Le roman
est extraordinaire, un texte d’une force et d’une beauté inouïes. Les si
magnifiques phrases de Maylis de Kerangal ont d’ailleurs été déclamées sur
scène dans deux mises en scène différentes [1].
A leur suite, Katell Quillévéré, auteur de l’excellent « Suzanne »,
s’est donc à son tour lancée dans l’aventure de ce texte, paru en 2013. Mais au
cinéma le travail d’adaptation doit être beaucoup plus prononcé qu’au théâtre,
puisqu’il n’est pas possible de simplement lire les phrases écrites par Maylis
de Kerangal, narrant si puissamment cette épopée, celle de la transplantation
d’un cœur, du corps d’un jeune homme donneur à celui d’une femme plus âgée
receveuse.
Documentaire
Privée de
cette narration littéraire, Katell Quillevéré s’est appuyée sur deux forces du
médium cinéma : sa puissance documentaire et sa puissance onirique. Au
passage, que le film soit privé de la narration du roman, cela a aussi pour
conséquence que cette œuvre se retrouve presque entièrement dépourvue d’humour
– et c’est d’ailleurs sûrement ce qui tranche le plus lorsqu’on compare l’impression
laissée par le film à celles laissées par le roman ou les pièces de théâtre.
La
puissance documentaire, donc : l’impression de réel, portée par le
réalisme de la mise en scène et l’excellent jeu des acteurs, est extrêmement
forte. Face à la gravité de ce qui est décrit, l’émotion surgit très vite. Elle
est dense, aigue, mais la réalisatrice réussit à la faire s’écouler calmement
grâce à la musique (extraordinaire bande originale d’Alexandre Desplat) et aux
trouées de sa narration, faites d’ellipses, de saut d’un personnage à un autre
(la dimension chorale du roman est ici encore plus renforcée) et
d’allers-retours temporels. Tout ça est beau et bien construit. On est très
loin du film tire-larmes qu’on aurait pu redouter – même si des larmes, on en
versera effectivement (et c’est très bien !).
Là où
l’intérêt d’une adaptation au cinéma se fait le plus évident par sa « puissance
documentaire », c’est lors des opérations chirurgicales de prélèvement et
de greffage du cœur, ainsi que son transport. Nous est donné à contempler,
frontalement et presque sans filtre, le miracle de cette opération de
transplantation. C’est quelque chose de si dingue, de si héroïque, que ça
excède les mots – et il fallait bien la neutralité des images pour capturer et
donner à voir une partie de cet exploit inénarrable que constitue cette
opération.
Métaphorique
La
puissance onirique, ensuite : Katell Quillevéré ne peut enrichir ses
images de toutes les métaphores, digressions, parallèles et autres que l’on
trouve dans la narration d’un roman. Mais elle n’en a pas pour autant asséché
son film à une seule et simple « vérité documentaire ». Elle développe
ainsi quelques métaphores visuelles d’une grande force d’évocation, telle cette
route qui se transforme en vague, qu’il est impossible d’oublier. C’est là
encore très beau et témoigne de l’inventivité de mise en scène de la
réalisatrice.
Qui ne
s’exprime d’ailleurs pas que sur le plan de la réalisation, puisque le
scénario-même du film se permet d’approfondir, d’enrichir certains nœuds de
l’intrigue du roman (et en coupe d’autres), dans un excellent travail
d’adaptation. Tout ce qui concerne la receveuse se retrouve dans le film
beaucoup plus développé que dans le roman. « Réparer les vivants » au
cinéma porte ainsi plus sur ce passage de la vie d’un corps à un autre opéré
lors de la transplantation d’un cœur, passage rendu ici hautement symbolique
car se faisant d’un fils à une mère.
Le film « Réparer
les vivants », s’il n’éblouit pas autant que le roman dans le champ
littéraire, par manque de singularité formelle, est cependant un excellent film, très émouvant, dont le travail
d’adaptation exemplaire peut être vivement salué.
On retiendra…
La force documentaire et
onirique de cette adaptation du si beau texte de Maylis de Kerangal au cinéma.
La musique, magnifique, d’Alexandre Desplat, à la hauteur de l’émotion suscitée
par le long-métrage.
On oubliera…
Des métaphores visuelles parfois
un peu trop faciles ou éculées (telle la plongée des corps dans l’océan).
« Réparer les
vivants » de Katell Quillévéré, avec Tahar Rahim, Anne Dorval,…
[1]
D’abord par Emmanuel Noblet, puis par Sylvain Maurice – je préfère ce dernier
spectacle, plus dépouillé.
Je trouve que le film n'a pas bien exploité le roman qui (à mon avis) avait le but de montrer ce que chaque personnage a vécu à travers ces deux expériences: la mort soudaine d'un proche et le don d'organe à travers la description du chagrin des parents de Simon, et l'embarras et la difficulté dans lesquels le médecin et l'infirmier se sont trouvés en leur annonçant la mort de leur fils, et au moment où on leur a proposé le don d'organe, ce qui ne donne pas vraiment l'impression du réel (non plus le jeu des acteurs qui étaient froids par rapport à la gravité de l'évènement).
RépondreSupprimerLe film n'a pas insisté non plus sur ce que la receveuse a vécu d'émotions juste avant le greffage, ses enfants non plus.
D'autre part, au début du film, la musique n'était pas suffisamment présente, ce qui le rend moins émouvant, et j'aurais aimé qu'on consacre quelques minutes de plus pour parler de la vie de Simon, son caractère et sa relation avec ses parents avant sa mort.
Pas d'accord ! On voit très bien la gêne de Tahar Rahim à évoquer le sujet du don d'organes, il est très fort pour jour l'hésitation. Là où il y a un bug, c'est sûr l'interprétation du père (Kool Shen), beaucoup trop minéral...
SupprimerPour la receveuse, le film traite surtout du lien mère-fils. Mais c'est vrai qu'il a un peu vite, parce qu'à ce moment la transplantation est en cours et que l'urgence domine, le film ne pouvait pas faire retomber ce sentiment d'urgence en s'attardant.
Je suis d'accord pour Simon, j'aurais aimé que lui et sa famille soient plus présents ! Mais c'est un film choral, on glisse d'un personnage à l'autre, ce qui est en jeu c'est la transmission, c'est pour ça qu'il n'y a pas de retour vers Simon.