samedi 19 octobre 2013

La traversée de l’Atlantique (Blood ties)


-     Après avoir vu la catastrophe de bêtise offerte par Luc Besson pour appâter le public international avec « Malavita », on se demandait si le cinéma français était capable de réussite lorsqu’il s’exprimait en anglais.
-     Heureusement, un autre cinéaste populaire (re)prouve que le cinéma français est aussi capable de s’exprimer en anglais sans sacrifier à une certaine exigence. Quelle surprise de voir Guillaume Canet partir à New-York tourner un polar « à l’américaine » avec un casting exceptionnel…
-       … et qui joue très bien ! Le réalisateur prend le temps de soigner chacun de ses (nombreux) personnages avant de conclure son drame, et ça fonctionne ! Les citations sont nombreuses, mais - contrairement à « Malavita » - ne ridiculisent pas le film : celui-ci est trop bon pour cela. On pense surtout au cinéma de James Gray, co-auteur du scénario avec Canet : plus qu’un remake américain de « Les liens du sang » de Jacques Maillot (2008), « Blood ties » est une variation autour de « La nuit nous appartient » (2007), chef-d’œuvre de James Gray.
-       Une variation, c’est certain. Mais en un petit peu moins bien… Les idées de mise en scène de Canet sont parfois trop théoriques, et la musique trop présente. Mais le geste est assez fort pour être convaincant.

On retiendra…
Beaux numéros d’acteur dans « Blood ties », qui s’inscrit sans honte dans la lignée des polars américains des années 70.

On oubliera…
La mise en scène manque parfois de maîtrise, dans les scènes d’action notamment, où passe par des idées trop artificielles.


 « Blood ties » de Guillaume Canet, avec Clive Owen, Billy Crudup, Zoe Saldana, Mila Kunis,…

En apesanteur (Gravity)


-        Après « La vie d’Adèle », c’est indubitablement l’autre choc cinématographique de l’année : « Gravity ».
-        Ah ! Des années que je l’attendais ! Annoncé comme un nouveau « 2001 : l’odyssée de l’espace », en proie à des difficultés techniques qui ont considérablement rallongé sa post-production, « Gravity » s’annonçait comme une révolution cinématographique !
-        « Révolution » : le mot a été trop souvent abusivement utilisé pour que j’ose le reprendre, mais ton sentiment est juste. « Gravity », c’est le blockbuster le plus impressionnant sorti au cinéma depuis « Avatar » (2009). Comme James Cameron, Alfonso Cuaron a dû repousser les limites techniques du 7ème art pour réaliser son film.
-       Et le spectateur s’en rend bien compte : on n’avait jamais vu ça au cinéma ! « Gravity » est une expérience inédite, qui vous fait vivre la (sur)vie de deux astronautes en apesanteur, à 400 km au-dessus de la Terre. Et ce, quasiment sans ellipses : tout est filmé en plans-séquences, la spécialité du réalisateur. Combien de plans contient le film ?
-     Aucune idée, mais pas beaucoup ! Le premier dure déjà plus d’un quart d’heure ! Le plan-séquence est un procédé habituellement utilisé pour montrer des événements en temps réel…
-         Et il sert aussi parfois de vitrine de la virtuosité technique du réalisateur…
-         …Mais tel n’est pas le cas ici ! Ou plutôt, si, complètement, sauf que « virtuosité » est un bien petit mot pour ces plans-séquences et, surtout, que le procédé est loin d’être sans fondement : pour filmer l’apesanteur, Alfonso Cuaron a mis la caméra en apesanteur. Celle-ci virevolte autour des acteurs, s’en éloigne ou se rapproche, voire adopte leur point de vue, le tout… dans un même plan ! Avec, toujours, en toile de fond l’immensité stellaire du vide spatial ou le globe terrestre. Une caméra absolument libre qui se joue complètement de la gravité… jusqu’au dernier plan, une des images les plus fortes de l’année !
-         On n’avait pas vu un tel ballet spatial depuis… 1968 avec « 2001 : l’odyssée de l’espace » !
-       Ni un tel réalisme : il est si poussé que la classification de « Gravity » en film de science-fiction peut presque paraître comme incongrue.
-        Mais au-delà de ces prouesses techniques, c’est aussi une très grande performance d’acteur. Le rôle était si difficile qu’Angelina Jolie, Marion Cotillard, Scarlett Johansson et Natalie Portman y ont successivement renoncé, pour être finalement proposé (et accepté) par Sandra Bullock. Et c’est magnifique.
-         Après « Gravity », vous ne regarderez plus le ciel de la même manière !

On retiendra…
Une expérience cinématographique inédite.

On oubliera…
Le parti pris réaliste du film ne peut que s’opposer au scénario « survival ».

« Gravity » d’Alfonso Cuaron, avec Sandra Bullock, George Clooney,…

dimanche 13 octobre 2013

Vertige littéraire (Anamnèse de Lady Star)


« Anamnèse » vient, d’après le dictionnaire Larousse, du grec anamnêsis, « action de rappeler à la mémoire ». La mémoire, celle du lecteur comme celle de la science-fiction française, sera sans nul doute marquée en profondeur par la lecture d’ « Anamnèse de Lady Star » de L. L. Kloetzer. Ce roman nous rappelle l’infinie richesse offerte par la littérature de science-fiction et la littérature en général. « Anamnèse de Lady Star » est un champ ouvert d’idées, qui ne sont pas seulement inventives, innovantes, mais qui nous parlent aussi et nous touchent. Le roman en foisonne tellement, et est d’une telle originalité, qu’il devient impossible à résumer. Ce roman appartient à ces œuvres dont la lecture ne peut s’oublier, car elles nous confrontent, par leurs prouesses, au mystère de leur (heureuse) rédaction.  C’est aussi le genre d’œuvre qui semble ne pouvoir exister qu’en littérature, seul média assez complexe pour être capable de transmettre la construction mentale imaginée par son auteur.
Pour essayer d’évoquer ce dont parle le roman, il faut peut-être partir de son titre : il est effectivement question de mémoire dans « Anamnèse de Lady Star ». En simplifiant à l’extrême, le roman part d’un futur que l’on peut qualifier de « post-apocalyptique » où la Terre a été ravagée par une épidémie d’un nouveau genre, déclenchée par une bombe d’un type inédit. « Nouveau » et « inédit » m’empêchant ici de vous en dévoiler plus sur des idées qui le sont bel et bien (nouvelles et inédites). 51 ans après cet événement zéro, c’est l’histoire d’une enquête, menée par une étudiante en archéologie, dans les comptes-rendus du procès de l’inventeur de cette arme et de ses collaborateurs. C’est l’histoire d’une traque, celle d’une femme mystérieuse, qui aurait été la muse du concepteur de la bombe. Parfois appelée Hypasie, c’est possiblement la « Lady Star » du titre.
Des mystères, le récit en regorge, malgré (ou à cause de) la densité d’informations contenues par la prose de L.L. Kloetzer. Toutefois, ces énigmes ont toutes Hypasie pour point focal. Cet insaisissable personnage est un vide au cœur de l’intrigue, un trou noir autour duquel tourne et s’engouffre tout le roman. Ainsi que le lecteur. « Anamnèse de Lady Star » est une histoire qui se réinvente à chaque chapitre, qui mute sous les yeux du lecteur, jusqu’à ce que celui-ci se rende compte que cette histoire, qu’il croyait écrite par L.L. Kloetzer, il en est aussi l’auteur.
Cependant, ce roman n’est pas seulement une métaphore de l’acte de création littéraire, ou de la création tout court. Il ne saurait non plus être réduit à une réflexion sur l’articulation entre passé et Histoire ou sur les univers virtuels, bien qu’il contienne les pages parmi les plus belles et émouvantes écrites à ce sujet. C’est d’abord une œuvre qui parle de notre présent, et de la plus grande peur du XXIème siècle.
C’est tout simplement d’une formidable intelligence.

« Anamnèse de Lady Star » de L. L. Kloetzer[1], aux éditions Denoël, collection Lunes d’encre




[1] Il fallait bien deux esprits pour bâtir une telle construction littéraire. L. L. Kloetzer est en effet un auteur double, Laurent et Laure. Le duo avait déjà signé un roman remarqué pour son originalité, « Cleer, une fantaisie corporate » en 2010.