par son absence totale de morale : « Spring breakers » ne veut rien dire. C’est simplement une expérience cinématographique hors norme.

On retiendra…
Sur un sujet aussi laid et kitsch, Harmony Korine tire une beauté et une poésie bouleversantes. La photographie fluo. L’interprétation de James Franco.

On oubliera…
Euh…

« Spring breakers » d’Harmony Korine, avec James Franco, Vanessa Hudgens, Selena Gomez,…

vendredi 15 mars 2013

L’heroic fantasy : naissance et mort d’un genre

         L’heroic fantasy est un genre littéraire devenu très populaire depuis le succès planétaire de la trilogie cinématographique de Peter Jackson adapté des œuvres de J. R. R. Tolkien, « Le seigneur des anneaux ». Ce genre est associé à des histoires ayant lieu dans un univers médiéval imaginaire, hérité des légendes arthuriennes et celtiques.
Si les écrivains Edgar Rice Burroughs (« Le cycle de Mars », 1912, adapté l’an dernier au cinéma sous le titre « John Carter ») et Robert E. Howard (« Conan le barbare », 1932) sont considérés comme les précurseurs de l’heroic fantasy, le genre est vraiment né avec J. R. R. Tolkien et la parution des trois volumes de « Le seigneur des anneaux » en 1954. Toutefois, l’univers imaginé et développé par Tolkien ne saurait être réduit à cette seule trilogie. Tolkien (1892-1973) travaillait depuis 1910 sur une œuvre racontant son histoire complète, « Le Silmarillion ». Restée inachevée à la mort de son auteur en 1973, elle a été publiée à titre posthume quatre ans plus tard.


L’heroic fantasy, elle, n’a pas survécu à Tolkien. C’est la conclusion qu’on pourrait tirer aujourd’hui alors que Peter Jackson continue de faire revivre la Terre du Milieu au cinéma. Aucun autre auteur n’a réussi à s’approcher, et de loin, de l’œuvre monumentale de Tolkien. Pourtant, nombreux s’y sont essayé : depuis les années 1990-2000, les romans appartenant à ce genre ont envahi les rayons des librairies dédiés à l’imaginaire. Mais aucun de ces roman ne soutient la comparaison avec « Le seigneur des anneaux ».
A cela deux raisons : la plus évidente est la plume de Tolkien. Contrairement à nombre d’auteurs du genre, celui-ci dispose d’exceptionnelles qualités littéraires, d’un style extrêmement recherché. Et pour cause : toute sa vie, Tolkien a travaillé et retravaillé, écrit et ré-écrit les mêmes histoires. « Le Silmarillion » devait les raconter sous leur forme définitive. Or, et bien que l’art échappe à la logique, il semble difficile pour un auteur littéraire de surpasser Tolkien à moins qu’il ne consacre lui-aussi sa vie à l’édification de son propre univers.
Or, ceci n’arrivera plus. C’est la deuxième raison pour laquelle on peut considérer que l’heroic fantasy est morte avec la parution de « Le seigneur des anneaux » : la trilogie de Tolkien est l’œuvre fondatrice du genre, et est donc devenu sa référence incontournable et emblématique, au point qu’écrire de l’heroic fantasy est devenu depuis imiter Tolkien. Tolkien, lui, n’imitait personne - il était le premier. Ainsi, malgré les multiples sous-genres que les auteurs ont créé par la suite (science fantasy, sword and sorcery, dark fantasy,… une catégorisation purement accessoire), on écrit toujours par rapport à Tolkien : avec lui ou contre lui, ou n’importe quelle combinaison entre les deux. Dans le paysage restreint de ce genre littéraire, Tolkien et sa Terre du Milieu a déjà pris toute la place. Ce constat peut d’ailleurs se reproduire à des échelles plus grandes (la littérature occidentale a-t-elle déjà fait mieux que « L’Iliade » et « L’Odyssée » ?), et dans d’autres arts que la littérature.
Tout est donc perdu ? Ce n’est bien heureusement pas le cas. Il faut d’emblée écarter les grandes sagas les plus populaires du genre, telles qu’« Elric de Melniboné » de Michael Moorcock (1972), « Les chroniques de Krondor » de Raymond E. Feist (1982), « L’épée de vérité » de Terry Goodkind (1994), « L’assassin royal » de Robin Hobb (1995), et pour en citer une dernière « Le trône de fer » de George R. R Martin (1996) pour leur très pauvre qualité littéraire. Elle se caractérise par une absence plus ou moins prononcée de style, un recyclage ad nauseam des archétypes du genre les transformant en clichés et une très grande prolixité. C’est peut-être bien la seule innovation qu’ont apporté ces écrivains au genre : écrivant trop vite, ces auteurs ont depuis longtemps abandonné le canon de la trilogie pour écrire des sagas s’étalant sur une dizaine de volumes. Oui, l’heroic fantasy aussi est devenue une industrie.
Là où tous ses auteurs se sont trompés, c’est que bâtir des univers littéraires de plusieurs milliers de pages n’a aucun intérêt s’ils ne sont pas décrits avec un style littéraire visant à autre chose que l’efficacité. Et c’est sur ce point particulier que se détachent les contributions les plus intéressantes au genre tels que le cycle de « La compagnie noire » de Glen Cook (1984) qui surprend pour son ton et sa narration atypique, ou le très beau diptyque « Le chevalier-mage » de Gene Wolfe (2004) qui se place sous l’égide de la mythologie nordique.


Aujourd’hui, du point de vue hexagonal, les meilleurs auteurs du genre sont deux auteurs français à la plume incomparable : le premier est Justine Niogret avec « Chien du heaume » en 2009 et « Mordre le bouclier » en 2011. Le deuxième est Jean-Philippe Jaworski avec le recueil de nouvelles « Janua Vera » en 2007 et le roman « Gagner la guerre (2009, peut-être le meilleur roman français d’heroic fantasy). Ces deux-là ont une écriture incroyable, utilisent toutes les ressources de la langue française et n’hésitent pas à se confronter au vocabulaire issu du vieux français. Deux vraies signatures, qui prennent de plus le temps d’écrire leurs œuvres ! Cela suffit-il à nier la mort de l’heroic fantasy ? C’est ce que promet peut-être le titre du deuxième roman de Jaworski, « Même pas mort », annoncé pour 2013 (sûrement critiqué dans un prochain numéro de cette chronique). Si Tolkien ne sera jamais dépassé, le genre qu’il a créé peut encore nous réserver de belles aventures…

"Le seigneur des anneaux" de J.R.R Tolkien, Christian Bourgois éditeur (1954-1955).
"Le silmarillion" de J.R.R Tolkien, Christian Bourgois éditeur (1977).
"Gagner la guerre" de Jean-Philippe Jaworski, Les moutons électriques (2009).
"Chien du heaume" de Justine Niogret, Mnémos éditions (2009).


jeudi 14 mars 2013

Les cinq mauvaises manières de juger un film


Au sortir d’une salle de cinéma, des réactions reviennent systématiquement. Pourtant, elles ne sont pas toujours pertinentes. Voici une liste, forcément subjective, des cinq mauvaises manières de juger un film :

1. « C’est pas réaliste. »

C’est la critique la plus basique que l’on puisse faire : tout le monde est capable de se rendre compte qu’entre le cinéma et la réalité, il y a comme une différence (surtout lorsque, par exemple, cette remarque est émise après la projection d’un film de science-fiction). Moins prosaïquement, un spectateur noue un pacte avec un film, un pacte de croyance. Une histoire ne fonctionne jamais s’il ne fait pas l’effort d’y croire (parfois même, on lui mâche le travail en titrant « Inspiré de faits réels » !). Alors oui, un film peut être incohérent, se moquer de ses spectateurs, user de facilités scénaristiques, mais il ne sera jamais réaliste.

2. « Le scénario est trop classique. »

La remarque est sûrement juste, mais qu’est-ce qu’un scénario « classique » ? Prenez un peu de recul, et vous observerez que malgré tous les films qui sortent chaque année au cinéma, beaucoup ne sont que des variations d’une même histoire. Peu nombreuses sont les nouvelles ficelles trouvées par les scénaristes pour écrire une histoire. Ce constat s’élargit bien au-delà du cinéma : depuis toujours, l’homme se raconte toujours les mêmes histoires. Sauf qu’il le fait avec plus ou moins de talent – et c’est ce sur quoi on doit d’abord se pencher.

3. « C’est un bon divertissement mais je n’en demandais pas plus. »

La remarque-type que l’on sort après avoir vu un nanar. On peut peut-être s’amuser devant un nanar, mais il faut aussi être franc : un nanar, c’est nul. Les exemples pullulent chaque année de films divertissants et bien réalisés. La prochaine fois, choisissez mieux votre sortie cinéma.

4. « C’est nul, je n’ai rien compris. »

Remarque entendue trop souvent après la projection d’un film dit « d’auteur ». Il n’y a pas besoin de tout comprendre pour apprécier un film. Tous les réalisateurs ne demandent pas au spectateur de tout comprendre de leur film dès la fin du générique ! Lorsque c’est le cas c’est même extrêmement dommage – signifiant ou que vous êtes suprêmement intelligent, ou que le film était d’une grande pauvreté. Un film encore voilé de mystère à la fin de la projection vit encore dans votre esprit. Il continue à vous enrichir plusieurs heures voire plusieurs jours après sa projection !

5. « La 3D ne servait à rien. »

On ne peut pas lutter contre la mauvaise foi, mais l’auteur de cette remarque se plaint souvent par celle-ci du surcoût 3D qu’il a (certes, injustement) payé. Or, le prix d’une place de cinéma n’a aucune incidence sur la qualité d’un film ! Il est aussi possible que le film ait été mal converti en 3D, mais maintenant que l’euphorie post-« Avatar » s’est dissipée chez les producteurs, cette possibilité est de moins en moins probable. Dans tous les cas, et bien que cette technologie soit plus ou moins bien exploitée, il me semble être aussi inconséquent de voir en 2D un film prévu pour une projection 3D que de voir en noir et blanc un film tourné en couleurs.

samedi 9 mars 2013

Amour (A la merveille)



-          Il s’est passé quoi hier à Toulouse, pendant la projection ? La France venait de remporter la Coupe du Monde de football ?
-          Euh… En fait, tu te demandes pourquoi des spectateurs n’arrêtaient pas de quitter la salle, c’est ça ? Je n’en sais rien. Sûrement que le film ne leur plaisait pas.
-          Je ne comprendrai jamais ce geste de dépit. Pourtant, ces spectateurs assistaient au plus grand événement cinématographique de l’année 2013 !
-          Tu n’as pas peur des grands mots, toi ! Moi, j’aurais plutôt cité les sorties de « GI Joe 2 », « Iron man 3 », « Evil dead 4 », « Die hard 5 » ou « Fast and furious 6 »…
-          Laisse-moi m’expliquer : 5, 20, 7, 6 et 2 sont les années séparant les sorties des six films réalisés à ce jour par Terrence Malick, le plus secret des cinéastes, et jusqu’à cette année un des plus lents. 2 ! Il n’aura donc fallu attendre que deux ans pour voir le nouveau film de ce réalisateur, après sa Palme d’or en 2011 pour « The tree of life » ! Quoi que tu en dises, la sortie de « A la merveille » est donc bien un événement, d’autant plus extraordinaire qu’on ignore quelles raisons motivent Terrence Malick à réaliser aussi vite* un nouveau film - celui-ci refusant tout contact médiatique.
-          Et ce n’est pas fini ! Le réalisateur est en train d’en tourner deux autres ! Après des années de recherche, a-t-il enfin trouvé avec son directeur de la photographie, le mexicain Emmanuel Lubezki, une méthode de travail qui lui convenait ? On ne peut que supputer.
-          Toujours est-il qu’on ne lui reprochera pas d’avoir accéléré ainsi son rythme de travail ! « A la merveille » prouve une nouvelle fois encore que Terrence Malick est le plus grand filmeur contemporain. Après l’apothéose de « The tree of life », Malick livre un film moins ambitieux…
-          Moins ambitieux, non. Je dirai plutôt : moins cosmique…
-          … qui traite de l’amour. Mais quel que soit le sujet du cinéaste, ce qui frappe avant tout est le style unique du cinéaste, qui s’est forgé à chaque long-métrage, transformant la projection de chacun de ses films en une suite ininterrompue d’émerveillements.
-          Ou de profond ennui – en fait, je n’en sais rien, je n’arrive pas à me mettre à la place des spectateurs quittant la salle devant un film de Malick. Les incessants mouvements de caméra, l’absence de dialogue et la voix-off mystérieuse doivent sûrement déstabiliser les spectateurs qui ne se sont déplacés que sur la foi du casting (Ben Affleck, Olga Kurylenko, Javier Bardem, Rachel McAdams pour ce film-ci)…
-          C’est qu’un film de Malick n’est comparable à aucune autre expérience de cinéma ! On ressort de la salle avec un léger tournis, encore porté par le mouvement de ces images extraordinaires, captant sans relâche des gestes ou la lumière du soleil.
-          Le réalisateur semble être en quête d’une forme cinématographique ultime, complètement détachée de toute théâtralité. Un projet passionnant dont on a hâte de voir les nouveaux développements, et qu’il faut voir pour comprendre !

On retiendra…
Le style Malick : une caméra toujours en mouvement saisissant des gestes, accompagné d’une musique majestueuse et d’une voix off plus ou moins énigmatique. Une mise en scène développée pour la première fois en France, puisqu’une partie du film y a été tourné (dont le Mont-Saint-Michel). 

On oubliera…
Même Terrence Malick n’a pas réussi à rendre convaincant Ben Affleck en acteur.

*A noter :
Cette affirmation est à nuancer. La chronologie des sorties ne suit pas celle des tournages : « A la merveille a été tournée fin 2010. Le montage a ensuite épuisé cinq (!) monteurs pendant deux ans.

« A la merveille » de Terrence Malick, avec Olga Kurylenko, Ben Affleck, Rachel McAdams, Javier Bardem,…

Rigueur (Le ruban blanc)


          Dans un village allemand imaginaire à la veille de la Première Guerre Mondiale, d’étranges accidents à caractère punitif se produisent. A chaque fois, les enfants du village se retrouvent à proximité du lieu de l’accident.

L'art de la suggestion
           A l’image du somptueux noir et blanc de sa photographie, « Le ruban blanc » regorge de contraste. A de rares exceptions, tous les rapports présentés dans le film sont des rapports d’humiliation ou de domination, que ce soit d’un père envers ses enfants, d’un baron envers ses paysans ou d’un pasteur envers ses fidèles. L’éducation rigoriste et le puritanisme protestant pèse dans tous les rapports humains, au point que le régisseur du village se retrouve incapable de montrer la moindre marque d’amour, la moindre marque d’humanité autre qu’un « Merci » lorsque son fils lui offre un canari. Partout règne la violence, mais une violence cachée, suggérée, que le film révèle petit à petit au spectateur, et qui rend hypocrite la droiture affichée par les personnages. La violence est aussi bien physique que sociale ou mentale.
          Toute la réussite de la mise en scène de Haneke est de seulement suggérer cette violence, de la cacher au spectateur de la même manière que les personnages du film la dissimule au reste du village. Tout se passe derrière des portes fermées, la caméra arpentant les intérieurs plongés dans la pénombre en restant dans les couloirs des habitations. La fixité des plans fait écho à la rigueur imposée, mais la violence filtre par le son. La séquence la plus violente est ainsi cette conversation qui vire soudainement à l’humiliation entre la sage-femme et le médecin. Leur visage reste impassible, et pourtant les paroles qu’ils prononcent choquent par leur virulence.
Cette suggestion est une réussite car en ne levant jamais le doute sur les événements décrits par le film, en n’apportant aucune réponse claire et définitive aux questions que se posent le spectateur, Haneke fait courir un terrible suspense tout au long de son film, et lui confère ainsi une extraordinaire intensité.
  
Manipulation sous haute tension        
           Pourtant, même si la mise en scène entretient le doute, Haneke veut bien nous faire comprendre que les auteurs de ces crimes sont les enfants du village. A travers « Le ruban blanc », le but de Haneke est en effet d’évoquer la naissance du nazisme, et plus largement, dénoncer tout intégrisme religieux. Par ce « faux » doute, la mise en scène du grand moralisateur qu’est Haneke pourrait apparaître comme une basse manipulation du spectateur, mais le procédé conquit par le suspense qu’il engendre. Il est donc dommage que l’on ne retrouve pas un tel brio dans la manipulation du spectateur dans son autre Palme d’or gagnée trois ans après, « Amour » (2012).
           Deux séquences m’avaient particulièrement marquées la première fois que je l’avais vu :  la discussion bouleversante de l’enfant du régisseur avec la fille de la sage-femme sur la mort, et les trois dézooms sur l’église du village représentant les rumeurs qui enflent et enflent dans tout le village.

On retiendra...
Mise en scène magistrale, photographie magnifique, sujet très fort : Haneke à son meilleur.

On oubliera...
Néant.

« Le ruban blanc » de Michael Haneke, avec Christian Friedel, Ernst Jacobi, Leonie Benesch,...