Il y a des
projections, très rares, qui vous donnent l’impression d’assister à quelque
chose d’historique. Le sentiment que personne, encore, n’avait fait ça au
cinéma. Que personne n’avait vu un tel film auparavant.
Ce
sentiment, c’est ce qu’on ressentait en 2012 à la sortie de « The raid ». Il s’agit pourtant d’un film d’action, venu de l’Indonésie, dirigé
par l’anglais Gareth Evans. Aujourd’hui, deux ans après ce « choc »,
Gareth Evans et son équipe continuent sur leur lancée avec « The raid
2 ».
La stylisation n’est pas l’outrance
Le plus
fort dans « The raid 2 » est que, malgré sa nature de
« suite » reprenant sans bouleversement la mise en scène du premier
opus, sa projection procure toujours la même sensation d’expérience inédite. Il
faut le reconnaître : entre les deux films, personne – même pas à
Hollywood, qui prépare cependant un remake – ne s’est encore approché de la
folie de cette mise en scène qui catapulte le cinéma d’action dans le champ de
l’art conceptuel.
« The
raid 2 » est pourtant moins bon que « The raid », au-delà de
l’évaporation de la découverte que constituait le premier opus. La faute en
revient non pas à la mise en scène, toujours aussi dingue, mais au scénario,
qui se veut beaucoup plus fouillé et complexe que celui de « The raid » – mais ne l’est en définitive absolument pas. Gareth Evans a visé à
une certaine forme de classicisme du film de mafieux. Il déploie une intrigue
d’infiltration convoquant une multitude de personnages répartis dans au moins
cinq factions (la police, la police des polices, et trois familles de
gangsters). Le tout s’étalant sur plusieurs années, ramenées à deux heures et
demie pour le spectateur.
Briser les
attentes du spectateur après l’intrigue riquiqui du premier « Raid »
(une escouade de policiers doit nettoyer un immeuble de trafiquants, étage par
étage) était une bonne idée. Gareth Evans ne manque pas de talent pour filmer ces
dialogues, véritables confrontations verbales, avec une stylisation
qui fait directement écho au cinéma de Nicolas Winding Refn (et plus
particulièrement « Only God forgives » qui se déroule lui-aussi en
Asie du Sud-Est) ou de Tarantino. Mais il franchit trop souvent la limite entre
stylisation et caricature outrancière. En particulier lors des nombreuses
scènes de torture complètement gratuites qui se répètent ad nauseam dans cette
partie du film… Procédé beaucoup trop facile pour maintenir l’hyper lucidité du
spectateur devant le film, même en dehors des scènes d’action, et qui fait
basculer plus d’une fois le film du côté de l’abject.
Rendre palpable le présent
On croit
alors la surprise de « The raid » complètement pervertie dans cette
suite lorsque, enfin, l’intrigue se simplifie soudainement et redevient aussi
consistante que celle du premier « Raid » : tuer, avancer d’un
niveau, tuer,… Terminées les prétentions de cinéma classique ! Celles-ci
ne pouvaient de toute manière pas s’accorder avec la stupidité abyssale de la
« morale » finale du film. Cette pirouette, ce retour au jeu-vidéo,
au ludique sans conséquence, est un véritable pied-de-nez aux deux heures de
mille-feuille narratif qui lui ont précédé (on comprend alors que celles-ci
servaient aussi à faire naître l’attente chez le spectateur). Et une délivrance
pour le spectateur, rassuré de se retrouver face à un spectacle jouissif plutôt
que devant une entreprise nettement plus malsaine...
Il s’agit
là du point le plus singulier du cinéma d’Evans : en réduisant son
scénario au spectacle le plus primaire (avancer et tuer), le film quitte sa
condition de série B d’action pour gagner le statut d’expérimentation art et
essai. En effet, lors de cette succession de scènes d’action, la narration est ramenée
au présent le plus direct, pour être concentrée en du pur instantané. Le spectateur
fait alors totalement corps avec les personnages à l’écran. Par ces combats hyper
violents, filmés quasiment en temps réel au moyen de plans séquences ultra-chorégraphiés,
d’un réalisme sans pareil (dans le sens où l’on voit que chaque coup fait –
atrocement – mal), « The raid 2 » devient une expérience du
présent. Le film n’est plus une simple projection, mais une expérience cinématographique, par la
manière dont il se joue de l’empathie de ses spectateurs pour les impliquer
dans la démesure qui se produit à l’écran. Les spectateurs souffrent à chaque
coup qui est porté, tremblent face à la menace de l’ennemi suivant… Ils sont
figés dans le ressenti du présent de l’écran. De plus, l’expérience est vécue
collectivement : rares sont les films à procurer de telles sensations si intensément, qui sont capables de suspendre une salle entière. Devant « The raid 2 », la dimension collective d'une projection cinématographique est réjouissante, puisque l'on s'aperçoit que l'on souffle avec ses voisins aux mêmes moments pour
relâcher la tension… et supporter le prochain déchaînement de violence.
Au
générique final, « The raid 2 » vous déposera aussi fatigué que
son personnage principal. Le signe d’un film véritablement hors-normes.
On retiendra…
La mise en scène des combats,
qui transforme la vision en expérience intense de l’instant présent.
On oubliera…
Gareth Evans confond outrance
et stylisation, et n’est sauvé que par la force irrésistible de son finale.
« The raid 2 » de
Gareth Evans, avec Iko Uwais, Arifin Putra,…
Le dernier mot de cette critique - sibyllin et pourtant si pertinent! - la clôt avec une majesté qui lui sied à ravir ; jouer sur la dualité polysémique du terme "finale", clôture toute musicale des sonates de Scriabine et Prokofiev avec lesquelles le film est en résonance perpétuelle de la scène introductive à la toute fin du générique, autant qu'oraison sportive dédiée à toutes les entités successivement tombées au combat, en fait une critique cinématographique tout simplement remarquable dans sa construction même, embrassant avec une réussite exceptionnelle la structure propre à la nouvelle littéraire, de par la recherche d'une chute bouleversante et presque lyrique.
RépondreSupprimerMagistral, bravo.