lundi 20 juillet 2015

Les résurrections de l’été (Mad Max : Fury Road, Jurassic World, Terminator Genisys)

Au regard des titres des films alignés cet été par les grands studios, la période s’annonce pourrie. On a déjà l’impression d’avoir vu tous ces films : « Fast and furious 7 », « Mad Max 4 », « Jurassic Park 4 », « Terminator 5 », « Les 4 fantastiques 3 », « Mission Impossible 5 ». On oublie volontairement « Ant-man », pas une suite à proprement parler, mais pas un film non plus puisque c’est un produit « Marvel ». Dans cette liste, trois films se ressemblent. « Mad Max : Fury Road », « Jurassic World » et « Terminator Genisys » sont trois nouveaux opus de trois sagas nées dans les années 80-90, respectivement initiées par George Miller, Steven Spielberg et James Cameron. Chacun d’entre eux a lui-même transformé son film en saga en réalisant une suite à l’œuvre originale, avant de passer à autre chose et de laisser aux producteurs les clés de la franchise. Les trois films originaux ont tous marqués leur époque et sont indubitablement « cultes ». En sera-t-il de même pour ces trois nouveaux opus ?

La suite rêvée
On ne pouvait pas rêver meilleure suite. C’est tout simplement, à ce jour, la meilleure suite jamais réalisée dans l’histoire du cinéma : « Mad Max : Fury Road ». George Miller a repris son univers post-apocalyptique et son personnage de conducteur fou et solitaire, mais il a vu plus grand, beaucoup plus grand que dans les années 80. Armé des moyens d’aujourd’hui, Miller n’a pas eu peur de dynamiter son ancienne saga. Il la transforme en un opéra métallique et cinétique d’une ampleur démesurée qui redéfinit la mythologie de « Mad Max ». C’est une véritable recréation, qui fait passer les opus précédents pour des brouillons de celui-ci : « Mad Max : Fury Road » est un changement de paradigme.


C’est à cela que doivent servir idéalement les suites : retravailler un film pour l’amener plus loin, l’approfondir, tout simplement l’améliorer. Le cinéma est un art très jeune, qui évolue vite. Il est donc parfaitement compréhensible qu’une histoire soit retravaillée en fonction des moyens accrus désormais à disposition.
La recette d’un tel succès est simple : cette suite à « Mad Max » n’a pas été commandée par des producteurs. C’est George Miller lui-même qui est revenu à son œuvre-phare. Et ça change tout, comme l’ont rappelé peu après « Jurassic World » et « Terminator Genisys ».

On retiendra…
Un opéra mécanique et baroque, bâti sur l’ivresse de la vitesse et la jouissance de la violence, d’une démesure totale, inimaginable jusqu’à ce qu’on l’ait vu.

On oubliera…
Tom Hardy compose un Mad Max qui paraît parfois trop doux, trop sympathique pour que sa solitude farouche et son indifférence cruelle paraisse plausible.

« Mad Max : fury road » de George Miller, avec Tom Hardy, Charlize Theron,…


La suite cauchemar
           A la fois une suite et un « reboot » de « Jurassic Park », « Jurassic World » souhaite clairement relancer une franchise en s’appuyant lourdement sur le souvenir du film original. Voulue par les producteurs, « Jurassic World » n’a pas d’autre ambition artistique que de faire revivre les dinosaures avec les effets spéciaux numériques bluffants d’aujourd’hui. « Jurassic World » se limite donc à recréer les scènes emblématiques qui ont fait le succès de « Jurassic Park », mais en images de synthèse et en 3D.


Sauf que le film a été confié à un réalisateur novice et inconnu, Colin Trevorrow, qui n’est cinématographiquement pas du tout une copie de Spielberg. Personnages sans épaisseur auxquels il est impossible de s’identifier, humour absent ou tombant à plat, mise en scène qui se saborde elle-même lorsqu’elle tente de susciter l’effroi (montrer les dinosaures dès les premiers secondes du film, il fallait le faire), rapport à l’espace maladroit, intrigue qui s’éparpille géographiquement et narrativement à cause d’un montage sans rythme… Peut-être conscient de la médiocrité de son travail, Trevorrow s’est rassuré en se réfugiant incessamment derrière des références à « Jurassic Park », des décors et accessoires repris à l’identique à la musique de John Williams. Erreur quasi fatale étant donné que loin de susciter la connivence escomptée avec les spectateurs encore émus vingt ans après de « Jurassic Park », ces références donnent à mesurer l’abîme qui sépare les deux films, et accablent au final le nouvel épisode de la franchise.
            Le seul intérêt à cette suite est la schizophrénie de la mise en scène, qui d’un côté entend dénoncer la surenchère de la société de spectacle (« Plus de dents »), et de l’autre se plie sans sourciller à cette  surenchère. Cette ambigüité n’est en fait qu’un héritage a priori bienvenu de « Jurassic Park » : Spielberg glissait avec malice les produits dérivés de son blockbuster dans les mains-mêmes de son personnage, avant de les faire piétiner par les dinosaures. Mais dans « Jurassic World » cette malice a été remplacée par de la bêtise. Au détour d’un dialogue, les personnages se moquent du sponsoring du parc par les marques (« Pourquoi pas le Pepsisaurus ? »)… dans un film truffé de placements de produits : là, on se moque du spectateur.
              Que pense donc Colin Trevorrow du succès colossal de son film au box-office ? Ce succès doit quelque part le mettre mal à l’aise s’il est conscient qu’il n’est pas dû à la qualité de son œuvre à lui mais à la popularité immense de ce film devenu mythique qu’est « Jurassic Park » (popularité portée par un bouche-à-oreilles intergénérationnel, travaillée et retravaillée par les diffusions télé, les suites et même une ressortie 3D). Les dinosaures, eux, ont bien été ressuscités par les nouvelles technologies…

On retiendra…
La musique de John Williams, reprise partiellement dans le film, donne encore des frissons.

On oubliera…
Blockbuster formaté, sans âme, à la réalisation hésitante, qui ne cesse de singer « Jurassic Park » en moins bien, ce qui ennuie d’abord, agace ensuite, énerve à la fin.

« Jurassic World » de Colin Trevorrow, avec Chris Pratt, Bryce Dallas Howard,…


La suite inaboutie
         Il s’agit, là encore, d’une suite et d’un reboot. Les deux sont intimement liés grâce à une astuce scénaristique qui fait d’abord craindre le pire par son opportunisme avant de séduire.
Le voyage dans le temps est une des composantes principales de l’univers de « Terminator ». C’est une mine narrative pour faire réactiver les situations ayant fait le succès des films précédents. Ici, les scénaristes ont imaginé un film commençant là où les précédents s’arrêtaient, à savoir la victoire de la rébellion humaine menée par John Connor contre les machines pilotées par Skynet, dans un futur apocalyptique. Mais Skynet réussit à envoyer juste avant sa destruction un Terminator dans le passé tuer la mère du chef de la rébellion humaine… John Connor envoie donc Kyle Reese à sa poursuite, donc dans le passé, soit dans le « Terminator » original de James Cameron. La saga se reconnecte ainsi à ses origines par une pirouette temporelle qui réinitialise la course-poursuite entre les Terminator et la famille Connor, et permet un hommage en forme de mise en abyme à l’œuvre de James Cameron, revisitée à plusieurs reprises quasiment plan par plan avant qu’une divergence n’intervienne.


        L’idée semble d’abord gonflée : le prétexte du voyage temporel est bien pratique pour reproduire le même scénario que le film original ! On craint alors que « Genisys » ne soit qu’un remake qui ne dirait pas son nom, très lourd dans la manière dont il ressort les mêmes méchants et les mêmes scènes des deux premiers Terminator, apparemment sans aucune imagination, en tout cas sans aucune surprise. Le spectacle (car il s’agit surtout de scènes d’action) est poussif et ennuyeux.
La mise en scène est en effet très convenue. Alan Taylor, venu de la série télé, n’a semble-t-il aucune identité, aucune signature, aucun génie, ce qui a pu contenter les producteurs du pathétique « Thor 2 » (son précédent, et premier, long-métrage), mais fait regretter ici le sens du spectacle de James Cameron ou les efforts de Johnatan Mustow et McG (réalisateurs des opus 3 et 4). Taylor a beau, en 2015, avoir des moyens techniques supérieurs à James Cameron dans les années 80, il n’a presque aucune idée de mise en scène. Les scènes d’action, pourtant très nombreuses, semblent terriblement banales, déjà vues, ce qui est une honte pour une saga dont les deux premiers films avaient révolutionné le cinéma d’action en leur temps. La direction artistique souffre d’un pareil manque d’imagination, et s’avère même plutôt moche par un côté lisse et factice bien inférieur à l’esthétique cabossée des films originaux.
          Et puis… L’action se déplace soudain en 2017. L’intrigue devient incroyablement tarabiscotée pour expliquer ce nouveau voyage temporel, mélangeant passés alternatifs et souvenirs du futur, sans pour autant perdre en cohérence. Cette fragile complexité, inhabituelle dans de tels blockbusters, est donc hautement appréciable. Le scénario de « Terminator Genisys » devient même intelligent dans cette seconde partie. Les scénaristes sèment le doute sur la cause défendue par chacun des personnages emblématiques de la saga, reprenant le jeu initié par James Cameron lorsqu’il avait « retourné » le Terminator joué par Schwarzenegger de méchant en gentil. De manière inattendue après la première partie nostalgique des années 80, le film alerte sur les dérives du développement numérique actuel, ré-ancrant avec force l’anticipation dystopique de « Terminator » dans le contemporain de notre société hyper connectée.
        Cette deuxième moitié de « Terminator Genisys » comporte enfin un vrai coup d’éclat : le vieillissement de Schwarzenegger. On se rend compte en le voyant dans cette partie censée se dérouler en 2017 qu’il avait été numériquement rajeuni dans la première, située en 1984. L’acteur, qui a lentement basculé dans la ringardise lors de ses huit années passées loin des plateaux à la tête de la Californie, reprend son rôle de Terminator comme si rien n’avait changé, dans une négation du temps écoulé qui est contredite par son avachissement physique. Comme son personnage de Terminator, surnommé « Papi », qui ne cesse de répéter qu’il n’est pas obsolète, Schwarzenegger l’acteur semble lutter avec « Terminator Genisys » contre ces années enfuies qui ont emporté sa gloire, et ce combat est assez émouvant.
          Au final, par l’intelligence et la rouerie de son scénario, « Terminator Genisys » aurait pu être un excellent film, s’il n’était desservi par une réalisation sans âme. Cependant, l’intérêt pour la saga est bel et bien relancé.

On retiendra…
Un « métaremake » au scénario plein de bonnes voire très bonnes idées, jouant astucieusement des voyages dans le temps et du physique vieillissant de Schwarzenegger.

On oubliera…
La réalisation basique, platement efficace, quasiment digne d’un épisode de série télé, se contente de mettre le scénario en images.


« Terminator Genisys » d’Alan Taylor, avec Arnold Schwarzenegger, Emilia Clarke, Joel Courtney,…