Dans un précédent article, je déplorais la mort du genre de la fantasy pour mieux
encenser deux auteurs apparus presque en même temps, Justine Niogret
(« Chien du heaume », Mnémos, 2009) et Jean-Philippe Jaworski
(« Gagner la guerre », Les Moutons Electriques, 2009).[1] Ces deux auteurs, par la grâce d’un style extrêmement marqué et travaillé,
inspiré de la langue médiévale pour le premier et d’une richesse étourdissante
pour le second, ont soufflé un vent de fraîcheur comme le genre n’en avait
jamais connu en France. En 2015, le vent n’a toujours pas faibli, et l’on n’a
pu qu’applaudir avec une force croissante chaque nouvelle parution de ces deux
auteurs : « Mordre le bouclier » et « Mordred » pour
Niogret, « Même pas mort » et « Chasse royale », dont il
est question dans cet article, pour Jaworski, tandis que de nouvelles plumes à
la même exigence littéraire se sont révélées (Stefan Platteau avec
« Manesh » aux Moutons Electriques et Franck Ferric avec « Trois oboles pour Charon », Denoël-Lunes d’encre).
Un morceau de bravoure littéraire
« Chasse
royale » de Jean-Philippe Jaworski est la suite de « Même pas
mort », qui initiait en 2013 ce qui était censé être une trilogie (il
semble que le projet ait pris de l’ampleur et excède désormais la trilogie).
Appelée « Rois du monde », elle raconte la vie de Bellovèse,
guerrier celte appelé à devenir roi, dans une narration épique à la frontière
entre le roman historique – sur une période méconnue et encore fort inconnue de
notre histoire – et le fantastique.
On retrouve
dans « Chasse royale » toutes les qualités de « Même pas
mort » : une plongée aux forts accents réalistes dans la culture
antique celte, une structure narrative complexe « en rinceaux » (le
motif ornemental préféré des Celtes), des touches fantastiques légères qui approfondissent
le réalisme du roman en le chargeant d’ambigüité, et surtout le style de
Jaworski. La langue de cette saga est moins travaillée que dans « Gagner
la guerre » (Jaworski ne pousse plus jusqu’à la préciosité chacune de ces
phrases), mais c’est pour fluidifier la lecture et créer ainsi un souffle, qui
emportait le lecteur de page en page jusqu’à la conclusion du premier tome, où
l’on ne souhaitait plus qu’une chose : lire la suite.
Lire la
suite, c’est presque ce que propose ce nouveau tome intitulé « Chasse
royale ». Presque, car la parution du tome a été divisée en deux volumes,
ou deux « branches » pour garder les motifs celtes. N’est donc paru
en 2015 que la première, mais qui constitue à elle seule un roman. On devine
qu’une nouvelle structure en rinceau a été préparée par Jaworski dans ce
deuxième tome, structure qu’on ne pourra apprécier qu’avec la
« branche » suivante, ce volume paru ne comportant sur ces quelques
280 pages qu’un seul et unique chapitre. On voit bien que la saga prend de
l’ampleur, selon une expansion que l’auteur lui-même n’avait semble-t-il pas
prévu. Et c’est tant mieux… car c’est encore mieux.
Un seul
chapitre, mais quel chapitre. L’aventure qui y est déployée, racontée à la
première personne, tient en une unité de temps (24 heures) et de lieu. Elle s’avère
dans sa deuxième moitié être une escalade quasi ininterrompue de tension,
d’action, de combats, où les situations de crise ne cessent de s’enchainer et
de se reconfigurer sans jamais pour autant virer à l’avalanche. Malgré
l’étirement incroyable des combats, courses, fuites, l’ensemble reste
extraordinairement réaliste. Il n’y a nulle artificialité ici, on ne ressent
pas de rebondissements comme dus à un seul caprice narratif de l’auteur. Preuve
du talent extraordinaire de Jaworski dans la construction de ces histoires.
C’est
passionnant, c’est une lecture incroyablement prenante. Un tel moment épique
maintenu sur plus de la moitié du roman, c’est du jamais lu. Vive Jaworski et
vivement, vivement la suite.
« Chasse royale » de Jean-Philippe Jaworski, Moutons
Electriques éditeur
[1]
On peut aussi citer Céline Minard pour son formidable roman court « Bastard
battle », sorti en 2008, écrit avec une langue pouvant rappeler celle que
déploiera un an plus tard Niogret dans « Chien du heaume ».
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