lundi 6 octobre 2014

Un roman-fleuve (Le fleuve des dieux)

Dès les premières pages du « Fleuve des dieux », Ian McDonald donne le tournis.
L’Inde de 2047 décrite par l’auteur dans « Le fleuve des dieux » est un foisonnement de couleurs, de clameurs, d’odeurs. Un grouillement perpétuel de population, créant une circulation monstre, animé d’une vie bouillonnante et agitée – mais cependant organisée autour du calme, majestueux et éternel Gange, dont l’eau n’a jamais été aussi basse. L’Inde de 2047 est en effet en proie à la sécheresse du fait du réchauffement climatique, ce qui exacerbe les inégalités sociales comme les tensions politiques aux frontières des différents états qui la composent depuis la fin de l’Union. La majeure partie de l’action du roman se déroule dans l’Etat du Bharat, connu pour sa réglementation plus souple à l’égard des intelligences artificielles au QI dépassant celui de l’homme. La banalisation des manipulations génétiques chez les classes les plus riches et l’apparition d’un troisième genre asexué (« neutre »), ni masculin ni féminin, sont encore d’autres composantes de ce futur imaginé par l’irlandais Ian McDonald, dont la redoutable complexité se dévoile à chaque page de ce très important roman. Pour parfaire l’inscription indienne, l’auteur use avec abondance mais intelligence de vocables indiens, ce qui, allié à la complexité de cette société, et la quasi frénésie sensorielle jaillissant de l’écriture de McDonald, produit à la lecture cette impression de tournis évoquée en introduction.



Profusion narrative
L’intrigue du roman est développée via les trajectoires de neuf personnages principaux : un trafiquant d’organes, deux chercheurs occidentaux en intelligence artificielle, une jeune femme se disant capable de voir et de soutirer des informations des dieux, un neutre travaillant dans les drames télévisés, un policier « excommuniant » les IA illégales, son épouse, le premier ministre du Bharat, une journaliste et l’héritier du géant de l’énergie indien. Chaque chapitre du roman suit un de ses personnages. Leur diversité permet au lecteur de saisir dans sa globalité cette incroyable société sortie de l’esprit d’Ian McDonald.
Ce qui fait indubitablement de « Le fleuve des dieux » un chef-d’œuvre, c’est sa richesse. Par-delà l’inscription aussi dépaysante que convaincante de ce roman de science-fiction sur les rives du Gange, cette richesse s’exprime tant dans les composantes futuristes de cette société (IA, génétique, réchauffement climatique) que dans la narration-même du roman. Les détails sont innombrables. McDonald a créé une telle densité de situations que malgré son épaisseur, « Le fleuve des dieux » se dévore : aucune des 624 pages page est inintéressante, ou redondante. Le suivi en parallèle des neuf personnages participe aussi à la relance constante de l’intérêt du lecteur pour cette histoire, dont – autre coup d’éclat – l’enjeu principal ne se devine qu’à la moitié du roman ! McDonald articule sans peine les préoccupations humaines et sensibles de ces personnages avec le contexte politique, écologique, les données scientifiques et l’incontournable sense of wonder. McDonald maîtrise à la perfection son intrigue et convoque pour ce seul roman une bonne partie du spectre de la SF.
La construction magistrale de « Le fleuve des dieux » est servie par une langue magnifique, là encore très diverse. Elle réserve de nombreuses surprises et est parfaitement rendue par Gilles Goullet, qui a dû déployer un bel effort pour traduire ce texte envahi de termes indiens.
Ian McDonald est assurément un des plus grands auteurs de science-fiction contemporains, dont l’originalité de sa démarche (repousser la SF dans des territoires qu’elle pas encore ou si peu pris en charge) s’accomplit ici dans un évident sommet littéraire.

« Le fleuve des dieux » de Ian McDonald, traduit par Gilles Goullet, Denoël-Lunes d’encre


Article réalisé à l’occasion des 15 ans de la collection Lunes d’encre (opération « 15 ans, 15 blogs »), merci à Gilles Dumay d’avoir permis à Ertemel d’y participer – longue vie à la collection !


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