C’est le
plus long roman de science-fiction écrit à ce jour : plus de 5000 pages,
réparties sur sept volumes dans son édition poche en France. « L’aube de
la nuit » (1996-1999) de Peter F. Hamilton est bien un seul roman et non
pas un cycle car du premier au dernier volume, il n’y a aucune ellipse dans la
narration – le découpage des volumes étant d’ailleurs plus ou moins arbitraire
(par exemple, l’édition grand format d’Ailleurs et Demain est divisée en six
volumes au lieu de sept).
Mélange des genres
Outre sa
dimension hors norme, ce space opera se distingue par le curieux mélange des
genres qu’il propose. Forcément, sur cette longueur, Peter F. Hamilton a pu
convoquer puis brasser tous les thèmes et les attributs du space opera :
colonisation de nouvelles planètes, exploration d’univers inconnus, contact
avec des entités extra-terrestres, découverte d’artefacts quasi divins,
archéologie des ruines de civilisations galactiques oubliées… dans un futur où
l’humanité s’est séparée en deux branches, celle acceptant les améliorations
génétiques (les édénistes) et celle qui se contente d’augmenter ses organes par
la technologie (les adamistes). L’originalité de cette histoire viendra d’une
« rupture dans le réel » par laquelle s’engouffreront les âmes des
morts. Celles-ci s’emparent des corps
humains à proximité, poussées par l’irrépressible désir de fuir les tourments
atroces que subissent les âmes dans l’au-delà. Dotés de pouvoirs
extraordinaires (en tirant de l’énergie de la brèche dans la réalité, ils
peuvent modifier la réalité), ces morts revenus à la vie sont prêts à tout pour
empêcher les vivants de leur faire abandonner les corps dont ils ont pris
possession.
L’humanité, dispersée sur
plusieurs systèmes solaires mais unie sous l’hégémonie de la Confédération, se
retrouve confrontée à un problème métaphysique ou spirituel : accepter l’existence
d’un au-delà, décrit comme un lieu de souffrances ultimes, et affronter le
retour des morts. Ce problème, sur lequel est bâtie toute l’intrigue du roman,
est en fait essentiellement traité par son versant matériel, qu’on pourrait résumer
par une invasion zombie interstellaire.
C’est
toujours avec une certaine crainte qu’on s’engage dans une lecture aussi longue
(que j’ai étalé sur deux ans). Rien que de très enthousiasmant pourtant au
départ, lorsqu’on découvre ce vaste univers dont on ne voit pas les limites et
le goût de Peter F. Hamilton pour un space opera empreint de classicisme (dans
le bon sens du terme). L’auteur réactive à bon escient l’héritage de l’âge d’or
de la science-fiction (le parfum d’aventure) avec les caractéristiques du space
opera moderne. Malgré la longueur de son œuvre, Hamilton ne multiplie pas exagérément
le nombre de personnages principaux. L’intrigue est construite de telle manière
qu’elle ne s’appuie sur les avancées parallèles de trois ou quatre personnages seulement.
Au fil des volumes, l’auteur fait se rejoindre, se disjoindre, termine ou amorce
de nouveaux fils à son intrigue, mais sans jamais éclater son histoire en une
multitude de micro-récits. Il n’y a par contre aucun raccourci : Hamilton
barre la route de ses personnages de nombreuses péripéties, qui permettent de
maintenir constante l’attention du lecteur en ajoutant énormément d’enjeux « locaux »
propres à relancer le désir de lecture – désir que l’intrigue en toile de fond,
qui ne se laisse que peu à peu deviner, ne pourrait maintenir sur autant de
pages.
Ampleur inutile
« L’aube
de la nuit » est donc impressionnant pour son ampleur et son adresse à ne
jamais vouloir désintéresser ou décourager son lecteur, son foisonnement qui ne
vire jamais au fouillis. Mais 5000 pages, c’est long. Vient forcément un moment
où des niveaux apparaissent. Lorsque des creux se font sentir dans l’intrigue,
sur cette longueur, ça dure des centaines de pages ! La deuxième partie du
roman, « L’alchimiste du neutronium », m’a ainsi paru nettement moins
passionnante que la première (« Rupture dans le réel »). Arrivé à la
dernière (« Le dieu nu »), l’intérêt remonte. Mais commence à poindre
l’attente d’un final qu’on espère forcément démesuré, à la hauteur des milliers
de pages qui ont précédé.
La
déception est donc immense lorsque l’auteur recourt littéralement à un deux ex
machina pour résoudre son écheveau d’intrigues en une centaine de pages… Le
problème du deus ex machina est qu’il n’est pas justifié par une construction
de l’intrigue : on a le sentiment qu’il aurait pu intervenir beaucoup plus
tôt. Beaucoup des péripéties imaginées par Hamilton ne servaient donc qu’à
alimenter le flot du récit, sans lui ajouter du sens, ni lui apporter d’épaisseur.
Apparait
ici l’échec de « L’aube de la nuit » : une grande partie du
roman ne fait pas avancer son intrigue. Son
final ne justifie pas sa longueur. Or, l’écriture sans style de Peter F.
Hamilton devient vite très fatigante. Le moteur de la lecture n’est donc jamais
la plume de l’auteur, mais l’histoire qu’il raconte. Or, une fois qu’on se rend
compte qu’une bonne part de cette histoire n’a pas de nécessité narrative, elle
devient donc complètement superflue, et ses rebondissements, bêtement
artificiels.
5000 pages
plus loin, la conclusion est dure : « L’aube de la nuit » est
malheureusement une œuvre boursouflée, qui aurait méritée d’être coupée de
beaucoup de ses passages les plus maladroits, mal écrits, gratuits ou tout simplement
mauvais. Les milliers de pages du roman excèdent de beaucoup trop l’intrigue
imaginée par Hamilton, qui voit son sens occulté par l’accessoire et l’agrément.
« L’aube
de la nuit » n’est pas du tout le monument que sa longueur faisait espérer.
Plutôt une grande aventure, souvent très divertissante, parfois agaçante tant c’est
mal écrit, mais – hormis sa longueur qui font de ces volumes de véritables
trophées littéraires à ranger sa bibliothèque – complètement anodine.
« L’aube de la nuit » de Peter F. Hamilton, paru dans la
collection Ailleurs et Demain des
éditions Robert Laffont, repris en poche par Pocket SF
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