samedi 9 janvier 2016

Du Tarantino en conserve (Les huit salopards)

Film de gangster, film d’arts martiaux, film de guerre, et enfin western : de « Reservoir dogs » à « Django unchained », Quentin Tarantino a exploré à chaque nouveau film un genre différent, toujours plus ou moins hybridé avec d’autres, jusqu’au western donc. Or, pour son huitième film, Tarantino se « répète » pour la première fois, et retourne sur les terres du western. C’est peut-être de là que vient la première déception éprouvée en regardant le film : d’une manière inédite, le spectateur est en terrain connu face à un nouveau film de Tarantino.


Western théâtral
Difficile cependant de reprocher à QT sa passion pour le western, raison qui l’y fait s’y replonger, surtout qu’il le fait très bien et « en grand » (au moins dans la première partie) : tournage en 70 mm et photographie somptueuse, décors enneigés flamboyants, costumes magnifiques… et musique (originale) d’Ennio Morricone ! Sauf que tout ceci se retrouve bientôt confiné dans la (grande) pièce unique d’une auberge, qui servira d’abri aux « huit salopards » du titre français, pendant que le blizzard sévira à l’extérieur. Huit personnages à l’identité incertaine, qui chercheront à se connaitre, puis – évidemment chez Tarantino – à se tuer, une fois que le passé de chacun sera déterré. Ce huis-clos enneigé où tout n’est que faux-semblant et où la violence sourd, rappelle le terrifiant « The thing » de John Carpenter. Ça ressemble aussi à une pièce de théâtre, avec cette unité de lieu, de temps, d’action – ce qui n’est pas sans humour, eu égard au prestige du 70 mm avec lequel Tarantino a tourné cette histoire (le format associé aux grandes épopées)…
Narration éclatée en un puzzle temporel de chapitres, dialogues longs et tortueux, pleins de violence mais toujours prononcés avec une exquise civilité, flash-backs, insertions de chansons modernes, répétition d’une scène sous un autre angle, coup de théâtre souterrain… et explosions de violence gore : Tarantino reprend toutes les ficelles formelles de son cinéma, dans ce film qui ressemble à un condensé de son œuvre. C’est donc très bien… mais l’on aurait quand même aimé plus de fraîcheur : en refaisant un western, Tarantino frôle pour la première fois la redite. Ceci peut s’illustrer par un point du film en particulier : la manière dont Tim Roth est dirigé. De ses intonations à sa gestuelle, Tim Roth imite – parfaitement – Christoph Waltz. Ce dernier était-il indisponible pour le tournage (à cause de « 007 Spectre ») ? Lors de la projection, cette imitation crée une confusion, et interroge sur le degré d’inspiration du réalisateur qui n’a peut-être pas su réécrire un rôle imaginé pour un autre.

Malaise
Mais ces quelques problèmes sont des détails à côté de ceux que posent ici les provocations violentes et racistes de Tarantino. On sait bien que QT n’est pas raciste – comment aurait-il pu écrire et réaliser « Django unchained » sinon ? – mais il va trop loin dans « Les huit salopards ». Ce n’est plus du rire qu’il provoque, mais du malaise.
L’origine de ce malaise vient du fait que le film n’est pas adossé à une entreprise de vengeance historique comme « Django unchained » ou « Inglorious basterds » – même si « Les huit salopards » n’est pas pour autant déconnecté de toute ambition historique, puisqu’il évoque les fractures sociales et les rancœurs laissées par la guerre de Sécession. De plus, aucun des « huit salopards » n’est à sauver. Or, un personnage tarantinesque est toujours monstrueux, proche de la caricature. Tous les personnages seront donc rendus abjects au cours du film. En absence de héros positif, et d’entreprise de correction de l’Histoire, Tarantino semble ne tenir aucun discours, et sa manière de montrer le racisme de l’époque ou de représenter la violence apparait alors comme gratuite et complaisante. A croire que Tarantino voulait donner raison à ses détracteurs de toujours ! Après deux films aussi formidables que « Inglorious basterds » et « Django unchained », c’est d’autant plus inattendu et regrettable.
Au lieu d’un grand film sur l’Amérique, « Les huit salopards » ressemble donc plutôt à un huis-clos très bien construit, mais tournant à vide.

On retiendra…
C’est toujours avec grand plaisir que l’on retrouve la forme Tarantino. L’amour que met le réalisateur à ressusciter le western.

On oubliera…
Sans justification évidente, les explosions de violence et les incessantes insultes racistes apparaissent comme gratuites et provoquent le malaise.

A noter :
Quentin Tarantino a convaincu ses distributeurs d’exploiter « Les huit salopards » en 70 mm, avec une ouverture et un entracte. C’est avec un immense plaisir que l’on assiste à cette projection qui revêt alors un caractère exceptionnel et rappelle l’époque classique des grands films hollywoodiens, que l’on ne pouvait plus que vivre par le biais de projections DVD. Gros bémol cependant : ce bonheur ne sera que très difficile d’accès, avec une seule copie 70 mm pour toute la France…


« Les huit salopards » de Quentin Tarantino, avec Samuel L. Jackson, Kurt Russell, Jennifer Jason Leigh,…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire