mardi 29 septembre 2015

Scruter l'écran (Ni le ciel, ni la terre)

Dans une vallée afghane, des soldats français surveillent la frontière avec le Pakistan. De leurs postes d’observation, les soldats se relaient pour scruter jour et nuit la vallée, un brûlant désert de roches. On se demande au départ s’il ne s’agit pas d’un film de science-fiction. La photographie terreuse et l’aridité des montagnes de la vallée du Wakhan font que ces paysages paraissent ceux d’une autre planète. Les soldats qui la surveillent ne ressemblent plus à des êtres humains. L’équipement militaire mécanise leur silhouette, que ce soit les protections qu’ils endossent, les armes qu’ils portent, ou les optiques augmentant leur vision. Lorsqu’ils se rendent au village voisin de leur base, celui-ci semble en être resté au Moyen-Âge. Le contraste entre les deux niveaux technologiques est frappant. La toute-puissance des soldats occidentaux saute aux yeux. Par la seule force de l’image, est posée la question de l’ingérence.


Documentaire et fantastique
Cette force documentaire ferait déjà de « Ni le ciel ni la terre » un formidable film sur la guerre moderne. Mais la fiction s’aventure rapidement dans un registre fantastique : au cours des nuits, des soldats disparaissent, sans laisser de traces, inexplicablement. Les soldats se retrouvent confrontés à une faille du réel, qu’ils observent pourtant à longueur de journée, et sur tous les spectres : à la jumelle, par les visées amplificatrice, ou par thermographie grâce aux caméras infrarouge. A la tension déjà latente associée à la surveillance d’une frontière d’un pays en guerre  (la menace de l’irruption, à tout moment, d’une bande armée), s’ajoute celle, purement fantastique, du danger de ces disparitions. C’est donc une grande tension qui parcourt ce long-métrage, qui met face à l’inexplicable ces hommes pourtant dotés de grandes capacités de lecture du réel. On voit son résultat sur les visages et les comportements des soldats. Le désarroi du capitaine, interprété avec intensité par Jérémie Renier, est particulièrement émouvant : la perte des repères entraînée par ces disparitions semble le diriger peu à peu vers la folie.
La quête de sens des soldats devient celle du spectateur, anxieux lui-aussi de savoir si le film trouvera ou non une explication rationnelle. Le fantastique est d’autant plus inquiétant que le film apparait comme très réaliste, et réciproquement : réalisme et fantastique se nourrissent l’un l’autre, tout en s’opposant. Cette opposition travaille le spectateur, qui se met lui-aussi à scruter l’écran, à la recherche d’explications cachées. Peut-être en vain, car la vision humaine reste aveugle à ce qu’elle ne veut pas voir, comme le montrent plusieurs scènes où des camouflages mystifieront autant les personnages du film que les spectateurs du long-métrage.
« Ni le ciel ni la terre » n’est que le premier long-métrage du plasticien Clément Cogitore. Mais il a déjà tout d’un chef-d’œuvre.

On retiendra…
La tension permanente de ce film qui possède une valeur documentaire tout en évoluant dans le registre ambigu et terrifiant du fantastique.

On oubliera…
La mise en scène tombe à de rares moments dans l’écueil de la sursignification.


« Ni le ciel ni la terre » de Clément Cogitore, avec Jérémie Renier, Kévin Azaïs,…

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