samedi 18 mai 2013

En différé de Cannes 2 : La cage de Farhadi (Le passé)


Le cinéma iranien s’est-il déjà aussi bien porté ? Alors même que les réalisateurs iraniens sont confrontés à la censure et que le régime n’hésite pas à opprimer ceux qui lui paraissent trop libres (au moyen de la prison, de l’interdiction de tourner, de l’assignation à résidence) ! La dictature n’empêche pas le cinéma iranien d’être l’un des meilleurs au monde. Le nouveau chef de file de ce cinéma adoubé de festival en festival est Asghar Farhadi. En 2011, son film « Une séparation » a connu un succès phénoménal, tant public (un million d’entrées en France !) que critique (Ours d’or et double prix d’interprétation pour l’ensemble de la distribution (!), César et Oscar et du meilleur film étranger). Son distributeur français l’a convaincu de tourner son nouveau film hors de l’Iran : en France, dans la banlieue parisienne. « Le passé » est le premier film de Farhadi à être sélectionné à Cannes.



Maîtrise invisible
Ce deuxième film de la sélection officielle à connaitre une sortie nationale contraste très fortement avec le premier, « Gatsby le magnifique » : la mise en scène d’Asghar Farhadi est en quelque sorte l’antonyme de celle de Baz Luhrmann. Là où Luhrmann en rajoutait dans les effets de mise en scène, Asghar Farhadi, dans sa quête de vérité, se refuse tout cadrage ou mouvement de la caméra trop maitrisé (excepté un plan-séquence, à la fin). Farhadi est bien un cinéaste de l’hyper maîtrise, mais une maitrise qui cherche à se soustraire à elle-même. Il tourne longtemps et après plusieurs de nombreuses semaines de répétition, mais ne veut pas que cette maitrise se remarque à l’écran. Le travail, que ce soit celui des acteurs ou celui du metteur en scène, doit atteindre une vérité telle… qu’il le rende invisible ! Est-il donc utile de préciser que les acteurs sont formidables ? L’excellent Tahar Rahim montre une facette encore inédite de son jeu, et Bérénice Bejo trouve là son plus grand rôle. On apprécie d’ailleurs particulièrement l’ouverture du film, qui semble faire explicitement référence à « The artist » - sans que l’on puisse en être totalement sûr, puisque le rôle était au départ prévu pour Marion Cotillard.

Sous haute tension
La critique définit les films d’Asghar Farhadi comme des « thrillers sociaux ». Bien que d’habitude associé aux films d’espionnage, force est de constater que le terme de thriller convient très bien à ce cinéma hyper tendu. « Le passé » est parcouru par une tension inouïe, qui s’exprime dans chaque situation, chaque dialogue. A tel point qu’on ressort de la projection dévasté.
Nul doute qu’avec « Le passé », Asghar Farhadi réalise son meilleur film. Il semble avoir atteint la quintessence de son cinéma : même en ayant tourné en France, dans une langue qu’il ne maîtrise pas, Farhadi approfondit des thèmes déjà présents dans « Une séparation » et atteint une tension inespérée. Pour un peu, cette tension, qui parcourt le film et ne cesse de s’étirer, scène après scène, est à la limite de faire basculer le film dans une caricature. La manière de faire des films de Farhadi, unique, relève d’un équilibre incroyablement complexe. Convaincra-t-il le jury de cette soixante-sixième édition ?

On retiendra…
La tension qui rend le film émotionnellement très fort, la direction d’acteurs époustouflante, la très belle photographie.

On oubliera…
Si Farhadi ne tombe jamais dans la caricature, celle-ci n’est – parfois – jamais loin.

« Le passé » d’Asghar Farhadi, avec Bérénice Bejo, Tahar Rahim, Ali Mosaffa,…

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