samedi 24 décembre 2011

La lourdeur (La délicatesse)

Depuis sa sortie au format poche, « La délicatesse » de David Foenkinos est un énorme succès en libraire. Bien que le projet d’adaptation par l’auteur lui-même soit antérieur à ce succès, celui-ci lui a apparemment ouvert toutes les portes lors de la production de son long-métrage, coréalisé avec son frère Stéphane Foenkinos. Fort de ses millions de lecteurs, on imagine aisément que David Foenkinos n’a eu aucun mal à convaincre acteurs et producteurs que son film attirerait des millions de spectateurs. Des acteurs aussi connus qu’Audrey Tautou et François Damiens, une compositrice renommée comme Emilie Simon ont ainsi cru à ce projet. Ils n’auraient pas dû.


Une évocation qui ne pardonne pas
En choisissant Audrey Tautou comme actrice principale (par ailleurs très bien), les deux réalisateurs ont sûrement donné une plus grande visibilité à leur film, mais ce choix a pour conséquence que « La délicatesse » se retrouve confronté dans l’esprit du spectateur au souvenir qu’a celui-ci de « La fabuleuse histoire d’Amélie Poulain » de Jean-Pierre Jeunet. Film autrement plus réussi, réalisé par un réalisateur autrement plus talentueux, et dont le succès a malheureusement engendré de nombreuses copies plus ou moins avouées dans le cinéma français. Un clonage auquel semble participer Audrey Tautou elle-même : ses choix de rôles, trop confortables pour elle, font qu’elle ne semble accepter de jouer que des personnages similaires à l’Amélie qui l’a rendue si célèbre.
Le dernier film en date à s’inspirer d’ « Amélie Poulain », ou plutôt à évoquer « Amélie Poulain » est donc « La délicatesse ». Mais « La délicatesse » est un premier film qui n’a pas les moyens de soutenir la comparaison/l’évocation. Les réalisateurs ont inséré à plusieurs moments du film ce qu’ils nomment des « passages oniriques » complètement ratés, qui apportent peut-être beaucoup au roman (je ne l’ai pas lu) mais qui ne passent pas du tout au cinéma, en tout cas pas sous cette forme-là : ainsi en va-t-il pour l’instant « onirique » du mariage s’achevant sur des photos de voyage se collant à l’écran, dans un plan digne des montages vidéos façon album photo proposés par des sites web.

Un roman pas assez trahi
Il y a beaucoup d’autres mauvaises idées qui font parfois passer « La délicatesse » pour un film amateur. L’adaptation n’aurait peut-être pas due être menée par l’auteur lui-même, qui n’a apparemment pas su se détacher suffisamment de son œuvre, à moins qu’il ne manque tout simplement d’expérience. Certains dialogues entre Audrey Tautou et François Damiens sonnent par exemple terriblement faux et artificiels. Des dialogues sûrement repris du roman, sans aucune adaptation ou trop peu.
Un autre exemple : à la suite d’une ellipse de plusieurs années, on découvre le personnage d’Audrey Tautou embauchée dans une entreprise suédoise. La caméra la suit déambuler dans les longs couloirs de celle-ci tandis qu’en voix-off Audrey Tautou explique au spectateur qu’elle a bu 1254 cafés depuis qu’elle travaille ici. « Ah non, corrige-t-elle, j’en ai bu 1253. Hier j’ai pris un thé ». Un commentaire qui n’a absolument aucun intérêt, n’apporte rien au film ni à l’épaisseur du personnage et est même carrément maladroit puisqu’à aucun moment du film on ne voit Audrey Tautou boire un café ou un thé. Ce genre d’anecdotes apporté au spectateur par le personnage principal lui-même est évidemment directement tiré d’ « Amélie Poulain ». Sauf qu’ici les réalisateurs n’en font rien, si ce n’est reprendre mot pour mot une phrase du livre. Ça fait peut-être plaisir aux lecteurs, mais les autres ne pourront que passer leur chemin.
Le film n’a en effet aucun intérêt pour qui n’a pas lu le roman, puisqu’en tant que produit cinématographique il est très mauvais. On se souviendra quand même du contre-emploi de François Damiens, qui pour la première fois joue normalement, sans essayer de faire rire, et ça lui réussit plutôt bien. Sinon, « La délicatesse » n’a rien à proposer, son scénario est inintéressant et déjà vu mille dois ailleurs. Cette histoire somme toute classique est peut-être racontée d’une manière très originale dans le roman. Mais cette originalité s’est envolée au cinéma.
Alors peut-être les lecteurs seront-ils intéressés de découvrir quelles images l’auteur lui-même a choisies pour retranscrire à l’écran son livre. Mais c’est au risque d’une grande déception.

On retiendra…
François Damiens impressionne : il peut jouer de façon sérieuse !

On oubliera…
Par contre, Audrey Tautou joue toujours la même chose. « La délicatesse » est trop bancal, contient trop de fausses bonnes idées pour n’être autre chose qu’un premier film raté. La musique, certes très bien, d’Emilie Simon ne correspond pas du tout au film.

« La délicatesse » de David et Stéphane Foenkinos, avec Audrey Tautou, François Damiens,…

lundi 12 décembre 2011

Honte (Shame)


-          « Shame » n’est que le deuxième film de Steve McQueen, mais celui-ci s’est déjà fait un nom grâce à des vidéos expérimentales d’art contemporain et en remportant la Caméra d’Or à Cannes en 2008 pour « Hunger ». Autant dire que son deuxième film était très attendu. Le projet a de quoi intriguer : dans « Shame », Michael Fassbender incarne un cadre trentenaire new-yorkais nommé Brandon, obsédé par le sexe et devant faire face à l’irruption de sa sœur, forcée de s’installer chez lui.
-          On pourrait croire au synopsis d’une comédie, mais « Shame » n’est absolument pas drôle et terriblement sérieux. Il ne fait aucun doute que Steve McQueen est un grand réalisateur : la composition des plans, le montage, la photographie sont impressionnants. Une séquence est particulièrement virtuose, un travelling latéral suivant la course en ligne droite de Michael Fassbender à travers les rues désertes de New-York, chorégraphiée avec la musique de Bach résonnant dans les écouteurs du personnage.
-          Mais cette maîtrise technique est hélas mise au service d’un scénario décevant, car vide de sens. Il est étonnant de voir une telle maîtrise mise au service d’une histoire presque risible. L’addiction sexuelle de Brandon semble grotesque au départ, le film ne lui montrant pas d’autre occupation que celle d’assouvir ses pulsions. Comment peut-on être aussi obnubilé et pouvoir encore assurer son travail de cadre, posséder une telle fortune, tout cela sans que personne ne se doute de rien ?
-          Ah, mais les spectateurs n’auraient peut-être jamais cru à cette histoire avant que n’éclate l’affaire DSK ! Le film résonne étrangement avec l’actualité, et la coïncidence aurait pu être plus grande encore si « Shame » avait été sélectionné au festival de Cannes plutôt qu’à Venise…
-          Même si l’actualité peut nous amener à tempérer notre jugement par rapport à la crédibilité de l’histoire, le scénario de « Shame » n’en reste pas moins très inférieur à sa mise en scène. L’addiction sexuelle de Brandon n’a aucune explication, n’est reliée à rien, et est donc incompréhensible pour le spectateur. De fait, peu nous importe que le personnage soit honteux ou non de ses activités : ces moments d’apitoiement deviennent tout aussi pénibles que les orgies - parfois interminables et toujours insoutenables – que le réalisateur nous inflige. De « Shame » on pourra donc apprécier l’adresse de son réalisateur, mais rien de plus : le film manque désespérément de sens.

On retiendra…
La maitrise de la mise en scène, l’interprétation de Michael Fassbender (récompensé à Venise).

On oubliera…
Le scénario, sans profondeur, rendant le film vain et presque ridicule.

A noter :
La censure française est incompréhensible ces temps-ci. « Shame » n’est interdit ici qu’aux moins de 12 ans, ce qui semble bien trop léger. Aux Etats-Unis, c’est l’interdiction la plus dure qui a été choisie…

« Shame » de Steve McQueen, avec Michael Fassbender, Carey Mulligan,…

lundi 5 décembre 2011

Knock-out (Time out)


-          Andrew Niccol est un excellent réalisateur, mais peu prolifique car depuis « Bienvenue à Gattaca » en 1997 il n’a réalisé que trois autres films, tous très réussis, dont le dernier est « Lord of war ». Ses films se distinguent par leur scénario dont Niccol est à chaque fois l’auteur, toujours intelligent, et par leur mise en scène très réfléchie et maitrisée.
-          Oui, Andrew Niccol était un bon réalisateur. On a du mal à croire que, comme pour ses autres films, il lui ait aussi fallu cinq ans pour produire « Time out ». On veut bien comprendre qu’un réalisateur se repose avec un film mineur, mais « Time out » est moins que mineur : c’est un navet.
-          Ne te laisse pas aveugler par ta déception. Souviens-toi de la première partie du film est aussi géniale qu’attendue : on découvre alors le fonctionnement du monde inventé par Andrew Niccol où le temps a remplacé l’argent, une métaphore très simple mais efficace du capitalisme. Toutes les actions et tous les comportements décrits dans le film acquièrent ainsi un second sens très amusant à suivre.
-          En effet, cette première partie est passionnante, mais dès que la description de ce futur évidemment pas si éloigné que ça de notre présent s’arrête, le film dérape. Littéralement : j’avoue avoir décroché au moment où le héros s’enfuit avec son otage, et après une course-poursuite sans rythme sort de la route accidentellement. A partir de là, tout s’effondre : on se rend compte que le réalisateur n’a rien à raconter et ne sait plus quoi faire de ses personnages. Le scénario s’embourbe dans une intrigue invraisemblable très ennuyeuse, où la métaphore initiale finit par apparaître comme horriblement grossière. Un scénario qui culmine avec une confrontation finale appelée à devenir culte tant son dénouement est absurde.  Du coup, que le film ne se termine même pas ne surprend plus. Andrew Niccol n’avait plus d’idées au-delà de la première demi-heure, pourtant son film dure deux heures : un paradoxe temporel surprenant vu le sujet du film.
-          L’entreprise était périlleuse dès le départ : « Bienvenue à Gattaca » est un film très maitrisé, au rythme lent et presque sans action, invitant d’abord à la réflexion. Tout le contraire de ce que demande « Time out », où il faut courir en permanence sous peine de mourir. Le réalisateur n’a pas su transformer sa mise en scène et les trop nombreuses courses-poursuites de son film sont tout sauf palpitantes, répétitives et manquant cruellement de moyens.
-          Il n’y a pas que les scènes d’action qui manquent d’inspiration et de moyens. Tout est moche dans « Time out », et fleure le film fauché. Andrew Niccol n’a jamais eu beaucoup de moyens, mais auparavant il savait le cacher habilement. Alors que le réalisateur avait bâti sa renommée en produisant des blockbusters misant sur la réflexion et se refusant à l’action, dans « Time out » il s’est dangereusement standardisé.

On retiendra…
Une idée de départ captivante.

On oubliera…
Incohérences, invraisemblances, confusion, laideur visuelle, musique quelconque, interprétation aléatoire,…

A noter :
Le film a changé plusieurs fois de titres : d’abord « I’m.mortal », ensuite « Now », finalement « In time », ce qui donne en français « Time out ».

« Time out » d’Andrew Niccol, avec Justin Timberlake, Amanda Seyfried,…

lundi 28 novembre 2011

Réveil difficile (Sleeping beauty)

Une jeune étudiante qui a besoin d’argent multiplie les petits boulots. Suite à une petite annonce, elle intègre un étrange réseau de beautés endormies. Elle s’endort. Elle se réveille. Et c’est comme si rien ne s’était passé…



-          Bon sang, à cause de toi je ne fais que de bailler ! Que t’est-il arrivé, tu n’as pas dormi ce week-end ?
-          Malheureusement, pas autant que je le voulais. Malgré son titre, « Sleeping beauty » ne m’a pas aidé à m’endormir.
-          Pardon ? Ne me dis pas que tu as été traumatisé par ce film ? La commission de classification des œuvres cinématographiques française a décidé d’interdire ce film, premier long-métrage australien en compétition officielle à Cannes, aux moins de 16 ans. Une interdiction jugée trop sévère par la presse qui l’avait découvert à Cannes. Le distributeur, sincèrement indigné ou avide de cette publicité gratuite, a fait appel à cette décision, mais celle-ci s’est trouvée confirmée par Frédéric Mitterrand lui-même. En signe de contestation, l’affiche du film est désormais barrée d’un bandeau rouge « censuré ».
-          Il est certain qu’à cause de cette affaire, les spectateurs ne se déplacent pas tant pour voir un film sélectionné à Cannes mais plutôt pour savoir ce qu’il contient de si choquant.
-          Il est tout aussi certain que nous, nous ne nous sommes pas déplacés pour cette seconde raison.
-          Bien évidemment. Que vas-tu donc imaginer ? Et pour répondre à ta question, l’interdiction ne me semble pas vraiment justifiée, surtout lorsque l’on compare « Sleeping beauty » à « L’apollonide », interdit aux moins de 12 ans. Le motif officiel étant que « Sleeping beauty » a été jugé par la commission comme une « incitation à la prostitution », ce qui est un énorme contresens.
-          Si l’on regarde le film jusqu’au bout, il semble évident que la réalisatrice transmet plutôt le message inverse de celui qu’on a voulu lui attribuer. On est encore une fois très loin de l’ambigüité de « L’apollonide » !
-          Mis à part cette interdiction, on pourrait peut-être discuter de la qualité réelle du film. Il se révèle être une légère déception, la réalisatrice semble ne pas avoir bien maitrisé les informations que la mise en scène apporte au spectateur : on en sait parfois trop et parfois trop peu sur ce que subit Lucy, jouée par Emily Browning. Le film aurait pu être bien plus percutant si la caméra n’avait pas hésité entre le point de vue personnel de Lucy et un point de vue omniscient.
-          La prestation d’Emily Browning constitue finalement le plus grand intérêt du film. Déjà poupée presque inexpressive dans « Sucker punch » de Zack Snyder, elle est ici carrément transformée en pantin désarticulé. Une manière de jouer assez inhabituelle, terriblement glaçante. Le malaise qu’elle provoque est sûrement la réelle explication à cette sévère interdiction. On attend toutefois de voir si elle est capable d’autre chose.

On retiendra…
L’apathie d’Emily Browning, la mise en scène très précise où chaque plan cache un sens.

On oubliera…
Beaucoup de scènes semblent ratées, et c’est un sentiment d’inachèvement qu’éprouve le spectateur au sortir de la salle.

« Sleeping beauty » de Julia Leigh, avec Emily Browning, Rachael Blake, Ewen Leslie…

lundi 21 novembre 2011

Un choc titanesque (Les immortels)


-          Les films mythologiques intéressent de nouveau les studios américains depuis le succès de « 300 » en 2007. Le genre avait été abandonné après « Le choc des titans » de 1981, mais fait depuis un retour en force : cette année c’est au tour de « Les immortels » de sortir au cinéma.
-          Malheureusement, je ne suis pas certain que le succès soit au rendez-vous. Beaucoup de spectateurs sont ressortis traumatisés de la projection de « Le choc des titans » version 2010, énorme nanar qui restera dans l’histoire pour la qualité catastrophique de sa conversion 3D. Le film a tellement déçu qu’il a dû dissuader beaucoup de spectateurs d’aller voir par la suite des films en 3D ou inspiré de la mythologie grecque…
-          Même si j’ai dû te traîner au cinéma pour assister à la projection de « Les immortels », tu ne pourras pas nier que celui-ci est autrement réussi.
-          En effet, « Les immortels » s’avère être l’un des meilleurs blockbusters américains de cette année ! C’est tout d’abord un choc visuel, qui intervient dès la première séquence du film : le réalisateur indien Tarsem Singh a choisi de représenter l’Antiquité comme l’ont fait les peintres de la Renaissance. « Les immortels » est un incroyable pari visuel qui aurait pu à l’arrivée déboucher sur un film à l’esthétique kitsch, mais qui se révèle être en fait d’une extraordinaire originalité.  Ce choix artistique s’avère même retranscrire de la meilleure manière qui soit la dimension mythologique de l’histoire : « Les immortels » n’essaye en aucun cas de se raccrocher à une quelconque réalité. Costumes et décors sont tous stylisés au maximum, mélangeant toutes les époques et toutes les cultures, et rapprochant le film d’un opéra.
-          Certains spectateurs risquent fort d’être déroutés par cette audace visuelle, qui n’est toutefois pas le seul point fort du film. Le scénario, coécrit par deux grecs, ne s’inspire que lointainement des mythes grecs. Le film crée donc encore la surprise avec ce scénario original. Et bien que le film ait été converti en 3D, celle-ci s’avère de grande qualité et rajoute encore à la splendeur visuelle.
-          Bien que « Les immortels » soit une réussite, il n’est pas non plus exempt de défauts. Les dialogues du film sonnent souvent faux, et la musique médiocre n’a pas du tout l’originalité des images qu’elle accompagne. Quant aux acteurs, ils ne sont pas tout convaincant, en particulier l’acteur principal. Mais Mickey Rourke dans le rôle du roi Hypérion offre un formidable numéro.

On retiendra…
L’esthétique du film, très surprenante et très belle qui transforme le film en ovni visuel.

On oubliera…
Les dialogues ne sont pas toujours à la hauteur, et la musique manque cruellement d’originalité.

« Les immortels » de Tarsem Singh, avec Henry Cavill, Mickey Rourke, Freida Pinto,…

mercredi 16 novembre 2011

Retour en France (L'ordre et la morale)


-          Fatigué et profondément déçu des méthodes de productions de Hollywood, Mathieu Kassovitz revient en France avec « L’ordre et la morale », l’accomplissement d’un projet de longue date pour le réalisateur.
-          Kassovitz voulait depuis longtemps raconter les péripéties qui ont conduit l’armée française à lancer un assaut en avril 1988 sur l’île d’Ouvéa (Nouvelle-Calédonie) pour libérer trente gendarmes pris en otage par des indépendantistes kanaks, alors que le capitaine du GIGN Philippe Legorjus avait négocié une libération des otages sans effusion. Les événements sont vécus par le spectateur aux côtés de ce capitaine, qui découvre peu à peu comment cette prise d’otages est instrumentalisée par la politique. La France est en effet entre les deux tours de l’élection présidentielle qui verra la réélection de François Mitterrand.
-          Apparemment ce n’est pas non plus en France que Kassovitz trouvera la tranquillité et la liberté qui lui manquaient lors des productions de « Gothika » (2003) et « Babylon A.D » (2008) : tournage interdit en Nouvelle-Calédonie « pour raisons de sécurité », refus de l’armée française d’apporter un soutien logistique sur le tournage, et enfin à trois semaines de sa sortie en salles, le refus de l’exploitant des salles de cinéma de Nouvelle-Calédonie de diffuser le film.
-          Kassovitz est un des rares réalisateurs français qui se confronte de manière frontale aux erreurs de la République française. Après « La haine » sur les banlieues en 1995, « Assassin(s) » en 1997, le réalisateur suscite de nouveau la polémique.
-          Rassurons le spectateur : « L’ordre et la morale » n’est pas un plaidoyer pour la cause kanak, ce qui aurait sonné faux et agacé le spectateur. Le réalisateur a voulu garder une neutralité en essayant de décrire objectivement avec le plus de précisions possible tout ce qui a conduit au choix de l’assaut par l’armée française. Cette description n’est évidemment pas sans émotion, et l’on aura du mal à se ranger du côté de l’armée à l’issue de la projection, mais le film ne nous force pas à adhérer à adopter une vision unilatérale des événements.
-          L’histoire de cette prise d’otages est incroyable et complètement méconnue en métropole. Mais le film n’a pas pour seul mérite de rappeler cet événement, même si c’est déjà beaucoup. Il est admirablement bien réalisé, très clair dans sa narration presque mécanique (musique quasi-absente, découpage du film suivant les jours restant avant l’assaut), et réussit à faire entendre très facilement leurs enjeux. Sans oublier l’époustouflante séquence finale filmée en plans-séquences.
-          Cette narration mécanique du film représente aussi sa limite. Celui-ci ne quitte que trop rarement sa fonction explicative (lors de la scène finale par exemple). Le réalisateur n’exprime au final rien de plus que ce qu’il explique si bien dans le film. C’est certes déjà beaucoup, et nécessaire, sauf que le spectateur n’aura pas besoin d’une nouvelle projection pour explorer plus profondément le film : la leçon est déjà comprise.

On retiendra…
Une narration virtuose des événements. Le spectateur est littéralement aux côtés du capitaine Legorjus.

Ou oubliera…
Le film est tout entier tourné vers son objectif d’explication.

« L’ordre et la morale » de Mathieu Kassovitz, avec Mathieu Kassovitz, Iabe Lapacas,…

lundi 14 novembre 2011

Enrhumé ? (Contagion)


-          Atchoum !
-          Ça va ? Que t’arrive-t-il, tu t’es enrhumé à cause du mauvais temps ?
-          Rien de grave, je tiendrai le coup pour cet article, consacré au dernier film de Steven Soderbergh.
-          Une telle présentation ne donne aucun indice quant au sujet ou à la qualité du film ! Steven Soderbergh est un réalisateur très prolifique (22 films en 23 ans de carrière) qui à force d’éclectisme a un peu perdu de son identité. Depuis sa Palme d’or à 26 ans, il oscille entre le pire et le meilleur en s’attaquant à tous les sujets.
-          Et alors ? Que sa filmographie soit déroutante ne diminue en rien la grande qualité de « Contagion ». Le film raconte la propagation à travers le monde d’un virus mortel – vous l’aurez deviné, très contagieux -, et les ravages qu’il provoque dans la société. Le spectateur suit les efforts contre l’avancée de la maladie d’une multitude de personnages, qu’ils soient directeurs d’institutions de santé publiques, chercheurs, journalistes ou simples civils. Aaatchoum !
-          Evite d’éternuer sur le clavier, s’il-te-plaît. Le film est extrêmement réaliste, le scénario a manifestement été très documenté. A tel point qu’au sortir de la projection on n’est plus très sûr que ce soit bien de la science-fiction. Toutes les étapes de lutte contre la pandémie sont détaillées, de l’étonnante recherche du « patient zéro » à la course au vaccin…
-          Mais « Contagion » n’est absolument pas un documentaire ! Son aspect très réaliste ne le rend que plus effrayant et dérangeant. La mise en scène de Soderbergh est géniale car elle traite les événements d’une manière très froide, scientifique, presque insensible : les personnes infectées meurent trop vite pour que l’on ait le temps de s’y identifier. En refusant de créer de l’empathie entre les victimes et le spectateur, Soderbergh met celui-ci dans une position très inconfortable  qui ne fait qu’accentuer l’horreur de la situation.
-          Dommage qu’il ne réussisse pas à maintenir cette distance jusqu'au bout. La fin du film n’évite pas quelques effets lacrimogènes au milieu de séquences beaucoup plus réussies.
-          Le film est par ailleurs doté d’une magnifique photographie (aussi signée Soderbergh) et interprété par un incroyable casting : Matt Damon, Jude Law, Kate Winslet, Gwyneth Paltrow, Laurence Fishburne,…
-          Et aussi Marion Cottillard ! Qui n’a malheureusement pas le rôle le plus intéressant… Atchoum ! ça ne pouvait pas louper : tu m’as refilé ton rhume. Hé ! Mais que fais-tu allongé par terre ? Oh non ! Tiens le coup, j’appelle le 112 !
On retiendra…
La mise en scène glaçante du film, très dérangeante. Et le réalisme du film : cette pandémie, bien que fictive, est trop crédible pour ne pas être inquiétante…

On oubliera…
La baisse de niveau finale. La mise en scène perd de sa neutralité et essaye de créer artificiellement de l’émotion…

A noter :
Soderbergh a annoncé qu’il ne réaliserait plus de films après ses cinquante ans, lassé du métier. Ses trois derniers films devraient logiquement sortir l’an prochain (!).

« Contagion » de Steven Soderbergh, avec Matt Damon, Laurence Fishburne, Kate Winslet,…

lundi 7 novembre 2011

Source d'ennui (La source des femmes)


-          Le film de la semaine était, une fois de plus, en compétition au dernier festival de Cannes. Mais « La source des femmes », bien que coproduit par la France et réalisé par Radu Mihaileanu, représentait le Maroc. C’est peut-être bien la seule raison expliquant comment un film aussi léger a pu se retrouver en sélection officielle à Cannes.
-          Tu vas te faire des ennemis en reniant « la légèreté ». Te prends-tu pour DSK ?
-          Très drôle. Mais je maintiens. Dans ses précédents films (« Va, vis et deviens » en 2005, « Le Concert » en 2009), Radu Mihaileanu était toujours au bord de la mièvrerie. Il y cède ici. « La source des femmes » est présentée comme un conte, narrant le combat des femmes pour l’adduction d’eau au village. Celles-ci sont en effet obligées de parcourir un dur chemin pour aller chercher de l’eau. Elles décident, pour faire plier les hommes, de faire la grève de l’amour.
-          Nous ne critiquons pas la justesse de la cause défendue par le film. Mais une grande cause ne fait pas un grand film. Le film veut se veut porteur d’un message, mais sa manière de le faire entendre aux spectateurs semble tout sauf recherchée. Même en gardant en tête l’introduction présentant le film comme un conte, on ne peut que regretter que les intentions du réalisateur ne soient aucunement voilées. Tout est désespérément littéral sauf lorsqu’il s’agit d’évoquer le sexe. Et ce rare second degré est si grossier qu’il est risible, comme ces passages où l’entomologiste lit en voix-off son article sur la pugnacité des êtres vivants de l’infiniment petit.
-          Les scènes les plus réussies sont justement celles où, enfin, la mise en scène apporte de la profondeur : les passages dansés en particulier, et en premier lieu la scène où les femmes du village dansent en chantant leurs revendications à des touristes qui ne comprennent pas l’arabe et croient n’assister qu’à un spectacle traditionnel.
-          Pour faire changer les mentalités, but évident du film appelé à être diffusé dans tout le monde arabe, le réalisateur ne sait pas se faire subtil. Le spectateur ne peut pas accepter de se faire manipuler s’il s’aperçoit qu’on l’y contraint, ni entendre un message asséné avec autant d’obstination. C’est toute l’erreur de « La source des femmes », qui en ne cachant pas ses efforts pour éduquer ses spectateurs apparait comme désespérément naïf.
-          Mis à part cette erreur, la projection du film reste un moment agréable, mais sans plus. La photographie est vraiment très belle, les acteurs sont convaincus, et le scénario regorge de scènes faisant sourire, voire rire (mais c’est plus rare).
-          Mais on a beau chercher, il n’y a toujours rien qui vienne justifier la présence de Radu Mihaileanu en sélection officielle !
-          Je crois que la seule explication vient du printemps arabe ; le festival de Cannes n’a pas pu se résoudre à faire l’impasse sur cette actualité et le seul candidat envoyé à temps devait être le film de Mihaileanu.

On retiendra...
La photographie, le casting et son interprétation.

On oubliera…
L’absence de second degré, d’ambigüité, d’espace au spectateur où celui-ci ne se sent pas manipulé.

« La source des femmes » de Radu Mihaileanu, avec Leïla Bekhti, Hafsia Herzi, Biyouna,…

mercredi 2 novembre 2011

Rambo V (Forces spéciales)


-          Un reporter de guerre nommé Stéphane Rybojad, auteur de plusieurs documentaires et ayant suivi pendant plusieurs années l’armée française en Afghanistan, livre cette semaine sa première fiction cinématographique. Elle raconte l’intervention d’une équipe composée de six soldats des forces spéciales françaises pour libérer en Afghanistan une reporter prise en otage par des talibans.
-          Un réalisme de documentaire, une vision nuancée de l’intervention des forces de l’OTAN en Afghanistan, un regard humain et pourfendeur de préjugés sur la population afghane : voilà en gros tout ce que rate Stéphane Rybojad.
-          Le cinéma regorge de surprises. Pour quelqu’un de son expérience, on pouvait s’attendre de la part de Rybojad à tout autre chose qu’une francisation de « Rambo III ». Mais non : dans ce film, tous les afghans sont talibans, et meurent par douzaines sous les rafales des six soldats français qu’ils sont censés poursuivre. Ces derniers se tirent de ces escarmouches bien évidemment sans aucune égratignure, et s’ils meurent ce ne sera qu’assassinés lâchement de dos, sans voir leur agresseur.
-          Arrête-toi, tu vas donner envie de vomir aux lecteurs en racontant la couardise des talibans. Laisse-moi les réconforter : le film contient aussi de grands moments d’héroïsme comme la traversée de l’Himalaya sans nourriture et sans eau après une semaine de course dans le désert.
-          Ne dévoile pas trop le film. La question que je me pose est : quel processus a bien pu amener Rybojad, en passant de documentariste à cinéaste, à renier complètement tout son travail de journaliste ?
-          Je ne vois que deux réponses : soit ces documentaires, diffusés sur « Envoyé Spécial » relevaient déjà de la propagande, soit Rybojad s’est montré excessivement lourd dans ses remerciements à l’armée française pour leur soutien logistique sur le tournage. Ce qui est certain est que ce film est un gigantesque clip conçu à la gloire de l’armée française.
-          Tu devrais finalement mieux cacher aux spectateurs potentiels le passé de documentariste pour « Envoyé spécial ». Le film en porte la marque de manière incongrue : les transitions sans aucun rythme rappellent celles des reportages M6, et le film est inondé de sous-titres explicatifs… n’expliquant rien.
-          C’est bien vrai : pourquoi lors la première apparition du personnage de Victor à l’écran est-elle accompagnée du sous-titre (certes lapidaire) « Victor », alors que dans la seconde qui suit un enfant à l’arrière-plan appelle à plusieurs reprises par son prénom le personnage ainsi doublement présentés ?
-          Il n’y a pas que les sous-titres qui ne servent à rien : des scènes entières sont inutiles comme la toute première, montrant l’arrestation de criminels de guerre en Europe de l’Est.
-          Ce ne sont pas que certaines scènes qui sont dispensables, c’est le film en entier. A voir pour motiver un changement d’orientation vers l’armée ou juste pour faire une blague de très mauvais goût à ces amis.

On retiendra…
Les acteurs se sont, malheureusement pour eux, beaucoup investis dans ce film.

On oubliera…
Un film de propagande sur l’armée française, qui veut essayer de nous faire croire que les pays arabes ne sont peuplés que de terroristes islamistes, en plein printemps arabe, à quoi cela ressemble-t-il sinon à un navet ?

« Forces spéciales » de Stéphane Rybojad, avec Diane Kruger, Djimon Hounsou, Benoît Magimel,…


Spielberg, ad hoc pour Tintin ? (Les aventures de Tintin : le secret de la Licorne)


-          Avais-tu vu dans ton enfance « Tintin et les oranges bleues » (1964)  ou « Tintin et le mystère de la toison d’or » (1961) ?
-          Non, mais j’ai vu la série de dessins animés. J’en ai retenu la musique…
-          J’avais vu en cassette ces deux films, et même à l’époque je me souviens m’être bien ennuyé. Ces deux films étaient pour le moment les deux seules adaptations cinématographiques de l’univers d’Hergé. Leur seul mérite est d’avoir prouvé que Tintin ne pouvait pas passer au cinéma en prises de vue réelles. La faute à la fameuse houppette : aucun acteur ne peut jouer avec sans être ridicule !
-          Il n’y avait pas ce problème-là dans les dessins animés, qui m’ont semblé plus réussis. Mais ils se contentaient du strict minimum au niveau de l’adaptation: celle-ci consistait littéralement en une animation du dessin d’Hergé. Aucune surprise ne pouvait donc surgir de cette série, qui n’avait aucun intérêt pour qui avait lu les albums, et qui n’apportait rien à l’œuvre d’Hergé.
-          Je suis d’accord avec toi, il faut forcément trahir pour adapter une œuvre au cinéma. Mais là où réside toute la difficulté est : jusqu’où cette trahison peut-elle aller ?
-          La réponse des spectateurs à cette question cruciale dépendra (entre autres) de leur degré de tintinophilie. Mais personne ne pourra reprocher à Spielberg le choix de la motion capture pour son adaptation, la technologie incroyable qui avait déjà démontré toute sa puissance dans « Avatar ». Le résultat à l’écran est stupéfiant et semble bien conforme à la ligne claire d’Hergé.
-          D’accord, du point de vue technique le film de Spielberg est une réussite. Mais on peut avoir plus de réserves quant au scénario. Celui-ci respecte dans les grandes lignes l’histoire du « Secret de la Licorne », mais est complété par des scènes tirées d’autres albums et surtout par des scènes d’action… assez problématiques. La technique de la motion capture autorise au réalisateur à se détacher complètement du réel et ainsi livrer des courses-poursuites à la manière d'"Indiana Jones" sous forme de plans-séquences impossibles mais extraordinaires. Augmenté de la 3D, le spectacle est assuré, même si par moments on se croirait dans un jeu-vidéo. Mais les BD n’ont jamais contenu autant d’action.
-          Le film de Spielberg est mené à un rythme trop frénétique par rapport à la lecture des cases figées d’Hergé. Le plaisir est grand pour le spectateur du film, mais bien moindre pour le lecteur des bandes-dessinées qui ne reconnaîtra plus l’univers de Tintin dans ce déchaînement d’action qui fait de « Tintin » un réel  blockbuster américain, beaucoup moins sage que les adaptations franco-belges que tu as cité au début.
-          Si Tintin et les Dupont/d sont très convaincants, on ne reconnait pas vraiment le capitaine Haddock (joué par Andy Serkis, le Gollum du « Seigneur des Anneaux ». Mais même si on y ajoute le manque d’humour du film par rapport aux BD, ce Tintin-là reste une grande réussite et un très bon divertissement.
On retiendra…
La motion capture, une technologie qui semble désormais évidente pour retranscrire le dessin d’Hergé au cinéma sans faire un film d’animation.

On oubliera…
Le rythme trop effréné du film, qui transforme par moments l’univers de Tintin en parc d’attraction.

A noter :
Peter Jackson, producteur du film, et Steven Spielberg, réalisateur, échangeront leur rôle pour le deuxième épisode qui sera tourné lorsque Peter Jackson aura terminé de travailler sur son adaptation de Bilbo le Hobbit (deux films en décembre 2012 et 2013).
Quant à Spielberg, absent des écrans depuis 2008, il revient avec trois films d’ici l’été 2013.

« Les aventures de Tintin : le secret de la Licorne » de Steven Spielberg, avec Jamie Bell, Andy Serkis,…

mercredi 19 octobre 2011

Hpaulysce (Polisse)



-          La sélection du dernier film de Maïwenn en compétition officielle à Cannes a été une surprise. Maïwenn (le Besco) n’avait réalisé avant « Polisse » que deux films plus ou moins malmenés par la critique. Bien qu’elle soit aussi actrice, Maïwenn est restée relativement inconnue…
-          Voyons, c’est quand même elle qui joue la diva extra-terrestre bleue dans « Le cinquième élément » !
-          … relativement inconnue, donc, mais cela devrait complètement changer avec ce film. Et pas seulement parce que celui-ci a été récompensé du prix du jury à Cannes. « Polisse » se révèle encore plus étonnant que son sujet : raconter le quotidien des policiers de la Brigade des Mineurs de Paris (BPM). Un film très inhabituel qui s’impose comme une réussite.
-          Pourtant, ça commence mal. La réalisatrice semble incroyablement naïve. Elle ose par exemple ouvrir son film par la chanson « L’île aux enfants » ! L’image ressemble à celle d’un téléfilm, de même que les cadrages. Le scénario paraît lui aussi anormal : les scènes se succèdent apparemment sans lien narratif, si ce n’est qu’on y retrouve les mêmes policiers, comme des épisodes de série télé mis bout à bout…
-          Sauf que c’est grâce à cette simplicité formelle que le film est si poignant. A l’apparente candeur de la mise en scène s’oppose l’horreur des situations auxquelles les policiers doivent incessamment faire face. Le contraste est si fort que le rire naît souvent, un rire permis par cette mise en scène. Si la description avait été plus dure, celui-ci serait sûrement devenu insoutenable, et surtout bien moins émouvant.
-          La réalisatrice joue très souvent de ces contrastes et à de multiples niveaux, puisque même le rôle qu’elle joue dans le film en est marqué. Ainsi, c’est toujours au moment où l’on se convainc de la naïveté de la réalisatrice que celle-ci change de registre brusquement, jusqu’à la scène finale !
-          « Polisse » avance donc perpétuellement sur une corde raide, hésitant entre l’ingénuité et la crudité. Les instabilités autour de cet équilibre rendent le film passionnant de bout en bout.
-          Mais quelques défauts persistent néanmoins, des moments où la réalisatrice en fait vraiment trop… Tout dépendra de la tolérance de chacun, car si pour certains cela n’empêchera pas d’être emporté par le film, ça ne m’étonnerait pas que cela coince pour d’autres.
-          Enfin, le film est porté par un casting ahurissant, où l’on retrouve énormément d’acteurs français connus, en plus de Joey Starr très convaincant dans son rôle. Alors, ne soyez pas rebuté par le sujet du film : « Polisse » est un film qui ne ressemble à aucun autre.

On retiendra…
Le film nous mène de surprise en surprise. La mise en scène est peu commune mais donne une grande force émotionnelle au film. Les acteurs, nombreux et impressionnants.

On oubliera…
A force de jouer sur la naïveté, il est difficile de ne pas y tomber par moments.

« Polisse » de Maïwenn, avec Karin Viard, Joey Starr, Marina Foïs, Maïwenn,…

samedi 15 octobre 2011

N&B (The artist)


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-         
-          Stop ! ça ne marche pas du tout ! Si on ne passe pas au parlant, jamais nous n’irons au bout de cette chronique.
-          Je te l’avais dit que c’était une mauvaise idée ! Est-ce qu’on écrivait en couleurs les fois précédentes ? Pourtant les films n’étaient pas en noir et blanc !
-          Non, mais ça aurait pu être drôle. Enfin, les lecteurs auront sûrement compris maintenant que cette semaine nous parlerons de « The artist », le nouveau film de Michel Hazanavicius.
-          Qui d’autre que lui aurait osé réaliser au XXIème siècle un film muet en noir et blanc, capable de remporter un grand succès au box-office* ? Depuis « OSS 117 : le Caire, nid d’espions», Hazanavicius a démontré qu’il savait allier humour, intelligence et succès populaire dans une comédie.
-          En effet, les deux « OSS 117 » (un troisième est en préparation), non contents d’être très drôles, étaient bourrés de références cinématographiques. Hazanavicius avaient recréé les années 50-60 dans ces deux films non seulement par les décors et les costumes mais aussi en réutilisant les méthodes de tournage et les trucages de l’époque. En allant jusqu’au bout de sa méthode, il ne pouvait que poursuivre sa remontée du temps en reproduisant toujours au plus près le cinéma de l’époque - remonter le temps… jusqu’aux films muets.
-          Que « The artist » soit son meilleur film à ce jour n’est donc pas étonnant. Le réalisateur impressionne par sa restitution du cinéma de années 20, réussit à faire rire et arrive à une grande intensité dramatique à la fin. Le film surprend encore plus que les précédents par son aspect technique.
-          …auquel on ne saurait toutefois le réduire ! « The artist » n’est pas qu’un simple pastiche des films muets, le scénario est encore une fois très intelligent puisqu’il raconte le passage à Hollywood du muet au parlant. La mise en scène d’Hazanavicius rappelle la richesse de celle des films muets, mais joue aussi constamment sur la parole… dans un film muet. De quoi donner une certaine actualité au film.
-           « The artist » rappelle que l’arrivée du parlant dans les années 30, en mettant brutalement fin aux films muets, a été suivi d’une très forte baisse de qualité de la production cinématographique pendant plusieurs années. Le temps que les réalisateurs et les acteurs apprennent à utiliser ce nouvel outil, beaucoup de navets ont été commis et oubliés. C’est aujourd’hui la même chose qui se produit avec la 3D, annoncé comme une révolution similaire au parlant, et que les producteurs ont pour l’instant bien du mal à exploiter convenablement depuis la sortie d’« Avatar »… L’arrivée en 2011 de « The artist » n’est donc pas anodine.

On retiendra…
Le jeu sur la parole, qui permet au film de dépasser le stade du simple pastiche du cinéma muet.

On oubliera…
L’interprétation de Jean Dujardin. Elle n’est pas du tout à oublier et est à vrai dire excellente, mais l’acteur n’apporte rien de nouveau par rapport à ce qu’il avait déjà fait lors des « OSS 117 ». On en attendait plus pour un prix d’interprétation masculine à Cannes.

A noter :
*D’autres films muets en noir et blanc ont déjà été réalisés dernièrement, comme « Juha » de Kaurismaki (réalisateur aussi en compétition à Cannes cette année), sorti en 1999, mais seulement dans très peu de salles et à vrai dire complètement oublié depuis. « The artist » semble promis à un autre destin !

« The artist » de Michel Hazanavicius, avec Jean Dujardin, Bérénice Bejo,…

Apologique ou magnifique ? (L'Apollonide)


-          L’un des cinq films français en compétition à Cannes propose de plonger pendant deux heures à l’intérieur d’une maison close, en deux temps : « au crépuscule du XIXème siècle » et « à l’aube du XXème siècle ». Le film se centre en particulier sur une prostituée connue sous le nom de « la Juive », qui rêve secrètement à une vie de couple avec son client favori – personnage par ailleurs plutôt inquiétant, comme nous le fait comprendre sans ambages la toute première scène du film.
-          Une fois celle-ci passée, force est de remarquer que le réalisateur et scénariste Bertrand Bonello nous offre une étude des mœurs et des habitudes de la vie des habitantes de la maison close, monde fermé et replié sur soi à l’intérieur duquel le temps est comme suspendu, plutôt qu’une véritable histoire. C’est d’ailleurs de là que vient la grande déception que ce film m’a inspiré, la première pour un film en compétition cette année à Cannes : il ne s’y passe presque rien.
-          Mais en quoi cela est-il gênant ? Car on ne s’y ennuie pas, loin de là ! Evidemment, en allant voir « L’Apollonide », qu’on ne s’attende pas à se retrouver devant le dernier blockbuster américain à la mode… et heureusement ! Ce n’est pas ce qu’on lui demande. Tout d’abord, l’action, bien que peu présente, est habilement distillée tout au long du film, alternant entre d’intelligentes phases de tension, et des scènes plus posées et contemplatives. La photographie est extrêmement réussie, l’ambiance feutrée et luxueuse de la maison close superbement retranscrite, de sorte que l’on s’y trouve immergé durant toute la durée du film. Chaque plan, chaque scène respire la perfection dans son traitement esthétique, mais aussi scénaristique : la déchéance des jeunes prostituées dans cet univers particulièrement raffiné, aux antipodes de leur propre quotidien, est ici montrée particulièrement crûment, entre bains de champagne et actes de torture perpétrés par certains clients, opulence et maladies vénériennes incurables : ces éléments en tous points opposés se percutent ici presque logiquement, entre émerveillement visuel et horreur ordinaire.
-          Les images sont peut-être très esthétiques, mais elles sont complètement froides. Bonello ne fait naître aucune empathie entre ses personnages et le spectateur, qui s’ennuie donc très vite puisque de l’autre côté il n’y a pas d’intrigue à suivre. Ne pas susciter l’émotion face à un tel mélange d’horreur et de luxe semble un comble ! Mis à part le jeu sur les oppositions qui se retrouve jusque dans la musique, anachronique, il n’y a pas grand-chose à retenir du film. Et après avoir montré tout au long du film la monstruosité des maisons closes, le réalisateur embrouille le spectateur avec une scène finale où il semble les regretter. Un dernier faux pas qui n’a pu qu’achever de me convaincre que « L’apollonide » est un beau film raté.

On retiendra…
La beauté des images : décors, costumes, éclairages sont très travaillés. L’interprétation des actrices. Les anachronismes.

On oubliera…
Aucune émotion, si ce n’est du dégoût. Surtout, une absence de réflexion et une fin qui sème le doute quant aux intentions du réalisateur.

« L’apollonide – souvenirs de la maison close » de Bertrand Bonello, avec Hafsia Herzi,…

dimanche 2 octobre 2011

Souvenirs de projection (Policier, adjectif)


-          Cette semaine, nous avons décidé de faire une pause dans l’actualité pour vous parler d’un film qui nous a marqué, d’une projection inoubliable, d’un moment de cinéma extraordinaire.
-          C’est le genre de séance où, lorsqu’on ressort de la salle de cinéma, on a vraiment l’impression d’avoir vécu quelque chose d’unique et de rare. Quiconque a vu « Policier, adjectif » de Corneliu Porumboiu peut être fier de lui, car ce film, prix du jury « Un certain regard » à Cannes en 2009, appartient à la Nouvelle Vague roumaine.
-          Et oui, il y a aussi une Nouvelle Vague en Roumanie, qui a donné naissance à plusieurs œuvres régulièrement présentes dans les sélections parallèles à Cannes. Mais ce que nous ignorions, c’était que le but de la Nouvelle Vague roumaine est de filmer l’ennui en temps réel.
-          Attention, le lecteur pourrait ne pas comprendre toute la portée de ta dernière phrase. Donnons-lui un exemple : à la fin du film, le héros, un jeune policier chargé de la filature d’un adolescent dealeur, est convoqué par le commissaire. Dans l’antichambre de son bureau, la secrétaire du commissaire annonce au policier qu’il le recevra dans dix minutes. Et c’est à cet instant que transparait tout le génie de la mise en scène du film : pendant dix minutes, le spectateur voit le policier attendre sur sa chaise.
-          Soyons honnêtes, ne forçons pas le trait : à un moment de l’attente, la secrétaire propose quand même un journal au policier (que celui-ci refusera malheureusement).
-          Et nous ne vous avons parlé que de la fin du film ! Si nous avons pu la supporter, c’est bien parce que les presque deux heures qui précédaient étaient du même tonneau et nous avaient endurcis. La mission de filature du policier se révèle tout sauf passionnante (c’est fait exprès), condamnant le héros à marcher longuement et en silence dans des rues bétonnées, délabrées et désespérément vides, à une centaine de mètres derrière celui qu’il surveille. J’avoue avoir lutté contre le sommeil à un moment donné de l’haletante course-poursuite, mais après avoir repris totalement mes esprits, le policier marchait toujours derrière l’adolescent : ouf !
-          Montrer l’ennui d’une manière si crue, ça ne s’était peut-être jamais fait au cinéma auparavant, et cette spécialité du nouveau cinéma roumain a donc quelque chose de remarquable. Mais on est ici bien loin de l’ennui fascinant des personnages de Sofia Coppola. Filmer la réalité dans ce qu’elle a de plus trivial est un calvaire pour le spectateur !
-          Evidemment, ces scènes minimalistes étirées à l’extrême encadrent des scènes de dialogues plus intéressantes (au nombre de deux dans « Policier, adjectif »), en particulier la conversation finale avec le commissaire à la limite de l’absurde et du burlesque, où le titre du film trouve son explication. Mais si ces scènes de dialogues sont plus marquantes, c’est peut-être aussi parce qu’elles rompent avec l’insupportable monotonie de ce qui précédait… La méthode semble un peu facile pour rajouter du poids à ce qui en est dépourvu.
-          « Policier, adjectif » est de ces films qui ne peuvent se voir qu’au cinéma, le seul endroit qui soit assez calme pour accepter (à regret et parce qu’on a payé sa place) de visionner un film aussi lent et aussi morne. Voilà ce que peut proposer de pire le cinéma d’auteur. Il est quand même difficile de regretter une telle expérience : il faut l’avoir vu pour le croire.

On retiendra…
La scène de dialogue finale.

On oubliera…
Montrer l’ennui en temps réel est peut-être intéressant artistiquement parlant, mais c’est beaucoup trop exigeant pour le spectateur…

« Policier, adjectif » de Corneliu Porumboiu, avec Dragos Bucur, Vlad Ivanov,…
Depuis sa sortie française le 19 mai 2010, le film n’est toujours pas sorti en DVD et est introuvable en VOD. Peut-être passera-t-il un jour (ou plutôt une nuit) sur Arte. Alors, bon courage aux amateurs…

Ovale rouge (Carré blanc)


-          Tu veux encore parler d’un film dont personne n’a entendu parler ?
-       Et dont personne n’entendra parler ! Mais malgré la déception, le projet semblait trop intéressant pour que cette rubrique ne lui soit pas consacré cette semaine : « Carré blanc » de Jean-Baptiste Leonetti a décidément tout d’un ovni. Outre le fait que ce soit un premier film et qu’il dépasse à peine une heure, c’est surtout un film de science-fiction… français ! Genre que le cinéma français n’explore que très peu, et à raison, car ses incursions sont (presque) toujours des échecs.
-          Et ce n’est pas « Carré blanc » qui y changera quelque chose, puisque le film est lui-aussi raté.
-          Non, il ne l’est pas complètement, ou en tout cas pas autant que la référence absolue en matière de SF française ratée, « Dante 01 » de Marc Caro. Mais tu m’as coupé : la dernière et peut-être la plus grande des bizarreries de « Carré blanc » est son interdiction aux moins de 16 ans.
-          Que je n’ai pour ma part pas du tout comprise, les quelques scènes de violence de ce film  n’étant jamais montrée de manière frontale. Sûrement vaut-elle pour l’ambiance dégagée, décrivant une société totalitaire où tout est cauchemar. Ou pour donner du sens au titre, le carré blanc étant la première signalétique d’avertissement instituée à la télévision en France (il indiquait alors qu’un film n’était pas « tout public »).
-          La mise en scène ne ménage pas le spectateur et s’attache à créer un climat d’angoisse tout au long du long-métrage : beaucoup de plans sont des zooms qui créent une sensation d’enfermement, les paroles sont rares, le montage est désordonné et désorientant. Le malaise qu’inspire la mise en scène est la principale qualité du film.
-          Sauf que celle-ci est mise au service d’une histoire trop faible. « Carré blanc » ne va pas plus loin que la description par le regard du couple interprété par Sami Bouajila et Julie Gayet (complètement inattendus dans un tel film) de la société dans laquelle ils évoluent. Le film s’arrête au moment-même où la description cesse, où le spectateur ignorait enfin ce qui pouvait suivre.
-          La société présentée par « Carré blanc » est censée être une « anticipation » de la nôtre : pour être embauché, les candidats à un poste de cadre doivent passer des évaluations horribles les torturant psychologiquement et physiquement, les faibles sont tués impitoyablement ou se suicident avant, leurs cadavres récupérés à des fins qu’il vaut mieux taire, la radio ne diffuse plus que des messages gouvernementaux en faveur de la natalité ou des reportages de croquet, et une seule et unique musique. C’est si dur et abominable que ce qui était censé être une critique des dérives de notre société actuelle perd toute crédibilité et ne laisse finalement qu’un mauvais souvenir dans l’esprit du spectateur. Le film se révèle alors aussi vide et vain qu’un exercice de style.

On retiendra…
La mise en scène clinique et radicale. L’interprétation des acteurs.

On oubliera…
Le scénario, qui passe totalement à côté de son objectif évident.

« Carré blanc » de Jean-Baptiste Leonetti, avec Sami Bouajila, Julie Gayet,…

dimanche 18 septembre 2011

L'été américain 9 : Les séquelles de l'été


-          Alors, qu’as-tu fait cet été ?
-          Mmh… Comme tu le sais, ma peau est trop sensible pour le soleil, alors je me suis enfermé dans les salles obscures. Mais la lumière des projecteurs m’a quand même sérieusement tapé sur le crâne.
-          Hein ?
-          J’ai fait un malaise devant l’IMAX 3D de « Transformers 3* », c’était pire que des montagnes russes. En fait, j’ai eu du mal à me convaincre que je n’étais pas dans un parc d’attractions, tant l’intrigue était inexistante face aux scènes de destruction massives.
-          C’est avant la projection que tu as dû te sentir mal, pour oser aller voir ce film.
-          Oh, ce n’était pas la pire de mes erreurs. J’ai aussi assisté à un match de catch de presque deux heures, où les pugilistes en costumes kitschissimes rivalisaient de ridicule, et qui m’a dramatiquement abruti. C’est peut-être pour ça que je n’ai toujours pas réussi à comprendre une chose : pourquoi ce match était-il intitulé « Conan le barbare » ?
-          Ah. J’avoue avoir mésestimé l’impact de tes vacances sur ton encéphale.
-          Toi, les vacances ne t’ont apparemment pas ôté tes mauvaises habitudes. Mais rassure-toi, pour me préparer à la rentrée, il fallait que je pensasse à faire quelques mathématiques…
-          Tes blagues sont consternantes.
-          … et s’il y a une chose qu’on ne pourra pas reprocher aux américains, c’est de ne pas mettre assez de moyens dans l’apprentissage de la numération : du mauvais « X-Men -1* » et du très bon « La planète des singes -1* » à « Destination finale 5* » jusqu’au médiocre « Harry Potter 8 » il y avait de quoi faire ! L’Amérique ne produit plus des films, mais des franchises.
-          Tu aurais dû aller voir « Super 8 ». Ça, c’était un film original. Ce n’était ni une suite, ni une préquelle, ni un remake et non plus un reboot, encore moins un spin-off : un excellent film, et le meilleur blockbuster de l’été.
-          Arrêtons de fustiger les longs-métrages estivaux américains : heureusement que pour relever leur niveau il y avait le cinéma commercial français. Avec « Colombiana », Luc Besson a encore montré que dans la production de navets, c’était lui le plus fort.
-          Il serait peut-être temps que tu annonces quels films t’ont plu cet été, ou tu vas passer pour un difficile.
-          Heureusement que certains films cannois n’ont pas attendu la rentrée pour sortir au cinéma. « Pater » d’Alain Cavalier, « Melancholia » de Lars von Trier, « La piel que habito » de Pedro Almodóvar, et dans une moindre mesure « This must be the place » de Paolo Sorrentino sont des merveilles et compteront assurément dans les meilleurs films de l’année. Sans oublier « Les contes de la nuit » de Michel Ocelot et surtout « Balada triste » d’Álex de la Iglesia, un film espagnol fou furieux, une véritable tuerie passée un peu trop inaperçue.


*A noter :
Pour tous les films marqués d’un astérisque *, une suite est en préparation...