mardi 27 août 2013

Abîme... intentionnel ? (The canyons)

C’est dernièrement un des films qui a le plus agité la toile (celle du web, avant celles des salles obscures). Et pour cause : « The canyons » de Paul Schrader ressemble à l’inauguration d’une nouvelle manière de faire du cinéma. Réalisé avec un budget de 250 000 $, dont plus de la moitié a été financée par les internautes via la plateforme Kikstarter, « The canyons » a été produit entièrement en-dehors des circuits traditionnels et est un nouvel exemple, après « Rubber » de Quentin Dupieux (2010) des extraordinaires transformations des modes de production qu’apporte le numérique.
Une production rendue possible grâce à son casting très sulfureux (Lyndsay Lohan, James Deen, mais aussi le réalisateur Gus Van Sant,…), à son scénariste qui ne l’est pas moins (Bret Easton Ellis) et le nom de son réalisateur (plus connu en tant qu’auteur des scénarios de « Taxi driver » et « Raging bull »). Tournage houleux que l’on pouvait suivre en direct sur Twitter, trailers très originaux suscitant l’attente, puis réception critique qu’il serait un euphémisme de qualifier de partagée… Avant sa projection, « The canyons » ne pouvait déjà pas laisser indifférent.


Tant d’imperfections…
Après sa projection, « The canyons » ne peut pas non plus laisser indifférent. Que se cachait-il derrière cette micro-folie médiatique ? En lieu et sus du thriller sombre et érotique annoncé, voici un film d’une extrême froideur. Mais pas la froideur clinique des derniers films de Steven Soderbegergh (« Contagion », « Effets secondaires ») : une anesthésie émotionnelle, pas loin d’être funèbre, qui contamine la matière-même du film. On reste ébahi devant la mise en scène qui semble brouillonne, amateur, et qui frappe dès la première scène du film – mais plus encore, on reste médusé par la direction d’acteurs extrêmement… aléatoire. Le casting est un concours d’inexpressivité, où personne ne semble à sa place. Le plus stupéfiant est la performance de Lyndsay Lohan, qui ne semble pas être revenue de ses frasques. Son visage abîmé, sa voix rocailleuse et son corps reconstruit lui donne l'allure et les geste d'un zombie.

… signifient une intention
De quoi, déjà, faire de « The canyons » un film exceptionnel… mais pour de mauvaises raisons. Cependant, on aurait tort de s’arrêter là. Le film surprend énormément et suscite la réflexion. L’échec est-il artistiquement volontaire ? Le sous-texte du film incite à le penser. Dès sa promotion, « The canyons » se présentait comme un film racontant la mort du cinéma. L’intrigue est découpée en chapitres signalées par des pauses dans la narration où se suivent des plans fixes de cinéma abandonnés, tombant en ruines. L’histoire se passe à Los Angeles, ses personnages principaux sont des acteurs et des producteurs. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ceux-ci ne sont pas intéressés par le cinéma en tant qu’art.
L’en-dehors du film a aussi énormément d’importance : la méthode de production choisie, la diffusion atypique du long-métrage (sorti dans quelques salles en Amérique du Nord et en VOD, un mois avant sa projection hors-compétition à Venise – le réalisateur du film faisant parti du jury), le buzz sur le web qui est devenu plus remarquable que l’œuvre en elle-même… tout participe à cette logique funéraire. Que vient renforcer le sentiment de ne pas voir les acteurs interpréter des personnages mais eux-mêmes.
Le vide du film ne peut donc qu’être l’expression de cette entreprise bizarre : en plus de la raconter, Paul Schrader exprime la mort du cinéma en démolissant sa « dernière » œuvre. Une bien étrange proposition.

On retiendra…
Défauts trop apparents pour ne pas être volontaire, « The canyons » est un jeu… voire une provocation. L’interprétation ravagée Lyndsay Lohan.

On oubliera…
C’est là le plus bizarre : les défauts du film peuvent être classés en qualités, et vice-versa.

« The canyons » de Paul Schrader, avec Lyndsay Lohan, James Deen, Gus Van Sant,…

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