mercredi 5 août 2015

La traversée des Enfers (Sorcerer, le convoi de la peur)

Pour William Friedkin, le cauchemar ne s’est pas arrêté à la fin du tournage – qui a connu des déboires dignes de celles références d’ « Apocalypse now ». Il a continué à la sortie du film, cruellement boudé par le public en 1977. Et s’est encore poursuivi au-delà : l’échec commercial de « Sorcerer, le convoi de la peur » a précipité le film dans l’oubli, alors même que Fridekin le considérait comme son chef-d’œuvre.
Il aura fallu attendre plus de 35 ans pour que le cauchemar prenne fin. La présentation d’une restauration du film à la 70ème Mosta de Venise en 2013 et sa ressortie en salles cet été en France consacrent enfin une œuvre totale, spectaculaire par sa démesure.


Réparer l’Histoire
Découvrir le film aujourd’hui, c’est se demander si une malédiction n’a pas frappé ce film pour qu’il ait pu échapper aussi longtemps à la notoriété. Une question revient en boucle au sortir de la salle : mais comment a-t-on pu passer à côté de « Sorcerer, le convoi de la peur » ? Pourquoi n’en avait-on jamais entendu parler jusqu’à sa restauration ? Alors même que William Friedkin (« French connection », « L’excorciste ») a gardé une immense renommée ? Alors même que « Le salaire de la peur », dont « Le convoi de la peur » est un remake, et qui donne un énorme coup de vieux au film de 1953 d’Henri-Georges Clouzot, n’a pas quitté les mémoires ?
L’histoire du cinéma peut être parfois extrêmement cruelle. Impossible en effet de nier à « Sorcerer » son statut de chef-d’œuvre et d’œuvre majeure. Fondé entièrement sur la puissance visuelle, la mise en scène de Friedkin se contente d’un minimum de dialogues et d’explications. Le prologue est à ce titre remarquable. Il présente à la suite quatre séquences (soit autant de « films dans le film ») tournées sur des continent différents, sans qu’on ne puisse établir tout d’abord de lien entre elles, avant de comprendre passé cette première partie qu’il s’agissait de la présentation des personnages principaux.

Jusqu’à la folie
L’action se déplace alors dans une dictature imaginaire d’Amérique du Sud. La chaleur, l’humidité, la boue, la misère, la violence, ce qui est montré est un véritable enfer sur terre, extrêmement saisissant, et magistralement – et majestueusement – filmé. La force visuelle de Friedkin est telle que ces images deviennent des sensations. On ressent ainsi quasiment physiquement la fureur d’une foule animée par la colère.
La démesure de ce projet cinématographique hors norme éclate à l’écran lorsque se forme le « convoi de la peur » du titre. Le transport de la nitroglycérine liquide, prête à exploser au moindre choc, est un mécanisme narratif d’une efficacité folle pour créer du suspense, et Friedkin l’utilise à plein. Il va beaucoup plus loin qu’Henri-Georges Clouzot : la furie des éléments, obstacle à la réussite de la mission du convoi, est d’une violence très impressionnante et confère à toutes les séquences une intensité inouïe. Le spectateur est cloué à son siège, n’ose esquisser un mouvement de peur de faire péter la nitro à l’écran, voire en oublie de respirer…
Le sommet du film étant cette double traversée d’un pont branlant en pleine tempête au-dessus d’un fleuve en furie… Tout simplement l’une des séquences les plus impressionnantes jamais tournées. « Le convoi de la peur » accède alors au mythe.
S’ajoute encore à la toute-puissance de ces images l’implacabilité du scénario. « Sorcerer » déroule la machinerie complexe mais incoercible du destin, et donne une vision très déterministe de l’existence. Pendant tout le film, l’homme combattra la nature et ses éléments, refusera son sort avec une résistance inouïe, et cette lutte est tellement folle qu’elle est à la fois absurde et poignante.
Le film vire enfin à l’expérience hallucinatoire, qui semble être la seule échappatoire à ce trop-plein de puissance visuelle. Portée notamment par la géniale la musique de Tangerine Dream, la déchance physique et morale du héros fait le spectateur dans un état d’hébétement et de fatigue. Un de ces moments rares où le cinéma s’annule pour devenir une expérience sensorielle.
« Sorcerer, le convoi de la peur a donc tout d’un monument, dont la redécouverte était historiquement indispensable. Trente-huit après, on n’a pas encore cessé de mesurer l’ampleur de ce projet cinématographique et l’intrépidité de son tournage.

On retiendra…
L’expérience sensorielle de cette mise en scène d’une puissance visuelle qui vire à la démesure.

On oubliera…
La vision des autochtones d’Amérique du Sud…


« Sorcerer, le convoi de la peur » de William Friedkin, avec Roy Scheider, Bruno Cremer,…

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