mardi 8 novembre 2016

De battre mon cœur s’est arrêté (Réparer les vivants)

Le roman est extraordinaire, un texte d’une force et d’une beauté inouïes. Les si magnifiques phrases de Maylis de Kerangal ont d’ailleurs été déclamées sur scène dans deux mises en scène différentes [1]. A leur suite, Katell Quillévéré, auteur de l’excellent « Suzanne », s’est donc à son tour lancée dans l’aventure de ce texte, paru en 2013. Mais au cinéma le travail d’adaptation doit être beaucoup plus prononcé qu’au théâtre, puisqu’il n’est pas possible de simplement lire les phrases écrites par Maylis de Kerangal, narrant si puissamment cette épopée, celle de la transplantation d’un cœur, du corps d’un jeune homme donneur à celui d’une femme plus âgée receveuse.


Documentaire
Privée de cette narration littéraire, Katell Quillevéré s’est appuyée sur deux forces du médium cinéma : sa puissance documentaire et sa puissance onirique. Au passage, que le film soit privé de la narration du roman, cela a aussi pour conséquence que cette œuvre se retrouve presque entièrement dépourvue d’humour – et c’est d’ailleurs sûrement ce qui tranche le plus lorsqu’on compare l’impression laissée par le film à celles laissées par le roman ou les pièces de théâtre.
La puissance documentaire, donc : l’impression de réel, portée par le réalisme de la mise en scène et l’excellent jeu des acteurs, est extrêmement forte. Face à la gravité de ce qui est décrit, l’émotion surgit très vite. Elle est dense, aigue, mais la réalisatrice réussit à la faire s’écouler calmement grâce à la musique (extraordinaire bande originale d’Alexandre Desplat) et aux trouées de sa narration, faites d’ellipses, de saut d’un personnage à un autre (la dimension chorale du roman est ici encore plus renforcée) et d’allers-retours temporels. Tout ça est beau et bien construit. On est très loin du film tire-larmes qu’on aurait pu redouter – même si des larmes, on en versera effectivement (et c’est très bien !).
Là où l’intérêt d’une adaptation au cinéma se fait le plus évident par sa « puissance documentaire », c’est lors des opérations chirurgicales de prélèvement et de greffage du cœur, ainsi que son transport. Nous est donné à contempler, frontalement et presque sans filtre, le miracle de cette opération de transplantation. C’est quelque chose de si dingue, de si héroïque, que ça excède les mots – et il fallait bien la neutralité des images pour capturer et donner à voir une partie de cet exploit inénarrable que constitue cette opération.

Métaphorique
La puissance onirique, ensuite : Katell Quillevéré ne peut enrichir ses images de toutes les métaphores, digressions, parallèles et autres que l’on trouve dans la narration d’un roman. Mais elle n’en a pas pour autant asséché son film à une seule et simple « vérité documentaire ». Elle développe ainsi quelques métaphores visuelles d’une grande force d’évocation, telle cette route qui se transforme en vague, qu’il est impossible d’oublier. C’est là encore très beau et témoigne de l’inventivité de mise en scène de la réalisatrice.
Qui ne s’exprime d’ailleurs pas que sur le plan de la réalisation, puisque le scénario-même du film se permet d’approfondir, d’enrichir certains nœuds de l’intrigue du roman (et en coupe d’autres), dans un excellent travail d’adaptation. Tout ce qui concerne la receveuse se retrouve dans le film beaucoup plus développé que dans le roman. « Réparer les vivants » au cinéma porte ainsi plus sur ce passage de la vie d’un corps à un autre opéré lors de la transplantation d’un cœur, passage rendu ici hautement symbolique car se faisant d’un fils à une mère.
Le film « Réparer les vivants », s’il n’éblouit pas autant que le roman dans le champ littéraire, par manque de singularité formelle, est cependant un excellent film, très émouvant, dont le travail d’adaptation exemplaire peut être vivement salué.

On retiendra…
La force documentaire et onirique de cette adaptation du si beau texte de Maylis de Kerangal au cinéma. La musique, magnifique, d’Alexandre Desplat, à la hauteur de l’émotion suscitée par le long-métrage.

On oubliera…
Des métaphores visuelles parfois un peu trop faciles ou éculées (telle la plongée des corps dans l’océan).

« Réparer les vivants » de Katell Quillévéré, avec Tahar Rahim, Anne Dorval,…




[1] D’abord par Emmanuel Noblet, puis par Sylvain Maurice – je préfère ce dernier spectacle, plus dépouillé. 

lundi 7 novembre 2016

Pauvres pécheurs (Le grand marin)

Fuyant un passé douloureux et mystérieux, Lili débarque en Alaska avec l’intention de s’embarquer sur un navire pour pêcher et s’oublier dans la rudesse du métier de marin. Pêcher le flétan, le crabe, la morue noire : cette vie si dure qu’elle ressemble plus à une survie, déjà extraordinairement difficile, l’est encore plus pour cette femme qui doit se battre pour s’imposer dans ce milieu presque exclusivement masculin.



Cet incroyable premier roman qu’est « Le grand marin » vaut d’abord pour la description de la vie de ces pêcheurs, qui pour supporter leur désespoir s’abîment dans ce métier harassant et dangereux, sans pouvoir pour autant renoncer à exercer cette activité une fois revenu à terre. Le portrait, simple, de cette humanité au bord du monde et au bord du gouffre est très émouvant car plein d’empathie.
Pour raconter cette histoire qui sent le vécu, Catherine Poulain use de la première personne et n’emploie que des phrases courtes, ce qui donne un style à la fois très réaliste (toutes les sensations de la pêche sont décrites) et très rythmé. Mais ce style apporte aussi une monotonie à l’écriture qui peut lasser à certains moments. L’aventure proposée par cette œuvre n’en est pas moins formidable de courage et de résilience, et a la richesse d’un témoignage.


« Le grand marin » de Catherine Poulain, aux éditions de l’Olivier

Fan film (Virtual revolution)

C’est une curiosité qu’on peut aller voir dans quelques salles en France : « Virtual revolution », premier film d’un français, Guy-Roger Duvert, réalisé avec des financements américains et issus d’une campagne de financement participatif sur Ulule. Un film « sauvage », libre et indépendant de tout circuit, groupe, institution. Un film de science-fiction, qui raconte une enquête dans un Paris du futur où la société s’est divisée en deux catégories : les « connectés » qui préfèrent les jeux en réalité virtuelle à leur propre vie, et les « hybrides », qui jouent de temps en temps mais n’en oublient pas pour autant la vie réelle.


Psychanalyse du réalisateur à ciel ouvert
Pour parler de l’emprise croissante des technologies du virtuel sur notre vie quotidienne, ce scénario, signé aussi Guy-Roger Duvert, est déjà lourdement métaphorique. Il est aussi lourdement didactique : avec sa narration en voix off et ses dialogues lents et explicatifs (apparemment, on prendra le temps d’articuler ses pensées avant de s’exprimer dans le futur), le film semble vouloir prouver à son spectateur qu’il est intelligent en s’expliquant lui-même. Ce qui au contraire le fait paraître très  bête. Comme si le réalisateur (à cause de la difficulté qu’il a eu pour financer son film ?) était tout le temps sur la défensive vis-à-vis de ses spectateurs, redoutant leur jugement… A ce titre, la fin du film, où une horde de « connectés » déconnectés agressent un petit groupe d’ « hybrides », ressemble à une exorcisation du pire cauchemar du réalisateur : sa mise à mort critique par ses spectateurs.

De l’hommage au plagiat
Pour le reste, le film est simplement mauvais. Les acteurs, pour impliqués qu’ils soient, restent marmoréens. Le rythme est très mal géré et alterne scènes d’action gratuites avec scènes de dialogues poussives chargées de faire avancer tant bien que mal l’intrigue. La réalisation s’égare dans quelques effets de mise en scène m’as-tu vu (tels les ralentis ou le plan-séquence à rallonge) qui font décrocher le spectateur du fil de l’histoire. Curieusement, tous ces défauts apportent aussi un charme à ce long-métrage. Parce qu’ils donnent une vraie allure « amateur » à « Virtual revolution », et que derrière « amateur » on sent la passion qui a présidé à l’élaboration de ce film, et que tout ça est très rafraîchissant. (Sauf en ce qui concerne le sous-titrage, lui-aussi amateur au vu du nombre de fautes commises.)
Mais on ne pourra pas passer sous silence le gros, l’énorme problème de ce film : son usage des références. A ce niveau-là, plutôt que d’inspiration ou d’hommage, on devrait plutôt parler de plagiat. Pour se figurer à quoi ressemble tout le film en-dehors de ses séquences en réalité virtuelle (qui empruntent à d’autres films ou jeux-vidéos), il suffit de s’imaginer « Blade runner » avec une Tour Eiffel plantée au milieu du décor de la ville (l’intrigue est censée se dérouler à « Néo-Paris » – ce qui n’a d’ailleurs aucun intérêt pour l’intrigue). C’est assez triste car ça donne l’impression que visuellement, l’équipe de « Virtual revolution » n’était capable que de copier. C’est encore plus triste, car ça range « Virtual revolution », malgré la qualité de ses effets spéciaux, dans la catégorie des « fan films », comme on en voit maintenant régulièrement sur le web.
Par ses défauts-mêmes, « Virtual revolution » est donc un film rare et rafraîchissant, mais quand très mauvais. Une curiosité, vraiment.

On retiendra…
Voir un long-métrage qui ressemble à un film amateur au cinéma, ça redonne cette sensation presque foraine de proximité avec l’équipe ayant réalisé le film.

On oubliera…
Le plagiat de « Blade runner », le scénario poussif, les acteurs inexpressifs, la réalisation qui en fait trop,…


« Virtual revolution » de Guy-Roger Duvert, avec Mike Dopud, Jane Badler,…