mardi 31 décembre 2013

L’apocalypse selon Scorsese (Le loup de Wall Street)

Depuis sa rencontre avec Leonardo DiCaprio (« Gangs of New-York », 2002), le cinéma de Martin Scorsese connait un incroyable retour de flammes, alors même que le cinéaste avait déjà inscrit son nom dans l’éternité grâce à de multiples chefs-d’œuvre, de « Taxi driver » (1976) à « Casino » (1995). Jusqu’à prouver qu’il n’avait pas encore atteint le sommet de son art : « Les infiltrés » (2006) est à ce jour son chef-d’œuvre absolu… à moins que ce ne soit « Le loup de Wall Street ».

               
Implacable portrait
Ce nouveau monstre cinématographique (2h59 de film après un montage ardu) surprend pour la vitalité qu’il démontre chez Scorsese : le réalisateur new-yorkais, qui n’a pourtant plus rien à prouver, repousse une fois de plus son cinéma dans des territoires inédits. Il enchante pour le brio de sa mise en scène, époustouflante, qui fait passer les trois heures de spectacle en un souffle. Il désole enfin pour l’implacabilité de sa charge.
                L’histoire de « Le loup de Wall Street » est celle, autobiographique, de Jordan Belfort, courtier en bourse. Le film le suit donc de son ascension à sa chute, selon le canon cinématographique de la structure pyramidale – canon que l’on doit largement à Scorsese lui-même. Avec cette histoire, le réalisateur de « Raging bull » et de « Les affranchis » semblait donc en terrain connu. Et pourtant, il n’était jamais allé aussi loin dans le portrait d’un escroc. Sans aucune concession, cette fresque représente les gloires et déboires d’un infâme anti-héros, obscène et sans scrupules, dans un monde qui lui est encore plus vicié, décadent et corrompu : celui de la finance. Contrairement à Travis Bickle (« Taxi driver »), Henry Hill (« Casino »), Jake LaMotta (« Raging bull ») ou Sam « Ace » Rothstein (« Les affranchis »), nulle rédemption pour Jordan Belfort au cours de ces trois heures. Toute identification avec ce malfaiteur est donc impossible.

Carnaval animalier
              Mais il n’est pas le seul être complètement déréglé de ce long-métrage : ce qui est littéralement montré comme la faune de Wall Street l’est tout autant que lui. Les premières images du film se font succéder les emblèmes animaliers de cet univers : du taureau de Wall Street au lion, emblème de sa firme Stratton Oakmont, en passant par le loup du titre, un ours et les singes parcourant l’open space lors de la fête sur laquelle s’ouvre le film… Addicts aux drogues, au sexe et à l’argent, selon un principe expliqué lors d’une séquence hilarante par Matthew McConaughey, Belfort et ses associés se comportent comme des bêtes, et naviguent d’orgie en orgie, dans une perpétuelle hystérie, au point-même de ne pouvoir prendre un vol long-courrier sans déclencher d’esclandre. Le film est une débauche permanente, un festoiement jouissif (car extrêmement comique) presque sans temps mort, un tourbillon, une danse au bord du gouffre où les acteurs s’en donnent à cœur joie. Servis par les meilleurs dialogues de cette année avec ceux de « Django unchained », tous les acteurs du film sont sidérants de drôlerie – si ce n’est, peut-être, Jean Dujardin (!) dans un second rôle qui est un gag à lui tout seul – ce qui n’empêche pas un acteur de se distinguer : Leonardo DiCaprio. L’acteur n’avait jamais joué un personnage aussi ouvertement comique, et il se révèle plus prodigieux que jamais, charismatique et burlesque. Le film culmine lors d’une scène impensable et inénarrable où Belfort essaye de rejoindre sa voiture alors que, sous l’emprise de la drogue, son corps ne lui répond plus. Qu’un des meilleurs acteurs américains contemporains (qui n’a pas commis un seul faux pas depuis 2001 !) ose se ridiculiser avec un tel éclat est aussi inattendu qu’hilarant.

D’autant plus puissant qu’amoral
Le film est à l’image de son personnage : il n’a aucune morale. Il en est d'autant plus puissant. Condamné à la prison après avoir trahi son milieu, Belfort continue de s’enrichir en conférencier. Le film n’en est que plus implacable. Ce portrait est tout droit destiné à suivre le même destin que celui de Tony Montana dans le « Scarface » de Brian De Palma (1983). A aucun moment le film ne montre les ravages provoqués par Belfort et sa firme. « Le loup de Wall Street » reste obstinément rivé dans le sillage hallucinant du courtier… jusqu’au plan final, où Scorsese montre l’adoration que génère le personnage et à travers lui le monde de la finance – il va sans dire que ce public conquis sur lequel s’achève le film est aussi celui du film. Vertigineux.

On retiendra…
Le film le plus cynique de Scorsese, un monstre de débauche, portés par des acteurs hors norme et un DiCaprio stupéfiant. Le plus grand film jamais réalisé sur le capitalisme.

On oubliera…
Dujardin fait une apparition en soi savoureuse, mais il souffre de la comparaison avec les autres seconds rôles…


« Le loup de Wall Street » de Martin Scorsese, avec Leonardo DiCaprio, Jonah Hill, Margot Robbie,…

samedi 14 décembre 2013

Un voyage très attendu (Le Hobbit, la désolation de Smaug)


-          J’étais très heureux de retourner en Terre du Milieu pour le « Voyage inattendu » du premier volet, mais force était de constater la faiblesse du « Hobbit » par rapport au « Seigneur des anneaux » : le film oscillait continuellement sans se décider entre le ton léger de son matériau de départ (« Bilbo le Hobbit », roman pour la jeunesse de Tolkien) et l’épique attendu par les spectateurs du « Seigneur des anneaux ». Le résultat était impressionnant mais un peu bancal.
-          Tu conviendras que ce n’est pas le cas de ce deuxième volet, « La désolation de Smaug » ! Peter Jackson cesse enfin de ménager les souvenirs de ses spectateurs en répliquant la recette de sa première trilogie : au début de cette suite, la transition avec la trilogie du « Seigneur des anneaux » est bel et bien achevée.
-          Elle aura quand même duré 3 heures… On se réjouit donc que la saga ait enfin atteint son équilibre. Avec « La désolation de Smaug », l’histoire du « Hobbit » prend de l’ampleur et perd la linéarité parfois un peu pesante du premier volet. Peter Jacskon divise son intrigue en plusieurs fils narratifs, qui se croisent et se décroisent. Pour y arriver, il a dû passer par des libertés avec le livre de départ, à l’intrigue trop peu épaisse pour un nouveau film de presque 3 heures.
-          Des libertés bienvenues ! Car en ajoutant des fils narratifs, le réalisateur aère son histoire, et par le basculement incessant d’un fil à l’autre, relance constamment l’intérêt du spectateur… redonnant le souffle qui manquait à la saga.
-          La Terre du Milieu n’apparaît plus comme un vase clos : chaque nouveau décor semble être l’occasion du développement d’une histoire… une multiplication et un approfondissement de l’intrigue qui provoque parfois le vertige ! Et qui immerge complètement le spectateur, au point que celui-ci perd rapidement toute notion de durée.
-          Howard Shore, le compositeur, participe aussi de ce renouvellement : pour « La désolation de Smaug », sa musique est presque entièrement nouvelle, en lieu et place de la réutilisation copieuse des thèmes déjà associés au « Seigneur des anneaux ». Fini aussi les caméos plus ou moins justifiés : l’intrigue s’appuie désormais sur de nouveaux personnages.
-          Pour le meilleur et pour le médiocre… Etrangement, Peter Jacskon ajoute à la quête de Bilbon une improbable intrigue amoureuse entre une elfe et un nain. La mise en scène est alors pour le moins ambiguë : je n’ai toujours pas compris si le comique de ces scènes était volontaire ou accidentel… ou même si Peter Jackson lui-même le sait.
-          N’est pas James Cameron qui veut ! Mais ces quelques coquilles n’apparaissent plus que comme des détails au moment de la rencontre, tant attendue, de Bilbon avec le dragon Smaug. Le moins que l’on puisse dire est que celui-ci est… impressionnant. Décor immense, dialogues savoureux, et un Martin Freeman plus cabotin que jamais : la séquence est d’anthologie.
-          En attendant, avec une impatience renouvelée, la suite et la conclusion de cette histoire, une interrogation demeure : « mais qu’avons-nous fait » ?

On retiendra…
Plus ample, moins linéaire, et mieux équilibré : c’est avec un enthousiasme neuf que l’on est emporté par la suite des aventures de Bilbon. L’image 3D ultra nette de la HFR.

On oubliera...
Quelques tics répétitifs de mise en scène. Une histoire d’amour ridicule. Et surtout, une fin pour le moins… inattendue.

« Le Hobbit, la désolation de Smaug » de Peter Jackson, avec Martin Freeman, Ian McKellen,…

dimanche 8 décembre 2013

Un rêve américain trop éthéré (The immigrant)


-          La semaine dernière, tu parlais des films – ça existe encore – qui ne remportent un énorme succès qu’aux Etats-Unis. Cette semaine, on pourrait évoquer un sujet inverse : les cinéastes américains adulés en France mais mal considérés outre-Atlantique.
-          Tu veux parler du dernier film de James Gray, « The immigrant » ? Ce film était l’un des événements de la sélection 2013 du festival de Cannes, pour une raison d’abord purement mathématique : James Gray est un cinéaste rare, qui ne signe ici que son cinquième long-métrage en 20 ans.
-          James Gray a en effet beaucoup de difficultés à produire chacun de ses longs-métrages… même si le vent est apparemment en train de tourner.
-          Ceci est une autre histoire… Pour l’heure, James Gray réalise avec « The immigrant » son film le plus ambitieux, puisqu’il s’agit d’une reconstitution historique du New York des années 1920.
-          Son plus ambitieux… mais étrangement pas son plus réussi – qui reste, curieusement, « Two lovers » (2008), son précédent film, mais aussi son plus petit (celui qu’il a réalisé le plus rapidement).
-          La force du cinéma de James Gray était celle des tragédies grecques. Les personnages de « La nuit nous appartient » et de « Two lovers », auxquels le spectateur s’identifiait instantanément, se retrouvaient plongés dans des dilemmes d’autant plus émouvants que le spectateur s’y sentait impliqué. « The immigrant » avait tout pour renouer avec ces prodiges : l’histoire est celle d’un mélodrame, les trajectoires des personnages sont passionnantes, la reconstitution historique est très réussie…
-          Et surtout, les performances des acteurs sont fabuleuses : Marion Cotillard, aussi à l’aise en anglais qu’en polonais, est incroyable dans ce rôle qui rappelle, après la récente déconvenue de « The dark knight rises », qu’elle méritait bien son Oscar. A ses côtés, Joaquin Phoenix trouve ici encore un rôle où déployer l’ambigüité de son jeu, toujours sur le fil entre burlesque et drame – on ne sait jamais s’il va exploser de colère ou s’effondrer en pleurant…
-          Et pourtant, l’émotion, qui ne demande qu’à affleurer, point rarement. La faute peut-être à une photographie de Darius Khondji très travaillée mais trop peu originale, qui donne un aspect éthéré à toute cette histoire. Au point que l’on se demande parfois par moments si on n’est pas en train de nous montrer un rêve… Ce manque de matérialité pourrait donc expliquer l’étonnant déficit émotionnel de ce film de James Gray.
-          Qui n’en reste pas moins un superbe film ! Avec un film de James Gray tous les quatre ou cinq ans, on aurait tort de bouder son plaisir…

On retiendra…
La performance de Marion Cotillard, qui n’a jamais été aussi convaincante dans un film anglophone. C’est elle qui porte tout le film.

On oubliera…
Etrangement moins émouvant que les précédentes réalisations de James Gray.


« The immigrant » de James Gray, avec Marion Cotillard, Joaquin Phoenix, Jeremy Renner,…

dimanche 1 décembre 2013

Ça s’améliore à la faim (Hunger games, l'embrasement)

     Il est rare qu’un blockbuster américain résiste à conquérir le monde. Un film hollywoodien récolte généralement 35% de ses recettes sur le sol américain, et 65% dans le reste du monde. Le succès de « Hunger games » apparait donc comme vraiment incompréhensible : « Hunger games » et sa suite ont battu des records de recettes aux Etats-Unis… mais sans que le reste du monde ne suive (ce qui est aussi un record). « Vraiment » incompréhensible, car on ne comprend pas bien ce qui peut séduire le public américain dans cette nouvelle saga cinématographique adaptée de romans jeunesse best-sellers. « Hunger games, l’embrasement », ne relève pas le niveau du premier opus, qui était moyen.


     Pour réaliser cette suite, les producteurs ont remercié Gary Ross pour engager Francis Lawrence. A l’écran, ce changement de réalisateur est aussi invisible que le style de ces deux « artistes » - ce n’est pas pour rien qu’ils font partie de cette catégorie de réalisateurs appelés « faiseurs hollywoodiens » (réalisateurs recherchés par les producteurs pour l’efficacité et… l’absence d’âme de leur mise en scène). « Hunger games » est un blockbuster sans ambition artistique : la mise en scène est parfois absurdement explicative, pédagogique. Il ne faut pas perdre le spectateur. Elle n’arrête pas, par exemple, de souligner ce que le spectateur avait déjà compris. Elle doit s’appuyer sur la (bonne) musique de James Newton Howard pour susciter l’émotion.
     Les acteurs ne peuvent en effet pas faire grand-chose pour y parvenir, étant donné leur jeu monolithique. A ce niveau, la direction d’acteur n’est pas seule en cause : le premier responsable de cette apathie est les dialogues, consternants (« Quelle est ta couleur préférée ? Je ne peux pas devenir ton ami si je ne la connais pas » (sic)). Même les Oscars n’y peuvent rien : Jennifer Lawrence et Philip Seymour Hoffman traversent le film avec abnégation, la première en faisant la moue, le second avec un air goguenard. Quant à la direction artistique, elle est toujours aussi laide.
     Heureusement, et comme dans le premier opus, la plupart de ces défauts s’estompent lors de l’entrée dans « l’arène ». Les enjeux se font plus simples – plus besoin de plaquer un contexte politique sur l’intrigue ni de développer un triangle amoureux risible – et le film, plus abstrait, gagne en puissance d’évocation. On arrive même à croire que, porté par une réelle ambition artistique, on aurait pu tirer de très bons divertissements de cette adaptation à succès.
     Mais il faudra se contenter de celle-ci, très terre-à-terre, qui ne vise pas plus haut qu’une efficacité parfois idiote, mais divertissante.
     Reste un point à éclaircir : quelle est la morale de cette histoire ? Faire s’entretuer des adolescents permet certes de gagner des millions de dollars, mais est bien compliqué à interpréter pour le public « jeunesse » visé par cette saga.

On retiendra…
Les jeux purement arbitraires et scénaristiques de la partie se déroulant dans l’arène.

On oubliera…
Les dialogues, la direction artistique, la platitude de la mise en scène.


« Hunger games, l’embrasement » de Francis Lawrence, avec Jennifer Lawrence, Josh Hutcherson,…

vendredi 22 novembre 2013

Affiche (Cartel)


-          Whaouh ! Tu as vu ce cartel, dans la rue ? Le film a l’air géant !
-          Tu parles de « Cartel » ? Où Michael Fassbender, Pénélope Cruz, Cameron Diaz, Javier Bardem et Brad Pitt se partagent le haut de l’affiche ?
-          Ouais ! Et puis il y a Ridley Scott derrière la caméra, et Cormac McCarthy au scénario. L’auteur de « La route » qui se lance lui-même au cinéma, après que ses romans « No country for old men » et « La route » aient été adaptés sur grand écran, ça me semble très prometteur !
-          Tu verras, cette avalanche de grands noms ne s’arrête pas là, puisque les seconds rôles aussi sont des stars (de Bruno Ganz à Edgar Ramirez). Mais te rappelles-tu de « Astérix aux Jeux Olympiques » ?
-          Euh… Malheureusement, oui. Une comédie aussi nulle ne s’oublie pas.
-          Ah ! Toi, tu l’as vu. C’est manifestement le film qui manquait à la culture cinématographique des producteurs de « Cartel ». Le trop-plein de stars avait tué le scénario des troisièmes aventures d’Astérix au cinéma. Il en est de même dans « Cartel » : à partir d’un scénario pas mauvais a priori, Ridley Scott a essayé de construire un drame sur la nature humaine et le mal.
-          Ça ne me semble pas si mal, comme projet.
-          Sauf qu’on n’y croit pas une seconde. A cause des acteurs. Le reste s’effondre dans leur sillage. Fassbender, Cruz, Diaz, Bardem, Pitt… aucun n’est convaincant. Aucun ne s’est vraiment emparé de son personnage. Ridley Scott les a-t-il vraiment choisis, ou ont-ils été imposés par les producteurs ? Pas vraiment dirigé, chacun des acteurs stars se caricature lui-même. Pitt avec ses tics, Fassbender avec sa vulnérabilité, Cruz son hispanité… C’est parfois affligeant. Celui qui s’en tire le mieux est Javier Bardem. Peut-être parce que ses rôles sont éclectiques et qu’il ne peut être vraiment réduit à un type de personnage… Peut-être aussi pour sa coupe de cheveux en pétard, qui apporte enfin un second degré à l’absence si criante par ailleurs.
-          D’accord… C’est une grande désillusion, alors ?
-          Hélas. Tous les avantages du film sur le papier se révèlent en fait… ses plus gros défauts. Ridley Scott applique de nouveau sa mise en scène clinique, magnifique lorsqu’elle s’exprime dans l’horreur spatiale de « Prometheus », mais qui ressemble ici à du désintérêt. Cormac McCarthy avait imaginé une bonne histoire : sans être renversante, elle réservait quelques grands moments de terreur dans une intrigue mafieuse classique (dans le sens positif du terme). Mais ses dialogues auraient mérité quelques corrections : trop écrits, trop artificiels, trop percutants et provocants. Là encore, on se demande si l’aura de l’écrivain star n’aurait pas découragé toute tentative de révision…
-          Hum… En tout cas, moi, tu m’as découragé.
-          Le mieux, comme d’habitude, est toujours d’aller voir par soi-même… ou d’aller voir autre chose.

On retiendra…
L’efficacité de la mise en scène, toujours aussi froide, de Ridley Scott, qui font basculer certains passages dans l’horreur. La tronche de Javier Bardem.

On oubliera…
Le trop-plein de grands noms dans un seul film a semble-t-il gêné le travail de chacun. Toutes les qualités attendues de « Cartel » sont en fait ses plus grands défauts.

« Cartel » de Ridley Scott, avec Michael Fassbender, Cameron Diaz, Javier Bardem,…

samedi 16 novembre 2013

Trahir pour mieux adapter (Snowpiercer, le Transperceneige et La stratégie Ender)


-          On s’était bien amusé à taper sur « Thor,le monde des ténèbres » et « Mes séances de lutte » la semaine dernière…
-          C’est toujours plus drôle d’écrire les critiques que de voir les films. Mais on ne peut pas poursuive dans cette veine : il est beaucoup trop facile de descendre un film que de le louer.
-          Malheureusement… Mais on peut reprendre l’idée de la critique en diptyque : « Snowpiercer, le Transperceneige » et « La stratégie Ender » sont tous deux des adaptations d’œuvres littéraires.

L’adaptation trop fidèle : La stratégie Ender
Il y a des films qui sortent au mauvais moment… A sa parution en 1985, « La stratégie Ender » faisait l’événement : avec une écriture limpide amenant à une identification immédiate, une imagination et des rebondissements remarquables, Orson Scott Card racontait l’entraînement d’un enfant au commandement d’une flotte spatiale. Le livre est depuis devenu un classique de la science-fiction. Son adaptation arrive au plus mauvais moment : avant même sa sortie, elle était déjà anachronique.
En projet depuis des années mais finalement réalisé pour répondre au succès de « Hunger games », « Ender’s game » (en VO) débarque aussi au cinéma après « Gravity ». Or, la majeure partie de l’intrigue concerne l’apprentissage du combat en absence de gravité… Après le choc de « Gravity », l’apesanteur de « La stratégie Ender » semble donc bien… pesante. Peu inspiré, Gavin Hood adapte presque littéralement le roman sur grand écran, en compressant l’intrigue et en lui ôtant ses passages les plus complexes – ceux qui, justement, représentaient un défi de mise en scène. L’histoire d’Ender perd donc beaucoup de sa force, et se banalise. Le film reste quand même efficace : rien ne démérite vraiment, mais rien ne se démarque non plus. Pas mal, mais dispensable.

L’adaptation transcendée : Snowpiercer, le Transperceneige
Après « The host » (2006), le coréen Bong Joon-Ho revient à la science-fiction par l’adaptation d’une bande-dessinée française de Lob et Rochette, « Le Transperceneige », parue en 1982… et un peu oubliée depuis. Et pour cause : si la métaphore de départ est très forte (après une catastrophe climatique, ce qui reste de l’humanité s’est réfugiée dans un train), l’intrigue de la bande-dessinée est bien moins mémorable. Bong Joon-Ho n’a donc gardé de la BD que son idée de départ, et déploie dans le Transperceneige sa propre histoire. Faisant du même coup bien mieux que l’œuvre originale.
Contrairement, par exemple, à Andrew Niccol dans « Time out » ou Neill Blomkamp dans « Elysium », Bong Joon-Ho dépasse l’évidence de la métaphore initiale de ce train où les wagons reproduisent la ségrégation sociale de la société d’avant l’apocalypse par une mise en scène extraordinaire. Mélangeant comme jamais le drame et l’humour, le grotesque et le sérieux, la violence et le rire, Bong Joon-Ho livre une œuvre époustouflante,  qui éblouit par son inventivité et son scénario aussi retors qu’intelligent. Une réussite totale, servie par des acteurs sidérants, à commencer par Chris Evans, méconnaissable en leader rebelle. D’ores et déjà un classique de la science-fiction au cinéma.

On retiendra…
Pour améliorer le matériau de départ, il faut le trahir et le faire sien. Bong Joon-Ho se fait plus inventif que jamais.

On oubliera…
 « La stratégie Ender » va trop vite pour se ménager des rebondissements forts et une part de mystère.

« La stratégie Ender » de Gavin Hood, avec Asa Butterfield, Harrison Ford, Hailee Steinfeld,…

 « Snowpiercer, le Transperceneige » de Bong Joon-Ho, avec Chris Evans, Song Kang-Ho, Tilda Swinton,…

lundi 11 novembre 2013

Autopsie de deux échecs (Mes séances de lutte et Thor, le monde des ténèbres)

-          Alors, ce week-end de trois jours ? ça s’est bien passé ?
-          Ne m’en parle pas. J’ai souffert. Beaucoup souffert. Le doublet a été magnifique.
-          Le doublet ? Tu veux parler des deux films que nous sommes allés voir au cinéma ?
-          Oui, bien sûr ! C’était à désespérer !
-          Avec eux, nous avons pu balayer tout le spectre du cinéma raté… du film d’auteur au blockbuster.


Le film d’auteur raté : « Mes séances de lutte »
Le 27ème film de Jacques Doillon est une caricature du cinéma d’auteur français. Grands personnages : « Lui » et « Elle ». Grand sujet : Lui et Elle s’aiment, mais ne s’en sont pas encore rendu compte (au contraire des spectateurs). Ils vont découvrir leur amour et se libérer de leur traumatisme (dont un deuil pour Elle) en « se cognant, se débattant, s’empoignant » (d’après le synopsis)… « tout en se rapprochant ».
Ce synopsis laissait déjà bouche bée. Le film est du même calibre. Sara Forestier et James Thierrée (chorégraphe, caution artistique du long-métrage) se débattent effectivement avec leurs dialogues sans aucun sens. Tentons une hypothèse : l’idée de les faire lutter ensemble est peut-être venue d’eux. Excédés par la nullité de leur texte, Forestier ou Thierrée s’est mis à décharger sa colère sur son partenaire de jeu. Doillon a trouvé ça génial et a décidé d’en faire le sujet de son film. Avec sa photographie moche, son montage approximatif et l’amateurisme de ses seconds rôles, Jacques Doillon n’a pas signé un grand exercice de style, mais l’exemple-même du film d’auteur autiste qui ne plait (on l’espère) qu’à son réalisateur. A fuir.

Le blockbuster raté : « Thor, le monde des ténèbres »
Un navet n’a jamais coûté aussi cher (170 millions de dollars). « Thor, le monde des ténèbres » est un abrutissement commercial. Comment peut-on mettre autant d’argent dans un scénario aussi bâclé ? Tout est risible dans « Thor », à commencer par son esthétique. Mélange forcé entre « Le seigneur des anneaux » et « Star Wars », l’univers de « Thor » est un monument du kitsch. L’histoire, très mal construite et plein d’incohérences, s’enfonce de plus très souvent dans des explications scientifiques à hurler de rire (l’adjectif « quantique » servant à expliquer à peu près tout et n’importe quoi). C’est là le seul comique, malheureusement involontaire, du film. Si on peut encore parler de film : « Thor 2 » est plutôt un produit commercial visant à perpétuer et à rentabiliser la licence Marvel (le pire étant qu’il ne cache même pas cette nature). L’exemple-même du blockbuster idiot.

On retiendra…
Une pensée émue pour les acteurs pris au piège dans ces deux films.

On oubliera…
« Mes séances de lutte » et « Thor, le monde des ténèbres » sont ce qui se fait de mieux en navets cinématographiques.

« Mes séances de lutte » de Jacques Doillon, avec Sara Forestier, James Thierrée,...
« Thor, le monde des ténèbres » d’Alan Taylor, avec Chris Hemsworth, Natalie Portman,…

samedi 19 octobre 2013

La traversée de l’Atlantique (Blood ties)


-     Après avoir vu la catastrophe de bêtise offerte par Luc Besson pour appâter le public international avec « Malavita », on se demandait si le cinéma français était capable de réussite lorsqu’il s’exprimait en anglais.
-     Heureusement, un autre cinéaste populaire (re)prouve que le cinéma français est aussi capable de s’exprimer en anglais sans sacrifier à une certaine exigence. Quelle surprise de voir Guillaume Canet partir à New-York tourner un polar « à l’américaine » avec un casting exceptionnel…
-       … et qui joue très bien ! Le réalisateur prend le temps de soigner chacun de ses (nombreux) personnages avant de conclure son drame, et ça fonctionne ! Les citations sont nombreuses, mais - contrairement à « Malavita » - ne ridiculisent pas le film : celui-ci est trop bon pour cela. On pense surtout au cinéma de James Gray, co-auteur du scénario avec Canet : plus qu’un remake américain de « Les liens du sang » de Jacques Maillot (2008), « Blood ties » est une variation autour de « La nuit nous appartient » (2007), chef-d’œuvre de James Gray.
-       Une variation, c’est certain. Mais en un petit peu moins bien… Les idées de mise en scène de Canet sont parfois trop théoriques, et la musique trop présente. Mais le geste est assez fort pour être convaincant.

On retiendra…
Beaux numéros d’acteur dans « Blood ties », qui s’inscrit sans honte dans la lignée des polars américains des années 70.

On oubliera…
La mise en scène manque parfois de maîtrise, dans les scènes d’action notamment, où passe par des idées trop artificielles.


 « Blood ties » de Guillaume Canet, avec Clive Owen, Billy Crudup, Zoe Saldana, Mila Kunis,…

En apesanteur (Gravity)


-        Après « La vie d’Adèle », c’est indubitablement l’autre choc cinématographique de l’année : « Gravity ».
-        Ah ! Des années que je l’attendais ! Annoncé comme un nouveau « 2001 : l’odyssée de l’espace », en proie à des difficultés techniques qui ont considérablement rallongé sa post-production, « Gravity » s’annonçait comme une révolution cinématographique !
-        « Révolution » : le mot a été trop souvent abusivement utilisé pour que j’ose le reprendre, mais ton sentiment est juste. « Gravity », c’est le blockbuster le plus impressionnant sorti au cinéma depuis « Avatar » (2009). Comme James Cameron, Alfonso Cuaron a dû repousser les limites techniques du 7ème art pour réaliser son film.
-       Et le spectateur s’en rend bien compte : on n’avait jamais vu ça au cinéma ! « Gravity » est une expérience inédite, qui vous fait vivre la (sur)vie de deux astronautes en apesanteur, à 400 km au-dessus de la Terre. Et ce, quasiment sans ellipses : tout est filmé en plans-séquences, la spécialité du réalisateur. Combien de plans contient le film ?
-     Aucune idée, mais pas beaucoup ! Le premier dure déjà plus d’un quart d’heure ! Le plan-séquence est un procédé habituellement utilisé pour montrer des événements en temps réel…
-         Et il sert aussi parfois de vitrine de la virtuosité technique du réalisateur…
-         …Mais tel n’est pas le cas ici ! Ou plutôt, si, complètement, sauf que « virtuosité » est un bien petit mot pour ces plans-séquences et, surtout, que le procédé est loin d’être sans fondement : pour filmer l’apesanteur, Alfonso Cuaron a mis la caméra en apesanteur. Celle-ci virevolte autour des acteurs, s’en éloigne ou se rapproche, voire adopte leur point de vue, le tout… dans un même plan ! Avec, toujours, en toile de fond l’immensité stellaire du vide spatial ou le globe terrestre. Une caméra absolument libre qui se joue complètement de la gravité… jusqu’au dernier plan, une des images les plus fortes de l’année !
-         On n’avait pas vu un tel ballet spatial depuis… 1968 avec « 2001 : l’odyssée de l’espace » !
-       Ni un tel réalisme : il est si poussé que la classification de « Gravity » en film de science-fiction peut presque paraître comme incongrue.
-        Mais au-delà de ces prouesses techniques, c’est aussi une très grande performance d’acteur. Le rôle était si difficile qu’Angelina Jolie, Marion Cotillard, Scarlett Johansson et Natalie Portman y ont successivement renoncé, pour être finalement proposé (et accepté) par Sandra Bullock. Et c’est magnifique.
-         Après « Gravity », vous ne regarderez plus le ciel de la même manière !

On retiendra…
Une expérience cinématographique inédite.

On oubliera…
Le parti pris réaliste du film ne peut que s’opposer au scénario « survival ».

« Gravity » d’Alfonso Cuaron, avec Sandra Bullock, George Clooney,…

dimanche 13 octobre 2013

Vertige littéraire (Anamnèse de Lady Star)


« Anamnèse » vient, d’après le dictionnaire Larousse, du grec anamnêsis, « action de rappeler à la mémoire ». La mémoire, celle du lecteur comme celle de la science-fiction française, sera sans nul doute marquée en profondeur par la lecture d’ « Anamnèse de Lady Star » de L. L. Kloetzer. Ce roman nous rappelle l’infinie richesse offerte par la littérature de science-fiction et la littérature en général. « Anamnèse de Lady Star » est un champ ouvert d’idées, qui ne sont pas seulement inventives, innovantes, mais qui nous parlent aussi et nous touchent. Le roman en foisonne tellement, et est d’une telle originalité, qu’il devient impossible à résumer. Ce roman appartient à ces œuvres dont la lecture ne peut s’oublier, car elles nous confrontent, par leurs prouesses, au mystère de leur (heureuse) rédaction.  C’est aussi le genre d’œuvre qui semble ne pouvoir exister qu’en littérature, seul média assez complexe pour être capable de transmettre la construction mentale imaginée par son auteur.
Pour essayer d’évoquer ce dont parle le roman, il faut peut-être partir de son titre : il est effectivement question de mémoire dans « Anamnèse de Lady Star ». En simplifiant à l’extrême, le roman part d’un futur que l’on peut qualifier de « post-apocalyptique » où la Terre a été ravagée par une épidémie d’un nouveau genre, déclenchée par une bombe d’un type inédit. « Nouveau » et « inédit » m’empêchant ici de vous en dévoiler plus sur des idées qui le sont bel et bien (nouvelles et inédites). 51 ans après cet événement zéro, c’est l’histoire d’une enquête, menée par une étudiante en archéologie, dans les comptes-rendus du procès de l’inventeur de cette arme et de ses collaborateurs. C’est l’histoire d’une traque, celle d’une femme mystérieuse, qui aurait été la muse du concepteur de la bombe. Parfois appelée Hypasie, c’est possiblement la « Lady Star » du titre.
Des mystères, le récit en regorge, malgré (ou à cause de) la densité d’informations contenues par la prose de L.L. Kloetzer. Toutefois, ces énigmes ont toutes Hypasie pour point focal. Cet insaisissable personnage est un vide au cœur de l’intrigue, un trou noir autour duquel tourne et s’engouffre tout le roman. Ainsi que le lecteur. « Anamnèse de Lady Star » est une histoire qui se réinvente à chaque chapitre, qui mute sous les yeux du lecteur, jusqu’à ce que celui-ci se rende compte que cette histoire, qu’il croyait écrite par L.L. Kloetzer, il en est aussi l’auteur.
Cependant, ce roman n’est pas seulement une métaphore de l’acte de création littéraire, ou de la création tout court. Il ne saurait non plus être réduit à une réflexion sur l’articulation entre passé et Histoire ou sur les univers virtuels, bien qu’il contienne les pages parmi les plus belles et émouvantes écrites à ce sujet. C’est d’abord une œuvre qui parle de notre présent, et de la plus grande peur du XXIème siècle.
C’est tout simplement d’une formidable intelligence.

« Anamnèse de Lady Star » de L. L. Kloetzer[1], aux éditions Denoël, collection Lunes d’encre




[1] Il fallait bien deux esprits pour bâtir une telle construction littéraire. L. L. Kloetzer est en effet un auteur double, Laurent et Laure. Le duo avait déjà signé un roman remarqué pour son originalité, « Cleer, une fantaisie corporate » en 2010.

samedi 28 septembre 2013

Mauvais moment (Malavita)

Tout au long de sa carrière, Luc Besson n’a cessé de répéter qu’il abandonnerait la réalisation après son dixième film, de peur de commettre « le film de trop ». Ce dixième film était « Arthur et les Minimoys » (2006), qui est aussi l’un de ses meilleurs. Et puis il y a eu ses deux suites. Puis « Les aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec ». Puis « The Lady ». Et maintenant, « Malavita ».
Quelles raisons ont poussé Luc Besson à ne pas s’arrêter à dix films ? La réponse est si évidente qu’il vaut mieux plutôt se demander pourquoi le réalisateur a-t-il annoncé pendant si longtemps cette limite des dix films. Ce qui est sûr, c’est que sa crainte de faire « le film de trop » avec son onzième s’est révélée terriblement exacte… une fois, puis deux, puis trois. Son quinzième long-métrage, « Malavita », n’échappe pas à ce constat.


Cadre interchangeable
Adapté d’un roman de Tonino Benacquista, « Malavita » raconte l’installation d’un ancien parrain de la mafia new-yorkaise et de sa famille dans un village de Normandie. Il y avait déjà là un gros obstacle à l’adaptation du roman sur grand écran : la question de la langue. Produit pour le marché international, « Malavita » a été tourné en anglais. Luc Besson n’hésite donc pas à filmer une France imaginaire où tout le monde parle couramment anglais. Mais même dans une comédie, cela ne passe pas.
Le contraste entre le calme de la campagne normande et l’agitation de New York aurait sûrement pu être une grande ressource comique. Mais le cadre n’est absolument pas exploité, Luc Besson n’en fait rien du tout : la famille Blake aurait tout aussi bien pu s’installer dans la campagne américaine. Le réalisateur semble avoir filmé cette histoire sans aucune passion. On retrouve la manière de filmer de Besson, toujours articulée autour d’images ou de répliques censées être frappantes (notamment les transitions). Censées, car ici elles ne le sont pas du tout : on a l’impression qu’avec « Malavita », Luc Besson vient de réaliser son premier téléfilm.

Le piège De Niro
Le film repose en fait entièrement sur les épaules de Robert De Niro. On a souvent écrit que de bons effets spéciaux ne font pas un bon film. « Malavita » prouve que cet adage s’applique aussi aux acteurs : le film s’effondrerait complètement sans la résonance constante qu’il entretient avec le passé filmographique de l’acteur. C’est peut-être là que réside l’humour du film : que Luc Besson ose citer dans cette comédie bâclée, sans ambition et complètement commerciale des films comme « Le Parrain » ou « Les Affranchis ».
On espère que le réalisateur se réveillera sur le tournage de « Lucy », sa nouvelle production, annoncée comme très ambitieuse…

On retiendra…
Pour la quatrième fois, Luc Besson prouve qu’il avait raison lorsqu’il déclarait vouloir s’arrêter à dix réalisations pour ne pas faire « le film de trop ».

On oubliera…
Pas drôle, réalisation aussi inspirée que celle d’un automate, ridicule et pas du tout crédible, cette liste de clichés qu’est « Malavita » s’achève lorsqu’elle convoque le cinéma de Coppola ou de Scorsese.


« Malavita » de Luc Besson, avec Robert De Niro, Michelle Pfeiffer, Tommy Lee Jones,…

Le silence des barreaux (Prisoners)


-          Mais où étais-tu ? Je t’ai cherché partout !
-          Ben… Je t’attendais à la sortie de la salle de cinéma.
-          Quelle frayeur tu m’as fait !
-          Calme-toi ! Je vois que tu ne t’es pas encore remis du film…
-          Ça fait juste une heure que la séance s’est terminée, et tu espères que je m’en sois déjà remis ? Heureusement que je suis encore sous le coup de l’émotion ! J’espère que toi aussi, tu n’es pas ressorti indemne de « Prisoners » !
-          J’avais besoin de respirer un peu après tant de tension. Pour son premier film hollywoodien, le québécois Denis Villeneuve, réalisateur du remarquable « Incendies » en 2011, frappe très fort. Rares sont les films qui vous font tout oublier pendant que vous les regarder au cinéma, tant ils sont prenants. Malgré ses 2 heures et demie, « Prisoners » ne lâche jamais ses spectateurs. Ce thriller autour de la disparition de deux fillettes dans la banlieue de Boston brille sur tous les tableaux. Scénario, mise en scène, interprétation, musique, rien ne peut empêcher le spectateur de se faire absorber par l’intrigue.
-          Ceux qui doutaient encore de la crédibilité de Hugh Jackman dans un rôle autre que Wolverine, même après « Les Misérables », devront se rendre à l’évidence : c’est un très grand acteur.
-          Dis plutôt qu’il est excellemment bien dirigé, puisqu’il n’est pas moins impressionnant que Jake Gyllenhaal et Paul Dano, et tout le reste du casting en général ! Le scénario est très intelligent et la mise en scène maintient une tension ahurissante pendant chaque minute du film. Le moins qu’on puisse dire, c’est que Denis Villeneuve ne manque pas d’idées de mise en scène bouleversantes.  Si son précédent film, « Incendies », avait la force d’une tragédie grecque, « Prisoners » est lui d’ores et déjà une référence du thriller.
-          Et dire que le québécois avait tourné en même temps un autre film, « Enemy », qui devrait sortir début 2014 !
-          Et dire, surtout, que la sortie de « Prisoners » en France sera totalement éclipsée par celle de « La vie d’Adèle – chapitres 1 & 2 ». Normal, puisque ce dernier est encore meilleur.
-          Et c’est un euphémisme. Nous avons déjà donné la note maximale à « Prisoners » - et il le mérite. Je crois, la semaine prochaine, que nous allons devoir abuser du dictionnaire des superlatifs pour vous parler de « La vie d’Adèle »…

On retiendra…
Captivant, émotionnellement très fort, on n’en ressort pas indemne.

On oubliera…
« Prisoners » est une nouvelle référence dans le genre du thriller. Pour autant, il ne le réinvente pas.


« Prisoners » de Denis Villeneuve, avec Hugh Jackman, Jake Gyllenhaal, Paul Dano,…

mardi 17 septembre 2013

Django enchainé (12 years a slave)

Un an après les extraordinaires « Django unchainded » de Quentin Tarantino, « Lincoln » de Steven Spielberg et « Zero dark thirty » de Kathryn Bigelow, le cinéma américain continue de revisiter l’histoire de son continent avec « 12 years a slave ». Le film est en effet adapté des mémoires de Solomon Northup, citoyen noir américain né libre au XIXème siècle mais capturé et vendu comme esclave pendant 12 ans en Louisiane. C’est le nouveau long-métrage de l’artiste-vidéaste Steve McQueen, désormais plus connu pour ses films : « Hunger » (Caméra d’or à Cannes en 2008) et « Shame » (2011).


-          Chaque année on s’y intéresse, on espère, voire on se met à rêver… et chaque année on est déçu. La cérémonie des Oscars est de plus en plus prévisible, académique et conservatrice…
-          De plus en plus ? Je dirai plutôt qu’elle l’est toujours autant. Pour 2014 les votants ne devraient pas bouleverser leurs habitudes, et on ne peut que redouter le sacre – déjà annoncé depuis qu’il a remporté le prix du public au festival de Toronto – de « 12 years a slave ».
-        Après « Shame », je ne m’attendais pas du tout à ce que Steve McQueen se lance dans l’académisme ! Grand sujet historique, mise en scène classique tendue vers l’efficacité, interprétations habitées et contenu à haute teneur lacrymal : l’ambition de McQueen pour les Oscars est évidente.
-          Et alors ? Ça n’empêche pas « 12 years a slave » d’être un très grand film. Steve McQueen s’est entièrement mis au service de Solomon Northup, l’homme libre redevenu esclave dont il veut raconter l’histoire, et qu’il inscrit d’emblée dans l’Histoire. Sur un sujet identique, la ségrégation, Steve McQueen adopte en effet une approche totalement opposée à celle de Quentin Tarantino. Là où ce dernier, pour dénoncer  l’horreur de l’esclavage, prenait sa revanche sur l’Histoire en la réécrivant, Steve McQueen s’y soumet complètement, et surtout, y soumet le spectateur.
-          Tu peux le dire ! Le cinéaste ne laisse en effet jamais ses spectateurs passifs devant ses films. Sa mise en scène s’identifie si fortement avec le personnage principal de ses longs-métrages qu’il fait, à chaque fois, partager aux spectateurs ses tourments. Jusqu’à, aussi, dépasser la limite du supportable.
-          Mais alors que cela virait au ridicule dans « Shame », ici l’ambition historique et la grandeur classique de la mise en scène empêche « 12 years a slave » de tomber dans cet écueil…
-          Pour mieux tomber dans un autre : celui de la performance à Oscars ! « 12 years a slave » est extrêmement dur. La violence des traitements infligés aux esclaves y est montrée frontalement. Pas de risque de déréalisation de la violence par son exagération comme chez Tarantino : l’injustice et l’horreur de l’esclavage y apparaissent comme rarement vu au cinéma.
-          Sauf que Tarantino est mille fois plus original et inventif que McQueen. Surtout, cette représentation sans filtre de la violence pose un problème de mise en scène propre à l’œuvre de McQueen : son cinéma n’apparait plus que comme un cinéma de l’humiliation. « Hunger », « Shame » et « 12 years a slave » aujourd’hui : on est en droit de se demander si la torture et l’humiliation ne sont pas les moteurs de ses longs-métrages – ce qui est moralement assez perturbant.
-          Il n’empêche : le film est d’une extraordinaire émotion, porté par un acteur exceptionnel, Chiwetel Ejiofor, et accompagné d’une superbe musique.
-          Mais Hans Zimmer l’a composée en recyclant sans s’en cacher l’un des thèmes de « Inception » de Christopher Nolan (2010) ! Ce qui produit un sentiment bien étrange lors de la projection… est-ce un rêve ou un cauchemar ?

On retiendra…
Emouvant et éprouvant grâce à la puissance des cadrages et l’interprétation de Chiwetel Ejiofor, « 12 years a slave » ressemble déjà un classique.

On oubliera…
Steve McQueen a trop souvent recours à l’humiliation, Hans Zimmer se recycle sans vergogne.

« 12 years a slave » de Steve McQueen, avec Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender, Benedict Cumberbatch,…

Bien qu’il ait remporté le prix du public au festival international du film de Toronto, je n’avais pas voté pour lui lors du festival (je lui avais préféré « La vied’Adèle – chapitres 1 et 2 », « Attila Marcel » et « Night moves »), pour les raisons expliquées plus haut. Le réalisateur et une large partie du casting s’était de nouveau déplacé à la deuxième projection du film au TIFF – s’il manquait par rapport à la première Brad Pitt, Benedict Cumberbatch et Paul Dano, Chiwetel Ejiofor et Michael Fassbender étaient là.


Steve McQueen
Chiwetel Ejiofor

Michael Fassbender

Alfre Woodard et Lupita Nyong'o

                Les questions du public ont porté essentiellement sur le travail des acteurs : par exemple, comment peut-on incarner un être aussi abject que le personnage joué par Michael Fassbender ? En essayant de le comprendre, sans le juger mais sans l’excuser non plus a répondu celui-ci. Fait rare, Steve McQueen a demandé à prolonger l’échange avec le public alors que le directeur artistique du TIFF, Cameron Bailey, avait annoncé sa fin.

Un aperçu de la (très grande) salle du Ryerson Theatre

vendredi 13 septembre 2013

Le crime farpait (L’amour est un crime parfait)

Adapté d’un roman de Philippe Djian, « Incidences » (2010), « L’amour est un crime parfait » est le huitième long-métrage des frères Larrieu. Et le quatrième dont le rôle principal a été confié à Mathieu Amalric. Filmé dans les Alpes suisses, il raconte comment un professeur de littérature à l’Université de Lausanne se retrouve suspecté d’avoir tué une de ses étudiantes, qui est aussi une de ses dernières conquêtes…


Cadre majestueux
La motivation profonde des frères Larrieu à faire du cinéma est de montrer la montagne à l’écran. On n’en doute pas un instant en admirant les magnifiques paysages enneigés qui sont le cadre de ce film noir. Ces montagnes, les frères Larrieu les filment beaucoup. Leur beauté et leur immensité est encore rehaussée par une très belle photographie qui accentue la blancheur des panoramas et renforce le contraste des images. Le but – réussi – étant de donner l’impression qu’une noirceur se cache derrière ces paysages immaculés.
« L’amour est un crime parfait » est en effet un film noir, ce que la loufoquerie douce des frères Larrieu ne tempère pas mais rend au contraire encore plus inquiétant. Ce qui n’empêche pas le film d’être aussi – et surtout – très drôle, grâce à ses acteurs : outre Mathieu Amalric, Denis Podalydès est hilarant dans le rôle du directeur du département littéraire de l’Université (l’Université de Lausanne, un étonnant bâtiment futuriste donnant des airs de science-fiction aux séquences qui s’y déroulent).

Faible polar
Images magnifiques, acteurs épatants, drôle, tordu : « L’amour est un crime parfait » aurait donc a priori tout pour plaire. Pourtant, le film semble curieusement passer à côté de son vrai sujet, la culpabilité. L’intrigue policière n’est en effet pas très bien traitée, et a semble-t-il moins intéressé les réalisateurs que leurs montagnes et leurs acteurs. L’ambigüité de l’histoire ne fera ainsi pas long feu - on se demande même si les réalisateurs ont vraiment essayé de ménager le coup de théâtre final, puisqu’on devine celui-ci bien à l’avance. Alors qu’ils ont réussi avec brio à incarner l’ambivalence dans leurs paysages, les réalisateurs échouent à en faire autant dans leur mise en scène. On voit beaucoup trop clair dans le jeu du personnage de Maïwenn, et si Mathieu Amalric est – comme d’habitude – parfait dans son rôle, le montage ne laisse guère de doute dans l’esprit des spectateurs.
Si « L’amour est un crime parfait » n’est pas entièrement abouti, il constitue néanmoins un très étonnant film policier, à la fois noir, saugrenu et alpin.

On retiendra…
Film noir au cadre et à l’image magnifiques, « L’amour est un crime parfait » excelle en tant que comédie tordue aux acteurs impeccables.

On oubliera…
Le film passe (volontairement ?) à côté de son sujet, une intrigue policière dont on devine les coups de théâtre à l’avance.

« L’amour est un crime parfait » d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu, avec Mathieu Amalric, Karin Viard, Maïwenn, Denis Podalydès, Sara Forestier,…

Le Princess of Wales Theater

Une énorme salle, avec deux balcons...



... ainsi que des loges
De gauche à droite : les réalisateurs et leur traducteur
La première mondiale du film au Festival international du film de Toronto d’est déroulée en présence des deux réalisateurs… et de leur traducteur. « L’Amérique a les frères Coen, la Belgique les frères Dardenne. La France a les frères Larrieu » : ainsi se sont présentés avec humour Arnaud et Jean-Marie Larrieu.




La rencontre avec le public qui a suivi la projection, où les réalisateurs déclarèrent que ce qui les intéressait au cinéma était de filmer la montagne et ses habitants, a été marquée par l’intervention d’une canadienne francophone. Dans la salle immense du Princess of Wales Theater (comportant deux balcons !) et alors qu’ils expliquaient avoir trouvé dans le roman de Philippe Djian, dont le film est adapté, une histoire policière à raconter dans un cadre alpin, celle-ci a interrompu les réalisateurs en criant : « Djian n’appartient pas à la littérature française ! ». Il fallait oser.