mercredi 31 juillet 2019

Luc (Anna)

L’ascension de Luc Besson aura été aussi fascinante que sa chute. Il était au sommet il y a deux ans lors de la sortie de « Valérian et la cité des mille planètes » (plus gros budget de l’histoire pour un film européen, et de loin), à la tête de « sa major de cinéma » Europacorp (regroupant la production et la distribution de films et de séries télé, des studios de tournage, une école de cinéma, des cinémas, des attractions pour parc à thèmes) absolument unique en Europe. Mais l’échec cuisant au box-office américain de son film a fait s’écrouler comme un château de cartes Europacorp sous le poids de ses dettes. Contraint à le vendre en pièces détachées, Luc Besson est de plus rattrapé par différentes affaires d’agressions sexuelles dans le sillage de l’affaire Weinstein.


C’est dans ce contexte très difficile que le réalisateur sort « Anna » (distribué par Pathé), son dix-huitième film (et le onzième à porter un titre basé sur un prénom). Maintenant qu’il doit de nouveau lutter pour sa survie financière, le cinéma de Luc Besson va-t-il retrouver l’éclat qu’il a perdu depuis « Arthur et les minimoys » (son dernier vrai bon film, en 2006) ?

Ludique et déjà-vu
La réponse est en partie oui : « Anna » est le meilleur film de Luc Besson depuis 2006 – ce qui n’en fait pas non plus un très grand film. On y retrouve les qualités que l’on croyait perdues de son cinéma : une capacité à surprendre le spectateur, ici par les multiples retours en arrière et des fausses fins qui s’accumulent et s’emboîtent comme des poupées russes, un brio dans la réalisation de scènes d’action (dont un combat dans un restaurant russe époustouflant – ces cinq minutes sont plus impressionnantes que les 2h17 de « Valérian », chercher l’erreur !), un art des transitions et un rythme soutenu qui relance sans cesse l’intérêt du spectateur, des personnages drôles car à la limite de la caricature (Helen Mirren) – en bref un film extrêmement divertissant ! Divertissement dont le point d’orgue est la fuite à travers les sous-sols du KGB d’Anna (l’autre grande scène d’action du film).
Mais on retrouve aussi dans « Anna » les défauts du cinéma de Luc Besson. Le plus évident est sa volonté un peu trop lourde d’être grand public qui se traduit ici par un montage parfois lourdement explicatif (on revoit plusieurs fois les mêmes scènes). Pour garder une grande vitesse à la conduite de son récit, Luc Besson recourt trop souvent aux raccourcis et aux clichés très bêtes (la description ridicule du milieu de la mode parisien sonne aussi faux que celle du KGB…). Beaucoup de personnages restent sans épaisseur. Dans le rôle-titre, la mannequin Sasha Luss n’est pas une révélation.
En bref, comme beaucoup de films réalisés ou produits par Luc Besson, c’est efficace mais pas vraiment subtil. Si la structure du film multipliant les chausse-trappes pour le spectateur intéresse, le récit en lui-même frise le déjà-vu, tant celui-ci rappelle « Nikita », « Léon » (du même Besson) et « Red sparrow » de Francis Lawrence – ces deux derniers étant de bien meilleurs films qu’ « Anna ».

Matière involontaire à réflexion
Le plus intéressant finalement n’est pas le film en lui-même, mais la manière dont on le voit différemment depuis les affaires de scandale sexuel qui entourent Luc Besson – affaires qui sont d’ailleurs sûrement responsables de l’échec au box-office du film. Le cinéma de Besson a toujours été caractérisé par une grande naïveté des sentiments et une mise en avant de femmes puissantes. L’un et l’autre sont présents dans « Anna » et font maintenant beaucoup réfléchir en cours de projection sur ce que ça traduit de la personnalité de Luc Besson… Ce qui apporte, aux dépens-même du film, une dimension cérébrale dont il était dépourvu !

On retiendra…
Le scénario à tiroirs qui joue avec le spectateur. Les scènes de combat.

On oubliera…
Les multiples stéréotypes, les trop nombreux échos à d’autres films.

« Anna » de Luc Besson, avec Sasha Luss, Helen Mirren, Luke Evans,…

mercredi 3 juillet 2019

Zombies cannois (The dead don’t die, Atlantique, Zombi child)

Sans être pour autant des films d’horreur, trois films avec des zombies ont été projetés à Cannes cette année. Cette coïncidence n’annonce pas un intérêt soudain pour le mort-vivant dans le cinéma d’auteur (il n’y aura peut-être aucun film de zombie l’année prochaine à Cannes), mais il est intéressant de regarder ensemble ces films, et de voir à quels points le traitement de la figure du zombie y est différente dans chacune des oeuvres.
Après les vampires d’« Only lovers left alive » en 2013 (son chef-d’œuvre), Jim Jarmsuch poursuit son exploration des clichés du cinéma d’horreur avec les zombies. « The dead don’t die » a fait l’ouverture de Cannes, en compétition (ce qui n’était pas arrivé depuis « Moonrise kingdom » de Wes Anderson en 2012).
Autre « film de zombie » en compétition, « Atlantique » est le premier long-métrage de Mati Diop, tourné à Dakar. Il a remporté le grand prix du jury.
Bertrand Bonello fait partie des « grands auteurs » du cinéma français contemporain, sélectionné trois fois en compétition à Cannes (la dernière fois pour son meilleur film à ce jour, « Saint Laurent » en 2014). Son nouveau film a pourtant atterri à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes cette année – est-ce parce que la case « morts-vivants » était justement déjà doublement occupée en sélection officielle ?

Zombie classique
Pourquoi le cinéma d’auteur s’est-il emparé de la figure du zombie cette année ? La réponse semble être « pour le gag » chez Jarmusch, tant son film s’avère creux. Chez Diop, c’est évidemment pour la métaphore – ces zombies relèvent d’ailleurs presque de la poésie. Chez Bonello, dont le film est le moins évident des trois, c’est d’abord pour le mystère.

 
Jamais hilarant, « The dead don’t die » ressemble à une comédie qui ne décolle jamais – et qui semble même faire exprès de ne pas le faire (c’est la patte Jarmusch). C’est donc assez ennuyeux. Les zombies ressemblent à l’idée que tout le monde s’en fait. Jarmusch s’amuse plus à glisser des caméos de stars qu’à développer un propos. Un signe qui ne trompe pas : pour finir son film, Jarmusch est obligé de recourir au coup du métacinéma – les personnages avouent tout à coup qu’ils ont lu (ou pas) le script du film. Le manque d’inspiration est alors flagrant. Au final, « The dead don’t die » ne vaut que pour quelques séquences-gags – même si elles reposent sur des recettes déjà bien éprouvées par le réalisateur : apathie, répétition, caméo rigolo de Iggy Pop – et Tilda Swinton, toujours excellente.

Zombie poétique
Bien plus intéressant est le film « Atlantique » de Mati Diop – même s’il n’est pas pour autant complètement réussi. Son ancrage à Dakar est déjà dépaysant. L’absence de perspective, l’appel du large et de la fuite (les plans sur l’océan, répétitifs mais vraiment envoûtants) sont superbement rendus. Le rythme lent du film accroît la sensation d’enfermement.


          Il y a beaucoup de belles idées de mise en scène, mais elles ne sont hélas pas forcément exploitées jusqu’au bout et frôlent parfois le caractère gratuitement « poétique » : comme les zombies justement, trop lourdement métaphoriques.

Zombie historique
« Zombi child » est partagé entre deux lignes temporelles qui n’ont a priori rien à voir entre elles : l’une à Haïti dans les années 1960 qui raconte un cas de « zombification » (à l’origine du mythe), l’autre de nos jours à Paris suit des lycéennes de la Maison d'éducation de la Légion d'honneur. Les deux sont fascinantes, et gagnent chacune en originalité en étant confrontée sans transition ni explication à l’autre. De fait, le lien mystérieux qui existe entre ces deux lignes narratives si contrastées excite la curiosité. Leur point commun est le traitement réaliste. Les dialogues des jeunes filles, fortement teintés de bizarrerie adolescente, sonnent particulièrement justes (et sont drôles).


          Les films de Bertrand Bonello sont d’une ambition visuelle rare, « Zombi child » n’y fait pas exception. Bonello aime les séquences muettes qui captivent par la seule force des images (le segment haïtien du film), à l’image des films de Kurbick (s’inscrire dans sa lignée de Kubrick est d’ailleurs assez rare en France !).
          Des trois cinéastes cités ici, il s'avère le plus original. Son zombie n'a pas l'évidence de ceux de Jarmusch, et contrairement à ceux de Diop, il voit son caractère métaphorique gommé par l'aspect « historique » de son zombie et son réalisme. Il résiste à la compréhension – et c'est ce qu'on pouvait espérer de mieux de la part d'un tel cliché ambulant du cinéma d'horreur.

On retiendra…
En remontant aux sources du « zombie » et en le confrontant à l’actualité, Bonello s’avère le plus original sur l’utilisation du zombie au cinéma.

On oubliera…
L’absence d’idées de Jarmusch, qui provoque l’ennui.

« The dead don’t die » de Jim Jarmusch, avec Adam Driver, Bill Murray,…
« Atlantique » de Mati Diop, avec Mama Sané, Amadou Mbow,…
« Zombi child » de Bertrand Bonello, avec Louise Labeque, Wislanda Louimat,…