lundi 26 novembre 2012

Danois cannois, danois berlinois (La chasse et Royal affair)



-          Deux distributeurs ont choisi de sortir à une semaine d’intervalle deux films danois, pour bénéficier d’une meilleure exposition médiatique autour de la figure de Mads Mikkelsen, acteur principal des deux longs-métrages : « La chasse » de Thomas Vinterberg et « Royal affair » de Nikolaj Arcel, deux excellents films récompensés cette année respectivement à Cannes et à Berlin.
-          Suzanne Bier, Nicolas Winding Refn, Thomas Vinterberg : parmi les grands noms du cinéma danois, seul Lars von Trier n’a pas encore tourné avec Mads Mikkelsen. Cet acteur exceptionnel, immédiatement reconnaissable grâce à son visage si particulier, a enfin été reconnu cette année à Cannes où il a obtenu le prix d’interprétation pour « La chasse ». Acteur fétiche de Nicolas Winding Refn avant que celui-ci ne parte aux Etats-Unis et ne le remplace par Ryan Gosling (« Drive », bientôt « Only god forgives »), c’est sous sa direction qu’il a signé sa meilleure performance à ce jour : impossible de l’oublier après avoir vu « Le guerrier silencieux » (2010).
-          Bon, comme je pense que nombre de lecteurs ne voient toujours pas de qui nous parlons, je vais t’arrêter en citant ce qui est malheureusement son rôle le plus célèbre : le Chiffre, le méchant de « Casino Royale » (2006). Malheureusement parce qu’il a joué dans beaucoup d’autres très bons films, dont les deux de cette semaine.
-          Dans « La chasse », il incarne Lucas, un éducateur travaillant dans un jardin d’enfants accusé de pédophilie. Le film montre comment le personnage devient la proie du jour au lendemain de la vindicte populaire, abandonné et harcelé par tous ses proches, sur la foi d’une simple rumeur. La grande originalité de « La chasse » est que le réalisateur ne laisse planer absolument aucun doute quant à l’innocence de Lucas.
-          Et oui, vous pouvez vous rassurer : on ne vous a rien dévoilé de l’intrigue du film ! La certitude de l’innocence apparaît comme très rafraîchissante, voire détonante pour un film d’auteur puisque habituellement les réalisateurs laissent toujours planer le doute sur les actions de leur personnage pour ne pas réduire le champ des interprétations possibles de leur œuvre ! Ce qui est parfois exaspérant. « La chasse » se révèle donc comme une étude sociologique des rapports humains, d’une très forte intensité émotionnelle, puisque le spectateur s’identifie pleinement au personnage de Lucas, la barrière du doute ôtée.
-          C’est une des constantes des films danois: on n’en ressort jamais indemne. C’est donc aussi le cas de « Royal affair », au sujet complètement différent de « La chasse » : l’histoire vraie du docteur Johann Struensee, qui réussit à imposer les idées des Lumières au Danemark pendant un temps, vingt ans avant la Révolution française. Le film vaut surtout pour son scénario, exceptionnel et pourtant bien adapté d’une réalité historique ! Mais ici on ne vous en dira pas plus… L’autre atout majeur du film est son interprétation, sauf qu’à Berlin ce n’est pas Mads Mikkelsen qui a remporté le prix d’interprétation, mais Mikkel Boe Folsgaard, pour son interprétation délirante mais extrêmement touchante du roi Christian VII.
-          Et même si « Royal affair » souffre de quelques imperfections (la représentation du peuple est complètement ratée, l’actrice principale ne joue pas aussi bien que ses deux compagnons), on n’hésitera pas un seul instant à vous le recommander, au même titre que « La chasse » bien entendu !

On retiendra...
Les deux films sont parmi les plus émouvants de l’année. Interprétation extraordinaire (pour n’en citer qu’une : la scène de l’église dans « La chasse » !). Excellent scénario pour « Royal affair ».

On oubliera…
Réalisation classique pour « Royal affair » qui bute sur quelques écueils.

« La chasse » de Thomas Vinterberg, avec Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larssen,…
« Royal affair » de Nikolaj Arcel, avec Mads Mikkelsen, Mikkel Boe Folsgaard, Alicia Vikander,…

lundi 19 novembre 2012

A ne pas louper (Looper)



12h20 : Dans la queue du RU, vous ne progressez pas. L’étudiant devant vous, plongé dans la lecture de Contact, oublie d’avancer et se fait systématiquement doubler. Pour contrer la colère montante, vous décidez de l’imiter en prenant vous-aussi un Contact. Tiens, la rubrique cinéma est consacrée à « Looper ». Vous l’avez vu hier.

8h30 : Encore une interminable semaine de cours. Alors que vous commencez déjà à vous endormir, vous vous remémorez votre week-end et sa fantastique séance de cinéma. « Looper » : un film de science-fiction basé sur des boucles spatio-temporelles. Depuis « Inception » vous n’aviez plus suivi d’histoire originale aussi alambiquée au cinéma. Surprenant de bout en bout et plein de bonnes idées, ce film vous a époustouflé. Partant toujours dans une direction inattendue, très bien découpé, c’est une réussite.

12h23 : Toujours pas avancé d’un pas. Vous auriez vraiment dû passer par la cafétéria. La chronique cinéma de Contact est un peu trop enthousiaste à votre goût. Même si vous avez adoré « Looper », pour son très bon scénario, quelque chose vous gêne quand même : la photographie du film n’est vraiment pas terrible. Quant à la direction artistique, dans toute la partie urbaine du film on frôle parfois le ridicule. Rian Johnson, réalisateur et scénariste du film, n’avait certes qu’un petit budget par rapport aux autres blockbusters hollywoodiens, mais quelle que soit l’excuse le défaut est bel et bien là. Difficile de faire de la science-fiction avec un petit budget (sur ce sujet, le cinéma français regorge d’exemples) mais pas impossible pour autant : Rian Johnson le réussit pendant plus de la moitié du film, lorsque l’action a lieu dans une ferme au milieu d’un champ de maïs.

18h20 : La première journée de cours vient enfin de s’achever. Pour vous remonter le moral, et parce que le film de ce week-end vous a beaucoup plu, vous décidez d’écrire un article pour Contact sur le film avant de commencer les devoirs. Sur le chemin, vous réfléchissez déjà à la note : après « Amour » et « Skyfall », ce sera encore un 5. Il y a encore des réalisateurs innovants à Hollywood. Quel bon mois de novembre.
12h25 : Que le temps passe lentement quand on regarde sa montre toutes les minutes. Si seulement vous pouviez remonter dans le temps dix minutes plus tôt et passer par la cafétéria. Ou bousculer tout le monde comme Bruce Willis dans « Looper ».

19h23 : L’article est terminé. Finalement, vous avez mis 4, ce qui est déjà bien. Pour changer, vous n’avez pas écrit la critique sous la forme d’un dialogue, mais comme si vous transcriviez les pensées d’un étudiant souffrant de l’attente dans la queue du RU. Il n’y a plus qu’à poster ça sur le web. Après hésitation, vous rajoutez in extremis le « On retiendra…/On oubliera… » Il paraît que beaucoup de lecteurs ne lisent que cette partie-là de l’article.

On retiendra…
Excellent scénario, surprenant, innovant, imprévisible, servi par le montage adéquat. Et la scène qu’on imagine spécialement écrite pour Bruce Willis.

On oubliera…
Une direction artistique hasardeuse. Le film bute parfois contre les limites de son budget.

« Looper » de Rian Johnson, avec Joseph Gordon-Levitt, Bruce Willis,…

lundi 12 novembre 2012

Bon Bond (Skyfall)



-          Quoi ? Je croyais que tu en avais assez de voir des suites au cinéma ! Tu n’as aucun honneur. Mettre la note maximale à l’opus 23 d’une franchise cinématographique, je n’aurais jamais cru ça de toi.
-          Là, tu déformes mes propos. Et puis James Bond est un cas à part, unique dans l’histoire du cinéma, puisqu’aucune autre franchise n’a su durer aussi longtemps. Généralement, les sagas s’arrêtent après un échec au box-office ou le refus de l’acteur principal de rempiler une nouvelle fois. On imagine mal un « Mission : Impossible » sans Tom Cruise ou un « Pirates des Caraïbes » sans Johnny Depp (le cinquième épisode de ces deux franchises est en préparation). James Bond, lui, semble immortel. Sous les traits de Daniel Craig, il fête ses cinquante ans au cinéma.
-          En cinquante ans, James Bond n’a pas toujours eu une santé de fer… A la sortie du vingtième opus en 2002 (« Meurs un autre jour » avec Pierce Brosnan), la franchise avait touché le fond avec ce film involontairement parodique. Pour ressusciter d’une manière spectaculaire avec « Casino Royale » en 2006 et l’arrivée de Daniel Craig, qui créait l’événement parce qu’il était… blond.
-          C’est ça qui est génial avec James Bond : cette saga est si codifiée qu’elle est devenue un genre à elle toute seule. La faute à des films tous plus ou moins interchangeables, confiés à des réalisateurs presqu’anonymes choisis pour leur capacité à se soumettre aux règles du producteur. Voilà pourquoi depuis « Casino Royale » la franchise ne s’est jamais aussi bien portée : James Bond ose enfin le changement (c’est dans l’air du temps).
-          Pour « Skyfall » le changement a un nom : Sam Mendes. Le réalisateur britannique connu pour ses films d’auteur et ses mises en scène de pièce de théâtre prouve enfin qu’on pouvait allier James Bond et auteur. « Skyfall » est une éclatante réussite et s’impose comme le meilleur épisode de la saga. Sam Mendes semble d’abord avoir réalisé « Skyfall » en réaction à « Quantum of Solace », le précédent James Bond, illisible et incompréhensible à cause de son montage stroboscopique : la poursuite en moto sur les toits d’Istanbul en introduction est filmée avec des plans longs, ce qui va à rebours de la course à la vitesse initiée par la série des « Jason Bourne ». Une réalisation qui fait écho au scénario qui oppose l’archaïsme des méthodes de 007 aux menaces terroristes et informatiques modernes.
-          C’est sûr, jamais un James Bond n’avait été aussi bien filmé ! Le plus remarquable étant les éclairages (il faut voir ce plan séquence en haut du gratte-ciel à Shangaï !), ou la direction d’acteurs : l’apparition de Javier Bardem à l’écran est terrifiante. Javier Bardem, véritablement immense dans ce rôle de méchant au visage déformé, fait même de l’ombre par sa composition à Daniel Craig (au risque d’en faire un peu trop).
-          Surtout, ce qui fait toute l’importance de ce James Bond est sa dernière partie, qui raconte quelque chose de complètement inédit dans la saga. Au moment-même où l’on commençait à reprocher à Sam Mendes de ne rien renouveler… Après ça, aucun doute : James Bond peut revenir.

On retiendra…
La réalisation de Sam Mendes, les interprétations de Daniel Craig et Javier Bardem, les éclairages, le finale.

On oubliera…
James Bond y va un peu fort sur les placements de produits.

« Skyfall » de Sam Mendes, avec Daniel Craig, Javier Bardem, Judi Dench,…

lundi 5 novembre 2012

Un plan parfait (Amour)



-          Alors, ces vacances ?
-          « Skyfall », « Looper », « Frankenweenie », la routine. Et toi ?
-          « Amour ».
-          Ah ! ça me dit quelque chose… C’est le nouveau film du réalisateur de l’ « Arnacoeur », où Diane Kruger doit séduire Dany Boon ?
-          Non. C’est l’histoire d’un couple d’octogénaires confronté à la déchéance de l’un d’entre eux. Ce dont tu me parlais, c’est « Un plan parfait », de Pascal Chaumeil, d’ailleurs très drôle.
-          Ça jette un froid, ce synopsis. Mais maintenant, je m’en souviens : c’est la Palme d’or 2012 !
-          Quand même ! Et la deuxième de Michael Haneke, qui l’avait déjà remportée trois ans plus tôt (seulement !) avec « Le ruban blanc », rejoignant les six réalisateurs deux fois récompensés par la Palme d’or. Aucun n’en a jamais eu trois.
-          J’imagine que ce n’est pas drôle du tout.
-          Euh… Il y a quand même un peu d’humour – une nouveauté chez Haneke, sûrement requise par le sujet. Mais c’est tout sauf une comédie romantique. Mais ce n’est pas non plus un tire-larmes. Juste une chronique très réaliste de la fin d’une vie humaine.
-          Mais comment peut-on avoir envie d’aller voir ça ?
-          Mais qu’est-ce qui te prend ? Tu m’énerves avec tes questions ! Tu n’as qu’à aller le voir ! « Amour » raconte quelque chose d’inédit au cinéma. Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva sont époustouflants, et portent le film de bout en bout. Haneke livre une fois encore son meilleur, avec ses ellipses extraordinaires qui vous coupent net et, surtout, empêchent cette chronique de virer à l’insupportable et l’insoutenable. Des idées de mise en scène incroyables, de l’ouverture du film sur le public d’un concert de piano à un simple robinet qui coule. Le titre du film, lapidaire, est génial et prend tout son sens dans la scène finale, dont on ne peut rien dire mais qui vous marquera longtemps.
-          Je ne sais pas si j’aurais le temps de le voir… Avec la sortie de « Twilight 5 » la semaine prochaine, ça va être compliqué…

On retiendra…
Interprétation et mise en scène magistrales, sujet inédit, tout concourt à faire de ce film l’un des meilleurs de l’année.

On oubliera…
Une scène difficile à décrypter et qui, par sa longueur, fait penser aux clichés du cinéma d’auteur.

« Amour » de Michael Haneke, avec Jean-Louis Trintignant, Emmanuelle Riva, Isabelle Huppert,…