Un an après
les extraordinaires « Django unchainded » de Quentin Tarantino, « Lincoln »
de Steven Spielberg et « Zero dark thirty » de Kathryn Bigelow, le
cinéma américain continue de revisiter l’histoire de son continent avec « 12
years a slave ». Le film est en effet adapté des mémoires de Solomon
Northup, citoyen noir américain né libre au XIXème siècle mais capturé et vendu
comme esclave pendant 12 ans en Louisiane. C’est le nouveau long-métrage de l’artiste-vidéaste
Steve McQueen, désormais plus connu pour ses films : « Hunger »
(Caméra d’or à Cannes en 2008) et « Shame » (2011).
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Chaque année on s’y intéresse, on espère, voire
on se met à rêver… et chaque année on est déçu. La cérémonie des Oscars est de
plus en plus prévisible, académique et conservatrice…
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De plus en plus ? Je dirai plutôt qu’elle l’est
toujours autant. Pour 2014 les votants ne devraient pas bouleverser leurs
habitudes, et on ne peut que redouter le sacre – déjà annoncé depuis qu’il a remporté
le prix du public au festival de Toronto – de « 12 years a slave ».
- Après « Shame », je ne m’attendais pas
du tout à ce que Steve McQueen se lance dans l’académisme ! Grand sujet
historique, mise en scène classique tendue vers l’efficacité, interprétations
habitées et contenu à haute teneur lacrymal : l’ambition de McQueen pour
les Oscars est évidente.
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Et alors ? Ça n’empêche pas « 12 years
a slave » d’être un très grand film. Steve McQueen s’est entièrement mis
au service de Solomon Northup, l’homme libre redevenu esclave dont il veut
raconter l’histoire, et qu’il inscrit d’emblée dans l’Histoire. Sur un sujet
identique, la ségrégation, Steve McQueen adopte en effet une approche
totalement opposée à celle de Quentin Tarantino. Là où ce dernier, pour dénoncer l’horreur de l’esclavage, prenait sa revanche
sur l’Histoire en la réécrivant, Steve McQueen s’y soumet complètement, et
surtout, y soumet le spectateur.
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Tu peux le dire ! Le cinéaste ne laisse en
effet jamais ses spectateurs passifs devant ses films. Sa mise en scène
s’identifie si fortement avec le personnage principal de ses longs-métrages
qu’il fait, à chaque fois, partager aux spectateurs ses tourments. Jusqu’à, aussi,
dépasser la limite du supportable.
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Mais alors que cela virait au ridicule dans «
Shame », ici l’ambition historique et la grandeur classique de la mise en scène
empêche « 12 years a slave » de tomber dans cet écueil…
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Pour mieux tomber dans un autre : celui de
la performance à Oscars ! « 12 years a slave » est extrêmement dur. La
violence des traitements infligés aux esclaves y est montrée frontalement. Pas
de risque de déréalisation de la violence par son exagération comme chez
Tarantino : l’injustice et l’horreur de l’esclavage y apparaissent comme
rarement vu au cinéma.
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Sauf que Tarantino est mille fois plus original
et inventif que McQueen. Surtout, cette représentation sans filtre de la
violence pose un problème de mise en scène propre à l’œuvre de McQueen : son
cinéma n’apparait plus que comme un cinéma de l’humiliation. « Hunger »,
« Shame » et « 12 years a slave » aujourd’hui : on est
en droit de se demander si la torture et l’humiliation ne sont pas les moteurs
de ses longs-métrages – ce qui est moralement assez perturbant.
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Il n’empêche : le film est d’une
extraordinaire émotion, porté par un acteur exceptionnel, Chiwetel Ejiofor, et
accompagné d’une superbe musique.
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Mais Hans Zimmer l’a composée en recyclant sans s’en
cacher l’un des thèmes de « Inception » de Christopher Nolan (2010) ! Ce
qui produit un sentiment bien étrange lors de la projection… est-ce un rêve ou
un cauchemar ?
On retiendra…
Emouvant et éprouvant grâce à
la puissance des cadrages et l’interprétation de Chiwetel Ejiofor, « 12 years a
slave » ressemble déjà un classique.
On oubliera…
Steve McQueen a trop souvent
recours à l’humiliation, Hans Zimmer se recycle sans vergogne.
« 12 years a slave » de Steve
McQueen, avec Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender, Benedict Cumberbatch,…
Bien qu’il
ait remporté le prix du public au festival international du film de Toronto, je
n’avais pas voté pour lui lors du festival (je lui avais préféré « La vied’Adèle – chapitres 1 et 2 », « Attila Marcel » et « Night
moves »), pour les raisons expliquées plus haut. Le réalisateur et une
large partie du casting s’était de nouveau déplacé à la deuxième projection du
film au TIFF – s’il manquait par rapport à la première Brad Pitt, Benedict
Cumberbatch et Paul Dano, Chiwetel Ejiofor et Michael Fassbender étaient là.
Steve McQueen |
Chiwetel Ejiofor |
Michael Fassbender |
Alfre Woodard et Lupita Nyong'o |
Les questions du public ont porté essentiellement sur le travail des acteurs : par exemple, comment peut-on incarner un être aussi abject que le personnage joué par Michael Fassbender ? En essayant de le comprendre, sans le juger mais sans l’excuser non plus a répondu celui-ci. Fait rare, Steve McQueen a demandé à prolonger l’échange avec le public alors que le directeur artistique du TIFF, Cameron Bailey, avait annoncé sa fin.
Un aperçu de la (très grande) salle du Ryerson Theatre |
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