lundi 21 décembre 2015

De la Force en conserve (Star Wars VII, le réveil de la Force)


-          Jamais un film n’avait été aussi attendu. Alors, pour marquer ce retour, nous avons nous-aussi voulu faire notre retour…
-          Même si, après notre dernière apparition, tout le monde nous avait oubliés…
-          Au contraire de « Star Wars VII » : depuis le rachat de Lucasfilm par Disney en octobre 2012, et l’annonce de la mise en chantier de ce nouvel épisode, ce film est devenu l’horizon de toutes les sorties cinématographiques. Lister les raisons qui font que « Star Wars VII » suscite une telle passion et génère une telle attente dans le monde entier serait aussi long que sa critique elle-même.
-          Alors… on s’en abstiendra. Aussi parce qu’on n’est pas particulièrement fan de la saga « Star Wars » – elle a été complètement sabordée entre 1999 et 2005 par son propre créateur, George Lucas. Après les trois nanars que sont « La menace fantôme », « L’attaque des clones » et « La revanche des Sith », elle semblait morte et enterrée.
-          Mais voilà, en rachetant la saga, Disney a eu deux excellentes idées qui laissaient augurer du meilleur : virer Lucas de la création des prochains épisodes, et engager JJ Abrams pour relancer la franchise, lui qui avait fait renaître de ses cendres « Star Trek ».
-          D’où l’espoir avec « Le réveil de la force » de voir un film gigantesque, un film-monument. Espoir qui, par la magie du marketing, a pris des proportions complètement irrationnelles.
-          Ce qui doit aussi participer, quelque part, à notre déception à la fin de la projection…
-          Soyons clairs : « Le réveil de la force » n’est pas du tout un mauvais film. La note que nous avons attribuée au film est là pour le prouver. Mais il est bien loin du choc annoncé et espéré. En cause : le trop grand respect de ce nouvel épisode à la forme quasi « canonique » des films « Star Wars ». JJ Abrams et ses scénaristes ont certes apporté quelques nouveautés mais se sont montrés par ailleurs si conservateurs sur la forme comme sur le fond que le film a des allures de compromis permanent.
-          Quelle meilleure illustration pour expliquer ce compromis entre nouveauté et conservatisme que le scénario de cet épisode VII ? Il s’agit ni plus ni moins qu’un remake de l’épisode IV de la saga « Star Wars ». Ainsi, quelques secondes à peine après l’excitation de constater que j’allais vraiment voir ce fameux épisode VII (l’apparition du premier carton du film, « Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine », a provoqué une salve d’applaudissements et des cris de joie dans la salle), j’ai été déçu d’apprendre dans le carton défilant que ce nouvel épisode, et la trilogie qu’il annonce, reproduisait à l’identique le cadre narratif des épisodes IV, V, VI : il s’agit encore pour un groupe de résistants de lutter contre une dictature.
-          Comme si « Star Wars » ne pouvait pas raconter autrement l’éternel combat entre le « Bien » et le « Mal » ! Seuls les noms ont changé : l’Empire est devenu le Premier Ordre, et la Rébellion est appelée de manière moins subtile la Résistance (en règle générale, les références à la Seconde Guerre Mondiale paraissent plus appuyées dans cet épisode que dans ceux auxquels il fait suite).
-          Exactement ! Le carton n’avait même pas fini de défiler que j’avais déjà envie de dire à Disney : « Mais arrêtez de nous rassurer, prenez des risques ! ». « Le réveil de la force » a été pensé comme un « miroir augmentant » de l’épisode IV – il s’agit en effet de la même histoire, mais « mise à jour » avec des variations qui l’améliorent. Pour ne développer qu’un seul exemple : les deux personnages principaux sont une femme et un noir, ce qui tranche (et c’est bienvenu) avec l’absence de diversité dans le casting des épisodes précédents. C’est vraiment très bien fait (pour garder le même exemple : Daisy Ridley et John Boyega sont excellents, surtout lorsqu’ils sont ensemble) mais un reflet, même augmenté, ne saurait autant surprendre qu’une nouveauté.
-          Et tu accuses Disney ? Tu veux croire que cette idée de reprendre la trame de l’épisode IV a été imposée à Abrams par Disney pour sécuriser la réception du film auprès des fans… Alors qu’il s’agit peut-être d’une idée d’Abrams : pour le deuxième film de la nouvelle saga « Star Trek », « Star Trek intro darkness », il avait déjà réalisé un remake « en miroir » de la fin de « Star Trek 2 : La colère de Khan ». Le recyclage a toujours été la marque de fabrique du cinéma d’Abrams mais, poussé à ce point de décalcomanie sur « Star Wars VII », il redevient une faiblesse plutôt qu’une qualité.
-          Je me pose la même question sur la réalisation du film. Là aussi, j’espérais plus d’audace : Abrams reproduit très fidèlement la mise en scène des épisodes « Star Wars ». Le réalisateur semble s’être effacé derrière les codes visuels et narratifs développés dans la première trilogie. On se doutait bien qu’il allait garder les transitions si caractéristiques de « Star Wars »… mais on ne s’attendait quand même pas à ce qu’il garde la réalisation plan-plan de Lucas pour les scènes d’action. Le combat au sabre laser final semble ainsi complètement anachronique tant il est pataud et peu spectaculaire. Quelle était la réelle intention d’Abrams ? Voulait-il vraiment singer cette réalisation « à l’ancienne » de Lucas, ou a-t-il été forcé de le faire par Disney ?
-          Ça sent encore le compromis… On pourrait en outre ajouter l’utilisation de la 3D, très pauvre, Abrams ne jouant presque pas avec : elle semble vraiment avoir été imposée. Et pourquoi les batailles spatiales n’ont-elles pas été filmées en HFR ?
-          Cela dit, on fait beaucoup de reproches, mais je te rappelle qu’on a aimé le film ! On s’exprime en fait sur une déception par rapport à ce qu’aurait dû être « Star Wars 7 »… Le film tel qu’il est n’est pas du tout mauvais. La formule « Star Wars » n’a jamais aussi bien fonctionné, avec un récit mené tambour battant qui ne faiblit pas en basculant régulièrement sur différents fils narratifs, et accumule les péripéties. L’humour fonctionne souvent.
-          Surtout, le film use avec intelligence du « passé » de la saga « Star Wars », devenue avec le temps une véritable mythologie contemporaine. La meilleure idée des scénaristes est d’avoir fait coïncider la durée de l’ellipse entre la fin de l’épisode VI et le début de l’épisode VII avec la durée ayant séparée la sortie des deux films (32 ans). Les personnages de la première trilogie réapparaissent donc dans cet épisode VII, ce qui provoque une certaine émotion, grandement avivée par le fait que les acteurs les interprétant ont vieilli « en vrai » de trente ans ! De la même manière, le film fait se confondre la mythologie créée par la première trilogie dans notre société avec celle dans laquelle vivent les personnages du film. Les événements racontés dans les épisodes IV, V, VI sont devenus des légendes pour les nouveaux personnages de l’épisode VII. Rey vit ainsi dans les ruines de l’épisode VI (superbes décors) et pense, comme tout spectateur de « Star Wars », que Luke Skylwalker est un mythe. Lorsqu’on lui apprend que celui-ci existe bel et bien et qu’on lui assure que la Force existe, ces informations résonnent avec les propres rêves du spectateur, les chargeant d’un poids émotionnel que seul le temps a pu créer.
-          L’idée de faire de la recherche de Luke Skylwalker le point focal du scénario, et de retarder son apparition jusqu’aux dernières secondes du film est donc très fort, cette idée jouant habilement avec la disparition médiatique de l’acteur Mark Hamill depuis trente ans. Lorsqu’on retrouve à la toute fin son regard qui ne veut rien dire, on se dit qu’il n’est toujours pas meilleur acteur… mais on est quand même très content de le revoir !
-          Il est dommage que ce travail sur le temps passé qui multiplie les correspondances entre l’histoire du film et l’histoire du spectateur soit la seule nouveauté apportée à la saga « Star Wars ». Pour le reste, comme tu l’as dit, tout est tellement semblable  voire copié sur les épisodes IV, V, VI, et le IV en particulier… Jusqu’à la musique, qui ne propose aucun nouveau thème fort ! John Williams s’était pourtant montré bien plus expérimentateur sur la deuxième trilogie.
-          Lorsque ce sont des qualités qui sont copiées – tels les effets spéciaux « à l’ancienne », la direction artistique magnifique, l’humour, la fantaisie, le rythme – ça ressemble à un travail peu risqué mais terriblement efficace, mais lorsque ce sont des défauts à la saga qui sont eux-aussi copiés (le « reflet augmenté » n’est en effet pas parfait), ce conservatisme est regrettable. Pour n’en citer que deux : la psychologie des personnages est toujours aussi peu subtile…
-          … Ah ! Ce Stromtrooper qui devient subitement gentil, une belle idée mais que le film rend très dure à avaler.
-          … et cet épisode est aussi prude que les précédents, avec cette histoire d’amour qui évidemment ne dit pas son nom entre Rey et Finn… C’est ridicule, et on a l’impression qu’Abrams sait que nous savons qu’il sait, mais il le fait quand même…
-          Je crois qu’il est temps de conclure, même si je voulais encore revenir sur plein de détails, le fait que tu sortes une telle phrase dénote un échauffement excessif de ton esprit. Calme-toi. Ne tombe pas dans le regret. On a dit qu’on avait aimé le film.
-          Que je me calme ? Alors qu’un nouveau film sort dans un an ? Et encore un autre après, au moins jusqu’en 2019 ? Comment veux-tu que je me calme ?
(Bruits de lutte)

On retiendra…
Le fascinant et émouvant travail sur le temps écoulé entre les épisodes VI et VII, dans la vraie vie comme dans l’histoire de « Star Wars ».

On oubliera…
L’absence d’audace dans l’écriture du scénario comme dans la réalisation de ce septième épisode calqué, certes « en mieux », sur l’épisode IV.


« Star Wars, le réveil de la Force » de JJ Abrams, avec Daisy Ridley, John Boyega, Harrisson Ford,…

lundi 14 décembre 2015

Rococo cosmique (Cosmos)

Revenant à la réalisation après 15 années d’absence, Andrzej Żuławski a adapté au cinéma le réputé inadaptable « Cosmos », roman de Witold Gombrowicz. Il a remporté le prix de la mise en scène au dernier festival de Locarno pour ce film.


Fatigant
Il est important de préciser qu’avant de voir « Cosmos », je n’avais ni vu de film de Żuławski, ni lu « Cosmos » de Gombrowicz. La lecture du roman doit sans aucun nul modifier la perception du film, mais le long-métrage en est une adaptation très libre, puisqu’il est parsemé de références à la culture contemporaine (on doute que le roman de Gombrowicz, publié en 1965, contienne les références à Tintin ou Spielberg présentes dans le film).
« Cosmos » est un film fou. Peut-être par respect de l’esprit du roman, Żuławski se préoccupe à peine de développer une intrigue ténue (Qui pend des animaux par une ficelle bleue ?) mais préfère expérimenter tous azimut, dans une veine proche du surréalisme. C’est plein d’humour, rempli de références, de moqueries sur la culture contemporaine, qui fusent dans des dialogues plus ou moins intelligibles. Le film va en effet très vite, ne cessant jamais de changer de direction, surmultipliant les ruptures, dans une agitation qui au départ séduit par sa drôlerie absurde et son originalité baroque, mais qui à force fatigue et noie le sens du film. Lors de la projection, le spectateur décroche. Abandonné sur le bas-côté de la route, il voit s’éloigner au loin et dans son estime cette parade déjantée de carnaval qu’est « Cosmos ». Le film continuera inlassablement sa course, même pendant le générique de fin, ajoutant et rajoutant des pitreries stylistiques à cette réflexion sur le sens de l’existence. Elle est nourrie par des acteurs en grande forme qui semblent autant s’amuser que le réalisateur, mais cette troupe s’amuse seul, ayant oublié le spectateur.

On retiendra…
La mise en scène baroque, les extravagances des acteurs, la drôlerie de l’ensemble.

On oubliera…
Fatigant, le film s’abîme dans un hermétisme qui ressemble à un entre soi entre le réalisateur et ses acteurs, duquel le spectateur est exclu.


« Cosmos » d’Andrzej Żuławski, avec Jonathan Genet, Johan Libéreau,…

lundi 7 décembre 2015

The bright knight (Knight of cups)

La secte
Une séance d’un film de Terrence Malick ne ressemble à aucune autre. Généralement, le premier spectateur à quitter la salle – ce qui arrive assez tôt – initie un mouvement : d’autres l’imiteront tout au long du reste de la projection, en jurant qu’on ne les y reprendrait plus. Quant à ceux qui restent, les obstinés, les têtus ou les acharnés, ils exprimeront bruyamment à la fin de la projection leur ressenti sur le film dans des applaudissements, des rires ou des sifflets dus à la colère et au dépit.


De film en film, ces réactions se répètent, d’où le constat que le public des films de Malick ne doit pas être loin de se renouveler compétemment à chaque fois. Attiré par le casting hollywoodien prestigieux, il repart déçu de n’avoir rien compris au film. Et pourtant, parmi ces spectateurs il y en a qui se rendent à la séance de cinéma en connaissance de cause. Depuis que le sous-texte religieux est devenu particulièrement prégnant dans la filmographie de Malick, ces spectateurs fidèles, qui vieillissent de moins en moins vite (20 ans séparaient « Les moissons du ciel » (1978) de « La ligne rouge », deux ans séparent « A la merveille » de « Knight of cups »), sont appelés plus simplement des fidèles par les détracteurs du cinéaste. Ces derniers, de plus en plus nombreux, ont beau se moquer des dérives mystiques du cinéaste, se plaindre de l’absence de narration de ses films, pointer du doigt la répétition des mêmes motifs, ils ne font que renforcer la conviction des fidèles dans la puissance hors norme du cinéaste. Ils semblent même d’autant plus aimer les films que les spectateurs autour d’eux les détestent. Comme le décrit Jérémie Couston dans sa critique du film parue dans Télérama, ils sont donc tels les membres d’une secte. Et si cette secte existe, j’en fais partie.

Montage mental
Effectivement, « Knight of cups » semble aussi hermétique que son titre. Quasiment aucun dialogue, aucun marqueur de temps, et un défilé d’images d’apparence hétéroclite : des acteurs, des maisons californiennes, des paysages désertiques et l’océan. Et pourtant, même si l’on ne comprend pas le sens des multiples voix off à l’identité incertaine et aux récits multiples (pensées intérieures, interrogations philosophiques, bribes de dialogues et même contes assurent l’essentiel de la bande son), le sens général du récit parvient malgré tout au spectateur, pour peu que celui-ci se laisse porter. On comprend vaguement que l’on suit les remémorations d’un scénariste hollywoodien prénommé Rick, hanté par la mort de son frère. Parvenu au succès et à la richesse, il reste en proie à une insatisfaction profonde, une mélancolie. Lorsqu’il s’y abandonne, tout lui parait vain. Il cherche une consolation à ce malaise existentiel dans l’amour.
La narration très particulière des films de Malick est perturbante – car si différente de tout ce que l’on voit ailleurs – mais elle n’est pas absente. La manière de filmer de Malick a un sens : faire de l’écran de cinéma l’esprit du personnage principal Rick, où jaillissent les souvenirs et qui sont autant d’images pour le spectateur. Les mouvements de caméra épousent cette « forme mémorielle » du jaillissement, avec un champ qui se déplace en permanence, comme une traversée des souvenirs, progressant souvent vers un horizon dont le point de fuite est le soleil. Ce mouvement fait bien entendu sens avec la quête d’absolu des personnages malickiens, cherchant à atteindre un idéal inaccessible. Les images sont hétéroclites (on saute d’une scène d’intérieur à un paysage désertique, d’une balade en décapotable à une plongée dans l’océan) car leur montage n’obéit pas à la raison mais semble d’abord nourri par l’inconscient et les sensations de Rick. Les plans sont associés entre eux non pas par des impératifs narratifs dictés arbitrairement par un narrateur mais par le flux des souvenirs, qui sont liés tels des associations d’idées par des similitudes de texture, d’ambiance, de reflet, d’atmosphère. Malick fait ainsi résonner ensemble des images très différentes, le béton avec l’eau, le roc avec le macadam, le verre avec la peau.
Le travail sur le son est peut-être même encore plus complexe que celui des images. La manière dont certains des (rares) dialogues sont montés, en ne faisant se coïncider qu’à quelques instants paroles et images est novatrice : les voix passent ainsi de son direct à voix off de manière irrégulière et imprévisible, ce qui participe à faire de ces séquences des projections mentales de souvenirs.
Cette manière de concevoir un film est d’abord une recherche esthétique et formelle extrêmement élaborée, que Terrence Malick poursuit de film en film, chaque fois plus proche de l’abstraction. C’est d’une beauté inouïe et sans équivalent dans toute l’histoire du cinéma. Avec « Knight of cups » on est une fois de plus ébloui.
A la fin du film, comme à la fin de « A la merveille » ou de « The tree of life » se profile la question : vers quoi se dirige le cinéma de Terrence Malick ? Quelle peut être la prochaine étape de sa filmographie à nulle autre pareille ? Une chose est sûre : dans la liberté absolue qui est la sienne, il ira jusqu’au bout de sa démarche artistique.

On retiendra…
La beauté des cadrages, de la photographie, des acteurs, de la musique. La liberté et la singularité de cette œuvre unique, fruit d’une recherche esthétique qui semble s’être accélérée avec le numérique.

On oubliera…
Le montage par associations d’idées a une limite, celle de la répétition. Le film manque de variation d’intensité. Le titre français du film qui n’a pas été traduit.

« Knight of cups » de Terrence Malick, avec Christian Bale, Cate Blanchett, Natalie Portman,…