mercredi 26 juin 2013

Critique 144 (Room 237)

Si un film de Kubrick devait faire l’objet d’un documentaire sur ses interprétations, on aurait d’abord pensé à son chef-d’œuvre « 2001 : l’odyssée de l’espace » (1968). Et pourtant, c’est à « Shining » (1980) que Rodney Ascher consacre un étonnant documentaire, « Room 237 », sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs l’an dernier à Cannes – même s’il sera question, au début du film, de la révolution cinématographique que provoque, pour un spectateur, la première projection de « 2001 : l’odyssée de l’espace ».


Projection, fascination, obsession
« Room 237 » est un montage vidéo réalisé à partir d’extraits de films majoritairement issus de la filmographie de Kubrick, et surtout de « Shining ».  Ce montage met en lumière les explications fournies en voix-off par cinq « experts » de « Shining ». Jamais le film ne présentera explicitement le visage de l’un de ces experts : le sujet du documentaire étant l’obsession suscitée par le visionnage de « Shining » (et, plus généralement, celle suscitée par le cinéma), le film ne se séparera jamais de son sujet. Rodney Aschder s’est même amusé à insérer des images de « Shining » dans le cadre-même des extraits qu’il réutilise – on voit ainsi, au début du film, Tom Cruise dans « Eyes wide shut » regarder des photos du film d’horreur de Kubrick.
La description de ce procédé ne rend que faiblement compte du pouvoir exercé par « Shining » sur les cinq experts. Chez eux, la fascination dégagée par le mystère de « Shining » s’est muée en obsession : que veut dire « Shining » ? Que cache-t-il ? Ces cinq personnes présentent cinq théories, certaines solides et plus ou moins connues, d’autres tellement inattendues que leurs présentations sont hilarantes. Mais ce qui provoque le rire n’est pas l’invraisemblance des explications avancées : l’image est toujours là pour nous prouver que les détails relevés par l’expert sont bel et bien là. Car toutes les théories s’appuient sur des détails, parfois infimes, voire subliminaux – mais, encore une fois, bel et bien présents.
« Room 237 » est donc hautement passionnant, non seulement pour la présentation des différentes théories développées par ces « experts », mais aussi pour les questions qu’il pose sur le cinéma et l’art en général. Quelle est la part délibérée des détails relevés et analysés par les experts ? Ceux-ci vont jusqu’au faux-raccords. Ces détails sont-ils volontaires de la part de Kubrick ? Si des spectateurs ont pu les remarquer – parfois dès la première projection – se peut-il qu’ils aient échappé au réalisateur ? Le spectateur ne va-t-il pas injecter son propre sens dans une œuvre ?...
Des questionnements vertigineux qui montrent à quel point la projection d'un film appartient à ses spectateurs, qui sont capables, à leur tour, d’y projeter  tout… et son contraire. « Room 237 » s’avère donc être un documentaire capital sur le cinéma, plus que sur le seul film « Shining ».

On retiendra…
Des interprétations incroyables qui dévoilent toute la fascination que peut exercer un film et une œuvre d’art sur ses spectateurs. Des interprétations qui, farfelues ou non, ne font que grandir le génie de Stanley Kubrick.

On oubliera…
Rien.


« Room 237 » de Rodney Ascher, avec Bill Blakemore, Geoffrey Cocks, Juli Kearns, John Fell Ryan et Jay Weidner,…

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