jeudi 25 février 2016

Pépite finale (Le trésor)

Il y a des films qui vous marquent à jamais. Des bons, comme des mauvais. « Policier, adjectif » appartenait sans conteste à cette deuxième catégorie. J’ai déjà raconté ici l’incroyable projet artistique de ce film, qui peut se résumer à filmer l’ennui de manière ennuyeuse, et qui avait valu à son réalisateur Cornelio Porumboiu le prix du jury à « Un certain regard » en 2009. En 2015, il revenait à Cannes avec un nouveau film, « Le trésor », qui a lui-aussi été récompensé d’un prix à « Un certain regard ». C’était forcément intrigant. Il fallait retenter l’expérience du cinéma de Porumboiu.


Austère jusque dans son humour
L’argument de « Le trésor » est, comme l’indique son titre, une chasse au trésor. Ne pas s’imaginer pour autant un film d’aventure : le projet cinématographique de Porumboiu n’a pas changé depuis « Policier, adjectif », soit filmer le quotidien dans ce qu’il a de plus déceptif et ordinaire, jusqu’à l’absurdité. Le héros, Costi, se voit proposer par son voisin endetté jusqu’au cou de rechercher dans le jardin d’une maison familiale un trésor supposé enterré avec un détecteur de métal. Dans ce film, on verra donc beaucoup les personnages du film scanner un jardin et y creuser un trou, mais on verra surtout Costi batailler avec l’administration (celle de son employeur, du loueur de détecteur de métal, la police, la banque), dont l’inertie et la corruption seront épinglées avec l’efficacité lente et minimale qui caractérise la réalisation (le film dresse ainsi en filigrane un portrait de la Roumanie d’aujourd’hui).
La forme de « Le trésor » est tout aussi austère que celle de « Policier, adjectif », et donc tout aussi inintéressante – n’était que, contrairement à ce dernier, il y a ici de l’humour. L’histoire toute entière du film est doucement absurde. Voir les efforts que doit déployer le héros pour réaliser cette action toute simple qu’est la location d’un détecteur de métal – il devra finalement mentir – fait sourire. C’est un humour particulier, original, car à combustion si lente… qu’il peut passer inaperçu. On se rend souvent compte, après coup, que ce qu’on avait vu était drôle. Cette forme d’humour est théoriquement intéressante, mais peu divertissante. C’est là tout le problème du travail de Porumboiu : sa mise en scène vaut bien plus sur le plan théorique (c’est original) que sur le plan pratique (on s’ennuie beaucoup).

Ahurissant final
A de rares moments, cependant, le minimalisme comique produit un comique gigantesque, comme lorsqu’un détecteur de métal se met à sonner en permanence au cours d’un scan. Et il y a, surtout, cette fin, qui laisse le spectateur dans un état de sidération presque infini devant le mystère absurde de cette pirouette formelle finale. La caméra s’envole dans le ciel, puis se fixe sur le soleil, pendant que commence une reprise métal de « Live is life » complètement incongrue. Ce final sauve in extremis le film de l’ennui, pour l’abîme de perplexité comique qu’il ouvre et  duquel je ne suis toujours pas ressorti.

On retiendra…
Le final, un monument d’absurdité, qui vous poursuit bien après la projection.

On oubliera…
La mise en scène minimale est terriblement austère, et l’humour si lent, parfois imperceptible, ne suffit pas toujours à réveiller le spectateur.


« Le trésor » de Corneliu Porumboiu, avec Toma Cuzin, Adrian Purcărescu,…

lundi 15 février 2016

Tomber dans le nanar (Point break)

Peut-on juger un remake, sans connaitre l’original ? Je n’ai pas vu le « Point break » de Kathryn Bigelow datant de 1991, et ne pourrais donc pas le comparer avec son remake de 2015, réalisé par l’inconnu Ericson Core et écrit par Kurt Wimmer. Mais, au moment d’en faire la critique, cela a-t-il une quelconque importance, lorsque ce qu’il y a à juger est aussi faible ? Ce « Point break » est un très mauvais film… Pourtant, il échappe à la catégorie des films sitôt vus, sitôt oubliés. Ce qui le sauve du désintérêt, c’est qu’il est tellement nul… qu’il en devient génial.



Publicitaire
L’intention de départ ayant guidé la réalisation de ce remake semble avoir été le rassemblement dans un seul film des images les plus spectaculaires circulant dans les vidéos de sports dits « extrêmes » : surf, escalade, vols en chute libre, snowboard, motocross, apnée… Jusqu’au combat de rue, le film catalogue l’un après l’autre ces sports extrêmes, dans un systématisme qui ôte bien vite tout réalisme et donc tout frisson aux exploits présentés, mais qui atteint effectivement à un spectaculaire original. L’autre risque de cette entreprise de listage d’images sportives hors du commun était de conférer à ce film de cinéma des allures de clip YouTube… Ecueil que « Point break » cite dès ses premières répliques, mais pas tant pour s’en moquer que pour mieux s’y vautrer tout au long des deux heures de film qui suivent.
Les personnages n’ont aucune crédibilité, aucune profondeur, et sont en définitive moins des personnages de cinéma que de clips publicitaires. La mise en scène est à l’avenant : elle se distingue par son manque de lisibilité, son incapacité à représenter un espace voire des gestes de manière claire. C’est que les séquences, qu’elles soient ou non d’action, sont toutes montées comme des clips, faisant fi de toute cohérence pour lui préférer le spectaculaire de quelques plans impressionnants.

Confusion morale
Derrière tout ça, surnagent non pas un mais des discours, qui ne cessent de s’opposer et de se contredire. « Point break » valorise la prise de risques dans la pratique des sports extrêmes, puis la dénonce quelques séquences plus loin, promeut ensuite un comportement antisystème, avant de s’en horrifier… Le film est d’une grande confusion, moralement flou. On s’en aperçoit lorsqu’on se rend compte qu’on peut lui faire dire n’importe quoi. Ce flou des intentions était déjà présent dans le scénario qui aurait mérité de nombreuses réécritures, mais a encore été accentué par les facilités de la réalisation qui achèvent de brouiller les pistes. Dans ses représentations des différents sports extrêmes, le film accumule une telle brochette de clichés et de raccourcis qu’on pense d’abord avoir à faire à une mise en scène parodique, avant de se rendre compte que ce qu’on percevait comme du second degré était du premier.
C’est de ce décalage[1], ce sérieux confinant à son insu à la parodie, et de cette naïveté mélangée à une gravité de pacotille, que nait le comique du film. Vu avec le recul approprié, la nullité se transforme en génie. C’est la définition-même du plaisir que procure un nanar.

On retiendra…
Des scènes d’action originales, car basées sur des exploits sportifs rarement exploités par le cinéma d’action.

On oubliera…
Acteurs bidons pour personnages publicitaires, scénario brouillon, réalisation plus digne d’un clip, intentions floues, le tout enrobé d’un grand sérieux : en résumé, un nanar.

« Point break » d’Ericson Core, avec Luke Bracey, Edgar Ramirez,…



[1] Que l’on retrouvait déjà dans (au moins) un autre des films écrits par Kurt Wimmer : « Equlibrium » (2002, et dont il était aussi réalisateur). Une marque de fabrique ?

samedi 16 janvier 2016

Du Rocky bien conservé (Creed, l’héritage de Rocky Balboa)

La carrière au cinéma de Sylvester Stallone ressemble à un gag relevant du comique de répétition : on ne peut parler d’elle qu’avec des verbes en « re- ». En 1976 il incarne le boxeur de Philadelphie Rocky dans le film éponyme. Rôle qu’il reprendra ensuite cinq fois jusque 2006 (« Rocky Balboa »). En 1982 il incarne le vétéran de la guerre du Vietnam Rambo dans le film éponyme. Rôle qu’il reprendra trois fois jusque 2008 (« John Rambo »). En 2010 il interprète Barney Ross, chef des « Expendables ». Rôle qu’il reprendra – pour le moment – deux fois jusque 2014… Pour ce début d’année 2016, Stallone fait encore son retour. Dans « Creed », il reprend son personnage de Rocky Balboa, cette fois non plus pour boxer – dans le film, il n’en a plus l’âge – mais pour entraîner le fils de son ex-meilleur ennemi, Apollo Creed…


L’héritage
Il avait juré après « Rocky Balboa » que ce film serait le dernier de la saga Rocky. On avait regardé le film avec l’émotion des adieux. Ce projet de « spin-off » à la saga Rocky, qui lui permet vaguement de faire une suite sans se parjurer, agaçait donc et faisait craindre le pire. Or, on avait tort.
La réalisation et l’écriture de « Creed » ont été confiées à un jeune réalisateur prometteur (c’est son deuxième film), Ryan Coogler. Combats de boxe à l’issue incertaine, entraînement rythmés par le célèbre thème de Bill Conti, drames familiaux : Coogler reprend tous les codes de la saga Rocky. Et les revitalise. Il réussit à les inscrire dans une nouvelle émotion, car double, entre nouveauté (l’ascension déjà émouvante d’Adonis Creed, très bien joué par Michael B. Jordan) et nostalgie : le film est (évidemment) tissé de références à la saga Rocky, mais joue avec adresse de cet héritage. A l’image de la bande originale : signée Ludwig Göransson, elle réinterprète les thèmes immortels de Bill Conti (auxquels la saga doit beaucoup) mais en surprenant toujours le spectateur, car au moment où l’on pense reconnaitre un thème et deviner la suite de la musique, celle-ci dévie toujours dans une autre direction.
Et puis, surtout, il y a Sylvester Stallone. Le retour vieilli de légendes passées est à la mode en ce moment (Schwarzenegger dans « Terminator Genysis », Harisson Ford dans « Star Wars VII ») mais il est ici particulièrement touchant et émouvant. Stallone rappelle enfin qu’il est un vrai acteur, ce que ces derniers rôles de musclor dans la série des « Expandables » avait fait oublier. Au milieu du film, on est pris à la gorge par ce qui lui arrive. Ajouter à cela deux combats de boxe d’anthologie, qui constituent deux modèles de mise en scène du genre. Le premier nous plonge en immersion totale sur le ring avec Adonis Creed, puisqu’il s’agit d’un impressionnant (et inédit ?) plan-séquence à ses côtés, de son entrée dans l’arène jusqu’à la fin du combat. Le deuxième, dans une forme plus classique mais pas moins efficace, alterne entre les points de vue à la troisième personne avec commentaires des présentateurs dramatisant l’action et effets de mise en scène lors des péripéties de ce combat.
          Entre ivresse du sport et nostalgie du passé, « Creed » n’est que de l’émotion. Le film réussit l’exploit, qui paraissait impensable, de donner très envie de découvrir sa suite…

On retiendra…
Stallone a-t-il déjà été aussi émouvant ? La réactivation de la recette « Rocky » est réussie au-delà de toute espérance.

On oubliera…
Des rebondissements sont téléphonés, notamment l’histoire d’amour.


« Creed » de Ryan Coogler avec Michael B. Jordan, Sylvester Stallone, Tessa Thompson,…

samedi 9 janvier 2016

Du Tarantino en conserve (Les huit salopards)

Film de gangster, film d’arts martiaux, film de guerre, et enfin western : de « Reservoir dogs » à « Django unchained », Quentin Tarantino a exploré à chaque nouveau film un genre différent, toujours plus ou moins hybridé avec d’autres, jusqu’au western donc. Or, pour son huitième film, Tarantino se « répète » pour la première fois, et retourne sur les terres du western. C’est peut-être de là que vient la première déception éprouvée en regardant le film : d’une manière inédite, le spectateur est en terrain connu face à un nouveau film de Tarantino.


Western théâtral
Difficile cependant de reprocher à QT sa passion pour le western, raison qui l’y fait s’y replonger, surtout qu’il le fait très bien et « en grand » (au moins dans la première partie) : tournage en 70 mm et photographie somptueuse, décors enneigés flamboyants, costumes magnifiques… et musique (originale) d’Ennio Morricone ! Sauf que tout ceci se retrouve bientôt confiné dans la (grande) pièce unique d’une auberge, qui servira d’abri aux « huit salopards » du titre français, pendant que le blizzard sévira à l’extérieur. Huit personnages à l’identité incertaine, qui chercheront à se connaitre, puis – évidemment chez Tarantino – à se tuer, une fois que le passé de chacun sera déterré. Ce huis-clos enneigé où tout n’est que faux-semblant et où la violence sourd, rappelle le terrifiant « The thing » de John Carpenter. Ça ressemble aussi à une pièce de théâtre, avec cette unité de lieu, de temps, d’action – ce qui n’est pas sans humour, eu égard au prestige du 70 mm avec lequel Tarantino a tourné cette histoire (le format associé aux grandes épopées)…
Narration éclatée en un puzzle temporel de chapitres, dialogues longs et tortueux, pleins de violence mais toujours prononcés avec une exquise civilité, flash-backs, insertions de chansons modernes, répétition d’une scène sous un autre angle, coup de théâtre souterrain… et explosions de violence gore : Tarantino reprend toutes les ficelles formelles de son cinéma, dans ce film qui ressemble à un condensé de son œuvre. C’est donc très bien… mais l’on aurait quand même aimé plus de fraîcheur : en refaisant un western, Tarantino frôle pour la première fois la redite. Ceci peut s’illustrer par un point du film en particulier : la manière dont Tim Roth est dirigé. De ses intonations à sa gestuelle, Tim Roth imite – parfaitement – Christoph Waltz. Ce dernier était-il indisponible pour le tournage (à cause de « 007 Spectre ») ? Lors de la projection, cette imitation crée une confusion, et interroge sur le degré d’inspiration du réalisateur qui n’a peut-être pas su réécrire un rôle imaginé pour un autre.

Malaise
Mais ces quelques problèmes sont des détails à côté de ceux que posent ici les provocations violentes et racistes de Tarantino. On sait bien que QT n’est pas raciste – comment aurait-il pu écrire et réaliser « Django unchained » sinon ? – mais il va trop loin dans « Les huit salopards ». Ce n’est plus du rire qu’il provoque, mais du malaise.
L’origine de ce malaise vient du fait que le film n’est pas adossé à une entreprise de vengeance historique comme « Django unchained » ou « Inglorious basterds » – même si « Les huit salopards » n’est pas pour autant déconnecté de toute ambition historique, puisqu’il évoque les fractures sociales et les rancœurs laissées par la guerre de Sécession. De plus, aucun des « huit salopards » n’est à sauver. Or, un personnage tarantinesque est toujours monstrueux, proche de la caricature. Tous les personnages seront donc rendus abjects au cours du film. En absence de héros positif, et d’entreprise de correction de l’Histoire, Tarantino semble ne tenir aucun discours, et sa manière de montrer le racisme de l’époque ou de représenter la violence apparait alors comme gratuite et complaisante. A croire que Tarantino voulait donner raison à ses détracteurs de toujours ! Après deux films aussi formidables que « Inglorious basterds » et « Django unchained », c’est d’autant plus inattendu et regrettable.
Au lieu d’un grand film sur l’Amérique, « Les huit salopards » ressemble donc plutôt à un huis-clos très bien construit, mais tournant à vide.

On retiendra…
C’est toujours avec grand plaisir que l’on retrouve la forme Tarantino. L’amour que met le réalisateur à ressusciter le western.

On oubliera…
Sans justification évidente, les explosions de violence et les incessantes insultes racistes apparaissent comme gratuites et provoquent le malaise.

A noter :
Quentin Tarantino a convaincu ses distributeurs d’exploiter « Les huit salopards » en 70 mm, avec une ouverture et un entracte. C’est avec un immense plaisir que l’on assiste à cette projection qui revêt alors un caractère exceptionnel et rappelle l’époque classique des grands films hollywoodiens, que l’on ne pouvait plus que vivre par le biais de projections DVD. Gros bémol cependant : ce bonheur ne sera que très difficile d’accès, avec une seule copie 70 mm pour toute la France…


« Les huit salopards » de Quentin Tarantino, avec Samuel L. Jackson, Kurt Russell, Jennifer Jason Leigh,…

vendredi 1 janvier 2016

Top 15 des films de 2015


C’est l’un des meilleurs moments d’une année cinéphile : l’établissement du top des meilleurs films de l’année. On pourrait parler à son propos de tradition, tant sa pratique est répandue. Elle en effet est tellement jouissive : elle transforme les séances de projection d’une année en une traque, celle du meilleur film. En 2016, comme en 2015, et comme les années précédentes, les films défilent jusqu’à ce qu’il y en ait un qui marque la mémoire… On le place alors provisoirement en tête du top de l’année en cours. Mais loin d’apporter une quelconque satisfaction, il ne fait que relancer la recherche du meilleur film : pourra-t-il être détrôné ? Cette année tout semblait être joué le 14 mai 2015 lorsque est sorti « Mad Max :Fury Road ». J’ai déjà dit ici et tout l’importance de ce film hors norme, ce blockbuster d’auteur intelligent et fou qui représente un cinéma à grand spectacle qu’on croyait disparu (et dont « Sorcerer », ressorti cette année, est un éminent représentant). Ça parait dingue pour le quatrième épisode d’une saga commencée en 1979 mais « Mad Max : Fury Road » est aussi le film qui aura le plus résonné avec l’actualité de 2015, car en sus d’être une fable écologique, c’est le seul film de l’année qui parlait du fanatisme religieux, et s’en moquait.

3. Cemetery of splendour
5. The lobster
6. Trois souvenirs de ma jeunesse
7. L'ombre des femmes
9. Taxi Téhéran
11. Valley of love
12. Dheepan
13. Réalité
14. Journal d'une femme de chambre
15. Vincent n'a pas d'écailles

Et pourtant, le film de George Miller ne figure qu’à la deuxième position de ce top 15. J’ai déjà exprimé ici ma gêne à propos de « Le fils de Saul », des questions que sa mise en scène pense résoudre sans toutefois y parvenir. J’ai hésité… mais bien qu’il soit imparfait, le film de László Nemes ne pouvait pas figurer ailleurs qu’en première place. Non seulement pour le choc que sa projection représente, mais surtout parce que c’est sans conteste l’acte cinématographique le plus courageux et réfléchi qu’il ait été donné de voir cette année. Ce film est historique dans les deux sens du terme.
Deux autres films ont été très durs à placer : « Il est difficile d’être un dieu » et « Knight of cups ». Le monstre posthume d’Alexeï Guerman, (que j’avais vu en 2014) est tellement démesuré et tellement exténuant à regarder aussi que lui donner une place était un casse-tête. Notons que ce film désespéré, qui n’appartient à aucune époque, traite aussi du fanatisme religieux, et de ses conséquences… Quant au film de Terrence Malick, il creuse – même si c’est d’une manière unique, si admirable, que j’ai déjà louée ici –  la même veine que ses deux films précédents sortis en 2011 et 2013. Ça n’aurait pas de sens de faire figurer tout en haut de trois des cinq derniers tops les films de Malick… désormais si prolifique.

lundi 21 décembre 2015

De la Force en conserve (Star Wars VII, le réveil de la Force)


-          Jamais un film n’avait été aussi attendu. Alors, pour marquer ce retour, nous avons nous-aussi voulu faire notre retour…
-          Même si, après notre dernière apparition, tout le monde nous avait oubliés…
-          Au contraire de « Star Wars VII » : depuis le rachat de Lucasfilm par Disney en octobre 2012, et l’annonce de la mise en chantier de ce nouvel épisode, ce film est devenu l’horizon de toutes les sorties cinématographiques. Lister les raisons qui font que « Star Wars VII » suscite une telle passion et génère une telle attente dans le monde entier serait aussi long que sa critique elle-même.
-          Alors… on s’en abstiendra. Aussi parce qu’on n’est pas particulièrement fan de la saga « Star Wars » – elle a été complètement sabordée entre 1999 et 2005 par son propre créateur, George Lucas. Après les trois nanars que sont « La menace fantôme », « L’attaque des clones » et « La revanche des Sith », elle semblait morte et enterrée.
-          Mais voilà, en rachetant la saga, Disney a eu deux excellentes idées qui laissaient augurer du meilleur : virer Lucas de la création des prochains épisodes, et engager JJ Abrams pour relancer la franchise, lui qui avait fait renaître de ses cendres « Star Trek ».
-          D’où l’espoir avec « Le réveil de la force » de voir un film gigantesque, un film-monument. Espoir qui, par la magie du marketing, a pris des proportions complètement irrationnelles.
-          Ce qui doit aussi participer, quelque part, à notre déception à la fin de la projection…
-          Soyons clairs : « Le réveil de la force » n’est pas du tout un mauvais film. La note que nous avons attribuée au film est là pour le prouver. Mais il est bien loin du choc annoncé et espéré. En cause : le trop grand respect de ce nouvel épisode à la forme quasi « canonique » des films « Star Wars ». JJ Abrams et ses scénaristes ont certes apporté quelques nouveautés mais se sont montrés par ailleurs si conservateurs sur la forme comme sur le fond que le film a des allures de compromis permanent.
-          Quelle meilleure illustration pour expliquer ce compromis entre nouveauté et conservatisme que le scénario de cet épisode VII ? Il s’agit ni plus ni moins qu’un remake de l’épisode IV de la saga « Star Wars ». Ainsi, quelques secondes à peine après l’excitation de constater que j’allais vraiment voir ce fameux épisode VII (l’apparition du premier carton du film, « Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine », a provoqué une salve d’applaudissements et des cris de joie dans la salle), j’ai été déçu d’apprendre dans le carton défilant que ce nouvel épisode, et la trilogie qu’il annonce, reproduisait à l’identique le cadre narratif des épisodes IV, V, VI : il s’agit encore pour un groupe de résistants de lutter contre une dictature.
-          Comme si « Star Wars » ne pouvait pas raconter autrement l’éternel combat entre le « Bien » et le « Mal » ! Seuls les noms ont changé : l’Empire est devenu le Premier Ordre, et la Rébellion est appelée de manière moins subtile la Résistance (en règle générale, les références à la Seconde Guerre Mondiale paraissent plus appuyées dans cet épisode que dans ceux auxquels il fait suite).
-          Exactement ! Le carton n’avait même pas fini de défiler que j’avais déjà envie de dire à Disney : « Mais arrêtez de nous rassurer, prenez des risques ! ». « Le réveil de la force » a été pensé comme un « miroir augmentant » de l’épisode IV – il s’agit en effet de la même histoire, mais « mise à jour » avec des variations qui l’améliorent. Pour ne développer qu’un seul exemple : les deux personnages principaux sont une femme et un noir, ce qui tranche (et c’est bienvenu) avec l’absence de diversité dans le casting des épisodes précédents. C’est vraiment très bien fait (pour garder le même exemple : Daisy Ridley et John Boyega sont excellents, surtout lorsqu’ils sont ensemble) mais un reflet, même augmenté, ne saurait autant surprendre qu’une nouveauté.
-          Et tu accuses Disney ? Tu veux croire que cette idée de reprendre la trame de l’épisode IV a été imposée à Abrams par Disney pour sécuriser la réception du film auprès des fans… Alors qu’il s’agit peut-être d’une idée d’Abrams : pour le deuxième film de la nouvelle saga « Star Trek », « Star Trek intro darkness », il avait déjà réalisé un remake « en miroir » de la fin de « Star Trek 2 : La colère de Khan ». Le recyclage a toujours été la marque de fabrique du cinéma d’Abrams mais, poussé à ce point de décalcomanie sur « Star Wars VII », il redevient une faiblesse plutôt qu’une qualité.
-          Je me pose la même question sur la réalisation du film. Là aussi, j’espérais plus d’audace : Abrams reproduit très fidèlement la mise en scène des épisodes « Star Wars ». Le réalisateur semble s’être effacé derrière les codes visuels et narratifs développés dans la première trilogie. On se doutait bien qu’il allait garder les transitions si caractéristiques de « Star Wars »… mais on ne s’attendait quand même pas à ce qu’il garde la réalisation plan-plan de Lucas pour les scènes d’action. Le combat au sabre laser final semble ainsi complètement anachronique tant il est pataud et peu spectaculaire. Quelle était la réelle intention d’Abrams ? Voulait-il vraiment singer cette réalisation « à l’ancienne » de Lucas, ou a-t-il été forcé de le faire par Disney ?
-          Ça sent encore le compromis… On pourrait en outre ajouter l’utilisation de la 3D, très pauvre, Abrams ne jouant presque pas avec : elle semble vraiment avoir été imposée. Et pourquoi les batailles spatiales n’ont-elles pas été filmées en HFR ?
-          Cela dit, on fait beaucoup de reproches, mais je te rappelle qu’on a aimé le film ! On s’exprime en fait sur une déception par rapport à ce qu’aurait dû être « Star Wars 7 »… Le film tel qu’il est n’est pas du tout mauvais. La formule « Star Wars » n’a jamais aussi bien fonctionné, avec un récit mené tambour battant qui ne faiblit pas en basculant régulièrement sur différents fils narratifs, et accumule les péripéties. L’humour fonctionne souvent.
-          Surtout, le film use avec intelligence du « passé » de la saga « Star Wars », devenue avec le temps une véritable mythologie contemporaine. La meilleure idée des scénaristes est d’avoir fait coïncider la durée de l’ellipse entre la fin de l’épisode VI et le début de l’épisode VII avec la durée ayant séparée la sortie des deux films (32 ans). Les personnages de la première trilogie réapparaissent donc dans cet épisode VII, ce qui provoque une certaine émotion, grandement avivée par le fait que les acteurs les interprétant ont vieilli « en vrai » de trente ans ! De la même manière, le film fait se confondre la mythologie créée par la première trilogie dans notre société avec celle dans laquelle vivent les personnages du film. Les événements racontés dans les épisodes IV, V, VI sont devenus des légendes pour les nouveaux personnages de l’épisode VII. Rey vit ainsi dans les ruines de l’épisode VI (superbes décors) et pense, comme tout spectateur de « Star Wars », que Luke Skylwalker est un mythe. Lorsqu’on lui apprend que celui-ci existe bel et bien et qu’on lui assure que la Force existe, ces informations résonnent avec les propres rêves du spectateur, les chargeant d’un poids émotionnel que seul le temps a pu créer.
-          L’idée de faire de la recherche de Luke Skylwalker le point focal du scénario, et de retarder son apparition jusqu’aux dernières secondes du film est donc très fort, cette idée jouant habilement avec la disparition médiatique de l’acteur Mark Hamill depuis trente ans. Lorsqu’on retrouve à la toute fin son regard qui ne veut rien dire, on se dit qu’il n’est toujours pas meilleur acteur… mais on est quand même très content de le revoir !
-          Il est dommage que ce travail sur le temps passé qui multiplie les correspondances entre l’histoire du film et l’histoire du spectateur soit la seule nouveauté apportée à la saga « Star Wars ». Pour le reste, comme tu l’as dit, tout est tellement semblable  voire copié sur les épisodes IV, V, VI, et le IV en particulier… Jusqu’à la musique, qui ne propose aucun nouveau thème fort ! John Williams s’était pourtant montré bien plus expérimentateur sur la deuxième trilogie.
-          Lorsque ce sont des qualités qui sont copiées – tels les effets spéciaux « à l’ancienne », la direction artistique magnifique, l’humour, la fantaisie, le rythme – ça ressemble à un travail peu risqué mais terriblement efficace, mais lorsque ce sont des défauts à la saga qui sont eux-aussi copiés (le « reflet augmenté » n’est en effet pas parfait), ce conservatisme est regrettable. Pour n’en citer que deux : la psychologie des personnages est toujours aussi peu subtile…
-          … Ah ! Ce Stromtrooper qui devient subitement gentil, une belle idée mais que le film rend très dure à avaler.
-          … et cet épisode est aussi prude que les précédents, avec cette histoire d’amour qui évidemment ne dit pas son nom entre Rey et Finn… C’est ridicule, et on a l’impression qu’Abrams sait que nous savons qu’il sait, mais il le fait quand même…
-          Je crois qu’il est temps de conclure, même si je voulais encore revenir sur plein de détails, le fait que tu sortes une telle phrase dénote un échauffement excessif de ton esprit. Calme-toi. Ne tombe pas dans le regret. On a dit qu’on avait aimé le film.
-          Que je me calme ? Alors qu’un nouveau film sort dans un an ? Et encore un autre après, au moins jusqu’en 2019 ? Comment veux-tu que je me calme ?
(Bruits de lutte)

On retiendra…
Le fascinant et émouvant travail sur le temps écoulé entre les épisodes VI et VII, dans la vraie vie comme dans l’histoire de « Star Wars ».

On oubliera…
L’absence d’audace dans l’écriture du scénario comme dans la réalisation de ce septième épisode calqué, certes « en mieux », sur l’épisode IV.


« Star Wars, le réveil de la Force » de JJ Abrams, avec Daisy Ridley, John Boyega, Harrisson Ford,…

lundi 14 décembre 2015

Rococo cosmique (Cosmos)

Revenant à la réalisation après 15 années d’absence, Andrzej Żuławski a adapté au cinéma le réputé inadaptable « Cosmos », roman de Witold Gombrowicz. Il a remporté le prix de la mise en scène au dernier festival de Locarno pour ce film.


Fatigant
Il est important de préciser qu’avant de voir « Cosmos », je n’avais ni vu de film de Żuławski, ni lu « Cosmos » de Gombrowicz. La lecture du roman doit sans aucun nul modifier la perception du film, mais le long-métrage en est une adaptation très libre, puisqu’il est parsemé de références à la culture contemporaine (on doute que le roman de Gombrowicz, publié en 1965, contienne les références à Tintin ou Spielberg présentes dans le film).
« Cosmos » est un film fou. Peut-être par respect de l’esprit du roman, Żuławski se préoccupe à peine de développer une intrigue ténue (Qui pend des animaux par une ficelle bleue ?) mais préfère expérimenter tous azimut, dans une veine proche du surréalisme. C’est plein d’humour, rempli de références, de moqueries sur la culture contemporaine, qui fusent dans des dialogues plus ou moins intelligibles. Le film va en effet très vite, ne cessant jamais de changer de direction, surmultipliant les ruptures, dans une agitation qui au départ séduit par sa drôlerie absurde et son originalité baroque, mais qui à force fatigue et noie le sens du film. Lors de la projection, le spectateur décroche. Abandonné sur le bas-côté de la route, il voit s’éloigner au loin et dans son estime cette parade déjantée de carnaval qu’est « Cosmos ». Le film continuera inlassablement sa course, même pendant le générique de fin, ajoutant et rajoutant des pitreries stylistiques à cette réflexion sur le sens de l’existence. Elle est nourrie par des acteurs en grande forme qui semblent autant s’amuser que le réalisateur, mais cette troupe s’amuse seul, ayant oublié le spectateur.

On retiendra…
La mise en scène baroque, les extravagances des acteurs, la drôlerie de l’ensemble.

On oubliera…
Fatigant, le film s’abîme dans un hermétisme qui ressemble à un entre soi entre le réalisateur et ses acteurs, duquel le spectateur est exclu.


« Cosmos » d’Andrzej Żuławski, avec Jonathan Genet, Johan Libéreau,…