Dans une vallée afghane, des soldats français surveillent
la frontière avec le Pakistan. De leurs postes d’observation, les soldats se
relaient pour scruter jour et nuit la vallée, un brûlant désert de roches. On
se demande au départ s’il ne s’agit pas d’un film de science-fiction. La
photographie terreuse et l’aridité des montagnes de la vallée du Wakhan font
que ces paysages paraissent ceux d’une autre planète. Les soldats qui la
surveillent ne ressemblent plus à des êtres humains. L’équipement militaire
mécanise leur silhouette, que ce soit les protections qu’ils endossent, les
armes qu’ils portent, ou les optiques augmentant leur vision. Lorsqu’ils se
rendent au village voisin de leur base, celui-ci semble en être resté au
Moyen-Âge. Le contraste entre les deux niveaux technologiques est frappant. La
toute-puissance des soldats occidentaux saute aux yeux. Par la seule force de l’image,
est posée la question de l’ingérence.
Documentaire et
fantastique
Cette force documentaire ferait déjà de « Ni le ciel
ni la terre » un formidable film sur la guerre moderne. Mais la fiction
s’aventure rapidement dans un registre fantastique : au cours des nuits,
des soldats disparaissent, sans laisser de traces, inexplicablement. Les
soldats se retrouvent confrontés à une faille du réel, qu’ils observent
pourtant à longueur de journée, et sur tous les spectres : à la jumelle, par
les visées amplificatrice, ou par thermographie grâce aux caméras infrarouge. A
la tension déjà latente associée à la surveillance d’une frontière d’un pays en
guerre (la menace de l’irruption, à tout
moment, d’une bande armée), s’ajoute celle, purement fantastique, du danger de
ces disparitions. C’est donc une grande tension qui parcourt ce long-métrage, qui
met face à l’inexplicable ces hommes pourtant dotés de grandes capacités de
lecture du réel. On voit son résultat sur les visages et les comportements des
soldats. Le désarroi du capitaine, interprété avec intensité par Jérémie
Renier, est particulièrement émouvant : la perte des repères entraînée par
ces disparitions semble le diriger peu à peu vers la folie.
La quête de sens des soldats devient celle du spectateur,
anxieux lui-aussi de savoir si le film trouvera ou non une explication rationnelle.
Le fantastique est d’autant plus inquiétant que le film apparait comme très
réaliste, et réciproquement : réalisme et fantastique se nourrissent l’un
l’autre, tout en s’opposant. Cette opposition travaille le spectateur, qui se met
lui-aussi à scruter l’écran, à la recherche d’explications cachées. Peut-être
en vain, car la vision humaine reste aveugle à ce qu’elle ne veut pas voir,
comme le montrent plusieurs scènes où des camouflages mystifieront autant les personnages
du film que les spectateurs du long-métrage.
« Ni le ciel ni la terre » n’est que le premier
long-métrage du plasticien Clément Cogitore. Mais il a déjà tout d’un chef-d’œuvre.
On retiendra…
La tension permanente de ce film qui possède une valeur
documentaire tout en évoluant dans le registre ambigu et terrifiant du
fantastique.
On oubliera…
La mise en scène tombe à de rares moments dans l’écueil de
la sursignification.
« Ni le ciel ni la terre » de Clément Cogitore,
avec Jérémie Renier, Kévin Azaïs,…
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