jeudi 10 juin 2021

Le dur retour en salles (Suzanna Andler)


Pourquoi être allé le voir ?

Benoît Jacquot est un des réalisateurs français contemporains les plus réguliers – un long-métrage tous les un ou deux ans. Sa filmographie est en dents de scie : « Les adieux à la reine » (2012) et « Journal d’une femme de chambre » (2015) étaient des sommets, « A jamais » (2016) et « Eva » (2018) des gouffres. Son nouveau film est adapté d’une pièce de théâtre de Marguerite Duras, « Suzanna Andler », et réunit deux des meilleurs talents du cinéma français : Charlotte Gainsbourg et Niels Schneider. De quoi l’aider à sortir du gouffre ?

 

Pourquoi le voir ?

Pour la très belle photographie du film, qui s’apprécie d’autant mieux sur grand écran. Et parce que les cinémas sont rouverts, et qu’après ces longs mois de fermeture, il faut absolument soutenir le cinéma en salle.

 

Pourquoi ne pas le voir ?

Mais peut-être vaut-il mieux soutenir les cinémas en allant voir un autre film… Je pensais que Benoît Jacquot avait touché le fond avec son dernier film, « Eva ». Mais non, il a réussi à faire pire. « Suzanna Andler » est une pièce méconnue de Duras, et on comprend pourquoi en regardant le film. Suzanna Andler est immensément riche, mais ne sait pas si elle aime son amant, son mari ou la villa qu’elle compte louer pour un million (de francs ? d’euros ? Voilà bien l’un des rares suspenses du long-métrage), et en est malheureuse. Il est déjà difficile de se projeter dans de tels problèmes de riches… Les dialogues interminables et répétitifs n’aident pas à se concentrer sur cette ombre d’histoire.

Comme il ne se passe quasiment rien, et qu’il n’y a rien à raconter, Benoît Jacquot multiplie les plans et les mouvements de caméra, contrant aussi sûrement sa crainte de faire du « théâtre filmé ». Las : on ne voit que ses efforts, et ceux des acteurs, pour rendre intéressante cette histoire. Difficile de blâmer Charlotte Gainsbourg et Niels Schneider : ils font ce qu’ils peuvent avec des dialogues aussi mauvais, et des costumes aussi hideux.

En bref, le film est d’un ennui d’une intensité rare. Fallait-il absolument sortir ce film à la réouverture des salles ? Peut-être que oui, pour rappeler que ça peut aussi aussi être ça, les émotions du cinéma…

 

On retiendra…

La belle photographie de Christophe Beaucarne.

 

On oubliera…

La pièce de théâtre dont est issu le film, et partant le film lui-même.

 

« Suzanna Andler » de Benoît Jacquot, avec Charlotte Gainsbourg, Niels Schneider,…

Les premiers, les derniers (Le dernier voyage)

Parmi les nouveautés à l’affiche à la réouverture des salles de cinéma en France le mercredi 19 mai 2021, se trouvait une anomalie : un film français de science-fiction, qui assume pleinement son appartenance au genre, et à l’ambition de grand spectacle visuel, « Le dernier voyage » de Romain Quirot. Ce titre n’est pas seulement ironique – pour le premier long-métrage de son réalisateur, et le premier film vu par ses spectateurs après six mois de fermeture imposée des cinémas –, il est surtout programmatique – de l’histoire racontée par le film, dont la fin ne surprendra de fait personne –, voire autoprophétique – de la carrière de son réalisateur…

 


Exploit déceptif

Ça n’a malheureusement pas beaucoup bougé depuis des décennies : réaliser un film français de science-fiction relève de l’exploit. Romain Quirot se serait ainsi battu pendant sept ans pour tourner « Le dernier voyage ». Cet état de fait exacerbe d’autant plus les attentes autour de chaque projet qui parvient jusqu’au grand écran : on attend de lui qu’il amorce enfin un mouvement, et « ouvre la brèche » du genre en France.

Or il est un exploit encore plus rare encore que l’existence d’un film de SF français : un bon film de SF français. Malheureusement, « Le dernier voyage » n’appartient pas à cette catégorie, il appartient même à la catégorie opposée. L’espoir était donc grand au début de la projection, mais il est aussitôt déçu dès les premières minutes. « Le dernier voyage » promet pourtant beaucoup tout du long avec son ambition formelle folle pour un premier film. Décors post-apocalyptique, voitures volantes, droïdes, voyages dans l’espace : les effets spéciaux sont quasiment de tous les plans. Mais, bien que soignées, ces images sont trop pétries de références et ne font que rappeler des films déjà existants (tels que « Mad Max », « Le cinquième élément », « Minority report », « Star Wars »… La liste serait longue à dévider). Elles échouent donc à créer un univers propre. Surtout, ces images sont au service d’une histoire très faible, sans surprise, pleine d’incohérences énormes, qui a la mauvaise idée de vouloir développer la psychologie de ses personnages et de le faire avec des moyens ridicules (les flash-backs en noir et blanc). Une histoire de plus malmenée par un montage virant de manière répétée au clip, sans point de vue, accompagnée d’une musique originale elle-même semblant copiée sur les grandes bandes originales de films de SF... Même considéré avec l’indulgence d’un premier film, le naufrage est terrible.

Le film comporte quand même une autre réussite que celle purement technique de ses effets spéciaux : l’interprétation de Paul Hamy. Il se révèle inquiétant par ses grimaces et ses airs de folie, à la limite de la parodie, dévoilant une palette de jeu encore inédite.

 

Cohérence méta

L’ampleur du ratage explique sûrement pourquoi le film se retrouve sans préavis dans les salles françaises dès leur réouverture. La concurrence est certes féroce avec les autres films français, mais le désir des spectateurs pour retourner au cinéma est massif, comme l’ont montré les chiffres de fréquentation de la première semaine de réouverture – massif au point d’absorber les plus mauvais films tels que « Le dernier voyage »…

Une telle catastrophe est d’autant plus incompréhensible que la production du film a été un parcours du combattant. S’il est aussi dur de convaincre des producteurs français d’investir dans de la science-fiction, pourquoi est-ce que c’est un scénario aussi faible qui se retrouve financé ? Une chose est sûre : ce n’est pas « Le dernier voyage » qui changera la donne par rapport au genre en France…

L’étrange fascination pour le suicide qui parcourt le film (ressort narratif boiteux pour rendre le film noir, sérieux, profond… ou vrai thème souterrain de l’œuvre ?) apporte peut-être une explication à sa qualité : dans un souci de cohérence « métafilmique », ce film sur le suicide est un suicide artistique.

 

On retiendra…

L’interprétation déjantée et inquiétante de Paul Hamy, les effets spéciaux incroyablement ambitieux pour un premier film au budget aussi modeste.

 

On oubliera…

Le scénario, le montage, la musique : ce « Dernier voyage » est un premier naufrage.

 

« Le dernier voyage » de Romain Quirot, avec Hugo Becker, Lya Oussadit-Lessert,…