Sundance
(Grand Prix du Jury, Prix du Public), Cannes (sélection à la Quinzaine des
réalisateurs), Deauville (Grand Prix, Prix du Public) : avant de sortir
sur nos écrans, « Whiplash » a fait le tour des festivals et n’est
jamais, c’est le cas de le dire, passé inaperçu. Il est en effet impossible de
rester indifférent face à ce premier film, que l’on doit à l’américain Damien
Chazelle. L’histoire de ce batteur intégrant un conservatoire très compétitif,
qui va accepter les méthodes parfois proches de la torture de son directeur
pour accomplir son ambition d’artiste serait en partie autobiographique.
L’intensité de la musique
Dans « Whiplash », on voit surtout un
orchestre apprendre à jouer ensemble et un batteur réviser ses partitions… sauf
que le film est aussi intense que les meilleures œuvres du cinéma d’action. Une
formule explique très bien la fascination qu’exerce le film dès sa scène
d’introduction : « Whiplash », c’est « Full Metal
Jacket » au conservatoire. « Whiplash » raconte une
tyrannie : celle qu’exerce le terrifiant maître d’orchestre Terence
Fletcher sur l’orchestre qui porte son nom. Terence Fletcher est joué par J. K.
Simmons, acteur américain déjà aperçu chez Jason Reitman. Il explose ici dans
ce rôle d’enseignant cauchemardesque prêt à toutes les avanies pour tirer le
meilleur de ses élèves. Corps sec tendu à l’extrême, perpétuellement sur le
point d’exploser, Simmons est ici un monstre de colère rentrée, qui ne semble
se détendre qu’au moment où il écoute une belle musique…
« Whiplash »,
comme la première partie de « Full Metal Jacket », raconte aussi la déshumanisation consécutive à cette
tyrannie : le héros du film, Andrew Neyman, se coupe peu à peu de toute
attache sociale, de tout contact avec la réalité, pour entretenir un rapport
obsessionnel avec sa musique et s’approcher du génie dont il rêve.
Assister à
un concert la peur au ventre, frissonner de terreur au moment d’un solo de
batterie… Après « Whiplash », vous ne verrez plus un concert avec le
même œil. La sueur dégouline le long des instruments, rebondit sur les cymbales ;
les mains s’abîment jusqu’au sang sur les baguettes qu’elles tiennent ; le
visage crispé, le musicien souffre le martyre pour soutenir le tempo… Cette
vision très originale (inédite ?) de l’exercice de la musique, montré
comme une torture, aussi bien physique que morale, c’est à la fois l’intérêt et
la limite de ce long-métrage.
Moralité rédhibitoire
La beauté a
un prix, nul génie ne nait du confort, la douleur est le catalyseur du
talent : ces préceptes moralement abjects sont ceux auxquels croit
l’inflexible Terence Fletcher. En montrant l’application de ces principes,
Damien Chazelle livre un film hautement captivant, d’une extrême intensité, qui
cristallise en permanence l’attention de ses spectateurs, jusqu’à ce solo de
batterie final, une véritable scène d’action d’une tension inouïe. Cependant,
ce suspense éprouvant, quasi douloureux, qui amène une forte empathie du
spectateur avec l’apprenti batteur, est-il moralement acceptable ?
« Whiplash » n’est au final qu’une série d’humiliations. Le procédé
est facile pour donner de l’intensité. Pour montrer l’obsession de son
personnage principal, le film virera même dans le grotesque (l’accident de
voiture)…
Mais ce qui
choque le plus, et diminue considérablement l’intelligence de ce long-métrage,
c’est ce final où le réalisateur donne finalement raison à Terence Fletcher
(alors que le doute subsistait encore auparavant). Est-ce cela la vision de
l’art défendue par Chazelle ? Faire souffrir ces spectateurs pour leur
faire voir la beauté de son film ? Cette position irrecevable relativise
complètement le brio de ce metteur en scène, qui pour impressionnant qu’il
soit, n’en est qu’à son premier film… Ainsi, sur le même sujet,
« Whiplash » est bien moins subtil et malin que le chef-d’œuvre de
Darren Aronofsky, « Black swan ».
On retiendra…
Des concerts filmés comme des
scènes d’action, intenses et éprouvantes : une vision inédite de la
musique.
On oubliera…
Moralement inacceptable.
« Whiplash » de
Damien Chazelle, avec Miles Teller, J. K. Simmons,…
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