mardi 26 juin 2012

Monstrueux (Faust)


« Faust » est un choc esthétique. Pour décrire une telle ambition, on ne peut que parler de « film monstre ». Avec une telle œuvre, le réalisateur russe Alexander Sokourov a très logiquement remporté un Lion d’or à Venise l’an dernier.


Un film monstre ne se comprend que partiellement (à la première projection). En regardant « Faust », le spectateur est soumis à un flux continu de paroles, et comprendre l’enjeu des discussions incessantes du docteur Faust avec son usurier, l’incarnation du Diable, est souvent ardu et peut-être impossible. Le scénario est adapté de la pièce de théâtre de Goethe. Mais qu’importe, la matière est là, et appelle à d’autres visionnages pour pouvoir être saisie plus complètement. C'est ce qui rend les films monstres si exigeants : il faut accepter, lors de la projection, d’être dépassé par ce que l'on voit.
Ce qui n’empêche aucunement d’être emporté par le film. On est d’abord ébloui par l’image du film : « Faust » est un tableau en mouvement.  Je doute que l’on voit plus belle photographie cette année. Le format de l’image étonne déjà : carrée, aux bords arrondis, elle fait penser à celle capturée par une très vieille caméra. Lorsqu’un réalisateur transforme son image pour lui donner une référence picturale, celle-ci se retrouve souvent lissée. Ici, les couleurs changent, l’image vit, respire comme jamais. Sans aucun souci d’uniformité, la photographie passe d’une palette de couleurs, d’une référence picturale à une autre, au gré des changements de décors (le lavoir, la taverne, la forêt,…) ou même des changements de plan.
Ebloui par la mise en scène ensuite : tout est filmé dans une grande fluidité avec une Steadicam toujours mouvante, fluidité qui s’oppose aux distorsions de l’image sans cesse gauchie, tordue, anamorphosée. A ce travail sur l’image répond celui sur la direction d’acteurs. Les mouvements des personnages sont toujours gênés, par les décors, souvent étroits, ou obstrués par la foule. Les personnages sont toujours en train de se débattre pour se déplacer, dans une agitation futile, image de la vanité de la vie terrestre. De même, le travail sur le son est aussi stupéfiant, aussi bien sur le mixage sonore que sur la bande originale.
Assurément une des plus grandes oeuvres cinématographiques de l'année.

On retiendra…
La photographie, qui n’a jamais aussi bien rendue l’idée d’un tableau en mouvement. La mise en scène.

On oubliera…
Ce n’est pas vraiment un défaut : les dialogues sont difficiles à saisir, le travail de traduction en français a dû être très difficile.

« Faust » de Alexander Sokourov, avec Johannes Zeiler, Anton Adasinskiy,…

lundi 25 juin 2012

Du jamais vu (The raid)

           Ce film indonésien avait fait sensation au festival de Toronto l’an dernier. Il y avait été décrit comme la nouvelle référence en matière de cinéma d’action. Après la projection, cette phrase semble complètement creuse tant « The raid » surclasse tout ce qu’on a pu voir dans le genre.


 Trente étages mais un seul degré
L’histoire est simple : une escouade de policiers doit démanteler un réseau de trafiquants de drogue retranchés dans un immeuble en décomposition de trente étages. Une simplicité qui, loin d’être un défaut, constitue l’atout maître du film. Pas une once de second degré ne traverse la mise en scène de Gareth Evans. Le pitch peut faire rire, mais tout ça est filmé avec un sérieux qui propulse déjà « The raid » parmi les meilleurs films du genre.
Il n’y a pas que cette simplicité qui tire le film de partout vers l’irréel : ses incessants combats chorégraphiés, ses personnages (presque) invincibles, la multiplicité de ses rebondissements auraient pu transformer « The raid » en une parodie burlesque de film d’action. Mais le réalisateur, par sa mise en scène, maintient obstinément le cap du réalisme, quelles que soient les extravagances qu’il a écrites dans son scénario ou demandées à ses acteurs-cascadeurs. Un exemple parmi d'autres : il ne triche pas avec les décors en refusant les plans impossibles. Le ton est grave, l'image d'un gris très pâle. On y croit, on est plongé dans l’histoire, le cauchemar de ses policiers est aussi le nôtre – condition nécessaire pour faire naître l’intense tension qui parcourt le film du début à la fin.
De même, les combats sont ici éloignés des chorégraphies aériennes tirant vers la danse ou la poésie comme dans « Hero » ou « Tigre et dragon ». Ici, les coups font mal, les couteaux éviscèrent, les membres se brisent et tous les éléments du décor sont exploités par les combattants. Le film est quand même interdit, avec raison, aux moins de 16 ans.

Inlassables scènes d’action
Les policiers, qui se retrouvent piégés dans l’immeuble, doivent pour survivre capturer le boss final, ou plutôt le chef de ce réseau criminel, qui pilote tout l’immeuble depuis son appartement au quinzième palier. L’histoire est en fait plus complexe que cela, mais obéit toujours à ce principe : il faut monter les étages, passer d’un niveau à l’autre comme dans un jeu-vidéo, car chaque niveau est plus dur que le précédent. Le générique final reflète très bien cette inspiration : la partie relative aux acteurs, très longue, est une liste numérotée des personnages, nommés par l’arme qu’ils utilisent ou par l’étage où ils se trouvent.
Comme on l’a dit, la simplicité de ce dispositif tirée du jeu-vidéo est bien plus réjouissante que problématique et permet surtout à Gareth Evans de réaliser une montée en tension impressionnante du début à la fin de son film. Lorsque les combats se déclenchent dans la deuxième partie du film, la plus longue, la succession de scènes d’action ne connaîtra pas de fin. Ni de baisse de régime : le rythme dingue et crescendo de « The raid » empêche le spectateur de décrocher. C’est ce qui rend ce film inouï : une suite incessante de bagarres, rythmées par la très bonne musique électronique de Shinoda et Trapanese [1], qui surprennent toujours, qui ne lassent jamais. Au bout de dix minutes, on se dit que c’est exceptionnel. Après une heure de ce régime, on ne peut plus qu’avouer qu’on n’avait encore jamais vu ça.
Le spectacle est incommensurable (impossible d’être déçu), le genre est poussé à son paroxysme, mais ce film ne vous plongera pas dans un abîme de réflexion à la fin de la projection. A cette altitude, ça n’a aucune importance. Mais c’est ce qui explique que je ne lui ai pas mis la note maximale. Dans une telle formule, peut-on apporter plus de profondeur ? Qu’il y réponde ou non dans ses prochains films, qu’il essaie ou non de faire encore plus grand, Gareth Evans est assurément un réalisateur à ne pas perdre de vue.
Des films de cet acabit, des ovnis pareils, sont très rares. Essayez de ne pas le rater.

On retiendra…
Une succession (quasiment) ininterrompue de scènes d’action aussi impressionnante que leur escalade, et d’un sérieux extraordinaire.

On oubliera…
Les quelques réflexions du film sont très basiques.

« The raid » de Gareth Evans, avec Iko Uwais, Yayan Ruhian,…


[1] Dans la version originale, la bande-son est composée par Prayogi et Yuskemal. Le distributeur américain du film a commandé à Shinoda et Trapanese une nouvelle bande-son pour le public occidental, alors que le film était encore en production. 

lundi 18 juin 2012

Grrrimm ! (Blanche-Neige et Blanche-Neige et le chasseur)


L’adaptation de contes est à la mode à Hollywood. Ceux-ci étant libres de droit, chaque studio y va de son adaptation. C’est ainsi que deux films adaptés du conte des frères Grimm « Blanche-Neige » sont sortis au cinéma en 2012, avant l’arrivée prochaine de « Hansel et Gretel », « La belle et la bête » ou encore « La belle au bois dormant ». Le premier, sorti en avril, est « Blanche-Neige » (« Mirror, mirror » en VO) de Tarsem Singh. Le deuxième, « Blanche-Neige et le chasseur », sorti en juin, est réalisé par Rupert Sanders. Au milieu des remakes/reboots/prequels, une telle répétition ne choque même plus. L’an dernier, on s’était bien amusé de la sortie quasi-simultanée des deux adaptations de « La guerre des boutons » en France. Et quand on compte le nombre d’adaptations de « Dracula » en préparation à Hollywood…


La confrontation entre les deux long-métrages est très inégale. La réalisation de Tarsem Singh m’avait déjà ébloui dans « Les immortels », son précédent long-métrage, et l’on retrouve dans « Blanche-Neige » la même maîtrise visuelle et une direction artistique atypique, onirique et ambitieuse. « Blanche-Neige et le chasseur » est lui un des pires blockbusters de l’année, doté des plus mauvais dialogues que l’on ait entendu depuis longtemps. Rupert Sanders va beaucoup trop vite et échoue totalement à donner vie et consistance à ses personnages, brossés à trop gros traits et maladroitement interprétés… Son film manque lamentablement de souffle.

La pomme
S’éloigner du conte originel et du film concurrent a été le credo des deux équipes de scénaristes. Tandis que l’oeuvre de Tarsem Singh est une très divertissante comédie, agréable et superficielle, « Blanche-Neige et le chasseur » lorgne vers l’heroic fantasy et se veut sombre et épique sans y parvenir du tout. La figure du prince charmant présentée par les deux films permet de bien saisir leurs différences : dans « Blanche-Neige », il s’agit d’un ingénu qui avalera au cours du film un philtre d’amour pour chien, alors que dans le film de Rupert Sanders, c’est un chasseur veuf qui noie son chagrin dans l’alcool.
Les deux films se rapprochent curieusement sur l’adaptation du passage le plus emblématique du conte, le moment où la sorcière propose une pomme empoisonnée à Blanche-Neige : cette scène est rejetée au second plan dans les deux long-métrages. Elle a dû embêter les scénaristes, puisqu’aucune des deux intrigues ne s’y attarde : la pomme est reléguée à l’épilogue dans le film de Singh, et accessoire interchangeable dans le film de Sanders.

La Reine
C’est la seule réussite du film « Blanche-Neige et le chasseur » : les métamorphoses subies par la Reine sont plutôt impressionnantes. Qu’elle demande conseil à son miroir magique ou qu’elle se transforme en une nuée de corbeaux, qu’elle vieillisse puis rajeunisse de trente ans en quelques minutes, la Reine est le seul personnage qui atteint la dimension épique que cherchait désespérément le réalisateur, par la grâce des effets spéciaux. Rupert Sanders vient de la pub, et cela se remarque. Son film n’est qu’une succession de scènes-clips grossièrement et rapidement reliés. Mais paradoxalement cette empreinte publicitaire convient bien aux apparitions de la Reine, surtout lorsque celle qui l’interprète est notoirement connue comme égérie de Dior…
La position de la Reine dans le film de Tarsem Singh est symétriquement inversée : c’est le seul personnage qui ne convainc pas. Julia Roberts n’est jamais drôle dans son rôle, et devient rapidement irritante. Etrange que le réalisateur ait buté contre cette figure, si importante dans le conte, alors que tous les autres personnages sont admirablement bien rendus.

Les nains
                Ils sont incontournables. Et irrésistibles dans « Blanche-Neige ». La direction artistique étonnante qui marque les films de Tarsem Singh les a transformés en géants dans une des idées les plus fabuleuses du film.
                Dans « Blanche-Neige et le chasseur », ils gardent leur côté pittoresque mais à l’image du film ils sont trop pompeux. En particulier le plus vieux d’entre eux, une sorte de prophète reconnaissant le messie en Blanche-Neige, au point qu’il en devient involontairement comique.

Blanche-Neige
                Surprise : Lily Collins incarne parfaitement la Blanche-Neige du film de Tarsem Singh. On tombe sous le charme de sa fraîcheur et l'actrice vole aisément la vedette à Julia Roberts. Kristen Stewart n’est qu’un pâle pantin dans le film de Rupert Sanders. Lorsqu’elle a dû se rendre compte que le réalisateur n’allait pas lui permettre de faire exister son personnage, comme celui de tous les autres acteurs, à cause de la rapidité du scénario, on a l’impression qu’elle s’est complètement effacée, ânonnant sans conviction les ridicules répliques écrites par les scénaristes en panne totale d’inspiration. Chris Hemsworth a choisi la voie inverse : il surjoue le chasseur barbare et son cabotinage insupportable éclipse un peu la médiocrité de sa partenaire.

La chanson finale
Et oui, les deux films s’achèvent par un clip ! Comme dans un film de Bollywood, « Blanche-Neige » a le droit à une chorégraphie finale qui convient parfaitement à l’esprit du film. La chanson interprétée par Lily Collins fait une excellente surprise finale et m’a étrangement beaucoup plu. Ce qui n’est pas du tout le cas de celle de Florence + The Machine à la fin de « Blanche-Neige et le chasseur ». Un jugement qui tient peut-être aux qualités respectives des deux films.

On retiendra…
La réalisation toujours aussi étonnante de Tarsem Singh, accompagnée d’une direction artistique audacieuse. Les maléfices de la Reine dans le film de Rupert Sanders.

On oubliera…
Les dialogues et la réalisation du film de Rupert Sanders, ainsi que l’interprétation générale des acteurs. Alors que seule Julia Roberts est agaçante dans le film de Tarsem Singh.

« Blanche-Neige » de Tarsem Singh, avec Lily Collins, Julia Roberts,…
« Blanche-Neige et le chasseur », avec Kristen Stewart, Charlize Theron,…