lundi 20 février 2012

Ardu (La taupe)

Après le très ambigu « Morse », film de vampire tellement révolutionnaire par rapport au reste du genre qu’on se demande s’il est vraiment pertinent de l’y rattacher, le suédois Tomas Alfredson tente la traversée ô combien risqué de l’Atlantique. L’an dernier, un autre cinéaste nordique l’avait réussi avec brio : le danois Nicolas Winding Refn avec « Drive », tandis que plus au sud l’italien Paolo Sorrentino s’y était plutôt cassé les dents (l’inabouti mais néanmoins très drôle « This must be the place »).


Mise en scène splendide
On ne pourra pas dire qu’Alfredson a raté son arrivée à Hollywood : « La taupe » (« Tinker, soldier, spy » en VO) brille par sa mise en scène. On retrouve le goût du réalisateur pour les silences, les non-dits, à travers notamment le personnage formidablement interprété par Gary Oldman. La lumière froide et la léthargie générale, ainsi que ce côté un peu éthéré de l’image, sont aussi caractéristiques du réalisateur. Certains plans sont magnifiques, comme cette larme répondant à une goutte de sang à la fin du film. Les discussions tenues au sein du QG des services secrets britanniques, une sorte de chambre insonorisée, sont aussi excellemment bien rendues : le choix d’une focale courte laisse l’arrière-plan dans un flou qui s’accorde très bien avec le motif absorbant le bruit tapissant les murs de la pièce, et rajoute à l’impression d’isolation de la pièce.

Complexité fatale
Si « La taupe » confirme le talent de mise en scène de Tomas Alfredson, il fait au contraire douter de son discernement quant à ses choix de scénario. L’intrigue de « La taupe » anéantit tout le crédit que pouvait apporter sa mise en scène. Le film est l’adaptation d’un roman d’espionnage de John le Carré, et ne pourra être compris que par les spectateurs ayant lu le roman. Même en étant prévenu que le long-métrage est difficile à suivre, on est irrémédiablement perdu par la complexité extrême du scénario, et par d’étranges choix de montage qui ne tendent pas une seule fois la main vers le spectateur pour l’aider à débrouiller les fils de cette histoire.
Celle-ci se déroule à plusieurs époques différentes, fait des allers et retours par le biais de récits ou de souvenirs des personnages entre le passé et le présent, mais il est extrêmement difficile pour le spectateur d’arriver à situer chronologiquement une séquence au moment où on lui la présente. La direction artistique du film joue beaucoup sur le vieillissement des décors et des costumes, tout respire la fatigue, accuse son âge, et en particulier les acteurs, qui a priori pour respecter cette atmosphère n’ont pas été rajeuni lors des séquences se déroulant dans le passé. A moins que ce passé ne soit pas si vieux que ça, mais sans indice quelconque sur la date des événements, il est impossible de le savoir. Ainsi, des repères chronologiques insérés en sous-titres font cruellement défaut et auraient évité de perdre parfois inutilement le spectateur.
Dans un roman, ces repères chronologiques sont présents et consultables à loisir par le lecteur qui peut à tout moment revenir quelques pages en arrière s’il est perdu. La linéarité d’une projection cinématographique empêche ces retours en arrière, et demande davantage d’attention de la part du spectateur – de même que davantage d’explicitations de la part du metteur en scène. Leur absence accentue certes le classicisme du film, mais c’est un bien faible bénéfice. Le film se retrouve ainsi artificiellement complexifié, et fige Tomas Alfredson dans la posture du super-auteur si concentré à la mise en image de son scénario qu’il en oublie ses spectateurs.
Par ailleurs, la fin manque cruellement d’intérêt, car l’histoire n’insuffle aucun enjeu ni suspense à la découverte de la fameuse taupe, qui semble trop peu dangereuse. La fin n’a alors pas d’autre mérite que de remettre dans le bon sens les pièces éparses du puzzle présenté dans le plus grand désordre pendant les deux heures précédentes…

On retiendra…
La mise en scène de Tomas Alfredson, l’atmosphère usée du film, et le quasi mutisme de Gary Oldman.

On oubliera…
Un scénario trop complexe rendu incompréhensible par la mise en scène, transformant l’oeuvre en un grand film vain et raté.

« La taupe » de Tomas Alfredson, avec Gary Oldman,…

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