dimanche 6 août 2017

L’expérience de la guerre (Dunkerque)

 « Air : une heure », « Mer : un jour », « Terre : une semaine » : avec ces trois inserts, Christopher Nolan expose le dispositif formel de son nouveau film, qui tourne une fois de plus sur la distorsion temporelle. « Dunkerque » est un montage entrecroisé de trois actions s’étalant sur des échelles de temps différentes mais rassemblées par la magie du montage en une unique temporalité d’une durée totale de 1h47. Indéniablement, le temps est le sujet principal d’étude du cinéaste, et la cheville ouvrière de ses scénarios.


Tension
Le film est guidé par une obsession, celle de l’immersion. On suit de très près les faits et gestes de trois personnages (et de bien d’autres auteurs d’eux) : un soldat, un pilote d’aviation, et un marin civil. Il n’y a pas de scène d’exposition, le film nous plonge directement dans l’action. Les personnages sont donc « essentialisés » aux seuls buts qu’ils poursuivent : fuir à tout prix la plage de Dunkerque, protéger l’espace aérien, évacuer les soldats de Dunkerque… Le nom de certains personnages ne sera même pas connu. Ils vivent dans l’urgence extrême : l’arrivée de l’armée nazie est imminente.
Pour montrer l’horreur de cette course contre la montre, Christopher Nolan déroule une véritable mécanique cauchemardesque : le danger, pour les personnages sera permanent et perpétuellement renouvelé. Le scénario accumule les péripéties, sans jamais ménager ses spectateurs, brisant systématiquement les rares moments de repos par une nouvelle catastrophe. C’est rendu possible grâce aux trois histoires narrées parallèlement. Le film saute d’une ligne à une autre, d’un péril à un autre, pour maintenir la tension toujours à son plus haut, jusqu’au bout. La course contre la montre est rappelée de manière très littérale (ce qui est typiquement nolanien) par le tic-tac d’une horloge, présent en sourdine dans toute la bande-son du film composée (on ne change pas une équipe qui gagne) par Hans Zimmer.
Christoper Nolan est un des réalisateurs les plus doués pour créer de la tension, comme l’avait démontré de manière inouïe plusieurs séquences de « Interstellar » par exemple. Avec « Dunkerque », c’est comme s’il avait voulu étirer les pics de tension atteints dans « Interstellar » à toute la durée d’un film. Le but étant de faire ressentir au spectateur une tension égale à celle des soldats acculés sur la plage de Dunkerque. C’est un projet fou, à la hauteur de l’ambition du réalisateur. Mais un projet, malgré tout le talent du réalisateur, impossible à accomplir. Si « Dunkerque » est un monument de tension, une véritable « expérience » cinématographique, d’une intensité rare, le film finit par buter contre les limites de son système formel – ou plutôt contre les limites de l’écriture de Nolan, comme « Interstellar » avant lui.

Surtension
A force d’enchaîner les péripéties en sautant d’une ligne narrative à une autre, Nolan finit par fatiguer puis exténuer le spectateur. Le film multiplie en effet les effets de réalisation, et notamment les effets sonores, dans une surenchère répondant à l’accumulation folle de péripéties permise par les trois lignes narratives. Et cette accumulation finit par rendre évidente l’artificialité du scénario et du montage du film.
La distorsion du temps dans « Dunkerque » est un pur artifice de montage, et assumé comme tel par les inserts au début du film. Ce montage n’a pas d’autre justification que la volonté arbitraire du réalisateur d’assommer ces spectateurs par des péripéties relançant encore et toujours le suspense, alors que les dilatations étaient expliquées dans « Inception » par les rêves emboîtés et dans « Interstellar » par la relativité. Nolan crée de la tension pour servir l’immersion, mais l’excès de tension finit par se retourner contre la sensation d’immersion en rappelant la nature artificielle du montage. Lorsqu’on en prend conscience, le caractère arbitraire d’une fiction tend en effet à nous « faire sortir du film ». Le dispositif formel trouve ici sa limite. Le projet échoue : on ne ressent pas la tension des soldats pendant toute la durée du film, mais en fait jusqu’à ce que l’on se rappelle que l’on regarde un film.

Brexit
Il n’empêche, « Dunkerque » reste un formidable spectacle. D’autant plus rare et précieux qu’il s’agit d’un blockbuster hollywoodien complètement original, ni suite, ni remake, ni future franchise… « Dunkerque » marque aussi par sa résonance très forte avec l’actualité : cette histoire de repli des britanniques, quittant le sol européen, rappelle de manière frappante le Brexit (mais le parallèle s’arrête là, ce n’est pas pour fuir l’extrême droite que le Royaume-Uni a voté le Brexit, bien au contraire…). Même si le film ne tient aucun discours sur le Brexit ou sur notre époque, car il n’a été écrit que comme une reconstitution historique et avant le vote du Brexit, cette résonance rend les images de la fuite des britanniques particulièrement poignante et dérangeante… Presque involontairement, « Dunkerque » est le premier grand film sur le Brexit.

On retiendra…
La sensation d’immersion, l’extrême tension qui parcourt le film. La résonance avec le Brexit.

On oubliera…
L’excès de tension finit par détruire la sensation d’immersion.


« Dunkerque » de Christopher Nolan, avec Fionn Whitehead, Tom Hardy, Mark Rylance,…

Le non-film de l’été (La momie)


Univers étendus
Pour les blockbusters américains, 2017 est l’année des univers partagés. Cette stratégie narrative, qui consiste à produire des films aux histoires interconnectées, les rapprochant parfois d’épisodes de série télévisée, a été lancée par Disney pour les films adaptés des comics Marvel, qui s’inscrivent tous dans une saga intitulée « Marvel cinematic universe ». Depuis « Avengers », sorti en 2012, cette stratégie s’est avérée si lucrative que les autres studios hollywoodiens se sont empressés de reprendre à leur compte la formule de Disney, pour lancer leurs propres univers partagés.
Ainsi Warner a contre-attaqué sur le terrain des super-héros avec le « DC cinematic universe », qui prend son essor cette année avec le ridicule « Wonder woman », puis « Justice league ». Lionsgate parie sur les gros monstres, avec son « MonsterVerse » lancé par le très divertissant « Kong : Skull Island », un univers partagé où s’affronteront entre autres King Kong et Godzilla… Moins compréhensible, Paramount compte décliner avec le nouveau « Transformers » sa saga en un « Transformers cinematic universe »…
Ne restait plus qu’Universal. Le studio cherchait depuis plusieurs années à réactiver les monstres mythiques qu’il avait mis en scène dans les années 1930 et 1950 : Frankestein, le loup-garou, l’homme invisible,… Plus que de produire de simples remakes (comme « Wolfman », 2010) de ces films classiques du cinéma fantastique qui ont fait la gloire du studio – regroupés sous l’appellation « Universal monsters » –, le projet d’Universal vise à interconnecter les nouvelles aventures cinématographiques de ces héros monstrueux dans un univers partagé appelé « Dark universe ».
« Dracula untold » sorti en 2014 devait à l’origine être le premier film de ce « Dark universe » (c’était notamment le sens de son épilogue). Mais le piètre succès du film au box-office et sa très faible empreinte dans la mémoire des spectateurs (qui s’en souvient encore ?) ont décidé Universal à repousser le lancement du « Dark universe » à la sortie de la nouvelle version de « La momie » (deuxième remake du studio du film original de 1932).
Le projet de film a encore gagné en intérêt lorsque Tom Cruise a intégré le casting. L’acteur-star, auquel on ne confiera certainement jamais le rôle d’un super-héros du fait de son incapacité à s’effacer derrière le personnage qu’il joue, a peut-être trouvé un substitut au rôle de super-héros récurrent en intégrant le « Dark universe ».

Aussi invraisemblable qu’une momie ressuscitée
Les enjeux derrière « La momie » sont donc colossaux. Ce qui doit très certainement expliquer tout ou partie de l’échec du film. Le film est en effet un improbable navet, victime à coup sûr d’un contrôle trop serré des producteurs, qui l’a condamné dès l’écriture de son scénario.
A force d’avoir été écrit et réécrit selon les différentes directions données au projet, le scénario a paradoxalement atteint un stade où il parait bâclé. Il n’y a pas grand-chose qui tienne la route dans cette histoire où les incohérences s’accumulent si vite qu’on ne peut plus ne pas les voir. Dans cet univers « de monstres et de dieux » (slogan du « Dark universe »), les scénaristes jouent justement aux dieux au mépris de toute vraisemblance. L’intrigue incroyablement mal construite n’avance qu’à coup de coïncidences si énormes qu’elles trahissent systématiquement la patte d’un scénariste cherchant à corriger le travail d’écriture de son prédécesseur. Toute cohérence est perdue, et le spectateur, à force d’avaler des couleuvres, en fait vite une indigestion.
Ne restent plus que les scènes spectaculaires. Elles sont plutôt réussies, surtout la fameuse scène renversante dans l’avion (au final, le seul point d’intérêt du film). Dans son ensemble, le film est visuellement assez beau, éclairé par une très belle photographie à la fois sombre et claire. Mais avoir ces belles images ne sert à rien lorsqu’elles ne sont investies d’aucune émotion. C’est particulièrement criant à la conclusion du film, lorsque celui-ci essaye de nous faire croire en un dilemme moral du personnage joué par Tom Cruise. Le réalisateur tente alors dans une pirouette finale de nous faire croire que son film était en fait une histoire d’amour… mais comment y croire un seul instant alors que les personnages n’ont pas été épaissis de tout le film ? La seule émotion qui nait alors est le rire face à une conduite du récit aussi mauvaise. Sans parler du fait que l’on ne comprend rien au dénouement final ni à ses implications, ce qui n’est pas qu’un peu gênant.
« La momie » est donc un film à l’image de son monstre : une aberration cinématographique, incohérente, mal ficelée par une intrigue qui s’étiole, et qui à force de tituber provoque le rire plutôt que l’effroi.

On retiendra…
La scène de la chute de l’avion.

On oubliera…
« La momie » est terrassée par son scénario, invraisemblable d’invraisemblances.

« La momie » d’Alex Kurtzman, avec Tom Cruise, Sofia Boutella, Anabelle Wallis,…