mardi 23 octobre 2018

L’art difficile du sense of wonder (16 levers de soleil)

La mission de l’astronaute français Thomas Pesquet sur la Station Spatiale Internationale de novembre 2016 à juin 2017 a eu un retentissement médiatique sans précédent (en France). Le récit de cette mission et de l’entraînement qui l’a précédé a déjà été raconté sur tous les supports, du documentaire télé à la BD (le formidable album « Dans la combi de Thomas Pesquet » de Marion Montaigne), en passant par le film VR et le film IMAX… C’est maintenant sous la forme d’un long-métrage documentaire que cette aventure spatiale est de nouveau racontée : « 16 levers de soleil ». Un titre qui en dit déjà long, tant il manifeste déjà une volonté de faire moins scientifique que poétique (il s’agit du nombre de levers de soleil auquel assiste un astronaute à bord de l’ISS en vingt-quatre heures).


16 bâillements en 2h
Effectivement, « 16 levers de soleil » ne ressemble pas au documentaire traditionnel type reportage télé : il n’y a pas de commentaires des images qui sont présentées, que ce soit par une voix off ou par des interviews réalisées après l’action des protagonistes qui y ont participé. Il y a pourtant bien une voix off, celle du réalisateur, mais elle n’intervient qu’à de très rares moments, et c’est pour lire des extraits d’œuvres d’Antoine de Saint-Exupéry. L’idée du film est en effet de rapprocher la figure de Thomas Pesquet de celle du célèbre écrivain aviateur.
Ce parallèle était peut-être évident pour le réalisateur Pierre-Emmanuel Le Goff, qui signe ici son premier long-métrage, mais il apparait plutôt comme artificiel dans le film. « 16 levers de soleil » ne réussit jamais à dépasser ses intentions : on voit les efforts réalisés (sur le montage, la bande-son, la photo…) par le film pour paraître différent et « faire cinéma », mais sans jamais être convaincu du résultat. Le choix a vraisemblablement été fait de ne raconter cette aventure scientifique sur le mode de l’émerveillement, plutôt que de tirer parti des conditions extrêmes de cette aventure (6 mois confinés en apesanteur dans l’ISS) pour faire du sensationnel. La vie en apesanteur est tellement étrange que l’émerveillement fonctionne… mais un temps seulement, puisque sans discours ni narration de quelque sorte que ce soit, cette succession de belles images finit par sonner creuse. Sans explications ni enjeux d’exposés, les faits et gestes de Thomas Pesquet provoquent l’ennui… Ce qui relève du comble, face au caractère extraordinaire de la vie d’un astronaute en mission ! Contrairement à ce dont a rêvé le réalisateur, cette « odyssée de l’espace » n’a rien de comparable avec celle de Kubrick.
La sortie concomitante de « 16 levers de soleil » avec « First man » pose une question intéressante : le cinéma documentaire pourra-t-il un jour égaler celui de fiction lorsqu’il s’agit de raconter la vie dans l’espace ? Filmer dans l’espace est un défi technique si grand que cela est réalisé avec des moyens certes « vrais » mais extrêmement limités (car même si pour ce film la résolution des caméras embarquées à bord de l’ISS a été augmentée à 4K, ce sont toujours des astronautes qui se filment eux-mêmes lorsqu’ils en ont le temps). Tandis que le cinéma de fiction, avec ses moyens illimités certes factices mais véridiques par la grâce du numérique, produit des œuvres bien plus puissantes sur la vérité de la conquête spatiale…

On retiendra…
Des images forcément spectaculaires de la vie en apesanteur, de la Terre vue de l’espace.

On oubliera…
A trop vouloir faire « art » plutôt que « reportage », ce documentaire perd son sens et ses spectateurs.

« 16 levers de soleil » de Pierre-Emmanuel le Goff, avec Thomas Pesquet,…

mercredi 3 octobre 2018

Le film de Schrödinger (Climax)

« Climax » est le cinquième film de Gaspar Noé, le plus sulfureux des réalisateurs du cinéma français. Il ne figurait étonnamment pas en sélection officielle à Cannes cette année, mais à la Quinzaine des réalisateurs – qui en avait peut-être plus besoin pour célébrer sa 50ème édition ? De fête il est en effet question dans ce film, à l’argument très simple : dans un lieu isolé, à la fête de fin de répétition d’un spectacle de danse, une troupe de danseurs se retrouve intoxiquée par une drogue hallucinatoire.


Trajectoire simple
Comme l’a déjà fait Gaspar Noé, le film débute par sa fin (générique compris), ce n’est donc rien révéler que de décrire ce film comme une plongée progressive dans l’horreur. Passée cette « introduction finale », un exceptionnel plan-séquence nous entraîne au cœur de la dernière répétition, sur la musique Supernature de Cerrone. La caméra bouge au milieu des danseurs en accord avec leur chorégraphie, selon des axes géométriques très maîtrisés. Le spectacle ainsi filmé est magnifique, la virtuosité du cadre et de la photographie épousant celles des danseurs. L’énergie déployée dans ce plan est ahurissante et est en parfait accord avec l’humour bravache de la réalisation de Noé (qui avant ce plan a déjà dynamité toutes les conventions habituelles du long-métrage…). A ce stade de la projection, on se dit qu’on est face à un chef-d’œuvre…
Le fait d’avoir annoncé dès l’incipit que tout ça allait mal se terminer installe dès la fin de la répétition et le début de la fête qui la suit un malaise entretenu par la mise en scène (tout sonne comme un présage d’un massacre à venir, la couleur rouge étant partout présente), malaise qui n’ira qu’en grandissant… jusqu’à ce que l’horreur commence. On comprend vite que « Climax » va nous montrer, au fil de longs plans-séquences, le délitement progressif d’une harmonie, la troupe gracieuse unie dans la danse du début du film se morcelant petit à petit en individualités mesquines, idiotes ou monstrueuses. De l’ordre au chaos : la simplicité de la trajectoire du film fait toute sa beauté. Le champ de la caméra donne l’impression avec un réalisme saisissant de voir à travers les yeux d’un personnage ayant lui aussi été drogué – la caméra se déplace donc d’une manière de moins en moins ordonnée, se fait de plus en plus flottante, et finit par carrément se retourner…
Mais la simplicité de cette trajectoire du film est aussi sa limite. Parce qu’une fois compris ce programme imaginé par Noé, a-t-on vraiment encore envie d’assister à son exécution ? Le film devient alors un spectacle voyeuriste de la déchéance des rapports humains, rendu encore plus malsain par le fait que Noé l’alimente en traumatismes (addiction, avortement, inceste)…
Au final, on ressort de la salle complètement groggy du film, plus très sûr de l’orientation de la gravité (à force de voir les images à l’envers), et surtout éberlué par la vacuité du discours du film. Gaspar Noé avait l’habitude de cliver (on aime ou on n’aime pas). Il innove ici en mettant le point de clivage au milieu de son film : on aime puis on n’aime pas (ce qui pose un défi lorsqu’il s’agit de donner une appréciation au film en un seul mot ou une seule note !).

On retiendra…
Une première partie chorégraphique d’une beauté sidérante, d’une énergie folle. Les pieds de nez aux conventions cinématographiques.

On oubliera…
La deuxième partie est tellement programmatique qu’elle donne l’impression malséante d’assister à un spectacle voyeuriste. Les pieds de nez aux conventions cinématographiques.

« Climax » de Gaspar Noé, avec Sofia Boutella, Romain Guillermic,…