Après avoir
refermé le deuxième tome de « Latium », une certitude : ce space
opera n’a pas d’équivalent dans la littérature francophone. Romain Lucazeau,
qui signe ici son premier roman (!), fait une entrée pour le moins fracassante
dans la science-fiction française. Un énorme livre de près de mille pages (mais
découpé, pour des raisons éditoriales, en deux tomes) aux ambitions
monstres : Romain Lucazeau entend avec « Latium » extraire le
genre du space opera de ses racines anglo-saxonnes et lui donner une nouvelle
origine, la philosophie de Leibniz et le théâtre de Corneille [1].
A la
lecture, « Latium » se révèle foisonnant, complexe, et déroutant par
ses partis pris (inédits ?) très forts. Le premier est de raconter une
histoire sans aucun être humain. L’intrigue commence en effet des millénaires après
la disparition de l’Homme, dans un futur post-post-Singularité. Pour autant
l’ « Humanité » n’est pas morte puisque les dernières créations
de l’homme, les intelligences artificielles, lui ont survécu. Mais leur
existence a perdu tout sens puisque leur esprit est soumis et régi par le
« Carcan », règles qui destinaient ces IA à protéger et servir l’homme…
Je n’irai
pas plus loin dans le dévoilement de l’intrigue et de l’univers du roman, si ce
n’est en précisant qu’il ne s’agit pas d’une anticipation d’un futur (très)
lointain mais d’une uchronie – dans cet univers, l’Empire Romain ne s’est
jamais effondré, d’où le titre latin du roman. La découverte de la richesse extraordinaire
de cet univers est révélée au compte-gouttes par l’auteur avec une grande
maitrise et constitue l’un des plaisirs et moteurs de la lecture – si riche en
« sense of wonder ».
L’intrigue
de « Latium » emprunte en fait à une multitude de références de
science-fiction : on retrouve mêlés des éléments du cycle de la Culture de
Iain M. Banks, d’ « Ilium » et d’ « Hypérion » de
Dan Simmons, de « Dune » de Frank Herbert, du cycle de Robots d’Isaac
Asimov, et on pourrait même ajouter le plus récent « Silo » de Hugh
Howey. Ces références sautent aux yeux du lecteur, mais sont si bien
synthétisées et réinterprétées dans le cadre latin et leibnizien du roman
qu’elles en paraissent accidentelles – ce qui est un sacré tour de force vu
leur nombres ! L’ambition du roman est parfaitement accomplie :
« Latium » semble être issu de l’univers uchronique-même qu’il
décrit, où aucun des romans cités plus haut n’aurait existé…
Au-delà de
ces références, « Latium » est passionnant de bout en bout, sur la
forme comme sur le fond. Le roman est imposant par son nombre de pages, mais l’auteur
a tant à décrire et son intrigue est si dense en réflexions développées avec un
soin et un didactisme rares (sur le libre arbitre notamment) que l’action en
elle-même est finalement très resserrée. Ce pourrait être pesant mais le style
est superbe en plus d’être très clair. « Latium » émerveille par sa
richesse, sa profondeur et sa beauté.
Une
réserve, cependant : si les références sont habilement digérées et
réinterprétées, elles n’en restent pas moins trop présentes pour que
« Latium » apparaisse comme un roman totalement original – et ce, alors
même que le roman ne manque pas d’originalité, loin s’en faut ! Un petit
bémol qui ne saurait en aucun cas constituer un prétexte ou une excuse pour se
priver de la lecture de « Latium ». Cette œuvre est une date dans l’histoire
de la SF française. Et ce n’est que le début, on l’espère, de cette œuvre
vertigineuse que ce premier roman de Romain Lucazeau nous promet…
« Latium » de Romain Lucazeau, aux éditions Denoël-Lunes d’encre
[1] A lire
dans cette très bonne interview de l’éditeur : http://lunesdencre.eklablog.com/une-interview-de-romain-lucazeau-a126935228
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire