Où
s’arrêtera donc l’ascension de Xavier Dolan ? A chaque nouveau film, il
fait mieux que le précédent. « Juste la fin du monde » est donc
encore plus fort que le déjà extraordinaire « Mommy ». Le film n’est vraiment
pas passé loin de la Palme d’or puisqu’il a décroché le Grand Prix du jury au
69ème festival de Cannes…
« Juste
la fin du monde » est à l’origine une pièce de Jean-Luc Lagarce, dramaturge
que Dolan avait déjà adapté pour « Tom à la ferme » (2012). Preuve
évidente de son nouveau statut de « super auteur », Xavier Dolan a fait
l’exploit de réunir ce qui n’est pas loin d’être le casting le plus prestigieux
que l’on puisse rassembler aujourd’hui pour tourner un film français avec cinq
rôles : Marion Cotillard, Léa Seydoux, Gaspard Ulliel, Vincent Cassel et
Nathalie Baye.
On aurait
pu craindre qu’en s’entourant d’acteurs si emblématiques du cinéma français,
Dolan se coule dans un certain moule du « film d’auteur français ».
Or, pas du tout : le québécois n’a rien cédé sur ses obsessions et sa
manière si personnelle de concevoir un film.
La finesse des gros plans
Après une
très belle et sombre introduction, le film plonge directement dans un huis-clos,
où se révèlent immédiatement les choix très forts de mise en scène de Xavier
Dolan. Pour raconter cette famille
dysfonctionnelle, Dolan utilise presque exclusivement des gros plans sur les
visages de ces personnages. Cette mise en scène très originale (voire
inédite ?) désarçonne au début : ne voir que des visages en gros
plans de personnages au caractère si marqué et contrasté qu’ils semblent fous
(et certains le sont) est très vite asphyxiant pour le spectateur. L’« hystérie »
propre à Dolan (mais en nettement plus sombre qu’avant) provoque ici
l’étouffement. Or c’est très exactement ce que ressent le personnage principal,
Louis, lorsqu’il retrouve sa famille après douze ans d’absence. On retrouve ici
le goût du cinéaste pour faire se rejoindre le signifiant et le signifié comme
lorsqu’il ouvrait littéralement le cadre dans les fameuses séquences de
libération dans « Mommy ».
Face à sa
famille, Louis est presque mutique. Il laisse les flots de paroles s’échapper
de la bouche et du cœur de chacun des membres de sa famille, qui ne l’ont pas
vu depuis si longtemps. Il arrive à s’isoler avec chacun d’entre eux, l’un
après l’autre. Le film est donc quasiment une succession de longs monologues.
La mise en scène en gros plans rappelle que cette matière est très théâtrale et
en même temps la transforme en du cinéma pur, grâce à ce que les plans
dévoilent de chacun des gestes et expressions des acteurs, et en particulier en
insistant sur leurs yeux, leur regard. Le visage de l’acteur prend toute la
place dans le cadre et ne cohabite que rarement dans un plan plus large avec le
corps d’un autre acteur : cette mise en scène qui enferme les personnages
chacun dans leur cadre traduit aussi l’absence de communication dans cette
famille qui se déchire et, pendant toute la durée du film, se dispute la
présence de Louis. Qui reste donc là à les écouter et à les regarder.
Le
regard : c’est ce sur quoi travaille cette mise en scène, puisque en
réduisant le champ au seul visage de l’interlocuteur de Louis, la caméra nous
fait entrer dans sa tête. Ces gros plans, c’est en fait ce que voit Louis quand
il écoute quelqu’un, c’est son regard qui nous est montré, ce qu’il voit. La
réalisation de Dolan nous fait donc plonger dans l’esprit du personnage de
Louis, elle réussit en fait à nous faire vivre cette journée si particulière de
son point de vue, littéralement. « Juste la fin du monde » ne raconte
pas cette journée d’une manière réaliste, mais raconte le ressenti émotionnel
de cette journée par Louis, sa représentation mentale de cette journée, qui est
enrichie de souvenirs et de sensations. Xavier Dolan nous montre cette journée
non pas d’un point de vue extérieur, omniscient, sans passé, mais d’un point de
vue intériorisé, riche d’une mémoire, d’une histoire personnelle : celui
de Louis, mais derrière lequel on devine aussi celui du réalisateur. Ce point
de vue est donc extrêmement touchant.
Nouvelles facettes
Outre cet extraordinaire
procédé de mise en scène, si puissant et si poignant, « Juste la fin du
monde » a aussi le mérite de montrer de formidables performances de jeu. Dolan
a réussi à révéler de nouvelles facettes de chacun des acteurs de son casting, inédites.
Cotillard, Cassel, Baye, Seydoux, et en particulier Ulliel : ils
apparaissent dans ce film comme nouveaux, malgré leur aura. On en vient
rapidement à oublier que l’on voit Cotillard ou Cassel jouer, pour ne plus voir
que Catherine et Antoine.
Le film se
termine sur une métaphore d’une limpidité frappante, belle et émouvante, qui
achève de nous convaincre que « Juste la fin du monde » est un
film d’une grande force – peut-être bien juste le meilleur film de l’année.
On retiendra…
Une mise en scène tout en gros
plans surprenante, puissante et émouvante. Des interprétations d’une grande
force.
On oubliera…
On aurait aimé que le film
dure un peu plus longtemps, il parait un peu court (preuve de sa grande qualité ?).
« Juste la fin du
monde » de Xavier Dolan, avec Gaspard Ulliel, Marion Cotillard, Léa
Seydoux, Vincent Cassel et Nathalie Baye
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