vendredi 4 octobre 2019

Dare D’arc (Jeanne)

Pourquoi être allé le voir ?
Depuis « P’tit Quinquin » en 2014, Bruno Dumont a opéré une métamorphose spectaculaire et sidérante de son cinéma – du sérieux extrême à la loufoquerie pure. Il tourne chaque année un film ou une série télé, qui a selon les circonstances de production les honneurs d’une sortie en salles. C’est le cas de « Jeanne », la suite de « Jeannette », formant un diptyque sur Jeanne d’Arc, adapté du poète Charles Péguy.


Pourquoi aller le voir ?
Comme « Jeannette », « Jeanne » est une sorte de comédie musicale. Mais le cinéaste n’aime pas se répéter et a donc encore décalé l’aspect musical de son film par rapport à « Jeannette » : la musique a été confiée au chanteur Christophe (qui signe notamment quatre chansons). Les comédiens n’interprètent plus les chansons ni ne dansent comme dans « Jeannette », la forme musicale du film est beaucoup plus classique, voire austère : Christophe chante seul toutes les chansons, et celles-ci ne sont accompagnées de quasiment aucune action à l’écran. Ainsi, la première chanson, « Chef de bataille », est seulement accompagnée d’un très long regard caméra de Jeanne. Mais ces chansons, qui reprennent comme les dialogues le texte de Charles Péguy, sont vraiment superbes et donnent admirablement le côté mystique au destin de Jeanne qui intéresse tant Bruno Dumont.
Un aspect amusant du cinéma de Dumont est qu’il est farouchement ancré dans le nord de la France : les plages du Nord qui servaient déjà de décor à « Ma loute » et « Jeannette » figurent ici les abords de Paris ou d’Orléans (il suffit juste qu’un personnage dise que ces villes se trouvent « de l’autre côté de la colline » pour que ce soit crédible), la cathédrale d’Amiens remplace avantageusement la chapelle royale du château de Rouen, et un blockhaus fait même office de prison !

Pourquoi ne pas aller le voir ?
On pensait ne jamais se remettre du virage de Dumont dans la comédie. Mais force est de constater que depuis « P’tit Quinquin », film après film, la nouveauté s’émousse. Dans « Jeanne », la plupart des ficelles de la mise en scène de Dumont paraissent usées. Il opère des décalages en confiant le texte ardu de Péguy à des comédiens non-professionnels, à la diction et aux manières étranges (beaucoup d’écarquillements de yeux, tels ceux du commissaires de « P’tit Quinquin »). C’est à la fois comique et émouvant (une vérité de jeu se dégage)… puis répétitif et ennuyeux. Or le film est essentiellement une longue succession de dialogues (ou monologues), plutôt difficiles à comprendre. De fait, si l’on y ajoute le jeu avec les décors, « Jeanne » se rapproche plus du théâtre que du cinéma.
Bruno Dumont a-t-il bouclé sa période « comique » ? Il est en tout cas revenu à une forme de cinéma très « théorique » : dans « Jeanne », on comprend les intentions de mise en scène, on les trouve même admirables, mais le résultat est ennuyeux à regarder et ne suscite pas d’émotion. Hormis (ou presque) lors des chansons, « Jeanne » ne touche que l’intellect et pas le cœur. Dumont semble avoir fait le tour du nouveau terrain cinématographique qu’il avait ouvert il y a cinq ans avec « P’tit Quinquin ». Espérons qu’il aille en défricher un nouveau pour son prochain film.

On retiendra…
Les chansons de Christophe, qui apportent l’émotion absentes par ailleurs du film. L’interprétation de Lise Leplat Prudhomme, très convaincante.

On oubliera…
Trop immobile, trop théorique, trop répétitif : « Jeanne » ennuit beaucoup.

« Jeanne » de Bruno Dumont, avec Lise Leplat Prudhomme,…

jeudi 8 août 2019

Camping (Midsommar)



Pourquoi être allé le voir ?
Dans un été hollywoodien complètement creux, ce film indépendant était la plus belle promesse de frissons. Il s’agit du deuxième long-métrage d’Ari Aster dont le premier, déjà étiqueté « film d’horreur », avait pas mal fait parler de lui (« Hérédité »).

Pourquoi le voir ?
Un film d’horreur aussi bien mis en scène, aussi original et prenant, aussi inquiétant, ça n’était pas arrivé depuis bien longtemps ! Le réalisateur commence par brouiller les pistes sur le sujet réel de son histoire : on craint d’abord d’avoir affaire avec une intrigue psychologique à base de traumas refoulés, puis d’un film de défonce façon « Climax », jusqu’à ce que les personnages et l’intrigue s’installent à Hårga, une communauté enclavée dans la nature suédoise. Le mystère de ce que sera le sujet du film est alors entier – jusqu’à un premier choc narratif, inouï, qui laissera encore sonné le spectateur pendant encore un bon moment avant qu’il ne comprenne que les clés du film sont à sa portée… Le film mériterait d’être vu rien que pour cette scène, tant elle est impressionnante !
« Midsommar » est fort, très fort, et est remarquablement bien filmé – la mise en scène rappelle d’ailleurs par bien des aspects celle de Stanley Kubrick, le modèle indépassable. Les acteurs sont tous excellents et Florence Pugh, qui interprète le personnage principal, fascinante. Jouer du contraste entre l’innocence apparente de cette communauté (avec l'idée géniale du décor de l'été suédois, durant lequel le soleil ne se couche presque jamais) et l’horreur qu’elle couve pour inspirer l'effroi – ce principe du film peut sembler simple mais il s’avère fonctionner à plein et être bien plus puissant et profond qu’imaginé de prime abord.

Pourquoi ne pas le voir ?
Pendant les trois premiers quarts du film, le réalisateur a au moins un coup d’avance sur ses spectateurs. Mais vers la fin du film (à un moment qui doit varier selon les spectateurs), la conclusion du film se fait deviner et le film se fait alors assez lourd voire lassant. La mise en scène toujours très travaillé, que l'on trouvait avant géniale, se met à frôler la sophistication inutile et la prétention.

On retiendra…
L’horreur en plein jour et en plein soleil. Les surprises du scénario. La mise en scène, impressionnante de puissance.

On oubliera…
Le film ne résiste pas complètement au dévoilement de son mystère. La fin ambigüe.

« Midsommar » d’Ari Aster, avec Florence Pugh, Jack Reynor,…

samedi 3 août 2019

La nuit la plus longue (Halte)


Pourquoi être allé le voir ?
Un film de science-fiction philippin en noir et blanc durant 4h39 ? Rares sont les films à autant interpeller ! Il s’agit du premier film que je vois du cinéaste philippin Lav Diaz. Tous les cinéphiles connaissent de nom ce réalisateur grâce aux prix qu’il remporte (un Léopard d’or et un Lion d’or, en 2014 et 2016), mais bien peu connaissent réellement son œuvre du fait de la durée extravagante de ses longs-métrages : de 3h30 pour le plus court à… 11h pour le plus long.

Pourquoi le voir ?
Le cinéaste raconte l’oppression et la résistance sous un régime dictatorial (faisant bien évidemment écho à toutes les dictatures, passées, présentes et  à venir) avec des moyens qui se rapprochent de ceux du documentaire. Il ne cherche pas à dramatiser sa narration. De fait, malgré sa durée hors norme, « Halte » n’a rien de colossal ou de prétentieux. Il s’agit d’un film modeste, tant dans ses moyens que dans sa narration. Il est admirable qu’avec si peu, Lav Diaz puisse en raconter autant : pour décrire ce futur, il lui suffit de tourner de nuit et de faire voler quelques drones. Ce plaisir de fabrication du film est ressenti par le spectateur.
Ça ne peut pas se deviner au premier abord, mais le film est aussi empreint d’humour, à travers notamment le personnage du dictateur, qui pourrait être une référence au film de Chaplin, ou les us et coutumes très étranges de ses adorateurs.
Et puis on peut aller voir « Halte » pour apprécier pleinement l’ironie de son titre (on imaginerait bien Quentin Dupieux réaliser un film de 5 heures intitulé « Bref »).

Pourquoi ne pas le voir ?
« Halte » permet de se rendre compte que les souvenirs laissés par un film ne sont pas forcément proportionnels à leur durée – la faute aux inévitables moments de somnolence... Le film est en fait assez difficile à suivre, à cause de ses multiples personnages et de sa narration très brute qui ne fait rien pour aider son spectateur dans sa compréhension de l'histoire. Evidemment, le film ne fait rien non plus pour le réveiller, car il n’y a pas de suspense, pas de moments de tensions, de climax : « Halte » n'a rien d'haletant. De fait, on se demande quand même à l’arrivée du générique de fin pourquoi est-ce que ce film devait durer aussi longtemps…

On retiendra…
La modestie de cette chronique de la vie sous une dictature futuriste. C’est original, impressionnant par l’économie de ses effets, et même drôle.

On oubliera…
Le film n’est pas toujours bien compréhensible, et sa durée conséquente ne semble pas justifiée.

« Halte » de Lav Diaz, avec Joel Lamangan, Piolo Pascual,…

mercredi 31 juillet 2019

Luc (Anna)

L’ascension de Luc Besson aura été aussi fascinante que sa chute. Il était au sommet il y a deux ans lors de la sortie de « Valérian et la cité des mille planètes » (plus gros budget de l’histoire pour un film européen, et de loin), à la tête de « sa major de cinéma » Europacorp (regroupant la production et la distribution de films et de séries télé, des studios de tournage, une école de cinéma, des cinémas, des attractions pour parc à thèmes) absolument unique en Europe. Mais l’échec cuisant au box-office américain de son film a fait s’écrouler comme un château de cartes Europacorp sous le poids de ses dettes. Contraint à le vendre en pièces détachées, Luc Besson est de plus rattrapé par différentes affaires d’agressions sexuelles dans le sillage de l’affaire Weinstein.


C’est dans ce contexte très difficile que le réalisateur sort « Anna » (distribué par Pathé), son dix-huitième film (et le onzième à porter un titre basé sur un prénom). Maintenant qu’il doit de nouveau lutter pour sa survie financière, le cinéma de Luc Besson va-t-il retrouver l’éclat qu’il a perdu depuis « Arthur et les minimoys » (son dernier vrai bon film, en 2006) ?

Ludique et déjà-vu
La réponse est en partie oui : « Anna » est le meilleur film de Luc Besson depuis 2006 – ce qui n’en fait pas non plus un très grand film. On y retrouve les qualités que l’on croyait perdues de son cinéma : une capacité à surprendre le spectateur, ici par les multiples retours en arrière et des fausses fins qui s’accumulent et s’emboîtent comme des poupées russes, un brio dans la réalisation de scènes d’action (dont un combat dans un restaurant russe époustouflant – ces cinq minutes sont plus impressionnantes que les 2h17 de « Valérian », chercher l’erreur !), un art des transitions et un rythme soutenu qui relance sans cesse l’intérêt du spectateur, des personnages drôles car à la limite de la caricature (Helen Mirren) – en bref un film extrêmement divertissant ! Divertissement dont le point d’orgue est la fuite à travers les sous-sols du KGB d’Anna (l’autre grande scène d’action du film).
Mais on retrouve aussi dans « Anna » les défauts du cinéma de Luc Besson. Le plus évident est sa volonté un peu trop lourde d’être grand public qui se traduit ici par un montage parfois lourdement explicatif (on revoit plusieurs fois les mêmes scènes). Pour garder une grande vitesse à la conduite de son récit, Luc Besson recourt trop souvent aux raccourcis et aux clichés très bêtes (la description ridicule du milieu de la mode parisien sonne aussi faux que celle du KGB…). Beaucoup de personnages restent sans épaisseur. Dans le rôle-titre, la mannequin Sasha Luss n’est pas une révélation.
En bref, comme beaucoup de films réalisés ou produits par Luc Besson, c’est efficace mais pas vraiment subtil. Si la structure du film multipliant les chausse-trappes pour le spectateur intéresse, le récit en lui-même frise le déjà-vu, tant celui-ci rappelle « Nikita », « Léon » (du même Besson) et « Red sparrow » de Francis Lawrence – ces deux derniers étant de bien meilleurs films qu’ « Anna ».

Matière involontaire à réflexion
Le plus intéressant finalement n’est pas le film en lui-même, mais la manière dont on le voit différemment depuis les affaires de scandale sexuel qui entourent Luc Besson – affaires qui sont d’ailleurs sûrement responsables de l’échec au box-office du film. Le cinéma de Besson a toujours été caractérisé par une grande naïveté des sentiments et une mise en avant de femmes puissantes. L’un et l’autre sont présents dans « Anna » et font maintenant beaucoup réfléchir en cours de projection sur ce que ça traduit de la personnalité de Luc Besson… Ce qui apporte, aux dépens-même du film, une dimension cérébrale dont il était dépourvu !

On retiendra…
Le scénario à tiroirs qui joue avec le spectateur. Les scènes de combat.

On oubliera…
Les multiples stéréotypes, les trop nombreux échos à d’autres films.

« Anna » de Luc Besson, avec Sasha Luss, Helen Mirren, Luke Evans,…

mercredi 3 juillet 2019

Zombies cannois (The dead don’t die, Atlantique, Zombi child)

Sans être pour autant des films d’horreur, trois films avec des zombies ont été projetés à Cannes cette année. Cette coïncidence n’annonce pas un intérêt soudain pour le mort-vivant dans le cinéma d’auteur (il n’y aura peut-être aucun film de zombie l’année prochaine à Cannes), mais il est intéressant de regarder ensemble ces films, et de voir à quels points le traitement de la figure du zombie y est différente dans chacune des oeuvres.
Après les vampires d’« Only lovers left alive » en 2013 (son chef-d’œuvre), Jim Jarmsuch poursuit son exploration des clichés du cinéma d’horreur avec les zombies. « The dead don’t die » a fait l’ouverture de Cannes, en compétition (ce qui n’était pas arrivé depuis « Moonrise kingdom » de Wes Anderson en 2012).
Autre « film de zombie » en compétition, « Atlantique » est le premier long-métrage de Mati Diop, tourné à Dakar. Il a remporté le grand prix du jury.
Bertrand Bonello fait partie des « grands auteurs » du cinéma français contemporain, sélectionné trois fois en compétition à Cannes (la dernière fois pour son meilleur film à ce jour, « Saint Laurent » en 2014). Son nouveau film a pourtant atterri à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes cette année – est-ce parce que la case « morts-vivants » était justement déjà doublement occupée en sélection officielle ?

Zombie classique
Pourquoi le cinéma d’auteur s’est-il emparé de la figure du zombie cette année ? La réponse semble être « pour le gag » chez Jarmusch, tant son film s’avère creux. Chez Diop, c’est évidemment pour la métaphore – ces zombies relèvent d’ailleurs presque de la poésie. Chez Bonello, dont le film est le moins évident des trois, c’est d’abord pour le mystère.

 
Jamais hilarant, « The dead don’t die » ressemble à une comédie qui ne décolle jamais – et qui semble même faire exprès de ne pas le faire (c’est la patte Jarmusch). C’est donc assez ennuyeux. Les zombies ressemblent à l’idée que tout le monde s’en fait. Jarmusch s’amuse plus à glisser des caméos de stars qu’à développer un propos. Un signe qui ne trompe pas : pour finir son film, Jarmusch est obligé de recourir au coup du métacinéma – les personnages avouent tout à coup qu’ils ont lu (ou pas) le script du film. Le manque d’inspiration est alors flagrant. Au final, « The dead don’t die » ne vaut que pour quelques séquences-gags – même si elles reposent sur des recettes déjà bien éprouvées par le réalisateur : apathie, répétition, caméo rigolo de Iggy Pop – et Tilda Swinton, toujours excellente.

Zombie poétique
Bien plus intéressant est le film « Atlantique » de Mati Diop – même s’il n’est pas pour autant complètement réussi. Son ancrage à Dakar est déjà dépaysant. L’absence de perspective, l’appel du large et de la fuite (les plans sur l’océan, répétitifs mais vraiment envoûtants) sont superbement rendus. Le rythme lent du film accroît la sensation d’enfermement.


          Il y a beaucoup de belles idées de mise en scène, mais elles ne sont hélas pas forcément exploitées jusqu’au bout et frôlent parfois le caractère gratuitement « poétique » : comme les zombies justement, trop lourdement métaphoriques.

Zombie historique
« Zombi child » est partagé entre deux lignes temporelles qui n’ont a priori rien à voir entre elles : l’une à Haïti dans les années 1960 qui raconte un cas de « zombification » (à l’origine du mythe), l’autre de nos jours à Paris suit des lycéennes de la Maison d'éducation de la Légion d'honneur. Les deux sont fascinantes, et gagnent chacune en originalité en étant confrontée sans transition ni explication à l’autre. De fait, le lien mystérieux qui existe entre ces deux lignes narratives si contrastées excite la curiosité. Leur point commun est le traitement réaliste. Les dialogues des jeunes filles, fortement teintés de bizarrerie adolescente, sonnent particulièrement justes (et sont drôles).


          Les films de Bertrand Bonello sont d’une ambition visuelle rare, « Zombi child » n’y fait pas exception. Bonello aime les séquences muettes qui captivent par la seule force des images (le segment haïtien du film), à l’image des films de Kurbick (s’inscrire dans sa lignée de Kubrick est d’ailleurs assez rare en France !).
          Des trois cinéastes cités ici, il s'avère le plus original. Son zombie n'a pas l'évidence de ceux de Jarmusch, et contrairement à ceux de Diop, il voit son caractère métaphorique gommé par l'aspect « historique » de son zombie et son réalisme. Il résiste à la compréhension – et c'est ce qu'on pouvait espérer de mieux de la part d'un tel cliché ambulant du cinéma d'horreur.

On retiendra…
En remontant aux sources du « zombie » et en le confrontant à l’actualité, Bonello s’avère le plus original sur l’utilisation du zombie au cinéma.

On oubliera…
L’absence d’idées de Jarmusch, qui provoque l’ennui.

« The dead don’t die » de Jim Jarmusch, avec Adam Driver, Bill Murray,…
« Atlantique » de Mati Diop, avec Mama Sané, Amadou Mbow,…
« Zombi child » de Bertrand Bonello, avec Louise Labeque, Wislanda Louimat,…

lundi 17 juin 2019

Triple gâchis (Hellboy)

« Hellboy » (2004) et l’encore meilleur « Hellboy 2 : les Légions d’or maudites » (2008) sont deux chefs-d’œuvre signés du génial Guillermo del Toro. Ils devaient être suivis d’un troisième film – mais l’absence de réel succès commercial des films de del Toro en ont décidé autrement. Les droits ont changé de main et c’est finalement un « reboot » qui arrive sur les écrans dix ans plus tard, alors même que del Toro est maintenant plus reconnu que jamais grâce aux Oscar remportés pour « La forme de l’eau »… L’ironie du destin cinématographique de Hellboy pourrait faire sourire les fans du personnage imaginé par Mike Mignola. Sauf que ce destin est funeste : ce « Hellboy » signé Neill Marshall a été un bide au box-office. Le gâchis est donc triple : ce film a tué définitivement l’espoir de voir un jour « Hellboy 3 » de del Toro sur les écrans, il est mauvais (comme nous le verrons ci-dessous), et il a peu ou prou enterré l’avenir cinématographique de la « franchise » !


Une histoire d'ambition réduite à néant
Difficile après ça de ne pas détester le film plus que de raison. Mais s’il fait figure de « catastrophe », c’est aussi parce qu’on devine derrière les effets spéciaux ratés que cet « Hellboy » aurait  pu être un bon film – certes loin des hauteurs poétiques atteintes par del Toro, mais intéressant quand même. Cette nouvelle version de « Hellboy » (le personnage est ici interprété par David Harbour) est plus sombre, violente (et gore), mais reste drôle – quelques blagues arrivent à faire mouche. L’histoire est extravagante, mais dans le bon sens du terme : ce mélange qui puise dans les mythes, les contes et l’Histoire est original et dans l’esprit de l’œuvre de Mignola.
Le spectacle aurait donc pu être divertissant s’il n’avait été aussi piètrement exécuté. « Hellboy » fait partie de ses films dont on comprend en cours de projection que la production a connu des problèmes (ce qui n’est jamais bon signe pour la qualité du film). Les effets spéciaux, et ils sont nombreux, ne sont pas du tout à la hauteur de la vision du réalisateur ou du scénario. En conséquence, le film est souvent moche et grotesque… Notamment le grand final, qui achève le film dans les deux sens du terme.

On retiendra…
L’ambition de réaliser un film violent mais drôle sur Hellboy, différent de la version de del Toro.
 
On oubliera…
Les effets spéciaux à l’économie qui détruisent tout l’impact visuel du film, le montage parfois bizarrement accéléré (charcutage ?), l’interprétation de Milla Jovovich.

« Hellboy » de Neill Marshall, avec David Harbour, Milla Jovovich,…

vendredi 17 mai 2019

Mirage hollywoodien (Ma vie avec John F. Donovan)

Pourquoi être allé le voir ?
Depuis 2009 et la sortie de « J’ai tué ma mère », nous sommes habitués à voir chaque année ou presque un nouveau film de Xavier Dolan. Et qu’à chaque fois ce film soit meilleur que le précédent ! Suite logique à son ascension irrésistible, après l’immense réussite de « Juste la fin du monde », Xavier Dolan a réalisé son premier film américain en langue anglaise. Et s’est aussi pour la première fois pris les pieds dans le tapis ! Le film nous arrive enfin en France après trois années d’attente, et une gestation houleuse (dont le signe le plus frappant et retentissant a été l’annonce il y a un an de la suppression au montage de Jessica Chastain).


Pourquoi aller le voir ?
Même en anglais, Xavier Dolan reste fidèle à lui-même. Il réussit à tirer une grande intensité de ses comédiens. « Ma vie avec John F. Donovan » comporte plusieurs scènes qui, par leur côté hystérique ou mélodramatique, provoquent une émotion intense : ainsi en est-il de la scène de la découverte par le héros enfant du film de la nouvelle saison de sa série télévisée préférée, génialement drôle, ou des retrouvailles en plein Londres de ce même personnage avec sa mère, si émouvantes.

Pourquoi ne pas aller le voir ?
Pour la première fois, Dolan ne s’est pas surpassé par rapport à son précédent film. « Ma vie avec John F. Donovan » reprend bien entendu des thèmes déjà traités dans ses précédentes œuvres, mais Dolan semble avoir été paralysé par l’ambition hollywoodienne de son film, et a reconduit presque à l’identique certaines de ses plus emblématiques réussites… Faisant de son film une sorte d’auto-remake ! Impossible de ne pas citer la scène du chant dans la douche, décalque de celle si émouvante de la danse sur Céline Dion de « Mommy ». Ou même la manière dont Dolan conclut au montage son film : on croirait qu’il a déjà utilisé cette même chanson pour clore l’un de ses précédents films, tant le procédé était attendu de sa part.
« Ma vie avec John F. Donovan » est un grand film malade, mais un grand film raté… Une version longue - si elle est disponible un jour - permettra peut-être de mieux comprendre ce qu’avait imaginé le réalisateur avant de buter contre le système hollywoodien.

« Ma vie avec John F. Donovan » de Xavier Dolan, avec Kit Harington, Jacob Tremblay,...

Bataille navale (« Kursk » et « Le chant du loup »)

      Le « film de sous-marin » est un genre cinématographique en soi qui a déjà donné de belles sueurs froides – la claustrophobie est cinégénique. Mais sur le terrain particulier de ce genre, on n’attendait rien du cinéma français. Pourtant, à quelques mois d’intervalle, deux films français « de sous-marins » sont sortis sur nos écrans.

Le classique « Kursk »
      On passera rapidement sur le premier, « Kursk », réalisé par le danois Thomas Vinterberg. L’ambition commerciale internationale du projet (porté par Europacorp) l’a vidé de tout effet de signature, jusqu’à l’absurde. Le film est donc très classique, lisse, sans surprise formelle mais a une certaine efficacité. Au final, ce qu’il laisse en mémoire est la bizarrerie d’avoir vu des acteurs francophones interpréter leur rôle en anglais avec un accent russe…


Le novateur « Chant du loup »
      Mais « Kursk » aura eu le mérite de rendre encore plus stupéfiante la surprise que constitue « Le chant du loup ». Ce premier film du scénariste de « Quai d’Orsay », produit par Pathé et réunissant un casting si prestigieux de grands noms du cinéma français (dont Omar Sy !) qu’il en devient improbable, est contre toute attente un coup de maître. La réussite d’Antonin Baudry est telle qu’il se pourrait bien que « Le chant du loup » soit le meilleur film de sous-marin jamais produit.

 

      Cette réussite repose d’abord sur un scénario à la mécanique magistrale, qui exploite comme personne n’avait encore eu l’idée de le faire les aspects les plus singuliers de la marine, et en particulier de la dissuasion nucléaire. L’autre coup de génie d’Antonin Baudry est d’avoir mis au centre de son histoire une « oreille d’or », métier méconnu et pourtant immensément fascinant – interprété par un François Civil qu’on n’avait jamais vu aussi convaincant. En accord avec ce personnage dont le métier consiste à écouter, le son a une importance capitale dans « Le chant du loup », tant dans la construction de son intrigue que dans sa mise en scène. Celle-ci exploite le pouvoir de suggestion du hors-champ, voire le pouvoir d’abstraction et de poésie du son pur, et réalise ainsi une intelligente économie d’effets – pour parvenir à créer une tension dingue, qui culmine dans un final spectaculaire - jusqu’à l’extinction du son.
      Seul défaut du film : il est hautement improbable qu’une oreille d’or ne sache pas ce qu’est une transformée de Fourier (!), et encore plus qu’on ne trouve pas en stock de livre consacré au sujet dans la plus grande librairie de Brest (!!). Autre point qui désarçonne : le traitement de l’histoire d’amour parait très superficiel (tout va si vite)… jusqu’à ce que l’on comprenne que ce n’est qu’une manipulation du scénario…
      « Le chant du loup » est donc une immense surprise, un film qui marquera l’histoire du genre et une réussite à tout point de vue.

On retiendra…
Une extraordinaire tension en huis-clos, entièrement basée sur le son… Les coups de génie du scénario et de la mise en scène, d’une formidable intelligence.

On oubliera…

Quelques incohérences et facilités de scénario (qu’on pardonne pour le rythme du film).

« Le chant du loup » d’Antonin Baudry, avec François Civil, Réda Kateb, Omar Sy,…

vendredi 5 avril 2019

Terminator (Alita : battle angel)

Préparée par James Cameron pendant plus d’une dizaine d’années, l’adaptation du manga « Gunnm » en prises de vue réelle a finalement été confiée à la surprise générale à Robert Rodriguez. La parenté artistique du réalisateur de « Sin city » avec James Cameron n’est pas évidente, et il n’a jamais réalisé de film au budget aussi conséquent. Mais Robert Rodriguez est aussi connu pour ses qualités de caméléon à la réalisation – sa filmographie foutraque le prouve amplement. Et c’est bien pour cela qu’il a été engagé sur le projet : comme il le répète lui-même en interviews, l’objectif de Rodriguez était qu’« Alita : battle angel » ressemble le plus possible « à un film de James Cameron ».


Cyborg
Cet objectif est bel et bien accompli : « Alita : battle angel » est un film ultra spectaculaire, émouvant, à la 3D immersive, et qui travaille le thème du transhumanisme cher au réalisateur de « Terminator » et d’ « Avatar ». De ce fait, d’un point de vue critique, Robert Rodriguez se retrouve dans une position délicate : toutes les qualités de son film sont plutôt mises au crédit de James Cameron, et on le tient responsable de tous ses défauts… !
Regarder « Alita : battle angel » fait un bien fou : des blockbusters aussi originaux sont si rares. Dans le monde d’Alita, la frontière entre homme et machine n’existe plus vraiment : le corps est devenu une machine comme une autre. Grâce à la motion capture, le film exploite à un niveau encore jamais vu auparavant la nature hybride de ces « cyborgs », des êtres dont l’apparence n’a parfois plus d’humain que la peau du visage. Le résultat à l’écran est aussi bizarre que dérangeant, car parfois à la limite du dégoût – la représentation de ces corps tous plus ou moins disloqués contient une violence qui relève de l’audace pour un blockbuster. C’est d’ailleurs suffisamment dérangeant pour constituer en soi une charge anti-transhumaniste – ce qui fait que sur le sujet, le film est globalement neutre (on pourra trouver autant d’arguments pour l’augmentation du corps humain que contre). Cette vision du corps comme une machine où les organes sont autant de pièces détachées est aussi une réussite car grâce à elle, le film renouvelle beaucoup de scènes qui auraient pu paraître stéréotypées, n’était la nature de cyborg de ses personnages. Les scènes les plus poignantes sont justement celles qui exploitent la nature artificielle du corps de ces personnages, jusqu’à même s’approcher de la parodie (la scène où Alita offre littéralement son cœur à Hugo, ou celle dans laquelle elle lutte pour ne pas lâcher ce qu’il reste de son corps). En développant les conséquences de la modification « machinique » des corps, « Alita : battle angel » s’inscrit dans le prolongement direct des thématiques d’« Avatar ».

Bizarre
Ce qui séduit aussi bizarrement dans « Alita : battle angel » est qu’au milieu de toute cette violence, le film présente un côté naïf, voire un certain romantisme adolescent – ce contraste est bizarre mais intéressant, car le film ressemble ainsi vraiment à son héroïne : une tête d’adolescente posée sur une mécanique mortelle. Dommage cependant que l’acteur masculin principal, pourtant "100% chair", soit aussi lisse – alors que dans le rôle-titre Rosa Salazar, en motion capture, est stupéfiante de naturel. Ses yeux agrandis, disproportionnés (seule référence évidente à la nature de « manga » du matériau originel) mais si sensibles, sont l'une des plus belles réussites du film.
 « Alita : battle angel » est un grand moment d’émotions, avec de grands moments spectaculaires, telle la course-poursuite du « motorball », une scène d’action ébouriffante et ahurissante. L’immersion dans l’histoire est encore accrue par la magnifique 3D du film – ce qui rappelle hélas à quel point le procédé est mal utilisé dans la plupart des films à grand spectacle… On aime aussi la ligne narrative un peu tordue du scénario, avec cette accélération finale qui s’achève sur une fin abrupte. On espère voir cette histoire se conclure dans une suite !

On retiendra…
L’immersion totale dans l’histoire. L’impression bizarre laissée par ces corps démembrés et greffés sur des machines. La scène d’action du motorball. La 3D.

On oubliera…
L’acteur principal masculin du film, trop lisse, n’est pas à la hauteur du projet.

« Alita : battle angel » de Robert Rodriguez, avec Rosa Salazar, Keean Johnson, Christoph Waltz,…

lundi 18 février 2019

Nous, moches et méchants (Border)



Pourquoi être allé le voir ?
Une fable fantastique suédoise réalisée par un danois d’origine iranienne, crédité d’une presse ultra élogieuse, et ayant remportée la compétition « Un certain regard » à Cannes : il y a de quoi éveiller l’intérêt.

Pourquoi aller le voir ?
Difficile d’évoquer « Border » autrement que par des formulations vagues et elliptiques. C’est un film très étrange, dont la qualité repose en partie sur le mystère de l’identité de ses personnages principaux, et sur le caractère inédit de ce qu’il ose représenter à l’écran – soit autant de sujets qu’il serait dommage de dévoiler dans une critique !
« Border » nous confronte d’emblée à son parti pris esthétique fort d’avoir pris comme personnages principaux des personnes au physique déplaisant et disgracieux, et de montrer frontalement cette laideur – en fait, des acteurs rendus méconnaissables par un énorme travail de maquillage. C’est donc un film dérangeant, qui met mal à l’aise par la crudité de ce qu’il montre, mais aussi par les agissements de ses personnages… « Border » traite comme rarement (voire comme jamais ?) de l’altérité, avec une puissance métaphorique exceptionnelle.

Pourquoi ne pas aller le voir ?
« Border » est de ces films qui désarçonnent tant qu'on ne sait pas très bien quel jugement critique y porter à la sortie de la salle de cinéma. A la multitude de questions impossibles à résoudre qu’il suscite par son sujet, s’ajoute des questions non moins difficiles à tranches sur sa forme-même : peut-on complètement aimer un film qui nous dégoûte, qui ose autant échapper à un certain confort visuel ?
La seule autre limite que je pourrais citer est le moment de la révélation du mystère de l’identité des personnages principaux. Cette révélation m’a d’abord semblé grotesque – mon jugement sur le film a vacillé pendant quelques instants… Un bon rappel du fait qu’il est toujours extrêmement difficile de donner une explication à un mystère sans décevoir.

« Border » d’Ali Abbasi, avec Eva Melander, Eero Milonoff,…

mercredi 13 février 2019

18 films de 2018

Comme chaque année, parmi les films cités dans le top 10 (au nombre de dix-huit, 2018 oblige), une poignée figure en tête du classement avec évidence : « Burning », « Mektoub my love, canto uno » et « Phantom thread » sont de loin les meilleurs films qui pouvaient être vus au cinéma en 2018, suivis par « First man » et « Jusqu’à la garde », tous deux extrêmement impressionnants, dans des registres très différents. Les films suivants dans la suite du classement ont été plus difficiles à départager.


1.       Burning
3.       Phantom thread
4.       First man
5.       Jusqu’à la garde
6.       La douleur
7.       L’île aux chiens
8.       Plaire, aimer et courir vite
9.       Les indestructibles 2
10.   En liberté !
11.   Mission impossible : Fallout
12.   Une affaire de famille
13.   Les confins du monde
14.   Le monde est à toi
15.   L’homme fidèle
17.   I feel good
18.   Les garçons sauvages

Un classement dominé par le cinéma français (plus de la moitié des films cités), qui a encore prouvé son éclectisme fou cette année, et qui comporte – c’est rare – trois comédies (toutes françaises).
L’exercice du classement se répétera évidemment dans un an, mais il sera double : il s’agira en plus du traditionnel « top 10 » de l’année, de réaliser celui de la décennie…

mardi 22 janvier 2019

L’ennemi public n°1 (L’empereur de Paris)

Dix ans après le formidable diptyque sur « Mesrine », Jean-François Richet retrouve les manettes d’un « blockbuster » français. Après des années de galère pour monter sans succès son projet sur La Fayette, « Un moment d’égarement » en 2015 qui porte si bien son nom, et un détour par l’Amérique, le voir revenir à un cinéma ambitieux et populaire est une bonne nouvelle. « L’empereur de Paris » signe aussi le retour à l’écran d’un de nos « super-héros » nationaux, Vidocq, dix-sept ans après sa dernière apparition dans le fameux (et quasiment culte) « Vidocq » de Pitof.



Avoir les moyens de ses ambitions
« L’empereur de Paris » commence fort, avec peut-être la meilleure ouverture vue cette année au cinéma. Mais passée l’excellente introduction, si stylisée qu’elle a un côté « BD », l’action peine à décoller alors même qu’elle s’installe à Paris. Le film manque de rythme, et son scénario d’efficacité. Plusieurs des péripéties relèvent même du domaine du cliché, et la mise en scène de Jean-François Richet ne tente rien pour l’éviter (la scène de l’incendie par exemple). On est aussi gêné de voir que la réalisation n’a pas exactement les moyens de ses ambitions. Les cadrages sur les décors ne sont pas assez habiles pour ne pas montrer que le budget certes plutôt conséquent pour un film français n’en reste pas moins étriqué pour le projet épique du réalisateur. La musique de Marco Beltrami est elle aussi en panne d’inspiration.
Mais un certain souffle finit par jaillir sur le tard, grâce notamment à plusieurs grands numéros d’acteurs. La distribution est prestigieuse, et chacun y est excellent : Denis Lavant, Fabrice Luchini, James Thiérrée, August Diehl sont épatants, sans oublier Vincent Cassel dans le rôle-titre. Et puis certaines scènes sont vraiment réussies, telle la poursuite dans les lavoirs, ou le discours de Vidocq aux prisonniers.
Reste enfin la coïncidence savoureuse de retrouver dans certaines scènes du film un écho frappant avec l’actualité de la France des gilets jaunes. Et un magnifique (quoique numérique) dernier plan. Si « L’empereur de Paris » n’est pas aussi réussi qu’espéré, il ravive avec force le rêve de voir un jour sur grand écran le diptyque sur La Fayette imaginé par Jean-François Richet.

« L’empereur de Paris » de Jean-François Richet, avec Vincent Cassel, Freya Mavor, Patrick Chesnais,…

vendredi 4 janvier 2019

Mad Max (Mortal engines)


Pourquoi être allé le voir ?
Il suffit d’un nom, celui de Peter Jackson – même s’il n’est crédité que comme producteur – pour avoir envie de voir « Mortal engines », adaptation d’un roman jeunesse de Philip Reeve. Il s’agissait (jusqu’à la lourde déconvenue subie par le film au box-office), du potentiel premier volet d’une nouvelle trilogie chapeautée par le réalisateur néo-zélandais, après « Le seigneur des anneaux » et « Le hobbit ».
 
Pourquoi le voir ?
Un blockbuster qui n’est pas une suite ni un remake, sans super-héros, avec des inconnus en tête d’affiche (Hera Hilmar et Robert Sheehan), par ailleurs sans aucune vraie star au casting, à l’écran comme dans l’équipe technique : autant d’air frais dans le cinéma à grand spectacle est revigorant !
« Mortal engines » est une aventure au rythme trépidant qui ne cesse de se déployer sur des échelles de plus en plus grandes. La trame du récit d’initiation de l’adolescent qui va devenir adulte est certes classique, mais elle est ici enchâssée dans un vaste univers d’une incroyable richesse dont on découvre la complexité au fur et à mesure du récit, et surtout le récit est mené avec un rythme extraordinaire, à la limite du vertige. Cette vitesse rappelle l’avalanche de péripéties de « Le labyrinthe », autre film adapté de roman pour la jeunesse. Visions étonnantes et spectaculaires, faisant le tour de tous les éléments (courses-poursuites de… villes en plaine, à la cité aérienne, en passant par une prison en pleine mer), nombreuses trouvailles (dont une sorte de Terminator, très émouvant), grands moments de bravoure filmiques : le spectacle est total.
 
Pourquoi ne pas le voir ?
Les acteurs principaux ne sont pas toujours à la hauteur, la faute aussi à certains dialogues trop naïfs (la naïveté semble concomitante à tout film adapté de roman pour la jeunesse). Les rappels trop présents de « Mad Max », pas forcément volontaires, pourtant glissés jusque dans la musique originale.
 

« Mortal engines » de Christian Rivers, avec Hera Hilmar, Robert Sheehan, Hugo Weaving…

mercredi 2 janvier 2019

Souper (Suspiria)

             « Suspiria » de Dario Argento (1977) est un film si célèbre qu’en faire un remake paraissait presque tabou. Mais Luca Guadagnino, devenu récemment le plus en vue des réalisateurs italiens, porte ce projet depuis dix ans. Après avoir tenté de le faire réaliser par David Gordon Green (qui aura finalement réalisé cette année le remake d’« Halloween », autre classique du cinéma d’horreur), c’est finalement lui-même qui s’y est attelé.
Or, sous le vernis « culte » du « Suspiria » d’Argento, se cache un piètre film à la narration hasardeuse frisant parfois l’amateurisme, qui vaut surtout et avant tout pour ses impressionnantes expérimentations chromatiques, et sa musique originale. Il ne me paraissait donc pas si sacrilège d’en donner une nouvelle version…


Une grande maîtrise…
Comme il l’avait promis, Guadagnino n’a pas fait un copié-collé du film d’Argento, dont il n’a conservé que le squelette, l’intrigue principale. Guadagnino livre un film beaucoup plus morbide, funèbre, froid, presque à contre-courant de l’extravagant film d’Argento. La mise en scène installe dès les premières minutes une atmosphère poisseuse propre à susciter le malaise et l’inquiétude. L’étrangeté nait aussi de la narration, qui s’éparpille entre différents fils dont on ne saisit pas au départ les liens.
Un des points les plus forts de la réalisation de Guadagnino est la représentation de la danse. La version de 2018 opère ici une correction bienvenue au film de 1977, dans lequel la danse était quasiment absente ou ridiculement filmée (alors que l’intrigue se déroule dans une école de danse). Ici les scènes de danse sont impressionnantes d’énergie, faisant ressentir douloureusement (jusqu’au macabre) la puissance cinétique déployée par les danseuses (et principalement Dakota Johnson – ou sa doublure ?) pour suivre la chorégraphie.
Une autre actrice impressionnante est Tilda Swinton, dont la double interprétation est véritablement bluffante – ce n’est qu’en lisant la presse après le film que j’ai appris que l’actrice tenait un deuxième rôle. Et puis, même si c’est fugitif, il est toujours émouvant de revoir à l’écran Jessica Harper, l’interprète principale du film original.
 

…qui relève du bluff
« Suspiria » de Guadagnino laisse vraiment une impression trouble, car il est difficile de tenir encore compte des qualités qui viennent d’être énumérées lorsqu’arrive le dernier acte (sur six) du long-métrage. Le film s’effondre, révélant sa nature de « soufflé », dans un final où les masques tombent qui confine au triple exploit gore, déceptif et ridicule. La scène est tellement énorme que c’en est inénarrable.
Ce final change totalement l’image que se faisait jusqu’alors le spectateur du film. La prétention de Guadagnino est soudainement évidente, prétention que l’on pouvait déjà remarquer par l’agrégation à la trame du scénario original d’Argento de références insistantes au contexte historique (de la Shoah à la bande à Baader). Pourtant, la profusion du scénario (le film est divisé en « six actes et un épilogue »), résultante d’une volonté d’enrichir et de développer l’histoire originale de « Suspiria », n’a pas fortifié cette nouvelle version de « Suspiria » mais l’a rendue obèse. Le film de Guadagnino dure quand même une heure de plus que celui d’Argento !
Ce « Suspiria » de Guadagnino est donc certes plus impressionnant que celui d’Argento, mais in fine… tout aussi débile.
 
On retiendra…
L’atmosphère poisseuse, le mystère savamment entretenu par les apparentes digressions, les scènes de danse, Tilda Swinton.
 
On oubliera…
Le final, ultra grotesque, qui rend évident la prétention de cette nouvelle version du classique d’Argento.

 
« Suspiria » de Luca Guadagnino, avec Dakota Johnson, Tilda Swinton,…

mardi 1 janvier 2019

Interstellaire (High life)

 
Pourquoi être allé le voir ?
        J’attendais de longue date ce film annoncé il y a déjà plusieurs années. Un film de science-fiction français (!), écrit et réalisé par Claire Denis (!!), assistée de conseils scientifiques d’astrophysiciens, avec la collaboration d’Olafur Eliasson à la direction artistique (!!!), et réunissant Robert Pattinson et Juliette Binoche (!!!!)… Sur le papier, sans aucun doute le film le plus fou de l’année 2018. Et puis le précédent film de Claire Denis, « Un beau soleil intérieur », tourné rapidement en attendant les financements de « High life », était un chef-d’œuvre. 

Pourquoi le voir ?
        Parce qu’il existe : on voit rarement un film aussi improbable et bizarre. Pour le cinéma français, « High life » relève de l’anomalie. Et puis par principe, parce qu’elles sont trop rares, il faut toujours défendre les tentatives françaises de cinéma dit « de genre ». Même si, dans ce cas précis, cette tentative est certes bizarre, mais surtout ratée (comme hélas trop souvent…).
 
Pourquoi ne pas le voir ?
        En effet, une fois reconnue la singularité du film, force est de constater qu’elle n’amène sur rien. Le film aborde beaucoup de thèmes, mais son propos reste tout au long du film abscons. Ceci, combiné à la direction artistique qui fait ce qu’elle peut (pas grand-chose) pour masquer le tout petit budget du long-métrage, et à l’audace complètement folle et « denisien » du scénario, rend très souvent ridicule le film. « High life » tout entier est à l’image de sa scène la plus frappante, une danse érotico-chamanique de Juliette Binoche : on salue son courage fou (d’avoir osé montrer ça), mais on ne peut s’empêcher de rigoler devant le ridicule du résultat.
        « High life » ressemble en fait à un film de science-fiction écrit et réalisé par quelqu’un ignorant tout de la science-fiction. L’existence de cette mission spatiale n’a pas été rendue crédible. La mise en scène ne fait pas assez d’efforts pour rendre vraisemblable la station spatiale dans laquelle se déroule 99% de l’intrigue. Tout paraît légèrement faux, car tout est trop symbolique, comme si l’on était plus proche du théâtre que du cinéma. Au lieu d’être un voyage vers un trou noir, « High life » ressemble en fait à un mime de voyage vers un trou noir. Sans la vraisemblance, l’intrigue ne réussit pas à accrocher le spectateur, et le film ne suscite aucune émotion – autre que celles provoquées par le ridicule.

 
« High life » de Claire Denis, avec Robert Pattinson, Juliette Binoche, Mia Goth…