Il aurait
dominé la compétition cette année à Locarno, ce qui lui a permis de décrocher
en toute logique le Léopard d’or. Quatrième réalisation du catalan Albert Serra,
il raconte l’improbable rencontre entre Casanova et le vampire Dracula. Le film
est intitulé malicieusement « Histoire de ma mort », en référence au
chef-d’œuvre du vénitien.
Radical et obscur
Derrière ce pitch des plus intrigants, se cache en fait un film très radical. Albert
Serra présente lui-même son cinéma comme « contemplatif »… et l’on ne
peut qu’abonder dans son sens. Les dialogues sont rares, de même que l’action.
Lorsque les personnages s’expriment, c’est souvent pour s’empêtrer dans des
conversations qui n’avancent pas et n’expriment finalement rien. Autant dire
que l’intrigue est difficile à saisir – il faut un certain temps avant de
comprendre qu’il y en a une. Les plans sont fixes, longs. L’image est très
granuleuse, donnant dans le meilleur des cas une impression picturale, dans le
pire celle d’un film fauché.
Le Casanova de Serra ne cesse de s’esclaffer et de
rire, en conséquence de chacune de ses actions. Une bien curieuse manière de
transcrire au cinéma la distanciation du vénitien, qui lui permettait de tirer
plaisir de tout et d’entretenir ce rapport si fécond avec la vérité lors de l’écriture
de ses Mémoires. On est d’abord surpris et amusé par les éclats de rire du
personnage, puis un peu mal à l’aise lorsque ceux-ci ne s’arrêtent pas et se
répètent de scène en scène. Ils deviennent même effrayants lors de la deuxième
partie, qui se déroule dans les Carpates, et où apparait Dracula.
Là encore, le Dracula de Serra ne ressemble guère à
celui de l’imaginaire populaire. Semblable physiquement à un empereur mongol,
il est muet et se contente de boire le sang de ses victimes, lors de ses
quelques apparitions. Son apparition dans le film est difficile à saisir – mais
y a-t-il vraiment un sens à chercher derrière tout ça ?
C’est
finalement l’obscurité-même du film – tant figurée que littérale – qui permet
au spectateur de maintenir son attention pendant les deux heures et demie du
long-métrage. Albert Serra a une manière unique de faire du cinéma. La
bizarrerie de ce qu’il montre ne cesse d’interloquer. Tout peut arriver dans « Histoire
de ma mort ». Mais la plupart du temps, il ne se passe rien.
On retiendra…
Le cinéma d’Albert Serra est à
nul autre pareil.
On oubliera…
Mystérieux et opaque, et donc
très exigeant, il est difficile de se laisser envoûter par le film.
« Histoire de ma mort »
d’Albert Serra, avec Vicenç Altaió i Morral, Elyseu Huertas Cos, Lluis Serrat
Masanellas,...
L'Art Gallery of Toronto, où se trouvait la salle de projection accueillant "Histoire de ma mort" au TIFF |
Devant l'entrée donnant accès à la salle de projection |
Lors de sa
présentation précédant sa projection au Festival International du Film de
Toronto, Albert Serra a prévenu le public du côté « contemplatif » de
son cinéma. Il pense avoir réussi avec son quatrième long-métrage son meilleur
film à ce jour. Après avoir ironisé sur les critiques décrivant « Histoire
de ma mort » comme un film sur « la beauté du mal et le mal de la
beauté », il a préféré présenter son film comme une œuvre sur « l’injustice
de la beauté… et la beauté de l’injustice » - « Ce qui ne veut rien
dire non plus » a-t-il conclu.
Le réalisateur Albert Serra |
Après la
projection, Albert Serra est revenu pour un échange avec le public qui n’avait
pas quitté la salle. Le réalisateur n’a pas voulu ou su répondre aux
interrogations des spectateurs avides d’explicitations, arguant que lors du
tournage il ne cherchait pas à comprendre ce qu’il faisait mais à capter la
performance réalisée par les acteurs. Il n’a qu’ensuite tenté de comprendre ce
qu’il avait tourné au moment du montage.
Un
spectateur lui a demandé des explications quant à la scène où l’on voit, dans
une étable, un sac d’excréments se transformer en or. Albert Serra répondit que
c’était – évidemment – une référence à l’alchimie, qui passionnait les
contemporains de Casanova, et qu’au-delà de cette référence, la scène n’avait
pas beaucoup de sens, sinon comme une métaphore de son travail de réalisateur
et de monteur sur ce film : « transformer de la merde en or ».
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