lundi 6 octobre 2014

Tout ce qui est (Et rien d'autre)

 « Et rien d’autre » ne raconte effectivement rien, si ce n’est la vie banale d’un éditeur new-yorkais, vétéran de la Guerre du Pacifique, prénommé Philip Bowman. Le héros du roman n’en est pas littéralement un, puisque Bowman ne fera rien d’héroïque de sa vie. C’est un américain quelconque qui, tout au long de sa vie, cherchera le bonheur, notamment chez les femmes, et sera invariablement déçu. Salter nous fait suivre par ellipses la vie de Bowman à travers la seconde moitié du XXème siècle, mais sans chercher à lui trouver une quelconque qualité extraordinaire. La preuve étant que Salter écrit parfois des chapitres sur ce que vivent les autres hommes ou femmes ayant croisé Bowman dans des moments qui ne le concernent plus, accentuant la sensation que Philip Bowman n’est qu’un homme parmi d’autres.


Il y a peut-être deux manières de voir ce dernier livre en date de James Salter, paru en France dix ans après son précédent roman, alors que l’auteur approche des 90 ans.
On peut y voir la capture dans un peu moins de 400 pages d’une vie entière d’un homme du XXème siècle, une œuvre reflétant une époque, une œuvre qui rend palpable le temps qui passe à l’échelle d’une existence. Ce « rien d’autre » du le titre assure alors au roman toute son universalité et son émotion. L’écriture-même de Salter poursuit ce refus de l’extraordinaire : ces phrases, plutôt courtes, sont très fluide, et s’écoulent comme les grains dans un sablier, mais ne contiennent aucun coup d’éclat. C’est juste ça, et c’est tout ça (« All that is », le titre original), la vie de Philip Bowman.
Le problème, c’est qu’on peut aussi n’y voir que le rien, dans cette histoire. Et c’est ce que j’y ai plutôt vu. « Et rien d’autre » apparaît alors comme un roman aussi banal que la vie qu’il raconte, un roman au style plat, un roman insignifiant. Saisir le temps qui passe est-il vraiment à la portée de la littérature ? En tout cas, pas de cette œuvre. La lecture de « Et rien d’autre » m’a sans cesse évoqué le film « Boyhood » de Richard Linklater, où l’on voit grandir un enfant filmé en temps réel. A chaque raccord temporel de l’œuvre de Linklater se déployait l’émotion profonde du temps qui passe, alors que seul le temps de la lecture semblait s’être écoulé entre chaque chapitre de la vie de Philip Bowman. Tout aurait pu être différent si le style de Salter s’était avéré éblouissant, mais il restera aussi remarquablement concis, sobre et attaché au quotidien de la première à la dernière page.
« Et rien d’autre » ou « All that is » : il y a donc bien deux lectures possibles de ce roman.


« Et rien d’autre » de James Salter, aux éditions de l’Olivier

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