samedi 24 décembre 2011

La lourdeur (La délicatesse)

Depuis sa sortie au format poche, « La délicatesse » de David Foenkinos est un énorme succès en libraire. Bien que le projet d’adaptation par l’auteur lui-même soit antérieur à ce succès, celui-ci lui a apparemment ouvert toutes les portes lors de la production de son long-métrage, coréalisé avec son frère Stéphane Foenkinos. Fort de ses millions de lecteurs, on imagine aisément que David Foenkinos n’a eu aucun mal à convaincre acteurs et producteurs que son film attirerait des millions de spectateurs. Des acteurs aussi connus qu’Audrey Tautou et François Damiens, une compositrice renommée comme Emilie Simon ont ainsi cru à ce projet. Ils n’auraient pas dû.


Une évocation qui ne pardonne pas
En choisissant Audrey Tautou comme actrice principale (par ailleurs très bien), les deux réalisateurs ont sûrement donné une plus grande visibilité à leur film, mais ce choix a pour conséquence que « La délicatesse » se retrouve confronté dans l’esprit du spectateur au souvenir qu’a celui-ci de « La fabuleuse histoire d’Amélie Poulain » de Jean-Pierre Jeunet. Film autrement plus réussi, réalisé par un réalisateur autrement plus talentueux, et dont le succès a malheureusement engendré de nombreuses copies plus ou moins avouées dans le cinéma français. Un clonage auquel semble participer Audrey Tautou elle-même : ses choix de rôles, trop confortables pour elle, font qu’elle ne semble accepter de jouer que des personnages similaires à l’Amélie qui l’a rendue si célèbre.
Le dernier film en date à s’inspirer d’ « Amélie Poulain », ou plutôt à évoquer « Amélie Poulain » est donc « La délicatesse ». Mais « La délicatesse » est un premier film qui n’a pas les moyens de soutenir la comparaison/l’évocation. Les réalisateurs ont inséré à plusieurs moments du film ce qu’ils nomment des « passages oniriques » complètement ratés, qui apportent peut-être beaucoup au roman (je ne l’ai pas lu) mais qui ne passent pas du tout au cinéma, en tout cas pas sous cette forme-là : ainsi en va-t-il pour l’instant « onirique » du mariage s’achevant sur des photos de voyage se collant à l’écran, dans un plan digne des montages vidéos façon album photo proposés par des sites web.

Un roman pas assez trahi
Il y a beaucoup d’autres mauvaises idées qui font parfois passer « La délicatesse » pour un film amateur. L’adaptation n’aurait peut-être pas due être menée par l’auteur lui-même, qui n’a apparemment pas su se détacher suffisamment de son œuvre, à moins qu’il ne manque tout simplement d’expérience. Certains dialogues entre Audrey Tautou et François Damiens sonnent par exemple terriblement faux et artificiels. Des dialogues sûrement repris du roman, sans aucune adaptation ou trop peu.
Un autre exemple : à la suite d’une ellipse de plusieurs années, on découvre le personnage d’Audrey Tautou embauchée dans une entreprise suédoise. La caméra la suit déambuler dans les longs couloirs de celle-ci tandis qu’en voix-off Audrey Tautou explique au spectateur qu’elle a bu 1254 cafés depuis qu’elle travaille ici. « Ah non, corrige-t-elle, j’en ai bu 1253. Hier j’ai pris un thé ». Un commentaire qui n’a absolument aucun intérêt, n’apporte rien au film ni à l’épaisseur du personnage et est même carrément maladroit puisqu’à aucun moment du film on ne voit Audrey Tautou boire un café ou un thé. Ce genre d’anecdotes apporté au spectateur par le personnage principal lui-même est évidemment directement tiré d’ « Amélie Poulain ». Sauf qu’ici les réalisateurs n’en font rien, si ce n’est reprendre mot pour mot une phrase du livre. Ça fait peut-être plaisir aux lecteurs, mais les autres ne pourront que passer leur chemin.
Le film n’a en effet aucun intérêt pour qui n’a pas lu le roman, puisqu’en tant que produit cinématographique il est très mauvais. On se souviendra quand même du contre-emploi de François Damiens, qui pour la première fois joue normalement, sans essayer de faire rire, et ça lui réussit plutôt bien. Sinon, « La délicatesse » n’a rien à proposer, son scénario est inintéressant et déjà vu mille dois ailleurs. Cette histoire somme toute classique est peut-être racontée d’une manière très originale dans le roman. Mais cette originalité s’est envolée au cinéma.
Alors peut-être les lecteurs seront-ils intéressés de découvrir quelles images l’auteur lui-même a choisies pour retranscrire à l’écran son livre. Mais c’est au risque d’une grande déception.

On retiendra…
François Damiens impressionne : il peut jouer de façon sérieuse !

On oubliera…
Par contre, Audrey Tautou joue toujours la même chose. « La délicatesse » est trop bancal, contient trop de fausses bonnes idées pour n’être autre chose qu’un premier film raté. La musique, certes très bien, d’Emilie Simon ne correspond pas du tout au film.

« La délicatesse » de David et Stéphane Foenkinos, avec Audrey Tautou, François Damiens,…

lundi 12 décembre 2011

Honte (Shame)


-          « Shame » n’est que le deuxième film de Steve McQueen, mais celui-ci s’est déjà fait un nom grâce à des vidéos expérimentales d’art contemporain et en remportant la Caméra d’Or à Cannes en 2008 pour « Hunger ». Autant dire que son deuxième film était très attendu. Le projet a de quoi intriguer : dans « Shame », Michael Fassbender incarne un cadre trentenaire new-yorkais nommé Brandon, obsédé par le sexe et devant faire face à l’irruption de sa sœur, forcée de s’installer chez lui.
-          On pourrait croire au synopsis d’une comédie, mais « Shame » n’est absolument pas drôle et terriblement sérieux. Il ne fait aucun doute que Steve McQueen est un grand réalisateur : la composition des plans, le montage, la photographie sont impressionnants. Une séquence est particulièrement virtuose, un travelling latéral suivant la course en ligne droite de Michael Fassbender à travers les rues désertes de New-York, chorégraphiée avec la musique de Bach résonnant dans les écouteurs du personnage.
-          Mais cette maîtrise technique est hélas mise au service d’un scénario décevant, car vide de sens. Il est étonnant de voir une telle maîtrise mise au service d’une histoire presque risible. L’addiction sexuelle de Brandon semble grotesque au départ, le film ne lui montrant pas d’autre occupation que celle d’assouvir ses pulsions. Comment peut-on être aussi obnubilé et pouvoir encore assurer son travail de cadre, posséder une telle fortune, tout cela sans que personne ne se doute de rien ?
-          Ah, mais les spectateurs n’auraient peut-être jamais cru à cette histoire avant que n’éclate l’affaire DSK ! Le film résonne étrangement avec l’actualité, et la coïncidence aurait pu être plus grande encore si « Shame » avait été sélectionné au festival de Cannes plutôt qu’à Venise…
-          Même si l’actualité peut nous amener à tempérer notre jugement par rapport à la crédibilité de l’histoire, le scénario de « Shame » n’en reste pas moins très inférieur à sa mise en scène. L’addiction sexuelle de Brandon n’a aucune explication, n’est reliée à rien, et est donc incompréhensible pour le spectateur. De fait, peu nous importe que le personnage soit honteux ou non de ses activités : ces moments d’apitoiement deviennent tout aussi pénibles que les orgies - parfois interminables et toujours insoutenables – que le réalisateur nous inflige. De « Shame » on pourra donc apprécier l’adresse de son réalisateur, mais rien de plus : le film manque désespérément de sens.

On retiendra…
La maitrise de la mise en scène, l’interprétation de Michael Fassbender (récompensé à Venise).

On oubliera…
Le scénario, sans profondeur, rendant le film vain et presque ridicule.

A noter :
La censure française est incompréhensible ces temps-ci. « Shame » n’est interdit ici qu’aux moins de 12 ans, ce qui semble bien trop léger. Aux Etats-Unis, c’est l’interdiction la plus dure qui a été choisie…

« Shame » de Steve McQueen, avec Michael Fassbender, Carey Mulligan,…

lundi 5 décembre 2011

Knock-out (Time out)


-          Andrew Niccol est un excellent réalisateur, mais peu prolifique car depuis « Bienvenue à Gattaca » en 1997 il n’a réalisé que trois autres films, tous très réussis, dont le dernier est « Lord of war ». Ses films se distinguent par leur scénario dont Niccol est à chaque fois l’auteur, toujours intelligent, et par leur mise en scène très réfléchie et maitrisée.
-          Oui, Andrew Niccol était un bon réalisateur. On a du mal à croire que, comme pour ses autres films, il lui ait aussi fallu cinq ans pour produire « Time out ». On veut bien comprendre qu’un réalisateur se repose avec un film mineur, mais « Time out » est moins que mineur : c’est un navet.
-          Ne te laisse pas aveugler par ta déception. Souviens-toi de la première partie du film est aussi géniale qu’attendue : on découvre alors le fonctionnement du monde inventé par Andrew Niccol où le temps a remplacé l’argent, une métaphore très simple mais efficace du capitalisme. Toutes les actions et tous les comportements décrits dans le film acquièrent ainsi un second sens très amusant à suivre.
-          En effet, cette première partie est passionnante, mais dès que la description de ce futur évidemment pas si éloigné que ça de notre présent s’arrête, le film dérape. Littéralement : j’avoue avoir décroché au moment où le héros s’enfuit avec son otage, et après une course-poursuite sans rythme sort de la route accidentellement. A partir de là, tout s’effondre : on se rend compte que le réalisateur n’a rien à raconter et ne sait plus quoi faire de ses personnages. Le scénario s’embourbe dans une intrigue invraisemblable très ennuyeuse, où la métaphore initiale finit par apparaître comme horriblement grossière. Un scénario qui culmine avec une confrontation finale appelée à devenir culte tant son dénouement est absurde.  Du coup, que le film ne se termine même pas ne surprend plus. Andrew Niccol n’avait plus d’idées au-delà de la première demi-heure, pourtant son film dure deux heures : un paradoxe temporel surprenant vu le sujet du film.
-          L’entreprise était périlleuse dès le départ : « Bienvenue à Gattaca » est un film très maitrisé, au rythme lent et presque sans action, invitant d’abord à la réflexion. Tout le contraire de ce que demande « Time out », où il faut courir en permanence sous peine de mourir. Le réalisateur n’a pas su transformer sa mise en scène et les trop nombreuses courses-poursuites de son film sont tout sauf palpitantes, répétitives et manquant cruellement de moyens.
-          Il n’y a pas que les scènes d’action qui manquent d’inspiration et de moyens. Tout est moche dans « Time out », et fleure le film fauché. Andrew Niccol n’a jamais eu beaucoup de moyens, mais auparavant il savait le cacher habilement. Alors que le réalisateur avait bâti sa renommée en produisant des blockbusters misant sur la réflexion et se refusant à l’action, dans « Time out » il s’est dangereusement standardisé.

On retiendra…
Une idée de départ captivante.

On oubliera…
Incohérences, invraisemblances, confusion, laideur visuelle, musique quelconque, interprétation aléatoire,…

A noter :
Le film a changé plusieurs fois de titres : d’abord « I’m.mortal », ensuite « Now », finalement « In time », ce qui donne en français « Time out ».

« Time out » d’Andrew Niccol, avec Justin Timberlake, Amanda Seyfried,…