lundi 9 avril 2018

Contamination (Annihilation)


Voilà bien un roman qui à sa lecture paraissait inadaptable… Classique instantané de la science-fiction à sa parution en 2014, « Annihilation » de Jeff VanderMeer raconte l’exploration d’une mystérieuse « zone X » aux propriétés étranges, dans un récit très intelligent à mi-chemin de la science-fiction et du fantastique, qui fait autant référence au « Stalker » des frères Strougatski qu’à l’horreur lovecraftienne (et avec même un soupçon de « La horde du contrevent » d’Alain Damasio – référence qui doit plutôt être une coïncidence !).
Après avoir lu le roman, Alex Garland, le réalisateur du génial « Ex machina » (2015), s’est lancé dans son adaptation au cinéma, sans attendre la parution des deux suites romanesques – « Annihilation » était en fait le premier tome d’une trilogie. Quatre ans plus tard, le film est terminé et montré au studio producteur Paramount, qui doute alors de sa rentabilité. En conséquence, Paramount décide de ne le distribuer en salles qu’en Amérique du Nord et en Chine, et le vend à Netflix dans le reste du monde. Le géant de la SVOD s’est alors empressé d’estampiller le film comme l’une de ses « créations originales », ce qui se qualifie au mieux de publicité mensongère…


Captivant
Quel dommage donc de ne pas le découvrir sur grand écran ! « Annihilation » est d’abord un grand spectacle visuel, avec une stupéfiante direction artistique qui dévoile toute sa mesure lorsque le film pénètre dans la fameuse zone X. Mettre en évidence l’étrangeté de ce territoire par ces effets de « miroitement » (bonne utilisation du numérique) ou par le biais de cette végétation très fleurie sont de très bonnes idées. Le décor va se révéler d’autant plus toxique et inquiétant qu’il semble de prime abord paradisiaque.
Surtout, le film captive de bout en bout par son mystère, qui semble s’épaissir à chaque nouvelle péripétie… et gagne d’autant en pouvoir de fascination. Un suspense s’établit rapidement autour de la question : ces énigmes trouveront-elles une explication ? Ce suspense tient malgré le choix très discutable de révéler dès le départ que le personnage joué par Natalie Portman (qui excelle comme d’habitude dans l’ambigüité) sortira, seul, de la zone X.
Par ce procédé scénaristique, Alex Garland a tenté d’éviter de faire de son film un simple « survival », mais paradoxalement il cède quand même aux poncifs de ce genre. Le danger le plus mortel dans la zone X reste celui représenté par ses monstrueux habitants, des bêtes féroces mutantes… ce qui est en définitive un danger très banal (surtout lorsqu’une l’irruption du gros monstre se fait pile à la conclusion d’une scène de dialogue) !
Le film apparaîtra en fait assez pauvre aux lecteurs du roman – si Garland a des idées « plastiques » quant à la représentation visuelle de la zone X, il manque de vraies idées de mise en scène pour créer le malaise (hormis une, la séquence traumatisante de « l’éviscération in vivo »). Le délitement du groupe, la montée progressive de la folie, sa contamination par la zone X s’avèrent finalement grossièrement représentés.

Le fin mot de l’histoire
Alex Garland semble s’être beaucoup appliqué à multiplier les détails troublants et les sens cachés au fil des séquences, ce qui est intellectuellement stimulant… mais il n’a pas su se retenir de tout expliciter à la fin. Cette conclusion décevante est le principal défaut du film. C’est le problème avec les mystères : leur révélation est presque toujours décevante.
L’entrée dans le phare et la confrontation avec l’altérité de la zone X est un moment de bascule faisant explicitement référence à l’indépassable chapitre « Jupiter, et au-delà de l'infini » de « 2001 : l’odyssée de l’espace » (Kubrick étant le modèle évident de réalisation de Garland). C’est toujours beau de voir des réalisateurs se confronter à l’irreprésentable, mais la solution numérique adoptée ici par Garland n’est pas des plus judicieuses. Ce pantin verdâtre auquel on ne croit pas une seule seconde n’est absolument pas fascinant. C’est d’autant plus dommage que justement Alex Garland avait parfaitement réussi à représenter une altérité et à lui conserver une irréductible part de mystère à la fin d’« Ex machina »…
Tous ces défauts ne sauraient faire oublier qu’ « Annihilation » reste en l’état un film de science-fiction original et rare. Mais qui aurait pu être bien plus que cela : lisez les romans.

On retiendra…
Fascinant, inquiétant, ce film captive jusqu’à sa conclusion…

On oubliera…
… Conclusion qui déçoit en ce qu’elle tue le mystère du film, qui s’avère moins original qu’il n’aurait pu l’être.

« Annihilation » d’Alex Garland, avec Natalie Portman, Oscar Isaac,…