dimanche 8 janvier 2017

Péri-épisode (Rogue one, a Star Wars story)

L’année passée, le retour si phénoménalement attendu de la saga « Star Wars » au cinéma avait ravi et déçu à la fois. Dans « Le Réveil de la Force », JJ Abrams avait brillamment ressuscité l’esprit de la trilogie originelle, mais pour un résultat finalement très conservateur (au regard par exemple de ce qu’il avait fait avec « Star Trek »).
Maintenant qu’est sorti « Rogue one », premier film à ne pas être un épisode chiffré de la saga « Star Wars », la stratégie de Disney se révèle très claire : perpétuer le « canon » du film « Star Wars » à travers les épisodes, pour mieux s’en écarter dans les films « hors épisode ». Stratégie inédite et surtout imparable, puisqu’elle contente tout le monde. Elle est en tout cas formidablement payante, si on la juge après la sortie de ces deux premiers « Star Wars » de l’ère Disney.


Briser les codes
« Rogue one » est en effet aussi réussi que « Le Réveil de la Force » mais pour des raisons symétriquement opposées, puisque « Rogue one » transgresse et retourne les codes du film « Star Wars », tout en leur rendant hommage. Contrairement à Abrams, il semble qu’Edwards ait eu les coudées franches pour s’écarter du formalisme institué par George Lucas. Le scénario de « Rogue one » est une succession d’infractions délibérées aux codes « Star Wars ».
La première cible des scénaristes a d’abord été le manichéisme : on y découvre dès les premières minutes qu’il y a du bien dans le camp des méchants (le grand ingénieur à l’origine de l’Etoile de la Mort est en fait un gentil) et du mal dans le camp des gentils (le héros du film, capitaine de la Rébellion, tue de sang-froid un informateur dans les premières minutes du film). Les deux camps qui apparaissent jusque-là comme deux blocs unis se faisant la guerre apparaissent ici agités de luttes intestines : Vador, Tarkin et Krennic s’affrontent sur la manière d’utiliser l’Etoile de la Mort, et l’Alliance Rebelle est montrée divisée en différentes factions incapables de s’entendre réduites à agir de leurs propres initiatives. L’objectif est clair et il est parfaitement accompli : mettre de la complexité dans l’univers de « Star Wars ». Plus personne n’est tout blanc ou tout noir et ce flou moral inédit entourant les personnages les rend beaucoup plus réalistes, humains et donc nettement plus intéressants.
Autre exemple de transgression du mythe « Star Wars » : le personnage le plus héroïque (et le plus émouvant) n’est pas un Jedi. Il est dépourvu de la Force, et est donc réduit à l’invoquer de toutes ses forces par un mantra (déjà culte parmi les fans). Une manière pour les auteurs du film de montrer de manière puissant que la Force, cette astuce de scénario si pratique dans les épisodes, qui est moins un superpouvoir qu’une foi.
Que dire, enfin, de l’hécatombe finale ? Jamais un film « Star Wars » n’avait été aussi sombre. On reste sidérés par l’extrême brutalité du film envers ses personnages principaux – une telle chose semblait inimaginable depuis le rachat par Disney. Alors que se déroule cette fin inattendue, les personnages gagnent encore en héroïsme et le film se leste d’un poids épique et tragique très émouvant qui culmine en deux sommets : la fin de Jyn Erso et Cassian Andor – qu’on croirait directement reprise de « Melancholia » de Lars von Trier, et la scène de combat avec Dark Vador – d’une grande violence et si évocatrice de ce qu’est une révolte réprimée.
Une limite n’a cependant pas été (ou pas pu être ?) franchie, même si Gareth Edwards montre clairement à travers sa direction d’acteurs qu’il y pensait, puisqu’on peut lire beaucoup de désir dans les yeux de Jyn Erso et Cassian Andor dans leurs derniers instants…
Les transgressions existent aussi sur le plan formel : Gareth Edwards ne reproduit pas la mise en scène en plans fixes et les transitions « en volets » emblématique mais désuète pour « Rogue one ». Sa mise en scène, beaucoup plus nerveuse, est celle d’un film de guerre. Il faut là aussi reconnaitre que jamais un « Star Wars » n’avait eu d’aussi bonnes scènes d’action, qu’elles soient à terre ou dans l’espace.

Multiplier les références
                Si le film brise les codes du canon « Star Wars », il le fait avec un grand respect puisque « Rogue one » contient aussi une multitude de références, clins d’œil et autocitations à la saga. Certains sont purement gratuits, d’autres émouvants (l’apparition finale de la princesse Leia). La structure du film est en elle-même un hommage, puisqu’il s’agit encore de créer des climax en multipliant des actions simultanées comme dans tous les épisodes de « Star Wars ». Et au cœur de l’histoire se retrouve évidemment une relation père-fils – ou plutôt père-fille.
Seules fausses notes : l’ajout de l’humour sur ce film très sombre semble plaqué pour « faire ‘‘Star Wars’’ » », notamment avec le droïde K2, et la musique déroule sans convaincre des variations peu inspirées des thèmes originaux de John Williams. Confiée en catastrophe à Michael Giacchino, elle ne réussit pas à exister par elle-même et n’a guère d’autres points saillants que les moments où elle reprend à l’identique (mais brièvement) les thèmes immortels de la saga.
Au rayon des références, un point intéressant est le choix de Felicity Jones pour incarner l’héroïne du long-métrage. Son apparence évoque à plusieurs reprises, et notamment vers la fin du film, Luke Skywalker. Comme si Gareth Edwards rendait hommage au héros des premiers épisodes interprété par Mark Hamill avec l’héroïne de son propre long-métrage « Star Wars ».

Réellement audacieux ?
Spectaculaire, tragique, épique, et intelligent, « Rogue one » a donc tout d’un excellent blockbuster. Néanmoins, il convient de tempérer l’enthousiasme que l’on éprouve à son égard en se rappelant que l’audace que l’on reconnait au film n’existe en fait que si on le compare aux sept précédents « Star Wars »… Sans ce carcan préexistant duquel « Rogue one » s’est échappé, le film de Gareth Edwards n’apparaitrait certainement pas comme aussi novateur… Sauf sur un point : la résurrection numérique d’acteurs décédés – sur ce procédé d’ailleurs, le film est appelé à marquer un jalon dans l’histoire du cinéma.
Qu’il ne tienne pas debout tout seul est peut-être là le seul grand défaut du film. Ce n’en est pas moins un grand film de guerre, et une réussite surprenante au regard des rumeurs de difficultés de production qui étaient parvenues au cours de la fabrication du long-métrage. Il semble qu’il existe une version fantôme d’un autre « Rogue one », que l’on rêve forcément meilleur alors même que le film sorti sur les écrans est déjà excellent. La possibilité d’existence de cette version alternative de « Rogue one » le parera à n’en pas douter d’une aura mythique dans les années à venir…

On retiendra…
Gareth Edwards casse les codes et conventions du film « Star Wars » pour livrer un film beaucoup plus sombre, complexe et intelligent que les épisodes de la saga intergalactique, sans la bafouer pour autant.

On oubliera…
L’audace du long-métrage n’existe en fait que par rapport au référentiel très uniforme des précédents films de la saga « Star Wars ».


« Rogue one, a Star Wars story » de Gareth Edwards, avec Felicity Jones, Diego Luna, Ben Mendelsohn,…

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