lundi 18 décembre 2017

L’espoir déçu (Star Wars VIII, les derniers Jedi)

La politique éditoriale de Disney
L’épisode VIII de la saga « Star Wars » est le troisième film « Star Wars » que l’on voit en trois ans. La sortie de la première trilogie s’était étalée sur six ans (1977-1983), de même pour celle de la deuxième (1999-2005). Disney va maintenir le rythme d’un film « Star Wars » par an jusqu’à au moins 2020… Cette densité anormale de films explique peut-être en partie la lassitude ressentie en sortant de la projection de ce nouveau long-métrage. En partie… car « Les derniers Jedi » est sans conteste le plus mauvais des trois films « Star Wars » produits par Disney.
En 2015, JJ Abrams avait relancé la saga en lui restant très fidèle. Il avait formidablement ressuscité l’esprit de la première trilogie (IV – V – VI), mais quelque peu déçu sur l’absence réelle de nouveauté formelle et narrative apportées à la saga. Un an plus tard, « Rogue One » de Gareth Edwards avait répondu à ces déceptions en réalisant un film qui mettait à mal tous les codes du film « Star Wars », faisant souffler un vent d’air frais dépoussiérant cet univers.
Chargé de prendre le relais de JJ Abrams pour réaliser l’épisode VIII, Rian Johnson, l’auteur de l’excellent « Looper », a positionné son film (ou a été obligé de positionner son film, on ne sait pas trop qui du réalisateur ou du producteur décide de ces directions à Disney) entre « Le réveil de la Force » et « Rogue One », soit entre tradition et révolution. Mais il rate les deux.


La Force s’est réveillée fade
C’est en regardant « Les derniers Jedi » que l’on se rend compte du talent dont a fait preuve JJ Abrams pour renouer avec l’esprit des films originaux. Ce n’était peut-être pas très audacieux (mais l’épisode VII était pensé comme une introduction), pour autant ce n’était non plus facile à faire. La preuve en est apportée aujourd’hui, puisque Rian Johnson échoue complètement à renouer avec cet esprit. Sauf exceptions, « Les derniers Jedi » est fade, pas drôle, ennuyeux, répétitif et parfois ridicule.
La légèreté retrouvée dans l’épisode VII s’est envolée dans l’épisode VIII, la faute notamment à des idées de gag qui ne font pas rire. L’humour est difficile à maîtriser, tant il tient à si peu de choses… mais ici il ne fonctionne pas Ainsi, les personnages apparus dans l’épisode précédent (Rey, Finn, Poe,…), que l’on était content de retrouver, ont ici perdu de leur pouvoir comique. Ils paraissent très caricaturaux, semblant incapables de la moindre évolution psychologique (ce qui n’a d’ailleurs jamais été le point fort de la saga). Par exemple, Poe Dameron est une tête brûlée, il le restera quoi qu’il lui arrive… Les réactions des personnages sont si prévisibles qu’ils deviennent complètement vains.
Quant aux nouveaux personnages introduits dans cet épisode, ils dessinent une « peoplisation », inédite de « Star Wars », des plus malvenues : Benicio del Toro n’arrive pas à faire oublier qu’il est Benicio del Toro. Les anciens personnages (Luke et Leia) ne sont pas mieux dessinés : leurs comportements sont eux-aussi caricaturaux. Par exemple, de l’émotion qu’avait réussi à susciter JJ Abrams dans le dernier plan du « Réveil de la Force » avec le retour à l’écran de Mark Hamill, il ne reste ici plus rien. Les leçons sur la Force qu’il professe à Rey semblent la bouleverser mais ne soulèvent rien chez le spectateur, tant les discours prononcés sont ridicules. Le manque d’idées originales et drôles dans toute cette partie est criant.

Rereremake
Pour résumer, cet épisode raconte la fuite des troupes de la Résistance face aux troupes plus nombreuses et mieux armées du Premier Ordre. On voit d’abord la Résistance fuir la surface d’une planète, puis fuir à bord de vaisseaux dans l’espace, puis fuir une forteresse sur la surface d’une planète. Une course-poursuite linéaire n’est pas forcément un mauvais scénario, comme l’a on ne peut mieux démontré « Mad Max Fury Road ». Mais ici, ce qui est raconté est chaque fois la même chose : pour contrer le Premier Ordre, il faut une mission-suicide (plus ou moins compliquée) : détruire un vaisseau, un disjoncteur, une nouvelle « Etoile de la Mort » en version terrestre… Or ce schéma narratif était déjà celui des deux derniers films « Star Wars » ! Sa triple répétition, dans un même film, donne la terrible impression d’une absence totale d’inspiration des scénaristes, qui semblent avoir été réduits à tracer des boucles narratives pour faire passer le temps d’ici l’épisode IX. A l’image de ce que propose la bande originale de John Williams, qui ronronne sans qu’on y prête attention les thèmes musicaux déjà présentés dans l’épisode VII.

La République en marche
« Les derniers Jedi » n’est cependant pas aussi « immobiliste » que le laisse penser sa structure narrative. A la faveur d’une confrontation entre Kylo Ren et Rey, apparaît en effet une immense lueur d’espoir : la fin du manichéisme. Kylo Ren propose à Rey dans un discours très macronien de le rejoindre et de créer un ordre nouveau, ni Premier Ordre/Empire, ni Résistance/Rébellion. Moment de vacillement : les perspectives narratives ouvertes par ce geste de Kylo Ren sont immenses ! Pour une fois, on ne devine plus vers quoi tend la saga. (C’est à croire que pour écrire cette scène les scénaristes se sont inspirés de la campagne présidentielle française !)
Las. Rey refuse, et le film retombe sur les rails bien rectilignes et prévisibles de la lutte du Bien et du Mal. Et ce, alors même qu'il s’était à un autre moment permis d’esquisser une nouvelle complexité avec le discours du personnage de Benicio del Toro sur les marchands d’arme (pour finalement ne rien en faire).
Pour ces lueurs d’espoir, et les belles idées visuelles déployées par le film, tels que les sillons rouges tracés par les vaisseaux sur la planète où se conclue le film (planète qu’on croirait tout droit sortie des « Star Trek » de JJ Abrams), la chambre d’audience de Snoke (inspirée par la Loge Rouge de « Twin Peaks » ?) ou le moment de silence suivant l’explosion du vaisseau amiral de la Résistance, « Les derniers Jedi » aurait pu séduire. Mais il est beaucoup trop long, pas assez drôle, et l’espoir qu’il suscite est en fait un espoir déçu. Vivement le retour de JJ Abrams.

On retiendra…
Une lueur d’espoir promettant la déviation de l’histoire de « Star Wars » vers des contrées narratives et politiques inconnues…

On oubliera…
… mais bien vite déçue. Cet épisode ronronne dans une routine narrative fatiguée et lassante, qu’on croirait pensée pour faire passer le temps d’ici l’épisode suivant.


« Star Wars VIII » de Rian Johnson, avec Daisy Ridley, Adam Driver, Mark Hamill,…

dimanche 17 décembre 2017

Classique (Vol au-dessus d'un nid de coucou)

Avant de signer en 1964 le monstre littéraire qu’est « Et quelquefois j’ai comme une grande idée », Ken Kesey a publié deux ans auparavant le roman qui l’a rendu célèbre, « Vol au-dessus d’un nid de coucou ». Le livre est aujourd’hui rentré dans la culture populaire grâce à son adaptation cinéma, au point qu’il est impossible de lire le premier roman de Kesey sans associer aux personnages les visages des acteurs du film qui les interprètent, Jack Nicholson en tête.


« Vol au-dessus d’un nid de coucou » nous plonge dans le quotidien de patients d’une section d’un hôpital psychiatrique américain. Tout y est organisé et chronométré d’une main de fer par l’infirmière en chef Mlle Ratched. Jusqu’à l’arrivée d’un patient très turbulent, McMurphy, qui en bousculant l’ordre tyrannique institué par l’impitoyable infirmière, va réveiller beaucoup de consciences parmi les patients du service et raviver leurs espoirs.
L’histoire est narrée à la première personne par un autre patient du service. Cette narration de l’intérieur donne une sensation documentaire au roman, d’autant plus frappante que la réalité qui y est dépeinte témoigne de pratiques aberrantes et méconnues (que l’on espère révolues), notamment l’usage des électrochocs. Infiniment drôle et en même temps très triste – car on se doute dès les premières pages de l’issue de la confrontation entre McMurphy et Mlle Ratched –, « Vol au-dessus d’un nid de coucou » fait vivre avec beaucoup d’émotions une galerie de personnages forcément hauts en couleurs, et se distingue par la sensibilité de sa narration. Le narrateur est en effet victime de douces hallucinations voire de crises de folie, qui confèrent aux situations racontées une poésie à mille lieues de la description froide et clinique du fonctionnement d’un service psychiatrique qu’on aurait pu craindre.
Ce premier roman de Ken Kesey reste son plus connu alors qu'il est bien moins ambitieux et virtuose que « Et quelquefois j’ai comme une grande idée ». L'excellente fortune de l'adaptation cinématographique par Milos Forman de « Vol au-dessus d’un nid de coucou » explique sûrement la différence de notoriété entre ces deux romans, composant l'essentiel de l'oeuvre romanesque de Ken Kesey. Il faut lire « Vol au-dessus d’un nid de coucou »... mais aussi et surtout « Et quelquefois j’ai comme une grande idée » !

« Vol au-dessus d’un nid de coucou » de Ken Kesey (1962)

samedi 18 novembre 2017

Hypnose électrique (Blade runner 2049)

Par sa beauté visuelle, sa musique électronique envoûtante et son vertige métaphysique, alliés aux conditions désastreuses de sa sortie en salle,  « Blade runner » fait partie de ces légendes du cinéma. Il figure ainsi derrière « 2001 : l’odyssée de l’espace » au sommet du panthéon des films de science-fiction au coude à coude avec « Alien, le huitième passager » - réalisé avant « Blade runner » par le même Ridley Scott ! Etant donné la malédiction qui semblait s’être abattue sur le film à sa sortie, espérer qu’une suite voie le jour avait tout du rêve impossible. Surtout maintenant qu’avec les années et les ressorties, le film a acquis un statut de chef-d’œuvre indiscutable, à la limite de l’intouchable. Mais le projet de faire une suite à « Blade runner » est pourtant bien entré en discussion, puis devenu de moins en moins fou jusqu’à être complètement convaincant lorsque Ridley Scott s’est retiré de la réalisation pour la confier à Denis Villeneuve – un choix tout simplement parfait (comme tout ce que fait Denis Villeneuve). C’est rare, mais on avait donc toutes les raisons d’y croire.


Contemplation
« Blade runner 2049 » est une splendeur visuelle rare, pour ne pas dire inouïe. Il n’y a pas un plan du film qui ne suscite l’admiration ! Celle-ci est moins un héritage du film original que la marque de Denis Villeneuve, dont le style visuel en fait peut-être le meilleur héritier actuel de Kubrick. Les cadrages, la photographie, la direction artistique : la beauté est partout. En conséquence, « Blade runner 2049 » n’est pas un film qui se regarde, mais un film qui se contemple. Le spectateur est aidé en cela par le rythme lent du montage, qui vise – avec succès  –  à l’hypnose. A ce propos, avoir pu imposer un tel rythme est une véritable incongruité dans le champ des blockbusters, une preuve évidente de la liberté de Villeneuve lors de la création du long-métrage… ou de sa force de conviction ! Pour tout dire, même Ridley Scott aujourd’hui ne se serait pas permis un tel montage.

Vertiges
« Blade runner 2049 » est aussi une histoire d’une intelligence rare. Ne pas avoir tranché sur la nature réplicante ou humaine de Rick Deckard en est le meilleur exemple. Au niveau de la construction narrative, le faux twist que l’on croit deviner au premier tiers du film mais qui ne sert qu’à mieux cacher le vrai est un coup d’éclat.
Le mystère central autour duquel tout le film est articulé provoque, après la surprise, le même vertige métaphysique que le film original. « Blade runner 2049 » prolonge en fait et les approfondit les questionnements sur la nature humaine de « Blade runner », en ajoutant notamment les intelligences artificielles à la confusion entre réplicant et humain. (Sur ce sujet, « Blade runner 2049 » s’impose comme la nouvelle référence cinématographique – il écrase et renvoie par exemple à l’insignifiance les récents « Ghost in the shell » et « Her ».) Meilleur exemple de cette confusion, l’incroyable scène d’amour désynchronisée par la procuration d’une femme entre l’androïde K et l’I.A. Joi, extrêmement troublante et émouvante, est la plus belle et audacieuse idée du film.
« Blade runner 2049 » est tissé d’une multitude d’échos au film originel – des scènes sont d’explicites remakes de scènes emblématiques de « Blade runner ». Il en est aussi une explication de texte, une tentative de le comprendre : lorsque l’industriel Wallace interroge Rick Deckard sur le mystère de sa nature lors de leur confrontation finale, c’est la fiction qui s’autoanalyse et se met en doute – le film est alors complètement « dickien » (digne des doutes métaphysiques de Philip K. Dick).
Les plus beaux échos au film originel concernent la musique. La bande originale est une recombinaison de la mythique bande originale de Vangelis. Elle est d’ailleurs si constitutive de l’émotion de « Blade runner » que la simple reprise de « Tears in the rain » à la toute fin arrache des larmes et déclenche le sommet émotionnel du film.
Parce que « Blade runner 2049 » ne pourrait pas exister s’il n’y avait pas eu « Blade runner », la question de savoir si le film de Denis Villeneuve a dépassé le film de Ridley Scott ne peut pas être posée. Mais il en est digne, indubitablement. « Blade runner 2049 » est une nouvelle date dans l’histoire du cinéma de science-fiction.

On retiendra…
La beauté du film. Son rythme hypnotique. Les vertiges qu’il procure, en reprenant avec intelligence pour les amplifier les thèmes de « Blade runner ».

On oubliera…
La bande originale manque un peu d’audace.


« Blade runner 2049 » de Denis Villeneuve, avec Ryan Gosling, Harison Ford,…

dimanche 1 octobre 2017

Le cas Aronofsky (Mother !)

Avec « The wrestler » (2009) puis « Black swan » (2011), Darren Aronofsky s’était imposé comme l’un des meilleurs réalisateurs au monde (« Black swan » est assurément l’un des meilleurs films de la décennie), grâce notamment à une direction d’acteurs époustouflante. Ces deux films dessinaient cependant une limite car ils étaient bâtis selon le même schéma : suivre en permanence caméra à l’épaule au plus près d’un personnage son accomplissement, qui passe par beaucoup de souffrance et croise la folie. Ces deux films reposaient tout entier sur la performance de leurs acteurs principaux respectifs, Mickey Rourke et Natalie Portman. Ils traitaient des mêmes interrogations sur le prix de la création (faut-il aller jusqu’à la souffrance pour devenir un génie ?) qui faisaient écho au processus-même de création du film puisque la souffrance des personnages pour accomplir leurs rêves rejoignait celle des acteurs pour décrocher leur Oscar.


Systématismes
Après un détour un peu déroutant mais plutôt impressionnant par le blockbuster biblique avec « Noé » (un vieux rêve du réalisateur), Aronofsky est revenu à son « système » avec « Mother ! ». La caméra à hauteur d’épaule ne décroche pas une seconde du personnage principal, interprété par Jennifer Lawrence. Elle sera maltraitée tout au long du film, dans une lente mais très longue plongée dans l’horreur. La distinction entre réalité et folie est très incertaine. Autant de similitudes qui établissent un système de fiction d’Aronofsky. De plus, « Mother ! » traite bien de la création, mais d’une manière légèrement décalée puisque le personnage principal qui paye le prix de la création n’est plus le créateur (un écrivain interprété par Javier Bardem) mais sa muse.
Généralement, quand on reconnait un systématisme, c’est qu’une limite est atteinte.  Ici l’atteinte de la limite est particulièrement spectaculaire. Le souci avec les films qui montent en crescendo tels ceux d’Aronofsky, c’est que si le spectateur décroche, tout ce qui suit le moment du décrochage va alimenter sa déception, puis sa colère, et parfois sa haine. Au vu du nombre de spectateurs qui ont quitté la salle au cours de la projection, ce dernier point est régulièrement atteint par le film.

Démesure
Le problème de « Mother ! » est qu’Aronofsky n’a plus aucun sens de la mesure. Le film est très, très lourdement chargé de symboles, de références, jusqu’au ridicule : le cœur battant de la maison (on a vu plus subtil comme métaphore écolo) par exemple ou le fait qu’aucun personnage n’ait de nom (ce qui n’allège pas leur côté allégorique). Et quand le film vire franchement dans la folie dans sa deuxième partie, il n’y va pas avec le dos de la cuillère. Cette partie est interminable, et interminablement répétitive. Le cauchemar qui ne veut pas s’arrêter dure si longtemps qu’il en devient insoutenable. Cela rappelle les pires moments de « Requiem for a dream », le film le plus horrible d’Aronofsky.
Sauf qu’ici tout tourne à vide (le choix du terme « tout » étant donné l’ambition totalisante de cette partie). La folie à l’écran va-t-elle avoir un sens ? ou cela est-il purement allégorique ? se demande-t-on tout au long de la projection. Le final répondra malheureusement à la question de la manière la plus décevante qui soit (et d’autant plus qu’on finit par le deviner et le craindre avant la fin du film). Ce final est un tel exploit déceptif qu’il agit comme un choc sur les spectateurs. Tout ça pour ça ? Oui.

Autoportrait
La seule manière un peu intéressante de considérer « Mother ! » (c’est-à-dire autrement que comme un ratage majeur) est de le voir comme un autoportrait du réalisateur Darren Aronofsky. Il serait à l’écran l’écrivain interprété par Javier Bardem. Le final nous montre que tout ce qui a été montré sort de la tête de l’écrivain, de même que le film a été imaginé, écrit (apparemment en cinq jours, ce qui peut expliquer certains choses) et réalisé par Aronofsky. Jennifer Lawrence, qui joue la muse de l’écrivain, est la femme d’Aronofsky et les deux couples (fictifs et réels) ont le même écart d’âge. La souffrance de l’actrice nécessaire à la crédibilité du cauchemar imaginé par le réalisateur rejoint celle dans la fiction du personnage aidant son mari à accoucher d’un nouveau roman. C’est donc comme si la folie, la démesure d’Aronofsky avait contaminé son œuvre, à tous les niveaux.
Mais la résonance entre le fond et la forme a ses limites : un mauvais film comme « Mother ! » reste un mauvais film. La carrière en dent de scie de Darren Aronofsky est décidément pleine de surprises.

On retiendra…
Le possible autoportrait.

On oubliera…
Un raté intégral. Aronofsky transforme ses thèmes récurrents en névroses obsessionnelles et termine par le final le plus déceptif qui soit.


« Mother ! » de Darren Aronofsky, avec Jennifer Lawrence, Javier Bardem,…

dimanche 17 septembre 2017

Le caprice de gosse (Valérian et la Cité des mille planètes)

Rappel des faits
1997. Luc Besson est au sommet. Après le succès international de « Léon », il réalise d’après une histoire originale « Le cinquième élément », le film le plus cher jamais produit en Europe.
C’est un chef-d’œuvre, d’une originalité visuelle folle, d’une drôlerie inouïe, avec des scènes d’action spectaculaires et des moments de grâce poignants. Une réussite telle que le film est inusable : visionnage après visionnage, il demeure toujours aussi génial.
2017. Luc Besson est au sommet. Après le succès international de « Lucy », il réalise d’après les BD de Christin et Mézières « Valérian et la cité des mille planètes », le film le plus cher jamais produit en Europe.

Un fol espoir
A la fin de la projection de « Valérian », j’étais en deuil. Il n’y aura pas de deuxième « Cinquième élément ».
A chaque fois que j’ai regardé « Le cinquième élément » je me suis dit : « Le cinéaste qui a fait ce film est encore en activité. Il est donc possible qu’il refasse un jour un film aussi énorme. » Cet espoir s’était bien tari depuis que Luc Besson avait franchi la fameuse barrière des dix films qu’il s’était fixé comme limite à sa filmographie dans les années 90. De « Arthur et les Minimoys 2 » à « Lucy », Luc Besson a enchaîné les films moyens, médiocres ou nuls. Mais il était aussi devenu son propre producteur : après « Le cinquième élément », Luc Besson a bâti un véritable empire cinématographique nommé Europacorp, sans aucun équivalent dans l’histoire du cinéma français. Ecole de cinéma, plateau de tournage, salles de cinéma, séries télévisées et attractions foraines : Europacorp s’est étendu à toute la chaine de production cinématographique. On pardonnait à Besson de réaliser des films moins bons s’ils lui servaient à étendre son empire, car on se rassurait en se disant que l’expansion d’Europacorp avait un objectif : la réalisation d’un nouveau « Cinquième élément ». Cet espoir s’est concrétisé lorsque le cinéaste a annoncé son intention de porter à l’écran les aventures de « Valérian et Laureline ». Ce projet sonnait comme un retour puisque la série de BD avait déjà fortement inspiré « Le cinquième élément ».
Mais le Luc Besson inventif et drôle des années 90 n’est pas revenu. C’est encore une fois le Luc Besson producteur qui a réalisé « Valérian et le cité des mille planètes ». Le film est une déception : il est incroyablement mal écrit, visuellement bancal, et pour achever le tout, mal interprété.


Scénario alambiqué paumatoire
Le scénario – et par extension, le film dans son ensemble – parait avoir été bâclé. Comme si Luc Besson n’avait pas retouché à l’histoire qu’il annonce avoir écrit il y a vingt ans… Il s’est effectivement inspiré de l’album « L’ambassadeur des ombres » (un des meilleurs de la série), mais a inutilement compliqué l’intrigue, en rajoutant une vague enquête policière à l’histoire simplement linéaire de l’album. Comme si Besson avait eu peur de faire simple ! D’où sûrement les sophistications de l’intrigue, hélas rendues quasiment incompréhensibles par la rapidité du film. « Valérian » ne cesse en effet d’avancer sans explications. On ne se rappelle même plus au milieu du film après quoi courent les personnages. L’action est toujours expliquée en même temps qu’elle a lieu : on ne découvre les objectifs des missions de Valérian et Laureline qu’au moment où ils les atteignent. Une méthode d’écriture qui visait sûrement à épargner au spectateur des scènes d’exposition… mais qui a en fait réduit à néant la dramaturgie du film, puisqu’on ne comprend pas ce qui se passe.
Le film enchaine ainsi des séquences qui paraissent sans liens, et qui semblent donc complètement gratuites, et surtout trop nombreuses… Alors que l’objectif, on le voit, était de créer une profusion de péripéties, d’organiser un déferlement visuel, pour atteindre à une forme de fantaisie quasi foraine. En l’état, le film parait beaucoup trop long (2h20). Besson défend son film comme étant « un rêve de gosse », mais « Valérian » est en fait plus proche d’un caprice de gosse ! Ironie de l’histoire quand on connait l’infortune du film au box-office : « Valérian » aurait énormément gagné à être plus simple, plus court, moins riche… et donc s’il avait coûté moins cher !
L’illustration la plus parlante de cette dernière assertion est la scène de danse de Rihanna. Il est coutumier de voir des numéros musicaux dans les films de Luc Besson, mais ici la présence de la chanteuse au casting semble justifiée par la seule exposition médiatique qu’a apporté la star à la promotion du film. Le film se débarrasse en effet de son personnage sitôt sa fonction remplie, par une mort ridicule… Sans atteindre les sommets d’indécence de la séquence finale d’ « Astérix aux Jeux Olympiques » (précédent budget cinéma record français), la présence de Rihanna a vraisemblablement couté cher pour une séquence qui alourdit et affaiblit le film.
D’où la question : Luc Besson avait-il trop d’argent pour faire son film ? Il semble bien que le problème numéro 1 de « Valérian » soit le fait que Luc Besson ait été son propre producteur et seul auteur du scénario… et qu’il se soit laissé dépasser par les enjeux commerciaux représenté par le film pour sa société de production.

Sensation numérique gênante
Après son écriture très médiocre, « Valérian » se distingue par son étrange qualité visuelle. Il y a une « sensation numérique » des images, omniprésente tout au long du film. Les effets spéciaux, pourtant réalisés par les pointures du secteur, font plus ressembler « Valérian » à du cinéma d’animation (typiquement « Arthur et les Minimoys ») qu’à un film à prises de vues réelles.
Ce refus du photoréalisme résulte à n’en pas douter d’un choix artistique du réalisateur, qui souhaite rapprocher son film du merveilleux et de la fantaisie de traits de la bande dessinée. Une démarche louable dans son intention mais qui va très mal vieillir : les effets spéciaux de « Valérian » vont à coup sûr prendre un sacré coup de vieux dans les années qui viennent… Il aurait mieux valu adopter un parti pris esthétique basé sur des effets spéciaux à l’ancienne – parti déjà à l’œuvre dans « Le cinquième élément » - qui aurait tout autant, si ce n’est plus, apporté un côté « BD » au film et l’aurait surtout préservé de la détérioration rapide de l’appréciation des images numériques…
La direction artistique peut être qualifiée d’« audacieuse », dans le sens où elle ose parfois flirter avec le mauvais goût, voire la laideur (tel le monstre réplicateur ou les trois Dogan Daguis), ce qui laisse toujours pantois : est-ce une prouesse de montrer quelque chose de moche ? La direction artistique est en tout cas très inégale : certains décors font vraiment toc (comme le centre de commandement de la Terre sur Alpha), là où d’autres sont très réussis (le vaisseau sous-marin par exemple). Une autre marque donnant l’impression d’un laisser-aller de la part du réalisateur…

Charisme inexistant des acteurs
La qualité première des films de Luc Besson est leur humour, qui s’appuie notamment sur l’interprétation des acteurs. Mais il y a aussi du laisser-aller dans la direction d’acteurs (ou leur implication ?). Tout le monde reste plus ou moins de marbre, comme si personne ne semblait vraiment y croire. A part quelques créatures extraterrestres 100% numériques, aucun personnage n’est vraiment drôle.
Les problèmes se concentrent autour de Valérian et Laureline. Difficile de jeter la pierre aux seuls interprètes des personnages, Dane DeHaan et Cara Delevingne, qui ont suivi le script et les indications du scénariste et réalisateur Luc Besson. Celui-ci a fait de Valérian un mauvais garçon séducteur. L’essentiel des dialogues que s’échangent Valérian et Laureline servent d’intermèdes comiques (fort peu comiques) durant lesquels Valérian essaye de séduire Laureline. Les personnages seront à peine plus caractérisés et n’évolueront pas ou presque pendant tout le film. Sans passé, sans histoire, sans contexte, ils sont donc complétement inconsistants, ce qui est encore aggravé par l’absence de charisme des deux acteurs.

Quelques points forts
Que reste-t-il à sauver ? La séquence d’introduction sur fond de Bowie est très bien pensée et pleine de clins d’œil. Le film enchaine ensuite sur une séquence extra-terrestre assez audacieuse car quasi muette. L’idée de la séquence au « Big Market » mêlant différents niveaux de réalité s’avère aussi intéressante du point de vue de la mise en scène. Riche en métaphores, elle aurait pu constituer l’un des sommets du film si elle avait été correctement maîtrisée : le passage d’un niveau de réalité à l’autre et leur imbrication est assez confus. Le vrai sommet du film est la séquence chez les extra-terrestres anthropophages ayant capturé Laureline, la seule digne de l’inventivité et de l’humour du Luc Besson d’antan. On peut encore citer les trois Dogan Daguis (les Shingouz de la BD) qui sont peut-être laids mais très drôles.
« Valérian » comporte donc quand même quelques points forts qui laissent penser qu’un meilleur film aurait pu être possible. S’il faut bien admettre malheureusement l’échec artistique global du film, ainsi que son échec industriel, Luc Besson n’a pas complètement perdu son pari. Il a réussi à transmettre son rêve à de nombreux spectateurs français et peut-être européens : l’Europe peut aussi produire des blockbusters de science-fiction à gros budget. L’Europe peut aussi avoir son « Star Wars ». Ce rêve qui dépasse le film existe toujours après « Valérian », et il n’a jamais été aussi fort.

On retiendra…
Quelques (rares) séquences renouent avec l’humour et l’inventivité de « Le cinquième élément ».

On oubliera…
Trop long, mal écrit, difficile à comprendre, pas assez drôle et très faible dans ses scènes d’action : « Valérian » déçoit les promesses de son budget pharaonique.


« Valérian et la Cité des mille planètes » de Luc Besson, avec Dane DeHaan, Cara Delevingne,…

dimanche 6 août 2017

L’expérience de la guerre (Dunkerque)

 « Air : une heure », « Mer : un jour », « Terre : une semaine » : avec ces trois inserts, Christopher Nolan expose le dispositif formel de son nouveau film, qui tourne une fois de plus sur la distorsion temporelle. « Dunkerque » est un montage entrecroisé de trois actions s’étalant sur des échelles de temps différentes mais rassemblées par la magie du montage en une unique temporalité d’une durée totale de 1h47. Indéniablement, le temps est le sujet principal d’étude du cinéaste, et la cheville ouvrière de ses scénarios.


Tension
Le film est guidé par une obsession, celle de l’immersion. On suit de très près les faits et gestes de trois personnages (et de bien d’autres auteurs d’eux) : un soldat, un pilote d’aviation, et un marin civil. Il n’y a pas de scène d’exposition, le film nous plonge directement dans l’action. Les personnages sont donc « essentialisés » aux seuls buts qu’ils poursuivent : fuir à tout prix la plage de Dunkerque, protéger l’espace aérien, évacuer les soldats de Dunkerque… Le nom de certains personnages ne sera même pas connu. Ils vivent dans l’urgence extrême : l’arrivée de l’armée nazie est imminente.
Pour montrer l’horreur de cette course contre la montre, Christopher Nolan déroule une véritable mécanique cauchemardesque : le danger, pour les personnages sera permanent et perpétuellement renouvelé. Le scénario accumule les péripéties, sans jamais ménager ses spectateurs, brisant systématiquement les rares moments de repos par une nouvelle catastrophe. C’est rendu possible grâce aux trois histoires narrées parallèlement. Le film saute d’une ligne à une autre, d’un péril à un autre, pour maintenir la tension toujours à son plus haut, jusqu’au bout. La course contre la montre est rappelée de manière très littérale (ce qui est typiquement nolanien) par le tic-tac d’une horloge, présent en sourdine dans toute la bande-son du film composée (on ne change pas une équipe qui gagne) par Hans Zimmer.
Christoper Nolan est un des réalisateurs les plus doués pour créer de la tension, comme l’avait démontré de manière inouïe plusieurs séquences de « Interstellar » par exemple. Avec « Dunkerque », c’est comme s’il avait voulu étirer les pics de tension atteints dans « Interstellar » à toute la durée d’un film. Le but étant de faire ressentir au spectateur une tension égale à celle des soldats acculés sur la plage de Dunkerque. C’est un projet fou, à la hauteur de l’ambition du réalisateur. Mais un projet, malgré tout le talent du réalisateur, impossible à accomplir. Si « Dunkerque » est un monument de tension, une véritable « expérience » cinématographique, d’une intensité rare, le film finit par buter contre les limites de son système formel – ou plutôt contre les limites de l’écriture de Nolan, comme « Interstellar » avant lui.

Surtension
A force d’enchaîner les péripéties en sautant d’une ligne narrative à une autre, Nolan finit par fatiguer puis exténuer le spectateur. Le film multiplie en effet les effets de réalisation, et notamment les effets sonores, dans une surenchère répondant à l’accumulation folle de péripéties permise par les trois lignes narratives. Et cette accumulation finit par rendre évidente l’artificialité du scénario et du montage du film.
La distorsion du temps dans « Dunkerque » est un pur artifice de montage, et assumé comme tel par les inserts au début du film. Ce montage n’a pas d’autre justification que la volonté arbitraire du réalisateur d’assommer ces spectateurs par des péripéties relançant encore et toujours le suspense, alors que les dilatations étaient expliquées dans « Inception » par les rêves emboîtés et dans « Interstellar » par la relativité. Nolan crée de la tension pour servir l’immersion, mais l’excès de tension finit par se retourner contre la sensation d’immersion en rappelant la nature artificielle du montage. Lorsqu’on en prend conscience, le caractère arbitraire d’une fiction tend en effet à nous « faire sortir du film ». Le dispositif formel trouve ici sa limite. Le projet échoue : on ne ressent pas la tension des soldats pendant toute la durée du film, mais en fait jusqu’à ce que l’on se rappelle que l’on regarde un film.

Brexit
Il n’empêche, « Dunkerque » reste un formidable spectacle. D’autant plus rare et précieux qu’il s’agit d’un blockbuster hollywoodien complètement original, ni suite, ni remake, ni future franchise… « Dunkerque » marque aussi par sa résonance très forte avec l’actualité : cette histoire de repli des britanniques, quittant le sol européen, rappelle de manière frappante le Brexit (mais le parallèle s’arrête là, ce n’est pas pour fuir l’extrême droite que le Royaume-Uni a voté le Brexit, bien au contraire…). Même si le film ne tient aucun discours sur le Brexit ou sur notre époque, car il n’a été écrit que comme une reconstitution historique et avant le vote du Brexit, cette résonance rend les images de la fuite des britanniques particulièrement poignante et dérangeante… Presque involontairement, « Dunkerque » est le premier grand film sur le Brexit.

On retiendra…
La sensation d’immersion, l’extrême tension qui parcourt le film. La résonance avec le Brexit.

On oubliera…
L’excès de tension finit par détruire la sensation d’immersion.


« Dunkerque » de Christopher Nolan, avec Fionn Whitehead, Tom Hardy, Mark Rylance,…

Le non-film de l’été (La momie)


Univers étendus
Pour les blockbusters américains, 2017 est l’année des univers partagés. Cette stratégie narrative, qui consiste à produire des films aux histoires interconnectées, les rapprochant parfois d’épisodes de série télévisée, a été lancée par Disney pour les films adaptés des comics Marvel, qui s’inscrivent tous dans une saga intitulée « Marvel cinematic universe ». Depuis « Avengers », sorti en 2012, cette stratégie s’est avérée si lucrative que les autres studios hollywoodiens se sont empressés de reprendre à leur compte la formule de Disney, pour lancer leurs propres univers partagés.
Ainsi Warner a contre-attaqué sur le terrain des super-héros avec le « DC cinematic universe », qui prend son essor cette année avec le ridicule « Wonder woman », puis « Justice league ». Lionsgate parie sur les gros monstres, avec son « MonsterVerse » lancé par le très divertissant « Kong : Skull Island », un univers partagé où s’affronteront entre autres King Kong et Godzilla… Moins compréhensible, Paramount compte décliner avec le nouveau « Transformers » sa saga en un « Transformers cinematic universe »…
Ne restait plus qu’Universal. Le studio cherchait depuis plusieurs années à réactiver les monstres mythiques qu’il avait mis en scène dans les années 1930 et 1950 : Frankestein, le loup-garou, l’homme invisible,… Plus que de produire de simples remakes (comme « Wolfman », 2010) de ces films classiques du cinéma fantastique qui ont fait la gloire du studio – regroupés sous l’appellation « Universal monsters » –, le projet d’Universal vise à interconnecter les nouvelles aventures cinématographiques de ces héros monstrueux dans un univers partagé appelé « Dark universe ».
« Dracula untold » sorti en 2014 devait à l’origine être le premier film de ce « Dark universe » (c’était notamment le sens de son épilogue). Mais le piètre succès du film au box-office et sa très faible empreinte dans la mémoire des spectateurs (qui s’en souvient encore ?) ont décidé Universal à repousser le lancement du « Dark universe » à la sortie de la nouvelle version de « La momie » (deuxième remake du studio du film original de 1932).
Le projet de film a encore gagné en intérêt lorsque Tom Cruise a intégré le casting. L’acteur-star, auquel on ne confiera certainement jamais le rôle d’un super-héros du fait de son incapacité à s’effacer derrière le personnage qu’il joue, a peut-être trouvé un substitut au rôle de super-héros récurrent en intégrant le « Dark universe ».

Aussi invraisemblable qu’une momie ressuscitée
Les enjeux derrière « La momie » sont donc colossaux. Ce qui doit très certainement expliquer tout ou partie de l’échec du film. Le film est en effet un improbable navet, victime à coup sûr d’un contrôle trop serré des producteurs, qui l’a condamné dès l’écriture de son scénario.
A force d’avoir été écrit et réécrit selon les différentes directions données au projet, le scénario a paradoxalement atteint un stade où il parait bâclé. Il n’y a pas grand-chose qui tienne la route dans cette histoire où les incohérences s’accumulent si vite qu’on ne peut plus ne pas les voir. Dans cet univers « de monstres et de dieux » (slogan du « Dark universe »), les scénaristes jouent justement aux dieux au mépris de toute vraisemblance. L’intrigue incroyablement mal construite n’avance qu’à coup de coïncidences si énormes qu’elles trahissent systématiquement la patte d’un scénariste cherchant à corriger le travail d’écriture de son prédécesseur. Toute cohérence est perdue, et le spectateur, à force d’avaler des couleuvres, en fait vite une indigestion.
Ne restent plus que les scènes spectaculaires. Elles sont plutôt réussies, surtout la fameuse scène renversante dans l’avion (au final, le seul point d’intérêt du film). Dans son ensemble, le film est visuellement assez beau, éclairé par une très belle photographie à la fois sombre et claire. Mais avoir ces belles images ne sert à rien lorsqu’elles ne sont investies d’aucune émotion. C’est particulièrement criant à la conclusion du film, lorsque celui-ci essaye de nous faire croire en un dilemme moral du personnage joué par Tom Cruise. Le réalisateur tente alors dans une pirouette finale de nous faire croire que son film était en fait une histoire d’amour… mais comment y croire un seul instant alors que les personnages n’ont pas été épaissis de tout le film ? La seule émotion qui nait alors est le rire face à une conduite du récit aussi mauvaise. Sans parler du fait que l’on ne comprend rien au dénouement final ni à ses implications, ce qui n’est pas qu’un peu gênant.
« La momie » est donc un film à l’image de son monstre : une aberration cinématographique, incohérente, mal ficelée par une intrigue qui s’étiole, et qui à force de tituber provoque le rire plutôt que l’effroi.

On retiendra…
La scène de la chute de l’avion.

On oubliera…
« La momie » est terrassée par son scénario, invraisemblable d’invraisemblances.

« La momie » d’Alex Kurtzman, avec Tom Cruise, Sofia Boutella, Anabelle Wallis,…

samedi 13 mai 2017

Le premier passager (Alien : Covenant)

On n’arrêta pas Ridley Scott. Le cinéaste anglais qui s’apprête à fêter ses 80 ans a retrouvé une seconde jeunesse depuis qu’il est revenu à ses premières amours au cinéma, la science-fiction. Près de quarante ans après leur sortie, il réactive cette année ses deux films mythiques que sont « Alien, le huitième passager » (1979) et « Blade runner » (1982) – qui sont, encore aujourd’hui, ses deux meilleurs films…
« Alien : Covenant » est la suite directe de « Prometheus » (2012). C’est donc comme ce dernier une préquelle à la saga « Alien ». Le réalisateur s’inscrit dans l’exacte continuité de son travail sur « Prometheus ». On retrouve dans « Covenant » les mêmes points forts : la photographie magnifique, clinique et froide, de Dariusz Wolski, le jeu sur les attentes et les réminiscences du premier « Alien » de Ridley Scott, la superbe direction artistique qui ressuscite H. R. Giger… et Michael Fassbender, ici dédoublé, qui se révèle être l’épine dorsale de cet arc narratif en préquelle.


Faux remake, vraie surprise
Le film commence au départ plutôt mollement, semblant suivre sans grande imagination les rails déjà bien usés du scénario d’un film « Alien » : un équipage est dérouté vers une planète inconnue… Comme dans « Prometheus », Ridley Scott brouille en fait les pistes puisque cette impression trompeuse de remake inavoué d’ « Alien, le huitième passager » (renforcée qui plus est par la reprise à la musique du thème composé par Jerry Goldsmith) sera rapidement démentie une fois que l’équipage aura posé pied sur la planète… et que son massacre va commencer.
Ridley Scott ne fait pas dans la demi-mesure : les fameuses éventrations sont vraiment dégoûtantes et ce basculement soudain dans l’horreur et dans l’inconnu (à l’image comme au scénario, qui cesse de reproduire l’intrigue d’ « Alien, le huitième passager »), installe un malaise et une tension d’une efficacité folle. La mise en scène joue avec les nerfs des personnages comme avec ceux des spectateurs, cachant la créature dans l’obscurité ou les recoins des décors… La créature va si vite et provoque des explosions de violence si soudaines que l’on reste en permanence sur le qui-vive tout au long du film. Le travail sur le son est à ce titre vraiment extraordinaire, puisque la créature semble se déplacer à travers la salle de cinéma. Le danger peut venir de partout, et l’on ne peut se fier à personne, et notamment du deuxième androïde joué par Michael Fassbender. Sans trop en révéler, ce dédoublement des rôles de l’acteur est l’une des plus belles idées de scénario de ce nouvel opus, exploité de manière très ludique par la mise en scène, l’interprétation et le scénario.
(C’est assez drôle d’ailleurs qu’à la prise de pouvoir du personnage joué par Fassbender sur l’intrigue de cette préquelle répond celle de l’acteur sur la direction artistique du film : l’acteur-producteur d’« Assassin’s creed » ne semble pas vouloir quitter sa capuche d’assassin, et a ramené avec lui le compositeur de la musique du film de Justin Kurzel…)
« Alien : Covenant » surprend encore par l’intensité et la folie de sa grande scène d’action : vers la fin du film, Ridley Scott orchestre un duel entre l’alien et Daniels (l’héroïne du long-métrage) sur une plateforme volante, dans une surenchère étonnante qui rend encore plus extraordinaire encore le (faux) retour au calme qui la suivra.

La frustration des réponses
Jusque dans ses lâchers-prises, le film est donc très maitrisé, et se révèle très malin pour expliquer les origines de la créature, le fameux « xénomorphe » combattu par Ellen Ripley tout au long de la saga « Alien ». L’explication est une belle astuce scénaristique qui ne manque pas d’intelligence. Ce qui désarçonne cependant c’est qu’« Alien : Covenant » lève une à une toutes les interrogations ouvertes par « Prometheus »… On est à la fois ravi d’avoir la réponse à nos questions, inquiet du contenu des suites éventuelles (puisque suite il y aura) – que reste-t-il à raconter ? , et déçu de ne plus avoir de mystère sur lequel réfléchir en vain. Car un mystère, c’est quand même ce qu’il y a de plus vertigineux et effrayant… Lorsque le film s’achève sur une fin ouverte qui annonce une suite, on est donc bizarrement frustré : par cette absence de réelle conclusion… mais aussi d’avoir eu le fin mot de l’histoire à des interrogations vieilles de près de quarante ans.

On retiendra…
La terreur est de retour dans l’espace : le film est parcouru jusqu’à sa fin par une formidable tension. Scénario intelligent plein de bonnes idées, images sublimes (photographie et direction artistique), scènes d’horreur crues.

On oubliera…
Une petite faiblesse du scénario au début du film (les raisons du détournement du vaisseau sont peu convaincantes) et surtout la frustration d’avoir la réponse à de vieilles questions… et de subir pourtant une fin de film très ouverte.


« Alien : Covenant » de Ridley Scott, avec Katherine Waterston, Michael Fassbender, Billy Crudup,…

mardi 11 avril 2017

Coquille vide (Ghost in the shell)

Depuis que Disney s’est lancé dans l’adaptation en prises de vues réelles de ses dessins animés à un rythme effréné, ce type d’adaptation semble être devenu une mode. Le projet de refaire « Ghost in the shell » en prises de vues réelles est pourtant plus vieux que ne le laisse penser cet hasard du calendrier qui le fait sortir quasiment en même temps que le très laid « La belle et la bête ». Malgré leurs nombreuses différences, les deux projets ont cependant un point commun : avoir été réalisés par deux faiseurs hollywoodiens, puisque Rupert Sanders ne signe ici que son deuxième film après « Blanche-Neige et le Chasseur » (2012).



Beau shell
S’il y a bien un point sur lequel le film est remarquable, c’est sur sa direction artistique. Tout est très beau. Le film donne à voir un futur extrêmement crédible où la réalité augmentée s’est infiltrée partout (sauf où il n’y a pas de richesse), et où l’artificiel est en passe de remplacer le naturel. Artistiquement il n’y a rien de vraiment révolutionnaire, tant les emprunts à « Blade runner » et Métal Hurlant en général sont criants, mais visuellement le film se distingue par l’attention rare et bluffante portée aux textures, dans cette société où le synthétique se mêle à la chair. Quant à la photographie blanc-bleutée, elle est sublime.

Pauvre ghost
Il n’y a malheureusement plus d’autres qualités à louer pour ce film : sorti du pur domaine de l’image, « Ghost in the shell » n’a plus beaucoup d’intérêt. L’intrigue est molle et très conventionnelle,  cochant toutes les étapes de la fiction « transhumaniste ». Tout ce qui faisait la beauté du film original de Mamoru Oshii a été perdue dans la trop grande volonté de transparence du film « live ». Ça commence ainsi très mal : les premières phrases prononcées dans le film expliquent illico la signification de son beau titre… qui une fois expliqué parait très bête.
Cette levée de mystère inaugurale annonce la suite, tout aussi décevante : « Ghost in the shell » version live s’acharne à dégonfler tout le vertige métaphysique du dessin animé. A force de tout expliquer et de ne jamais surprendre, par peur de sortir le spectateur de sa zone de confort (si typique des blockbusters), le film est vidé de toute émotion. On aimerait que ces si belles images remuent quelque chose en nous, mais il ne se passe rien de la première à la dernière minute, si ce n’est un sentiment de regret grandissant.
Pour ne rien arranger à ce déficit émotionnel, Scarlett Johansson joue son personnage de cyborg comme un robot – elle s’interdit donc d’exprimer la moindre émotion. A l’image du film tout entier, son interprétation est une belle mécanique froide. Mieux vaut la revoir dans cet autre « Ghost in a shell » : l’étrange et inquiétant « Under the skin ».

On retiendra…
La beauté et la force visuelle.

On oubliera…
L’absence totale d’émotion et de vertige métaphysique, l’ennui poli avec lequel se suit l’intrigue.

« Ghost in the shell » de Rupert Sanders, avec Scarlett Johansson, Pilou Asbaek,…

C’est pas la fête (La belle et la bête)

« La belle et la bête », dixième (au moins). Après le très beau film de Christophe Gans, Bill Condon a été chargé par Disney de porter une nouvelle fois à l’écran cette histoire dont l’adaptation maîtresse reste la version (à jamais indépassable ?) de Jean Cocteau de 1946. Mais il s’agit en fait moins d’une nouvelle adaptation du célèbre conte que du remake en prises de vues réelles du dessin animé de Disney de 1991, puisque ce film est une comédie musicale (le dessin animé ayant aussi été porté sur scène à Broadway). Pouvait-on raisonnablement attendre quelque chose d’un tel projet, confié au réalisateur des deux derniers « Twilight » ? Bien évidemment, non.


Hypocrite
Pour faire court, ce « La belle et la bête » est moche et mal fait. Les moments chantés sont si piètres qu’on regrette d’avoir osé émettre des réserves il y a quelques temps devant les passages musicaux de « La la land » : la comédie musicale est un art que Bill Condon ne maitrise pas du tout. Il ridiculise son actrice principale, Emma Watson, ne sachant pas comment la diriger lors de ses passages chantés.
Pour le reste, il est difficile de dépasser le sentiment de consternation provoquée par l’étalage de laideur déroulée par la direction artistique, qui se complait dans le kitsch.
Le seul risque artistique pris par ce décalque du dessin animé original est l’ajout d’un pseudo-discours féministe. Belle est indépendante, débrouillarde, experte en mécanique, prête au combat… Cette émancipation des héroïnes Disney est devenue si systématique (présente dans toutes les productions du studio depuis le succès de « La reine des neiges ») qu’on n’y croit pas une seule seconde, surtout lorsqu’il s’agit de raconter une histoire où l’héroïne intrépide, capable de tomber amoureuse d’un monstre habitant un château décrépit, finira heureuse châtelaine d’un palais dorée aux bras d’un noble bellâtre… Une hypocrisie (et ce n’est pas la seule) qui résume bien le projet du film : faire passer pour neuf du ringard et empocher la mise au box-office (et malheureusement, ça marche). On préfèrera, et de loin, la récente adaptation de Christophe Gans, nettement plus audacieuse et émouvante.

On retiendra…
Luke Evans est le seul qui semble un peu s’amuser.

On oubliera…
La laideur de la direction artistique, les passages musicaux, l’hypocrisie du film.

« La belle et la bête » de Bill Condon, avec Emma Watson, Dan Stevens, Luke Evans,…

lundi 13 mars 2017

Eclat (Split)

Drôle de parcours que celui de M. Night Shyamalan. Le réalisateur star a connu un spectaculaire retournement de considération critique au cours de sa carrière : adulé jusqu’à la sortie de « Le village » (son chef-d’œuvre ?) en 2004 puis unanimement détesté. S’il a effectivement souffert d’un indéniable passage à vide, j’avais cependant beaucoup aimé son film de science-fiction « After earth »… Film dont l’échec commercial a conduit Shyamalan à diminuer ses ambitions et à revenir à des budgets plus modestes. Bien lui en a pris : au sein du studio de production Blumhouse connu pour ses films d’horreur à petit budget, M. Night Shyamalan s’est refait une santé financière et critique. Après le sympathique mais petit « The visit », le réalisateur maître du suspense revient à un cinéma plus ambitieux avec « Split ».


Une idée très puissante
L’idée principale du film est celle d’un personnage habité par vingt-trois (!) personnalités différentes. Autour d’une histoire en huis-clos virant au survival, M. Night Shyamalan exploite avec beaucoup d’inventivité et d’humour la puissance de son idée de personnalités multiples. Il s’amuse à faire jouer à un James McAvoy très épatant toute une galerie de personnages qui sont autant d'avatars d'un seul et même homme. C’est d’abord un spectacle de numéro d’acteurs, qui porte une interrogation très puissante sur le cinéma. M. Night Shyamalan se demande en effet dans son film si avoir plusieurs personnalités plutôt qu’une seule ne serait pas un atout plutôt qu'un handicap pour la survie. C’est une belle métaphore du métier d’acteur : par le biais de ses différents rôles, un acteur ne devient-il pas une sorte de surhomme ?
Autour de cette superbe idée, M. Night Shyamalan déploie un thriller à suspense très efficace dont le scénario obéit à une pure logique de divertissement mêlée à de l’esbroufe  sans que cela ne l’empêche de passer par des moments plus graves  jusqu’à une fin étonnante, plutôt émouvante. « Split » est donc à la fois drôle, effrayant, divertissant et subtil. Et avec l’idée que les personnalités multiples seraient autant de superpouvoirs, donne vraiment l’impression de voir quelque chose de nouveau au cinéma.

Invraisemblances
Cependant, le film a aussi des limites. Même si l’inventivité domine, l’intrigue passe parfois par des scènes très artificielles, où l’invraisemblance a été sacrifiée au profit du divertissement. Un exemple : il est ainsi étonnant que l’héroïne du film comprenne aussi vite la nature multiple de son séquestreur… mais c’est pour accélérer le film et passer outre sur une découverte que le spectateur a déjà faite. Le budget modeste du film se fait aussi sentir à plusieurs moments, comme lors de la scène d’action finale bizarrement un peu confuse (et là aussi trop artificielle, même si l'on apprécie sa construction qui ne vise qu’à rajouter du suspense).
« Split » témoigne donc d’un retour sur le devant de la scène de M. Night Shyamalan, grâce à un film intelligent et inventif mais aussi très divertissant.

On retiendra…
Un scénario génial, inventif, terrifiant et plein d’humour, qui offre à James McAvoy des épatants et irrésistibles numéros d’acteur !

On oubliera…
M. Night Shyamalan manipule un peu trop son scénario pour ne pas tomber parfois dans l’écueil de l’artificialité.


« Split » de M. Night Shyamalan, avec James McAvoy, Anya Taylor-Joy,…

mardi 7 mars 2017

Spatium opera (Latium)

Après avoir refermé le deuxième tome de « Latium », une certitude : ce space opera n’a pas d’équivalent dans la littérature francophone. Romain Lucazeau, qui signe ici son premier roman (!), fait une entrée pour le moins fracassante dans la science-fiction française. Un énorme livre de près de mille pages (mais découpé, pour des raisons éditoriales, en deux tomes) aux ambitions monstres : Romain Lucazeau entend avec « Latium » extraire le genre du space opera de ses racines anglo-saxonnes et lui donner une nouvelle origine, la philosophie de Leibniz et le théâtre de Corneille [1].

 

A la lecture, « Latium » se révèle foisonnant, complexe, et déroutant par ses partis pris (inédits ?) très forts. Le premier est de raconter une histoire sans aucun être humain. L’intrigue commence en effet des millénaires après la disparition de l’Homme, dans un futur post-post-Singularité. Pour autant l’ « Humanité » n’est pas morte puisque les dernières créations de l’homme, les intelligences artificielles, lui ont survécu. Mais leur existence a perdu tout sens puisque leur esprit est soumis et régi par le « Carcan », règles qui destinaient ces IA à protéger et servir l’homme…
Je n’irai pas plus loin dans le dévoilement de l’intrigue et de l’univers du roman, si ce n’est en précisant qu’il ne s’agit pas d’une anticipation d’un futur (très) lointain mais d’une uchronie – dans cet univers, l’Empire Romain ne s’est jamais effondré, d’où le titre latin du roman. La découverte de la richesse extraordinaire de cet univers est révélée au compte-gouttes par l’auteur avec une grande maitrise et constitue l’un des plaisirs et moteurs de la lecture – si riche en « sense of wonder ».
L’intrigue de « Latium » emprunte en fait à une multitude de références de science-fiction : on retrouve mêlés des éléments du cycle de la Culture de Iain M. Banks, d’ « Ilium » et d’ « Hypérion » de Dan Simmons, de « Dune » de Frank Herbert, du cycle de Robots d’Isaac Asimov, et on pourrait même ajouter le plus récent « Silo » de Hugh Howey. Ces références sautent aux yeux du lecteur, mais sont si bien synthétisées et réinterprétées dans le cadre latin et leibnizien du roman qu’elles en paraissent accidentelles – ce qui est un sacré tour de force vu leur nombres ! L’ambition du roman est parfaitement accomplie : « Latium » semble être issu de l’univers uchronique-même qu’il décrit, où aucun des romans cités plus haut n’aurait existé…
Au-delà de ces références, « Latium » est passionnant de bout en bout, sur la forme comme sur le fond. Le roman est imposant par son nombre de pages, mais l’auteur a tant à décrire et son intrigue est si dense en réflexions développées avec un soin et un didactisme rares (sur le libre arbitre notamment) que l’action en elle-même est finalement très resserrée. Ce pourrait être pesant mais le style est superbe en plus d’être très clair. « Latium » émerveille par sa richesse, sa profondeur et sa beauté.
Une réserve, cependant : si les références sont habilement digérées et réinterprétées, elles n’en restent pas moins trop présentes pour que « Latium » apparaisse comme un roman totalement original – et ce, alors même que le roman ne manque pas d’originalité, loin s’en faut ! Un petit bémol qui ne saurait en aucun cas constituer un prétexte ou une excuse pour se priver de la lecture de « Latium ». Cette œuvre est une date dans l’histoire de la SF française. Et ce n’est que le début, on l’espère, de cette œuvre vertigineuse que ce premier roman de Romain Lucazeau nous promet…

« Latium » de Romain Lucazeau, aux éditions Denoël-Lunes d’encre




[1] A lire dans cette très bonne interview de l’éditeur : http://lunesdencre.eklablog.com/une-interview-de-romain-lucazeau-a126935228

dimanche 12 février 2017

Le débat est ouvert (Silence)

Un nouveau film de Martin Scorsese est forcément un énorme événement, tant la filmographie du réalisateur accumule les chefs-d’œuvre, avec une constance remarquable tout au long de la carrière du metteur en scène (son précédent film, « Le loup de Wall Street », était un nouveau sommet de son œuvre). Qu’est-ce qui peut donc encore intéresser un cinéaste qui a déjà tout prouvé ? Une question éminemment personnelle tant elle est présente depuis le début dans l’œuvre du réalisateur, celle de la foi. Avec « Silence », il l’aborde avec une profondeur rare, du point de vue de son œuvre comme de celle des autres cinéastes. L’histoire est tirée d’un roman historique de Shusaku Endo et raconte la persécution dont sont victimes deux missionnaires chrétiens au Japon au XVIIème siècle.


Beau, complexe, profond
Le film frappe d’emblée par sa violence. Il comporte (voire accumule) les scènes de supplices de chrétiens dont on teste la foi. C’est d’ailleurs une telle scène qui ouvre le film. L’autre aspect frappant du film est, par contraste, son calme. Scorsese déroule son histoire sur un rythme plutôt lent. Il n’a presque jamais recours à de la musique, et lorsqu’il le fait c’est quasiment en sourdine. La mise en scène elle-même est assez dépouillée – la douleur, terrible, montrée à l’écran n’est jamais accentuée par des artifices de mise en scène (bref, on est à mille lieues de l’ultraviolence de « La Passion du Christ » de Mel Gibson). Surtout, Scorsese filme cette histoire dans des paysages magnifiques, servis par une photographie sublime de Rodrigo Prieto. La nature, très dure mais si belle, est partout présente dans le film, et ce n’est pas un hasard.
Il est donc essentiellement question de la foi dans « Silence », jusque dans son titre, puisqu’il s’agit du silence de Dieu face aux tortures dont sont victimes les chrétiens japonais de l’époque. Par sa longueur et sa violence, « Silence » montre toute l’ambigüité et les doutes que recèle la foi. Est-elle vaine ou nécessaire ? Une question qui turlupine Scorsese personnellement mais qu’il arrive à rendre passionnante par son indécision. Si au final et sans aucune surprise, Martin Scorsese tranchera la question in extremis du côté du croyant, le film n’en reste pas moins capable de satisfaire tous les points de vue, par la complexité de ses dilemmes moraux. Et en abordant ce sujet, « Silence » résonne aussi étrangement et puissamment avec l’actualité – alors même que le projet du film est vieux de trente ans.

Le plus grand défi de mise en scène
Très beau malgré son extrême violence, complexe, riche de réflexions, « Silence » aurait tout d’un nouveau chef-d’œuvre du réalisateur, malgré quelques lourdeurs (comme le premier carton et le dernier plan du film). Mais il est un point sur lequel le film échoue. A un moment, Dieu parle au personnage principal (joué par Andrew Garfield, bien mieux ici que dans « Tu ne tueras point », mais qui reste en permanence en-dessous d’Adam Driver). C’est un des défis les plus difficiles de mise en scène qui puisse se concevoir : comment représenter le divin ? En s’en tirant par une voix off, Scorsese fait sciemment le choix de la simplicité. Même assumée, cette solution trop évidente rend ridicule la scène – et le spectateur est momentanément éjecté de l’histoire du film.
« Silence » est donc passionnant, par les débats qu’il suscite sur sa forme. Un grand film, extrêmement personnel, qui ne peut laisser indifférent.

On retiendra…
Par sa beauté et sa complexité, « Silence » réussit à rendre passionnante la question de la foi (alors même que la réponse du réalisateur à cette question est connue depuis longtemps !).

On oubliera…
Quelques lourdeurs dans la mise en scène parsèment le film. Dont le moment où une voix off divine intervient.


« Silence » de Martin Scorsese, avec Andrew Garfield, Adam Driver,…

mardi 31 janvier 2017

Un échec impressionnant (The last face)

C’est un des films qui a le plus fait parler de lui au dernier festival de Cannes… « The last face » a été démoli comme rarement par la presse lors de sa présentation en sélection officielle. A tel point que le lendemain de cette présentation, la carrière commerciale du nouveau film de Sean Penne (presque 10 ans après le magnifique « Into the wild ») était réduite à néant. Dix mois plus tard, « The last face » a quand même réussi à se frayer un chemin jusqu’aux salles en France grâce à un distributeur courageux…


Extrêmement ridicule…
La réputation cannoise désastreuse du film n’était pas infondée. La déjà célèbre phrase en carton d’introduction si décriée n’a pas été supprimée : « La violence de la guerre en Afrique n'est comparable pour les Occidentaux qu'à la brutalité des rapports entre un homme et une femme qui s'aiment d'un amour impossible. » Comment un film peut-il se relever après une telle introduction ? Toute la bêtise de « The last face » est résumée dans cet incipit.
Deux médecins humanitaires occidentaux (Javier Bardem et Charlize Theron) tombent amoureux pendant leur mission au Libéria ravagé par la guerre civile. Raconter une histoire d’amour entre médecins dans un camp de réfugiés, dans un contexte de misère extrême et d’urgence humanitaire, alors que la guerre gronde en hors-champ, il fallait oser. D’où peut-être la sélection officielle du film à Cannes : une manière de saluer le courage suicidaire de Sean Penn ? Quel cinéaste aurait été assez fou pour croire en ce projet ? Sean Penn y a cru et y croit encore. Ce n’est pas qu’il est fou, mais il est convaincu de la nécessité de son propos : faire le portrait, héroïque mais réaliste, des humanitaires.
Cette conviction est sensible dans l’absence totale de second degré de son film. Il n’y a pas une once d’ironie dans « The last face ». Et ce, alors même que le ridicule est présent presque tout le temps. Impossible de ne pas citer les apparitions de Jean Reno, une incongruité involontairement comique, qui joue de plus un personnage nommé « Dr Love »… Aveuglé semble-t-il par la force de son engagement humanitaire, Sean Penn multiplie les offenses au bon goût et, plus grave, à la morale, car il n’y a évidemment rien de comparable entre un massacre de guerre et une histoire d’amour hollywoodienne.

…mais sincère
La conviction de Sean Penn est totale et aveugle, mais c’est peut-être ce qui en toute dernière extrémité sauve son film du désastre total. Au moins est-il (parait-il) sincère, même si c’est exprimé de manière extrêmement maladroite. Son film est impressionnant sur sa description crue de l’action humanitaire dans un camp de réfugié, la mise en scène n’épargnant rien au spectateur. La frontalité de ces scènes d’horreur médicale (type accouchement par césarienne sans anesthésie au milieu de la jungle) est excessive parce qu’elle pourrait flirter avec la complaisance mais elle témoigne d’une volonté de réalisme qui frappe la conscience. Malgré tout le ridicule et les erreurs du projet, le film parvient quand même à émouvoir lors de plusieurs scènes fortes.
« The last face » est donc un échec comme on en voit rarement à de tels niveaux. D'où, peut-être, son intérêt. Il apprend une chose : qu’un réalisateur doit être capable d’un certain détachement vis-à-vis de ce qu’il filme.

On retiendra…
Le réalisme terrifiant du film sur l’horreur médicale des camps de réfugiés.

On oubliera…
Le ridicule du film qui provoque aussi un malaise moral : il met sur le même plan la misère provoquée par la guerre civile et les tourments amoureux de médecins humanitaires…


« The last face » de Sean Penn, avec Charlize Theron, Javier Bardem,…