Dès les
premières pages du « Fleuve des dieux », Ian McDonald donne le
tournis.
L’Inde de
2047 décrite par l’auteur dans « Le fleuve des dieux » est un
foisonnement de couleurs, de clameurs, d’odeurs. Un grouillement perpétuel de
population, créant une circulation monstre, animé d’une vie bouillonnante et
agitée – mais cependant organisée autour du calme, majestueux et éternel Gange,
dont l’eau n’a jamais été aussi basse. L’Inde de 2047 est en effet en proie à
la sécheresse du fait du réchauffement climatique, ce qui exacerbe les
inégalités sociales comme les tensions politiques aux frontières des différents
états qui la composent depuis la fin de l’Union. La majeure partie de l’action
du roman se déroule dans l’Etat du Bharat, connu pour sa réglementation plus
souple à l’égard des intelligences artificielles au QI dépassant celui de l’homme.
La banalisation des manipulations génétiques chez les classes les plus riches
et l’apparition d’un troisième genre asexué (« neutre »), ni masculin
ni féminin, sont encore d’autres composantes de ce futur imaginé par l’irlandais
Ian McDonald, dont la redoutable complexité se dévoile à chaque page de ce très
important roman. Pour parfaire l’inscription indienne, l’auteur use avec
abondance mais intelligence de vocables indiens, ce qui, allié à la complexité
de cette société, et la quasi frénésie sensorielle jaillissant de l’écriture de
McDonald, produit à la lecture cette impression de tournis évoquée en
introduction.
Profusion narrative
L’intrigue
du roman est développée via les trajectoires de neuf personnages principaux :
un trafiquant d’organes, deux chercheurs occidentaux en intelligence
artificielle, une jeune femme se disant capable de voir et de soutirer des
informations des dieux, un neutre travaillant dans les drames télévisés, un policier
« excommuniant » les IA illégales, son épouse, le premier ministre du
Bharat, une journaliste et l’héritier du géant de l’énergie indien. Chaque
chapitre du roman suit un de ses personnages. Leur diversité permet au lecteur de
saisir dans sa globalité cette incroyable société sortie de l’esprit d’Ian
McDonald.
Ce qui fait
indubitablement de « Le fleuve des dieux » un chef-d’œuvre, c’est sa
richesse. Par-delà l’inscription aussi dépaysante que convaincante de ce roman
de science-fiction sur les rives du Gange, cette richesse s’exprime tant dans les
composantes futuristes de cette société (IA, génétique, réchauffement climatique)
que dans la narration-même du roman. Les détails sont innombrables. McDonald a
créé une telle densité de situations que malgré son épaisseur, « Le fleuve
des dieux » se dévore : aucune des 624 pages page est inintéressante,
ou redondante. Le suivi en parallèle des neuf personnages participe aussi à la
relance constante de l’intérêt du lecteur pour cette histoire, dont – autre coup
d’éclat – l’enjeu principal ne se devine qu’à la moitié du roman ! McDonald
articule sans peine les préoccupations humaines et sensibles de ces personnages
avec le contexte politique, écologique, les données scientifiques et l’incontournable
sense of wonder. McDonald maîtrise à la perfection son intrigue et convoque pour
ce seul roman une bonne partie du spectre de la SF.
La
construction magistrale de « Le fleuve des dieux » est servie par une
langue magnifique, là encore très diverse. Elle réserve de nombreuses surprises
et est parfaitement rendue par Gilles Goullet, qui a dû déployer un bel effort
pour traduire ce texte envahi de termes indiens.
Ian McDonald
est assurément un des plus grands auteurs de science-fiction contemporains, dont
l’originalité de sa démarche (repousser la SF dans des territoires qu’elle pas
encore ou si peu pris en charge) s’accomplit ici dans un évident sommet
littéraire.
« Le fleuve des dieux » de Ian McDonald, traduit par Gilles
Goullet, Denoël-Lunes d’encre
Article réalisé à l’occasion
des 15 ans de la collection Lunes d’encre (opération « 15 ans, 15 blogs »),
merci à Gilles Dumay d’avoir permis à Ertemel d’y participer – longue vie
à la collection !
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