« Et rien d’autre » ne raconte
effectivement rien, si ce n’est la vie banale d’un éditeur new-yorkais, vétéran
de la Guerre du Pacifique, prénommé Philip Bowman. Le héros du roman n’en est
pas littéralement un, puisque Bowman ne fera rien d’héroïque de sa vie. C’est
un américain quelconque qui, tout au long de sa vie, cherchera le bonheur,
notamment chez les femmes, et sera invariablement déçu. Salter nous fait suivre
par ellipses la vie de Bowman à travers la seconde moitié du XXème
siècle, mais sans chercher à lui trouver une quelconque qualité extraordinaire.
La preuve étant que Salter écrit parfois des chapitres sur ce que vivent les
autres hommes ou femmes ayant croisé Bowman dans des moments qui ne le
concernent plus, accentuant la sensation que Philip Bowman n’est qu’un homme
parmi d’autres.
Il y a
peut-être deux manières de voir ce dernier livre en date de James Salter, paru en
France dix ans après son précédent roman, alors que l’auteur approche des 90
ans.
On peut y
voir la capture dans un peu moins de 400 pages d’une vie entière d’un homme du
XXème siècle, une œuvre reflétant une époque, une œuvre qui rend palpable le
temps qui passe à l’échelle d’une existence. Ce « rien d’autre » du
le titre assure alors au roman toute son universalité et son émotion. L’écriture-même
de Salter poursuit ce refus de l’extraordinaire : ces phrases, plutôt
courtes, sont très fluide, et s’écoulent comme les grains dans un sablier, mais
ne contiennent aucun coup d’éclat. C’est juste ça, et c’est tout ça (« All
that is », le titre original), la vie de Philip Bowman.
Le
problème, c’est qu’on peut aussi n’y voir que le rien, dans cette histoire. Et
c’est ce que j’y ai plutôt vu. « Et rien d’autre » apparaît alors
comme un roman aussi banal que la vie qu’il raconte, un roman au style plat, un
roman insignifiant. Saisir le temps qui passe est-il vraiment à la portée de la
littérature ? En tout cas, pas de cette œuvre. La lecture de « Et
rien d’autre » m’a sans cesse évoqué le film « Boyhood » de
Richard Linklater, où l’on voit grandir un enfant filmé en temps réel. A chaque
raccord temporel de l’œuvre de Linklater se déployait l’émotion profonde du
temps qui passe, alors que seul le temps de la lecture semblait s’être écoulé
entre chaque chapitre de la vie de Philip Bowman. Tout aurait pu être différent
si le style de Salter s’était avéré éblouissant, mais il restera aussi remarquablement
concis, sobre et attaché au quotidien de la première à la dernière page.
« Et
rien d’autre » ou « All that is » : il y a donc bien deux
lectures possibles de ce roman.
« Et rien d’autre » de James Salter, aux éditions de l’Olivier
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