mardi 24 mars 2015

Une belge à Tokyo (Tokyo fiancée)

Le Japon. Un ailleurs où tout nous est d’autant plus étranger qu’il a quelque chose de familier. Un monde proche et lointain à la fois, qui garde toujours quelque chose d’insaisissable. Le raconter passe donc forcément par une forte subjectivité. D’où la fascination des cinéastes étrangers pour ce territoire et cette culture : après que trois réalisateurs français et coréens (Gondry, Carax et Joon-Ho), puis l’iranien Kiarostami, aient exposés leur vision du Japon dans « Tokyo ! » et « Like someone in love », c’est au tour du belge Stefan Liberski de faire de même… à travers l’adaptation de l’une des œuvres les plus célèbres d’Amélie Nothomb, « Ni d’Eve ni d’Adam ».


L’histoire est fidèle à celle du roman. Amélie est belge, bien que née au Japon, où elle a vécu jusqu’à ses 5 ans. Elle en a désormais 20 et plus aucun doute : sa place est au Japon. Aussi déménage-t-elle à Tokyo avec un aller simple. Pour faciliter son intégration, elle propose des cours particuliers de français et rencontre alors Rinri, jeune tokyoïte de son âge, issu d’une famille aisée. Après être devenu sa « maitresse » (de français), elle en deviendra l’amante. Amélie a tout pour être heureuse, et pourtant un malaise la gagne peu à peu…
« Tokyo fiancée » est un récit initiatique, conjuguant découverte culturelle, initiation amoureuse et apprentissage de soi. Liberski met en scène une quête identitaire où la construction de soi est aiguisée par la rencontre avec une culture étrangère. Le réalisateur s’appuie pour cela sur une actrice extraordinaire, à laquelle il est difficile de résister, Pauline Etienne. L’actrice porte le film du début à la fin (il n’y a pas d’autre ligne narrative que son histoire), et entre elle, si désarmante de naturel, et le spectateur, le charme opère dès les premières secondes : la complicité est immédiate.
Le regard du réalisateur Stefan Liberski sur le Japon épouse au plus près celui de son héroïne. La mise en scène nous fait partager partager l’ivresse de la découverte éprouvée par Amélie car tout, dans la société japonaise, semble matière à fascination. Le film a ce côté amusant de catalogues de surprises. Dans les extérieurs, la caméra ne cesse de happer des détails – aussi bien architecturaux, culturels, que comportementaux – où ressort notamment le balancement si typiquement japonais entre la nature et l’urbain. La superbe photographie de Hichame Alaouie, douce et colorée, transmet au spectateur l’émerveillement d’Amélie.
Cette découverte par une étrangère de la société japonaise est très souvent cocasse mais Liberski a l’intelligence et l’habileté de ne jamais verser dans la moquerie. On ne rit pas aux dépens de l’autre mais avec – à aucun moment « Tokyo fiancée » ne bascule dans le piège facile de la ridiculisation.
Les événements racontés dans ce long-métrage sont très quotidiens, et pourtant Liberski en fait de grandes péripéties romanesques. Tout est matière à fiction, affirme Amélie Nothomb. Stefan Liberski le prouve en faisant voyager son film à travers les genres cinématographiques. Ainsi, la réalisation évolue aussi bien dans le registre intimiste que dans la comédie pure, fait des écarts du côté du policier, éclate soudainement dans la comédie musicale – moment assez dingue où la joie d’Amélie fait déborder le film en-dehors de tout cadre réaliste, Pauline Etienne se lançant dans une adaptation de « J’aime la vie » de Sandra Kim… Ce voyage de la mise en scène à travers les codes narratifs est très cohérent car il apporte du dépaysement jusque dans la manière dont cette histoire de dépaysement est racontée.
Outre le passage à la comédie musicale, un autre moment marquant de mise en scène retient l’attention. Il intervient lorsqu’Amélie s’attarde dans la volupté d’une source thermale. Le jeu lumineux créé par les ondulations de l’eau, avec l’abandon de ce corps, font que le plan est très beau, mais la caméra semble s’attarder sur la nudité de l’actrice. Au moment où nait un malaise arrive soudainement une vue d’ensemble où le spectateur s’aperçoit en même temps qu’Amélie qu’elle se donnait involontairement en spectacle  à un employé de la station venu ramasser des feuilles mortes. Par ce montage adroit, Liberski communique au spectateur un trouble comparable à celui qui saisit la jeune femme. Liberski excelle ainsi à nous communiquer les sensations et les sentiments de son héroïne, en mettant entièrement sa mise en scène à son service.
A l’inverse, le réalisateur déçoit à certains moments, lorsqu’il est pris par la volonté inutile de rappeler au spectateur qu’il regarde une adaptation de Nothomb. Certaines des phrases dites en voix-off par Amélie, tirées directement du roman, sont redondantes car elles disent tout haut ce que les images montraient déjà. On regrette de même que Pauline Etienne soit artificiellement grimée en l’image publique d’Amélie Nothomb le temps de séquences oniriques intervenant régulièrement tout au long du film. Certes, ces parenthèses visuelles donnent de soudaines bouffées d’air à ce film narrativement très linéaire, mais la référence à l’écrivaine est clairement surnuméraire. Quelque part, cette insistance diminue un peu le film car elle fait passer l’idée que « Tokyo fiancée » n’a pas d’autre justification qu’être l’adaptation du roman « Ni d’Eve n d’Adam » – alors que le film tient debout tout seul.
Le séjour d’Amélie à Tokyo s’achèvera au moment où, au contact de l’autre, immergée dans cette culture irréductiblement étrangère à laquelle elle échoue à s’accoutumer, elle réalisera, presque contre elle-même, que ses aspirations véritables sont ailleurs que dans cette vie en couple au Japon avec Rinri. La séparation avec ce dernier, aidée dans le film par le funeste accident de Fukushima, apparait comme une évidence douloureuse, mais elle a la beauté d’une découverte de soi et la promesse d’un accomplissement futur. Il faut découvrir les autres pour se connaitre soi-même : c’est la belle et généreuse démonstration de ce film qui ne manque pas d’intelligence.

On retiendra…
Le parcours d’Amélie est filmé avec une fantaisie douce très sympathique.

On oubliera…
Peu de points saillants dans ce long-métrage au souvenir très délétère…

« Tokyo fiancée » de Stefan Liberski, avec Pauline Etienne, Taichi Inoue,…

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